La guerre d’Algérie a commencé à Sétif – Mohammed Harbi

Le 8 mai 1945, tandis que la France fêtait la victoire, son armée massacrait des milliers d’Algériens à Sétif et à Guelma. Ce traumatisme radicalisera irréversiblement le mouvement national. Cet article désormais « classique » de Mohammed Harbi, acteur, témoin et historien du mouvement indépendantiste algérien, a été publié dans Le Monde diplomatique de mai 2005 et dans histoirecoloniale.net en 2008.

Désignés par euphémisme sous l’appellation d’« événements » ou de « troubles du Nord constantinois », les massacres du 8 mai 1945 dans les régions de Sétif et de Guelma sont considérés rétrospectivement comme le début de la guerre algérienne d’indépendance. Cet épisode appartient aux lignes de clivage liées à la conquête coloniale.

La vie politique de l’Algérie, plus distincte de celle de la France au fur et à mesure que s’affirme un mouvement national, a été dominée par les déchirements résultant de cette situation. Chaque fois que Paris s’est trouvé engagé dans une guerre, en 1871, en 1914 et en 1940, l’espoir de mettre à profit la conjoncture pour réformer le système colonial ou libérer l’Algérie s’est emparé des militants. Si, en 1871 en Kabylie et dans l’Est algérien et en 1916 dans les Aurès, l’insurrection était au programme, il n’en allait pas de même en mai 1945. Cette idée a sans doute agité les esprits, mais aucune preuve n’a pu en être avancée, malgré certaines allégations.

La défaite de la France en juin 1940 a modifié les données du conflit entre la colonisation et les nationalistes algériens. Le monde colonial, qui s’était senti menacé par le Front populaire – lequel avait pourtant, sous sa pression, renoncé à ses projets sur l’Algérie –, accueille avec enthousiasme le pétainisme, et avec lui le sort fait aux juifs, aux francs-maçons et aux communistes.

Avec le débarquement américain, le climat se modifie. Les nationalistes prennent au mot l’idéologie anticolonialiste de la Charte de l’Atlantique (12 août 1942) et s’efforcent de dépasser leurs divergences. Le courant assimilationniste se désagrège. Aux partisans d’un soutien inconditionnel à l’effort de guerre allié, rassemblés autour du Parti communiste algérien et des « Amis de la démocratie », s’opposent tous ceux qui, tel le chef charismatique du Parti du peuple algérien (PPA), Messali Hadj, ne sont pas prêts à sacrifier les intérêts de l’Algérie colonisée sur l’autel de la lutte antifasciste.

Vient se joindre à eux un des représentants les plus prestigieux de la scène politique : Ferhat Abbas. L’homme qui, en 1936, considérait la patrie algérienne comme un mythe se prononce pour « une République autonome fédérée à une République française rénovée, anticoloniale et anti-impérialiste », tout en affirmant ne rien renier de sa culture française et occidentale. Avant d’en arriver là, Ferhat Abbas avait envoyé aux autorités françaises, depuis l’accession au pouvoir de Pétain, des mémorandums qui restèrent sans réponse. En désespoir de cause, il transmet aux Américains un texte signé par 28 élus et conseillers financiers, qui devient le 10 février 1943, avec le soutien du PPA et des oulémas, le Manifeste du peuple algérien.

Alors, l’histoire s’accélère. Les gouvernants français continuent à se méprendre sur leur capacité à maîtriser l’évolution. De Gaulle n’a pas compris l’authenticité des poussées nationalistes dans les colonies. Contrairement à ce qui a été dit, son discours de Brazzaville, le 30 janvier 1944, n’annonce aucune politique d’émancipation, d’autonomie (même interne). « Cette incompréhension se manifeste au grand jour avec l’ordonnance du 7 mars 1944 qui, reprenant le projet Blum-Violette de 1936, accorde la citoyenneté française à 65 000 personnes environ et porte à deux cinquièmes la proportion des Algériens dans les assemblées locales », écrit Pierre Mendès France à André Nouschi 1. Trop peu et trop tard : ces mini réformes ne touchent ni à la domination française ni à la prépondérance des colons, et l’on reste toujours dans une logique où c’est la France qui accorde des droits…

L’ ouverture de vraies discussions avec les nationalistes s’imposait. Mais Paris ne les considère pas comme des interlocuteurs. Leur riposte à l’ordonnance du 7 mars intervient le 14 : à la suite d’échanges de vues entre Messali Hadj pour les indépendantistes du PPA, Cheikh Bachir El Ibrahimi pour les oulémas et Ferhat Abbas pour les autonomistes, l’unité des nationalistes se réalise au sein d’un nouveau mouvement, les Amis du Manifeste et de la liberté (AML). Le PPA s’y intègre en gardant son autonomie. Plus rompus aux techniques de la politique moderne et à l’instrumentalisation de l’imaginaire islamique, ses militants orientent leur action vers une délégitimation du pouvoir colonial. La jeunesse urbaine leur emboîte le pas. Partout, les signes de désobéissance se multiplient. Les antagonismes se durcissent. La colonie européenne et les juifs autochtones prennent peur et s’agitent.

Au mois de mai 1945, lors du congrès des AML, les élites plébéiennes du PPA affirmeront leur suprématie. Le programme initial convenu entre les chefs de file du nationalisme – la revendication d’un État autonome fédéré à la France – sera rangé au magasin des accessoires. La majorité optera pour un État séparé de la France et uni aux autres pays du Maghreb et proclamera Messali Hadj « leader incontesté du peuple algérien ». L’administration s’affolera et fera pression sur Ferhat Abbas pour qu’il se dissocie de ses partenaires.

Cette confrontation s’était préparée dès avril. Les dirigeants du PPA – et plus précisément les activistes, avec à leur tête le Dr Mohamed Lamine Debaghine – sont séduits par la perspective d’une insurrection, espérant que le réveil du millénarisme et l’appel au djihad favoriseront le succès de leur entreprise. Mais leur projet irréaliste avorte. Dans le camp colonial, où l’on craint de voir les Algériens rejeter les « Européens » à la mer, le complot mis au point par la haute administration, à l’instigation de Pierre-René Gazagne, haut fonctionnaire du Gouvernement général, pour décapiter les AML et le PPA prend jour après jour de la consistance.

L’ enlèvement de Messali Hadj et sa déportation à Brazzaville, le 25 avril 1945, après les incidents de Reibell, où il est assigné à résidence, préparent l’incendie. La crainte d’une intervention américaine à la faveur de démonstrations de force nationalistes hantait certains, dont l’islamologue Augustin Berque2. Exaspéré par le coup de force contre son leader, le PPA fait de la libération de Messali Hadj un objectif majeur et décide de défiler à part le 1er mai, avec ses propres mots d’ordre, ceux de la CGT et des PC français et algérien restant muets sur la question nationale. À Oran et à Alger, la police et des Européens tirent sur le cortège nationaliste. Il y a des morts, des blessés, de nombreuses arrestations, mais la mobilisation continue.

Le 8 mai, le Nord constantinois, délimité par les villes de Bougie, Sétif, Bône et Souk-Ahras et quadrillé par l’armée, s’apprête, à l’appel des AML et du PPA, à célébrer la victoire des alliés. Les consignes sont claires : rappeler à la France et à ses alliés les revendications nationalistes, et ce par des manifestations pacifiques. Aucun ordre n’avait été donné en vue d’une insurrection. On ne comprendrait pas sans cela la limitation des événements aux régions de Sétif et de Guelma. Dès lors, pourquoi les émeutes et pourquoi les massacres ?

La guerre a indéniablement suscité des espoirs dans le renversement de l’ordre colonial. L’évolution internationale les conforte. Les nationalistes, PPA en tête, cherchent à précipiter les événements. De la dénonciation de la misère et de la corruption à la défense de l’islam, tout est mis en œuvre pour mobiliser. « Le seul môle commun à toutes les couches sociales reste […] le djihad, compris comme arme de guerre civile plus que religieuse. Ce cri provoque une terreur sacrée qui se mue en énergie guerrière », écrit l’historienne Annie Rey-Goldzeiguer 3. La maturité politique n’était pas au rendez-vous chez les ruraux, qui ne suivaient que leurs impulsions.

Chez les Européens, une peur réelle succède à l’angoisse diffuse. Malgré les changements, l’égalité avec les Algériens leur reste insupportable. Il leur faut coûte que coûte écarter cette alternative. Même la pâle menace de l’ordonnance du 7 mars 1944 les effraie. Leur seule réponse, c’est l’appel à la constitution de milices et à la répression. Ils trouvent une écoute chez Pierre-René Gazagne, chez le préfet de Constantine Lestrade Carbonnel et le sous-préfet de Guelma André Achiary, qui s’assignent pour but de « crever l’abcès ».

À Sétif, la violence commence lorsque les policiers veulent se saisir du drapeau du PPA, devenu depuis le drapeau algérien, et des banderoles réclamant la libération de Messali Hadj et l’indépendance. Elle s’étend au monde rural, où l’on assiste à une levée en masse des tribus. À Guelma, les arrestations et l’action des milices déclenchent les événements, incitant à la vengeance contre les colons des environs. Les civils européens et la police se livrent à des exécutions massives et à des représailles collectives. Pour empêcher toute enquête, ils rouvrent les charniers et incinèrent les cadavres dans les fours à chaux d’Héliopolis. Quant à l’armée, son action a fait dire à un spécialiste, Jean-Charles Jauffret, que son intervention « se rapproche plus des opérations de guerre en Europe que des guerres coloniales traditionnelles » 4. Dans la région de Bougie, 15 000 femmes et enfants doivent s’agenouiller avant d’assister à une prise d’armes.

Le bilan des « événements » prête d’autant plus à contestation que le gouvernement français a mis un terme à la commission d’enquête présidée par le général Tubert et accordé l’impunité aux tueurs. Si on connaît le chiffre des victimes européennes, celui des victimes algériennes recèle bien des zones d’ombre. Les historiens algériens5 continuent légitimement à polémiquer sur leur nombre. Les données fournies par les autorités françaises n’entraînent pas l’adhésion. En attendant des recherches impartiales6, convenons avec Annie Rey-Goldzeiguer que, pour les 102 morts européens, il y eut des milliers de morts algériens.

Les conséquences du séisme sont multiples. Le compromis tant recherché entre le peuple algérien et la colonie européenne apparaît désormais comme un vœu pieux.

En France, les forces politiques issues de la Résistance se laissent investir par le parti colonial. « Je vous ai donné la paix pour dix ans ; si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable », avait averti le général Duval, maître d’œuvre de la répression. Le PCF – qui a qualifié les chefs nationalistes de « provocateurs à gages hitlériens » et demandé que « les meneurs soient passés par les armes » – sera, malgré son revirement ultérieur et sa lutte pour l’amnistie, considéré comme favorable à la colonisation. En Algérie, après la dissolution des AML le 14 mai, les autonomistes et les oulémas accusent le PPA d’avoir joué les apprentis sorciers et mettent fin à l’union du camp nationaliste. Les activistes du PPA imposent à leurs dirigeants la création d’une organisation paramilitaire à l’échelle nationale. Le 1er novembre 1954, on les retrouvera à la tête d’un Front de libération nationale. La guerre d’Algérie a bel et bien commencé à Sétif le 8 mai 1945.

  1. André Nouschi, « Notes de lecture sur la guerre d’Algérie », dans Relations internationales, n° 114, 2003.
  2. C’est le père du grand islamologue Jacques Berque.
  3. Annie Rey-Godzeiguer (1990), Aux origines de la guerre d’Algérie 1940-1945. De Mers El Kébir aux massacres du Nord constantinois, La Découverte, Paris, 2002.
  4. Jean-Charles Jauffret (1990), La Guerre d’Algérie par les documents. Tome I, L’Avertissement (1943-1946), Services historiques de l’armée de terre (SHAT), Paris.
  5. Redouane Ainad Tabet, Le 8 mai 1945 en Algérie, OPU, Alger, 1987, et Boucif Mekhaled, Chronique d’un massacre. 8 mai 1945, Sétif, Guelma, Kherrata, Syros, Paris, 1995.
  6. On en a eu un avant-goût dans les travaux en cours de Jean-Pierre Peyrouloux. Voir à ce propos « Rétablir et maintenir l’ordre colonial », Mohammed Harbi et Benjamin Stora, op. cit.

Source : Histoire coloniale et postcoloniale – Édition du 1er au 15 mai 2025 https://histoirecoloniale.net/la-guerre-dalgerie-a-commence-a-setif-par-mohamed-harbi/

Sétif,  la fosse commune. Massacres du 8 mai 1945 – Kamel Beniaiche

Fruit d’années d’enquêtes minutieuses à travers le Nord-Constantinois, ce livre du journaliste Kamel Beniaiche est un apport important à l’histoire des massacres de mai-juin 1945 dans la région de Sétif. Il rend leur nom et leur histoire à nombre de victimes anonymes de ces meurtres de masse et publie des documents importants.

Sétif, la fosse commune. Massacres du 8 mai 1945, de Kamel Beniaiche, aux éditions du Croquant Commandes sur le site de l’éditeur à partir du 8 mai 2025

Préface de Gilles Manceron

(extraits)

[…] [Le] livre de Kamel Beniaiche, La fosse commune, […] rapporte l’ensemble des faits avec une grande rigueur. […] Sa qualité est de restituer précisément le déroulement de la répression barbare menée par l’armée française et les milices de civils européens dans les différentes localités de la région de Sétif, de relater les milliers de meurtres et de tortures inhumaines qu’elles ont commises contre des civils algériens. Mais il n’oublie pas, non plus, de mentionner les meurtres et les violences à l’encontre d’Européens. Ni de décrire les gestes d’humanité de certains pour protéger des algériens, comme celui de ce coiffeur juif de Sétif qui a empêché les soldats français de s’emparer d’un manifestant algérien blessé en le cachant dans sa boutique. Ou ceux de ce fermier européen, de ce brigadier de gendarmerie ou de ce directeur de la mine de Kef Semah qui ont protégé des ouvriers algériens menacés d’arrestation. Il parle aussi des manifestants algériens qui se sont opposés à des violences aveugles contre des civils européens, comme ceux qui ont protégé un cheminot retraité qu’on allait frapper, ont raccompagné jusque chez elle une vieille femme européenne apeurée, ou sont intervenus pour empêcher un jeune algérien excité d’agresser une jeune institutrice européenne et sa mère.  

Ce livre est le fruit de plus de dix ans d’enquêtes patientes dans toute la région de Sétif. Né dans cette ville, l’auteur a d’abord été professeur dans l’enseignement secondaire avant de devenir en 1996 journaliste au bureau local du quotidien El Watan. Cela lui a permis de recueillir, au fil des années, sur les évènements de mai 1945, près d’une centaine de témoignages précis de survivants ou d’enfants de martyrs qui sont à la base de ce livre.

[…] Le mérite de ce livre, son apport important à l’histoire de cet épisode, est qu’il restitue l’identité de nombreuses victimes algériennes dont l’auteur a pu retrouver la trace. Des victimes qui, sur le moment, n’ont même pas été recensées par leur nom, puisque les indigènes, à l’époque, n’étaient reconnus ni dans leur citoyenneté ni même dans leur identité. Il fait œuvre de justice en les nommant et en restituant le martyre de ces êtres humains suppliciés et abattus qui n’ont, le plus souvent, même pas eu droit à une sépulture. Mais, dans sa quête scrupuleuse de vérité et animé par le souci de l’histoire, il n’oublie pas non plus de nommer aussi les victimes européennes et d’évoquer leur sort.

[…] La commémoration des 80 ans de l’« Autre 8 Mai 45 » ne peut se réduire à une dénonciation des crimes commis au nom de la France coloniale et à une demande aux autorités officielles françaises d’aujourd’hui de les reconnaître. Elles doit nous amener à réfléchir à plusieurs questions importantes. […] Les événements de mai-juin 1945 ont fait apparaître […] chez les indépendantistes un manque d’instances reconnues […] qui n’a cessé de faire l’objet de débats et d’affrontements.  

[…] la République française qui se reconstituait au sortir de la Seconde guerre mondiale et étendait son pouvoir à l’Algérie est responsable de ce massacre, soit que certains de ses responsables nationaux ou locaux l’aient ordonné ou qu’ils l’aient laissé faire tout en en ayant connaissance.

[…] En rapport avec des interrogations sur la société française de 2025, commémorer l’« Autre 8 mai 1945 » implique aussi de restituer les débats que la société française de la fin de la Seconde guerre mondiale a connus entre partisans du rétablissement de son Empire et ceux de la reconnaissance de la légitimité des mouvements d’indépendance en son sein. Dans ce moment où un processus mondial d’émancipation des colonies avait commencé et où le principe du « droit des nations à disposer d’elles-mêmes » avait été posé notamment par la Conférence de San Francisco à l’origine de la création des Nations Unies, quelques personnalités au sein la France libre ou de la Résistance intérieure, certes très minoritaires, ont défendu la légitimité de l’engagement des colonisés en faveur de leur propre émancipation au même titre que l’avait été la cause de la défense de l’indépendance de la France envahie.

En 2025 où, poussée par différentes forces politiques, déferle de nouveau une vague d’opinions favorables à une réhabilitation du colonialisme, rappeler les positions prises par des personnalités qui estimaient que les colonisés avaient autant de droits que les Français à défendre leur patrie, comme la philosophe Simone Weil, l’homme de gauche André Philip, le gaulliste Jean Sainteny ou les Résistants proches du parti communiste Lucie et Raymond Aubrac, est essentiel pour que la France se réapproprie ses meilleures traditions et une vraie acception universaliste des droits de l’Homme, et parvienne enfin à « sortir du colonialisme ».    
[…]

Sétif, la fosse commune, massacres du 8 Mai 1945

(extraits)

Le 8 mai 1945, la planète entière est en liesse. La joie du monde libre est indescriptible en raison de la capitulation de l’armée nazie. La fin d’un cauchemar qui a duré plus de cinq longues années se propage comme une traînée de poudre. En ce jour de libération, l’Algérie, qui a payé un lourd tribut lors des deux guerres mondiales avec 23 900 et 7 500 mobilisés morts pour la France, célèbre cependant un deuil. Portés par l’euphorie de la victoire, des milliers d’Algériens défilent à Sétif, réclamant à leur tour plus de droits et la reconnaissance de leur identité. Ils exigent l’égalité des droits, tout comme il y a eu égalité des devoirs pendant la guerre. Mais cette marche pacifique est réprimée dans le sang. Alors que le monde entier fête la victoire sur le totalitarisme, l’ordre colonial écrase ces revendications dans l’œuf. […]

L’apparition du drapeau algérien aux côtés de ceux des Alliés a mis le feu aux poudres. L’intervention de la police déclenche alors une émeute. En fuyant sous les tirs des policiers, des Algériens se retournent contre les Européens croisés en chemin. Le crépitement des armes précipite une rupture profonde entre les Algériens, appelés « indigènes, » et une partie des colons. Longtemps associé uniquement à Sétif, Guelma et Kherrata, ce drame a endeuillé tout le Nord-Constantinois et une grande partie du territoire, où chaque empan est chargé d’histoire. […]

Pendant des semaines, l’armée française et les colons, regroupés en milices, ont humilié et tué sans distinction d’âge ni de sexe dans plusieurs localités : Ain El Kebira, Beni Bezez, Serdj El-Ghoul, Aokas, Amoucha, Melbou, Beni Fouda, Tizi n’Bechar, Oued El Berd, Aïn Abassa, Bouhira, Maouane, El Kharba, El Eulma, Bordj Bou Arréridj, Beni Aziz, Boudriaa-Beni Yadjis, Ain Roua, El Ouricia, Ziama Mansouriah, Aïn Sebt, Bougaa, Aït Tizi, Bouandas et bien d’autres encore.La colère et la vindicte des populations indigènes, particulièrement dans les zones reculées de Sétif et de Guelma, ont fait 103 victimes européennes (70 à Sétif et 34 à Guelma, selon Annie Rey Goldzeiger). Cette révolte, qui emporta également de nombreux innocents, fut réprimée dans un bain de sang par une répression d’une ampleur inouïe, dépassant toutes les limites de l’entendement. Si le nombre de victimes européennes est précisément établi, le bilan des opérations de « rétablissement de l’ordre » – ayant mobilisé un véritable arsenal de guerre – reste encore méconnu et sujet à une polémique persistante. […]

Des actes barbares et des gestes d’humanité

Le devoir de vérité m’impose de mettre en lumière les gestes d’humanité qui ont émergé des deux communautés durant ces moments tragiques. Parmi eux, l’acte héroïque de Joseph, un coiffeur juif de Sétif, mérite d’être souligné : il a courageusement empêché des soldats français de s’emparer d’un manifestant algérien blessé qu’il avait recueilli dans sa boutique. Je ne peux pas non plus passer sous silence la position admirable d’un fermier européen d’Ouled Adouane (Aïn El-Kebira), ainsi que celle de M. Dillot, directeur de la mine de Kef Semah (Bougaa), lesquels ont protégé des paysans et des ouvriers indigènes menacés d’arrestation ou de liquidation extrajudiciaire. Il convient également de mettre en avant les réactions exemplaires de manifestants algériens, tels ceux qui ont protégé M. Roussin, un cheminot retraité sur le point d’être agressé, ou encore ceux qui ont raccompagné chez elle Mme Occipenti, née Marylise Morlot, une Européenne terrifiée par les violences environnantes. Enfin, je tiens à revenir en détail sur l’intervention courageuse d’Ahmed Mefoued, qui a sauvé d’une mort certaine la famille de Marie Simon Giovanni, une jeune institutrice européenne d’Amoucha. […]

Aujourd’hui, près de quatre-vingts ans après les violences inouïes de mai 1945, amnésie et le déni persistent du côté de la rive nord alors que des conseils municipaux de plusieurs villes françaises, des associations d’anciens appelés du contingent, des collectifs citoyens, des élus et des intellectuels se mobilisent pour rétablir la vérité. J’ai poursuivi mon enquête-cherchant à mettre en lumière l’imposture de la notion de « rétablissement de l’ordre public», devant dissuader les Algériens de revendiquer un minimum de dignité. […]

Le mystère qui entoure le pogrom perpétré à huis clos reste épais. À midi, les forces de l’ordre, par le fer et le feu, reprennent le contrôle de la situation et rétablissent l’ordre à Sétif. Aucune maison n’est incendiée, aucune porte n’est défoncée. Les renseignements généraux, à la fois juges et parties, font état de 21 morts et 35 blessés du côté européen, avec une liste nominative des victimes et des causes de leur décès. En revanche, les « manifestants », frappés par la répression, restent dans l’ombre, leur sort étant couvert par la censure. Une chape de plomb s’abat sur les indigènes blessés ou tués. […]

L’occultation délibérée du nombre de victimes indigènes, tombées ce jour-là ainsi que dans les jours et les semaines qui suivirent, est soigneusement entretenue, provoquant une polémique qui persiste jusqu’à nos jours. Cette controverse porte sur le bilan des victimes d’une répression féroce et disproportionnée. Le supplice des Algériens, dont le seul crime fut de scander des slogans de paix et de liberté, ne s’arrête pas là. […]

Le devoir de vérité m’oblige à évoquer le malheur qui a frappé plusieurs Européens de Sétif. L’assassinat du juge Vaillant et l’agression de Denier (secrétaire général de la section locale du parti communiste à Sétif), un contrôleur des PTT apprécié des autochtones, seront abordés, tout comme l’exécution de Pierre Péguin, directeur d’école, à qui un de ses anciens élèves a rendu hommage. Pour de nombreux témoins et acteurs, notamment Debbah Hebbache, un ancien scout, il est clair que la liquidation extrajudiciaire des frères Hebbache est liée à l’assassinat de Delucca et aux autres crimes commis par des paysans, juste après le début des troubles. […]

Consolidée par de nouveaux témoignages et des faits peu connus, cette seconde édition met en lumière plusieurs aspects de la tragédie, tels que la torture, les disparitions (notamment les corvées de bois ), le nombre d’orphelins, les bavures policières, les plaintes des familles souvent restées sans réponse, la répression administrative et judiciaire, les internements forcés, le nombre exact des disparus et autres victimes de la peine de mort, ainsi que l’ampleur des razzias, etc. Ces éléments m’ont poussé à approfondir mes investigations. De nouveaux documents inédits (ouvrages, rapports de la police, du gouvernement général en Algérie et une partie des archives militaires. […]

Documents

LES STATUTS DES AMIS DU MANIFESTE ET DE LA LIBERTE (AML)

Article 1er.

Il est créé en Algérie un groupement charge de faite connaitre et de défendre devant l’opinion publique algérienne et française le « Manifeste » du peuple algérien « du 10 février1943, et de réclamer la liberté de parole et d’expression pour tous les Algériens.

Ce groupement se dénomme les Amis du Manifeste et de la liberté.

Article 2.

Ce groupement combattra par la parole et par les écrits le concept colonial, les violences et les agressions des puissances impérialistes en Afrique et en Asie et l’emploie de la force contre les peuples faibles.

Son but est aussi de participer à la naissance d’un monde nouveau par le respect de la personne humaine partout dans l’univers,de faciliter et de hâter « l’avènement d’une humanité nouvelle où tous les peuples de toutes les races seront également libres et s’uniront fraternellement en un monde pacifié. (Congrès de la ligue des droits de l’homme, 1931).

Article 3.

En ce qui concerne l’Algérie, le groupement se donne pour mission immédiate la défense du « Manifeste » qui est l’expression d’une pensée libre et honnête ; la diffusion des idées nouvelles, la condamnation définitivedes contraintes du régime colonial, de son dogme racial et de son arbitraire.

Article 4.

Ses moyens d’action sont : secourir toutes les victimes des lois d’expression et de l’oppression coloniale ; saisir toute les occasions pour persuader, convaincre et créer un courant d’opinion en faveur du « Manifeste » ; rendre familière  l’idée d’une nation algérienne et désirable,la constitution en Algérie d’une République autonome fédérer à une Républiquefrançaiserénovée, anticoloniale et anti-impérialiste.

Faire des causeries, des conférences  dans tous les milieux et surtout les milieux français. Démasquer les agissements et les manœuvres des forces réactionnaires et des féodaux musulmans et français et de tous ceux qui ont un intérêt quelconque au maintien de l’ordre colonial. Bannir toutes les étiquettes que la colonisation nous a imposées au nom d’une politique de races, de castes et de privilèges (indigènes, sujets français, autochtones, conquis, administrés, français musulmans, etc…)

Faire la guerre aux privilègesdes classes dirigeantes. Prêcher l’égalité des hommes et le droit au bien-être et à la vie nationale du peuple algérien. Rappeler son passé de civilisation et sa contribution à la richesse de la pensée humaine.

Mettre en relief  tous les sacrifices qu’il s’est imposé pour les libertés de la France, des peuples européens et pour la cause des démocraties.

Lutter par tous les moyens contre le complexe d’infériorité que la conquête militaire de 1830 a imposé aux Algériens et que l’administration coloniale et les régimes du « talon de fer» ont perpétué et aggravé.

Créer chez tous les habitants de l’Algérie, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans, la solidarité algérienne, le sentiment d’égalité et le « désir d’être ensemble », ce désir qui est, selon le mot de Renan, « l’élément constitutif de la nation ».

Article 5

Formation intérieure : Le groupement est dirigé par des comités locaux rattachés à des comités départementaux et à un comité central siégeant à Alger.

Sétif, le 14  mars 1944.

Ferhat Abbas.

L’ ORDONNANCE DU 7 MARS 1944 RELATIVE AU STATUT DES FRANÇAIS MUSULMANS D’ALGERIE

            ART. 1 – Les français musulmans d’Algérie jouissent de tous leurs droits et sont soumis à tous les devoirs des français non musulmans.

            ART. 2 – La loi s’applique indistinctement aux Français musulmans et aux Français non musulmans. Toutes dispositions d’exception applicables aux Français musulmans sont abrogées.

Toutefois restent soumis aux règles du droit musulman et des coutumes berbères en matière de statut personnel, les Français musulmans qui n’ont pas expressément déclaré leur volonté d’être placés sous l’empire intégral de la loi française. Les contestations en la même matière continuent à être soumises aux juridictions qui en connaissent actuellement.

            Le régime immobilier reste fixé par les lois en vigueur.

            ART. 3 – Sont déclarés citoyens français, à titre personnel, et inscrits sur les mêmes listes électorales que les citoyens non musulmans et participent aux mêmes scrutins, les Français musulmans de sexe masculin âgés de 21 ans et appartenant aux catégories ci-après :

— anciens officiers ;

— titulaires d’un des diplômes suivants : diplôme de l’enseignement supérieur, baccalauréat de l’enseignement secondaire, brevet supérieur, brevet élémentaire, brevet d’études primaires supérieures, diplôme de fin d’étude secondaires, diplôme des médersas, diplôme de sortie d’une grande école nationale ou d’une école nationale de l’enseignement professionnel industriel, agricole ou commercial, brevet de langue arabe ou berbère ;

— fonctionnaires ou agents de l’Etat, des départements, des communes, des services publics ou concédés, en activité ou en retraite titulaires d’un emploi permanent soumis à un texte règlementaire, dans des conditions qui seront fixées par décret ;

— membres actuels et anciens de Chambres de Commerce et d’Agriculture ;

— bachaghas, aghas, et caïds ayant exercé leurs fonctions pendant au moins trois ans et n’ayant pas fait postérieurement l’objet d’une mesure de révocation ;

— personnalité exerçant ou ayant exercé des mandats de délègue financier, conseiller municipal de commune de plein exercice, ou de président de djemaâ ;

— membre de l’ordre de la Libération ;

— compagnons de la médaille de la Résistance ;

— titulaire de la médaille du travail et membres actuels et anciens des conseils syndicaux, des syndicats ouvriers régulièrement constitués, après trois ans d’exercice de leurs fonctions ;

— conseillers prud’hommes actuels et anciens ;

— oukils judiciaires ;

— membres actuels et anciens des conseils d’administration des SIP artisanales et agricoles.

            ART. 4 – Les autres français musulmans sont appelés à recevoir la citoyenneté française. L’Assemblée Nationale Constituante fixera les conditions et les modalités de cette accession.

Dès à présent, ceux d’entre eux qui sont âgés de plus de 21 ans et du sexe masculin  reçoivent le bénéfice des dispositions du décret du 9 février 1919 et sont inscrits dans les collèges électoraux appelés à élire la représentation spéciale aux conseils municipaux conseils généraux  et Délégations financières prévus par ledit décret.

Cette représentation sera pour les Conseils généraux et les délégations financière égales aux 2/5 de l’effectif total de ces assemblées.

Pour les conseils municipaux, elle sera également des 2/5 sauf dans le cas où le rapport entre la population française musulmane et la population totale de la commune n’atteindra point ce chiffre. Elle serait alors proportionnelle au chiffre de la population musulmane.

            ART. 5 – Tous les français sont indistinctement éligibles aux assemblées algériennes, quel que soit le collège électoral auquel ils appartiennent.

            ART. 6 – Est réservé le statut des populations de M’zab ainsi que des  populations des territoires proprement sahariens.

            ART. 7 – Les modalités d’application de la présente ordonnance seront fixées par décret.

            ART. 8 – La présente ordonnance, qui sera publiée au Journal Officiel de la République française, et insérée au Journal Officiel de l’Algérie, sera exécutée comme loi.

Alger, le 7 Mars 1944.

La Une de France-soir  du dimanche 13 – lundi 14 mai 1945

La Une de la Dépêche de Constantine du jeudi 10 mai 1945

Journal d’un groupe de FTP de août 1945 : « Oradour-sur-Glane en Algérie »

Source : Histoire coloniale et postcoloniale – Édition du 1er au 15 mai 2025 https://histoirecoloniale.net/les-bonnes-feuilles-du-livre-de-kamel-beniaiche-setif-la-fosse-commune-massacres-du-8-mai-1945/

Les 80 ans du 8 mai 1945 en Algérie : colloques internationaux à l’université de Guelma et à l’université de Bejaia

Guelma

« Les massacres français du 8 mai 1945 : mémoire nationale et positions internationales » à l’université de Guelma

Le thème « Les massacres français du 8 mai 1945: mémoire nationale et positions internationales » sera mercredi et jeudi prochains [7 et 8 mai 2025] au centre d’un colloque international initié par l’université de Guelma dans le cadre de la commémoration du 80e anniversaire de ces massacres qui avaient couté la vie à plus de 45.000 algériens à Sétif, Guelma et Kherrata, a indiqué samedi le recteur de cette université, Salah Ellagoune.

Le recteur de l’université qui porte le nom du « 8 mai 1945 » a précisé à l’APS que cette manifestation internationale qui se tiendra à l’amphithéâtre « défunt moudjahid Sassi Benhamla » abordera les quatre axes des « crimes du colonialisme français en Algérie de 1830 à 1962 », « des massacres du 8 mai 1945 dans les médias internationaux hier et aujourd’hui »,  « des crimes français et la déportation dans la mémoire des Algériens à l’intérieur et l’extérieur du pays » et « du rôle de ces massacres dans l’émergence du mouvement de libération en Algérie ».

Le colloque connaîtra une large participation de l’intérieur et de l’étranger avec plus de 40 historiens et chercheurs des universités algériennes et de plusieurs pays dont l’Espagne, le Cuba, le Mexique, le Portugal, la France, la Turquie, la Tunisie, la Syrie, la Mauritanie et l’Irak, selon la même source.

Source : APS (Algérie Presse Service) – 03/05/2025 https://www.aps.dz/regions/186163-les-massacres-francais-du-8-mai-1945-memoire-nationale-et-positions-internationales-theme-d-un-colloque-international-mercredi-et-jeudi-a-l-universite-de-guelma

Béjaïa

À l’occasion des 80 ans des massacres commis par la colonisation française dans la région de Constantine en mai et juin 1945, un colloque international sur les crimes de la France coloniale en Afrique se déroule du 11 au 13 mai 2025 à l’université de Béjaïa en Algérie. Par ailleurs, une délégation de parlementaires français effectue une visite dans ce pays du 7 au 10 mai 2025.

Un colloque international

Lors du colloque international sur les crimes de la France coloniale en Afrique à l’Université Abderrahmane Mira de Bejaia, participeront des intervenants venus de Madagascar, du Sénégal, du Cameroun, des États-Unis, de France et d’Algérie.

• Denis Alexandre Lahiniriko, maître de conférences au Département d’histoire de l’Université d’Antananarivo, interviendra sur la répression militaire de l’insurrection de 1947-1948 à Madagascar qui a fait plus d’une dizaine de milliers de morts. La mémoire collective malgache en est largement imprégnée, occultant ainsi d’autres violences commises dans le cadre du système colonial : la répression policière, la répression judiciaire ou encore l’oppression symbolique. D’autres périodes, en particulier celle de 1897 à 1905, dite de pacification, fut une véritable guerre de conquête marquée par des massacres à grande échelle comme à Ambiky, dans l’Ouest du pays, où 5 000 personnes, hommes, femmes et enfants, ont été assassinés, dont certains ont été ainsi décapités et leurs crânes envoyés en France comme trophées de guerre.

• Marie Ranjanoro, autrice du roman, Feux, fièvres, forêts, proposera une relecture décoloniale et féministe de l’insurrection malgache de 1947, à travers le prisme de la fiction. En s’appuyant sur son roman, elle questionne la mémoire collective et les silences de l’histoire officielle, en redonnant voix aux femmes souvent invisibilisées dans les récits de résistance. Sa réflexion s’articule également avec le film Fahavalo, Madagascar 1947 de Marie-Clémence Andriamonta Paes, qui offre une mise en récit documentaire précieuse de la mémoire orale de l’insurrection et nourrit une approche sensible et plurielle de cette page méconnue de l’histoire. Elle montrer comment la littérature et le cinéma peuvent participer à la réparation symbolique des violences coloniales en créant des espaces de transmission et de réappropriation identitaire. Marie Ranjanoro échangera également avec le public à l’issue d’une projection-débat à l’intention des étudiants et du public de Bejaia du film Fahavalo.

• Benjamin Brower, associate professor à l’History Department de l’Université de Austin au Texas, interviendra sur « La violence symbolique et la colonisation des noms ». La violence coloniale n’a pas toujours besoin d’armes pour faire taire, blesser ou soumettre. Elle passe aussi par des formulaires, des mots imposés, des langues étrangères. Sa communication porte sur un instrument fondamental de cette domination symbolique : le nom des personnes lors de la colonisation de l’Algérie au XIXe siècle. Aucune balle n’a été tirée lorsque les agents de l’État français ont sillonné l’Algérie pour enregistrer de nouveaux noms. Pourtant, ce geste administratif portait en lui une violence profonde. Le nom, en Algérie, ne désignait pas seulement un individu : il le liait à une lignée, à une histoire, à un espace. En effaçant le kunya, le laqab et le nasab, parmi d’autres mots désignant les noms utilisés par les Algériens de diverses langues et cultures, l’administration coloniale a coupé les racines de la société. Elle a réduit les généalogies à des listes, ouvert les familles à la dépossession, facilité la spoliation des terres et provoqué la désagrégation des solidarités sociales. Les noms transcrits dans l’état civil, l’État colonial ne reconnaissaient pas des citoyens mais fabriquait des sujets : des êtres soumis à sa loi, privés des droits que leur histoire et leurs appartenances auraient pu leur garantir.

• Alain Ruscio, historien, abordera la question des termes employés par l’historiographie, qui pour caractériser le conflit de 1945-1954, a majoritairement retenu les expressions guerre d’Algérie en France et guerre de libération nationale en Algérie. Soit. Mais cet événement majeur a eu des racines profondes. Il a choisi depuis quelques années de porter son regard sur les tout débuts de la présence française sur cette terre, à partir de 1830. Et, très vite, dès ses premières approches, une évidence lui est apparue : cela n’a pas été une conquête, mais bel et bien une guerre, avec son cortège de crimes commis par l’occupant, provoquant une saine réaction des populations locales, une résistance de type étonnamment moderne. D’où sa volonté d’exposer lors de ce colloque les grands traits de ce qu’il a appelé dans un ouvrage récent, La Première guerre d’Algérie (éditions La Découverte, Paris ; Frantz Fanon, Alger).

• Cheikh Sakho, historien, interviendra sur le thème : « Le massacre des Tirailleurs sénégalais à Thiaroye 1er décembre 1944 : prémisses d’un cycle de répressions dans les colonies françaises ? » De même qu’après la victoire de 1914-1918, les revendications d’émancipation des peuples colonisés s’amplifient dès les premiers signes de sortie de guerre en 1944 avec, d’une part, le débarquement de Normandie en juin, celui de Provence en août, et de l’autre, l’avancée des Alliés sur le front de l’Est. Alors que les aspirations à davantage de justice sociale et d’égalité dans l’après-guerre de 1914-1918 ont pu être tempérées par de vagues promesses de réformes et par la force du mythe assimilationniste, il en va tout autrement en 1944. Pour les tirailleurs de l’Empire colonial qui avaient combattu le nazisme et contribué à la Libération, la sortie de guerre marque le temps de désillusions. Après avoir subi l’humiliation du blanchiment des troupes à l’automne 1944, le moment de la démobilisation et du rapatriement se conclut par le massacre des tirailleurs le 1er décembre 1944 à Thiaroye non loin de Dakar (Sénégal). Ce premier massacre de colonisés dont seul le tort était de réclamer plus de justice et d’égalité semble inaugurer la liste de massacres coloniaux qui jalonnent les années 1940-1950. Cet événement fondateur a nourri la contestation anticolonialiste tout au long de la seconde moitié du XXe siècle et jusqu’à ce jour la mémoire de Thiaroye demeure un symbole de ralliement pour toutes les forces panafricanistes.

• Gilles Manceron, historien, spécialiste notamment de l’histoire coloniale de la France, a intitulé son intervention : « À la fin de la Seconde guerre mondiale, le choix funeste de la France de refuser de l’émancipation des peuples coloniaux ». Lorsque la France a été envahie et occupée par l’Allemagne nazie entre 1940 et 1944, une prise de conscience s’est produite progressivement au sein de la population française qui a conduit à la naissance et au développement d’une résistance patriotique. Dans le monde, le refus des invasions brutales et des occupations étrangères ont conduit à reconnaître le droit à l’autodétermination des peuples et des nations, y compris celles de l’espace colonial d’avant la Seconde guerre mondiale. Ce droit allait-il être reconnu par la France aux peuples qu’elle avait colonisés ? Certains au sein des mouvements de la Résistance intérieure comme au sein de la France Libre installée à Londres étaient partisan de ce que ce droit leur soit aussi reconnu. Mais ils étaient minoritaires et c’est l’option de la reconquête et de la reconstitution de l’empire par la force qui a été choisie. D’où, de Dakar à Sétif et de Madagascar au Viêt Nam, les massacres qui sont intervenus entre décembre 1944 et, dix ans plus tard, la fin la guerre d’Indochine et le début de l’insurrection algérienne. A ce choix absurde et meurtrier qui était à rebours de l’histoire semble succéder, 80 ans plus tard, un regain d’agressivité et de racisme colonial dans certains milieux politiques français. Des Français s’y opposent et soulignent son absurdité. Parviendrons-nous à le faire échouer ?

Ainsi que Aïssa Kadri, sociologue et historien algérien, Jacob Tatsitsa, universitaire Camerounais, Kamel Beniaiche, journaliste et historien algérien, Hosni Kitouni, historien algérien, et Ferdinand Marcial Nana, universitaire Camerounais.

Par ailleurs, trois films seront projetés à l’intention des étudiants et du public de Béjaïa.

• Guelma 1945, inédit, court métrage de Mehdi Lallaoui (2025) ;

• Algérie. Armes spéciales, avec une présentation à distance par l’historien et archiviste Christophe Lafaye dont ce film relate les recherches ;

• Fahavalo, Madagascar 1947, de Marie-Clémence Andriamonta Paes.

La visite d’une délégation de parlementaires français

Une délégation composée notamment de :

• Danièle Simonet, députée de Paris, membre du groupe Écologiste et Social et cofondatrice de l’Après ;

• Fatiha Keloua Hachi, députée de la Seine-Saint-Denis, membre du Parti socialiste, présidente de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale ;

• Sabrina Sebahi, membre d’Europe Écologie Les Verts et députée des Hauts-de-Seine ;

• Akli Melouli, sénateur du Val-de-Marne, membre du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, vice-président de la délégation aux outre-mer du Sénat ;

doit se rendre en Algérie entre le 7 et le 10 mai 2025.

Elle souhaite rencontrer différentes personnalités algériennes, dont les historiens membres de la commission binationale formée par les deux États à la suite du rapport Stora. Et se rendre à Alger ainsi que dans la région frappée par ces massacres.

Par ailleurs, ces députées ont travaillé à une proposition de résolution en vue de son dépôt à l’Assemblée nationale visant à reconnaître comme crimes d’État les massacres du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata intervenus il y a 80 ans.

Source : Histoire coloniale et postcoloniale – Édition du 1er au 15 mai 2025 https://histoirecoloniale.net/les-80-ans-du-8-mai-1945-en-algerie-un-colloque-international-sur-les-crimes-coloniaux-en-afrique-et-la-visite-dune-delegation-de-parlementaires-francais/

Grenoble – Rencontre-débat : Les soldats du refus – 14/05/2025, 18h30

Retour de cette rencontre-débat

Des témoignages rares et forts

Les différentes interventions ont permis de montrer qu’il y avait eu une grande difficulté à entendre la parole de ceux qui ont refusé de faire la guerre au peuple algérien, dont beaucoup témoignaient des crimes commis par l’armée française (torture, destructions massives, exécutions extra-judiciaires « corvée de bois », …).

Marc Ollivier, Claude Verrel et Marcel Borg de l’ANPNPA

Michel Brocard

Amazighes : plongée au cœur d’une culture ancestrale au Mucem de Marseille – 30/04/2025 au 02/11/2025

Exposition Amazighes. Cycles, parures, motifs

Mucem, Marseille – 30 avril – 2 novembre 2025

Entrée libre le mercredi et dimanche après-midi

Imaginez un monde où chaque bijou, chaque motif, chaque geste porte un sens profond. Un monde où la beauté et la protection s’entrelacent, où les symboles racontent l’histoire d’un peuple qui traverse les âges. C’est cette immersion fascinante que propose l’exposition « Amazighes. Cycles, parures, motifs », au Mucem de Marseille, du 30 avril au 2 novembre 2025.

Une explosion de couleurs, de formes et de symboles — c’est ainsi que l’on pourrait résumer cette exposition unique en son genre. « Amazighes » n’est pas simplement une rétrospective ; c’est un voyage sensoriel et visuel au cœur de la culture amazighe, un peuple aux racines profondes, un peuple qui vit à travers ses symboles, ses objets, et surtout à travers ses gestes ancestraux.

L’exposition, fruit de la collaboration entre la Fondation Jardin Majorelle de Marrakech et le Mucem, présente près de 150 pièces exceptionnelles, allant des bijoux d’une beauté à couper le souffle aux céramiques délicates, en passant par des sculptures et des textiles aux motifs envoûtants. Ces objets, souvent porteurs de significations cachées, racontent l’histoire d’une identité forte, d’une culture qui, loin d’être figée, se nourrit et se réinvente au fil du temps.

Une fibule qui parle… et protège

Parmi les trésors exposés, une fibule Tabzimt, venue tout droit de la Grande Kabylie, attire immédiatement l’œil. D’un argent éclatant et décorée de corail, cette pièce unique, datant de la première moitié du XXe siècle, n’est pas seulement un bijou : elle incarne la protection, l’identité et le lien entre le passé et le présent. C’est là l’essence même de la culture amazighe : chaque objet n’est pas seulement décoratif, il est porteur de sens, un amulette spirituelle, une transmission de génération en génération.

« Chaque motif, chaque courbe, chaque matériau a une signification », explique Salima Naji, commissaire de l’exposition et anthropologue. « La parure, ici, n’est pas qu’une simple question d’esthétique. C’est un langage, un moyen de se protéger, de marquer son identité et de relier l’humain à l’univers. »

Le féminin sacré : un voyage au cœur de la culture amazighe

L’exposition se déploie autour d’une figure centrale : la femme amazighe, incarnation de la fertilité, de la sagesse et de la protection. Les gestes des femmes amazighes — vannerie, henné, tatouage, tissage — sont non seulement des savoir-faire ancestraux, mais aussi des rituels qui sculptent le temps et l’espace. À travers ces gestes, les femmes transmettent un savoir profond, presque magique, qui réunit l’art, la nature et la spiritualité.

Les hommes, quant à eux, sont les artisans des objets qui, bien que utilitaires, sont également chargés de symbolisme. L’orfèvrerie amazighe, avec ses lignes épurées et ses motifs sacrés, fait le lien entre le quotidien et le sacré.

Un succès retentissant

L’exposition a d’ores et déjà conquis le public marseillais. Dès son ouverture, la file d’attente pour accéder à ce voyage fascinant dans l’histoire amazighe a impressionné : un flot continu de visiteurs, impatients de découvrir ce que cache cette culture millénaire. Ce dimanche, le Mucem était noir de monde. Les visiteurs se pressaient pour observer de près les objets et œuvres, chacun voulant s’imprégner de la magie de ce monde ancestral.

Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de découvrir l’exposition, il est grand temps de le faire. L’occasion de s’immerger dans une culture riche, complexe et profondément humaine. Amazighes vous invite à une rencontre inédite avec un peuple, une culture et un patrimoine qui, loin de se perdre dans le temps, continue de vivre, de vibrer et de s’exprimer.

Djamal Guettala

Commissariat :

Salima Naji, architecte DPLG et docteure en anthropologie

Alexis Sornin, directeur des musées Yves Saint Laurent Marrakech et Pierre Bergé des arts berbères

D’après une idée originale de la Fondation Jardin Majorelle, en coproduction avec le Mucem

Image

Fibule Tabzimt, vers 1900-1950, Algérie, Grande Kabylie. Argent, corail.

Collection Mucem, Marseille. Don Jacqueline Terrer.

© Mucem / Marianne Kuhn

Source : Le Matin d’Algérie – 04/05/2025 https://lematindalgerie.com/amazighes-plongee-au-coeur-dune-culture-ancestrale-au-mucem-de-marseille/

Algérie, une guerre sans gloire – Florence Beaugé

Algérie, une guerre sans gloire. Histoire d’une enquête (Le passager clandestin, 2025, 1re éd. 2005), réédition mise à jour et enrichie avec une préface inédite des historiens Malika Rahal et Fabrice Riceputi. 

Présentation de l’éditeur

Juin 2000. Une ancienne militante pour l’indépendance de l’Algérie, Louisette Ighilahriz, confie à une journaliste du Monde, Florence Beaugé, les sévices qu’elle a subis à Alger en 1957. Elle met en cause deux des plus hauts responsables militaires français de l’époque, le général Massu et le général Bigeard, héros de la « bataille d’Alger ». Massu exprime des regrets. Bigeard nie en bloc. Un peu plus tard, un homme de l’ombre, le général Aussaresses, avoue sans détour à la journaliste tortures et exécutions sommaires. Il n’est plus question de « bavures », mais de la reconnaissance d’un système. C’est ensuite au tour de Jean-Marie Le Pen de voir son passé algérien le rattraper : une nuit d’horreur dans la Casbah, un poignard oublié…

Florence Beaugé donne la parole à ceux qui y étaient, Français et Algériens : cinq ans d’enquête, des témoignages bouleversants et des rebondissements inattendus. Mais ce livre est aussi un document exceptionnel sur le travail d’enquête au quotidien, les difficultés, les émotions, les hésitations d’une journaliste entraînée presque malgré elle dans une investigation difficile.

Extrêmorama – Passé colonial, présent national

Dans ce numéro, « Extrêmorama » ravive une mémoire que la France voudrait parfois anesthésier : celle de la colonisation, entre archives enterrées, blessures ouvertes et vérités qui dérangent. Tant que ce passé-là n’est pas regardé en face, il continue de hanter le présent.

Vidéo : https://www.mediapart.fr/journal/politique/290425/extremorama-passe-colonial-present-national

Émission préparée et présentée par le journaliste David Dufresne et l’historien Nicolas Lebourg.

Invité·es :

  • Florence Beaugé, journaliste ;
  • Tristan Berteloot, journaliste à Libération ;
  • Pascal Blanchard, historien ;
  • Youmni Kezzouf, journaliste à Mediapart ;
  • Pauline Perrenot, journaliste à Acrimed.

Mediapart accueille dans ses studios l’émission mensuelle « Extrêmorama », coanimée par le fondateur du média Au Poste, David Dufresne, et Nicolas Lebourg, chercheur spécialiste des extrêmes droites. « Extrêmorama » est un club de la presse focalisé sur les extrêmes droites, qui réunit les meilleurs chercheurs et chercheuses, journalistes, historiennes et historiens. Deux heures en direct, sur Mediapart et sur Au Poste.

Source : Médiapart – 29/04/2025

Frantz Fanon, un psychiatre en terres coloniales – France Culture – 28/04/2025

La pensée de Frantz Fanon est souvent réduite à sa charge politique. Ses écrits psychiatriques, moins connus, expriment pourtant déjà son caractère révolutionnaire, alors qu’il appelait à une refonte complète de l’ethnopsychiatrie de l’époque, préalable nécessaire à la décolonisation des cerveaux.

Avec

Jean Khalfa, fellow du Trinity College, de Cambridge, où il enseigne l’histoire de la pensée française et Senior Research Fellow de la British Academy pour le programme de recherche sur Fanon dont il s’est occupé

Aimé Charles-Nicolas, professeur de psychiatrie

Podcast : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avec-philosophie/un-psychiatre-en-terres-damnees-3724087

Au-delà de la violence physique, la colonisation produit son lot de violences psychiques. Une violence qui pervertit les rapports humains et s’immisce jusque dans le suivi thérapeutique, comme a pu l’observer Frantz Fanon avec son regard de psychiatre. Tout juste arrivé en métropole de sa Martinique natale, il découvre avec douleur le poids du racisme, qu’il diagnostique très tôt au cœur du système médical et psychiatrique français. Un diagnostic qui appelle, dès lors, à une nouvelle thérapeutique, révolutionnaire.

La découverte de la folie raciste

« Fanon découvre non seulement qu’il est différent, mais qu’il est foncièrement différent, visiblement différent, et qu’il est différent surtout par son infériorité, parce que le regard raciste infériorise« , explique d’emblée Aimé Charles-Nicolas, lui-même psychiatre. Arrivé en métropole après l’obtention de son baccalauréat en Martinique, il s’inscrit en faculté de médecine à Lyon, et s’oriente dès sa quatrième année, vers la psychiatrie : « ce qui l’intéressait, c’était l’homme. Et plus que l’homme, c’était l’humain« , ajoute Aimé Charles-Nicolas.

Marqué par le racisme institutionnel de l’époque, et fort de ses intuitions, il publie alors en février 1952 l’article « Le syndrome Nord-Africain”, qui, loin de se rapporter à une maladie spécifiquement nord-africaine comme semble le suggérer le titre, se présente comme un pamphlet contre l’attitude raciste et rejetante du corps médical français devant les patients nord-africains, globalement appréhendés comme des malades menteurs. « C’était même pas la peine qu’il parle, on savait qu’il aurait mal partout, et on savait que c’était un malade imaginaire« , insiste Aimé Charles-Nicolas. Faute à une ethnopsychiatrie raciste et coloniale à l’époque, héritière des thèses primitivistes les plus réductrices, qui nient les spécificités culturelles du patient et les conséquences du système colonial sur les relations intersubjectives.

Pour Jean Khalfa, historien de la philosophie spécialiste de Frantz Fanon, il faut remonter à sa thèse de 1951 sur la maladie Friedrich pour comprendre les intuitions de Fanon : « Ce qu’il montre dans cette thèse, c’est qu’il y a aussi une sociogenèse de la maladie mentale« . Au-delà du développement de l’individu lui-même, on ne peut pas considérer la maladie mentale « indépendamment de son environnement et d’un système complexe qui amplifie la maladie dans telle ou telle direction« , ajoute par ailleurs l’historien de la philosophie. Une analyse fondamentale, et précieuse, qui donnera au psychiatre les outils nécessaires à sa critique de l’ethnopsychiatrie raciste et coloniale de l’époque.

Un psychiatre révolutionnaire

L’expérience au centre de Blida-Joinville en 1953 en Algérie marque un tournant pour Fanon. Alors qu’il prend ses fonctions au poste de médecin-chef de l’hôpital, le jeune psychiatre a une obsession : comment guérir le colonisé de son aliénation, lui permettre de devenir libre ? Dès son arrivée, Frantz Fanon met en place les techniques apprises auprès de François Tosquelles, psychiatre catalan en exil à Lyon où il effectuera un premier stage avant son expérience en Algérie, l’inventeur de la psychologie institutionnelle : « Il y a un univers qui est reconstruit au sein de l’hôpital, et petit à petit, les malades regagnent une certaine autonomie que la maladie mentale leur avait ôtée, et que les asiles psychiatriques classiques n’avaient fait que nier, renforçant en fait la maladie », explique Jean Khalfa.

Arrivé à Blida, Fanon observe un hôpital psychiatrique clos, où les patients sont enchainés, et les populations indigènes et européennes séparées. Une ségrégation instituée par le fondateur de l’hôpital, Antoine Porrot, fervent défenseur des thèses primitivistes. « Fanon arrivant à Blida se retrouve dans ce milieu-là, radicalement différent de celui de l’hôpital de Saint-Alban et commence tout de suite à appliquer toutes les méthodes de psychothérapie institutionnelle qu’il avait apprises, et qui fonctionnent », prolonge Jean Khalfa. Le psychiatre observe toutefois que les techniques de la thérapie institutionnelle fonctionnent davantage sur les patients européens que les patients indigènes. La vérité était-elle donc dans les écrits de Porrot ? Pour Fanon, c’est surtout parce que ces thérapies étaient centrées sur un cadre culturel européen que la psychologie institutionnelle ne pouvait fonctionner totalement. « Ils commencent alors à développer des psychothérapies institutionnelles ou de la social-thérapie en utilisant, disons, des structures qui sont propres aux sociétés locales« , ajoute l’historien de la philosophie.

Une approche révolutionnaire de la maladie mentale en milieu colonisé, qui fera grand bruit, et qui peu à peu prend des dimensions politiques. Comment en effet, si l’insistance est mise sur l’environnement dans le suivi thérapeutique, nier l’importance d’un contexte colonial d’oppression, de domination et de violence ? En pleine guerre d’Algérie, limité dans le champ de sa pratique, le jeune psychiatre décide alors de démissionner dans une lettre remise au ministre résident de l’époque en décembre 1956.

Pour en parler

Jean Khalfa, professeur au Trinity College de Cambridge, spécialiste en histoire de la philosophie, en littérature moderne, en esthétique et en anthropologie.

Introduction et présentation avec Robert JC Young des Écrits sur l’aliénation et la liberté de Fanon (La Découverte, 2015).

Poetics of the Antilles. Poetry, History and Philosophy in the Writings of PerseCésaire, Fanon and Glissant (Peter Lang, 2016).

À paraître : Wifredo Lam, Collection Livres d’artistes, Ouvrage conçu et établi sous la direction de Jean Khalfa. Contributions de Isabelle Chol, Charlène Clonts, Dorota Dolega-Ritter, Carlos Fonseca, Édouard Glissant, Jean Khalfa (Editions Jean-Michel Place).

Aimé Charles-Nicolas, professeur émérite de médecine, psychologie médicale et de psychiatrie à la Faculté de Médecine des Antilles-Guyane.

L’esclavage, quel impact sur la psychologie des populations ? avec Benjamin Bowser (Idem, 2018).

Références sonores

Archive d’une intervention de Frantz Fanon au Congrès des Écrivains et Artistes Noirs : « Racisme et Culture » en 1956.

Extraits du film « Fanon » réalisé par Jean-Claude Barny, sortie en France le 2 avril 2025.

Lecture par Riyad Cairat de la lettre de démission de Frantz Fanon remise au ministre résident, Gouverneur d’Algérie, Robert Lacoste en décembre 1956.

Source : France Culture – Avec philosophie – Série « Cent ans de Frantz Fanon : panser les plaies coloniales » – 28/04/2025

« L’ Autre 8 mai 45 » – Regarder le passé en face pour construire un avenir commun ! Danielle Simonnet

Avec le groupe de parlementaires NFP, nous souhaitons que la commémoration de ces massacres soit inscrite dans le protocole des cérémonies officielles de célébration de la victoire du 8 mai 1945 contre le nazisme. Nous voulons l’ouverture totale des archives, la création d’un lieu de mémoire national permettant d’honorer les victimes de ces crimes d’État et la création d’un musée national de l’histoire du colonialisme. Danielle Simonnet, députée du groupe écologiste et social.

Au printemps 2015, M’hamed Kaki, président de l’association « Les Oranges » et Olivier le Cour Grandmaison, politologue, me sollicitent pour me demander de relayer leur combat au sein du conseil de Paris : la reconnaissance des crimes d’État de l’autre 8 mai 45. Alors que le peuple Français fêtait l’armistice, la paix retrouvée et la victoire sur le nazisme, ce même 8 mai 1945, commençaient en Algérie, à Sétif, Guelma et Kherrata, des répressions sanglantes de manifestations nationalistes, indépendantistes et anti-colonialistes. En avril 2015, mon vœu demandant la reconnaissance de ces crimes d’Etat a été adopté à l’unanimité.

Dix ans plus tard, et 80 ans après ces massacres, l’État français ne les a toujours pas reconnus. Dorénavant députée, cette fois-ci c’est moi qui ait pris l’initiative de recontacter M’hamed Kaki et Olivier le Cour Grandmaison. J’ai constitué un groupe de travail entre député.es du Nouveau Front Populaire, avec notamment Sabrina Sebahi du groupe écologiste et social, Elsa Faucillon du groupe communiste et Fatiha Keloua-Hachi du groupe socialiste. Au travers d’auditions d’historiens, des descendants des victimes, d’un colloque à l’Assemblée Nationale, d’un déplacement programmé en Algérie aux commémorations du 8 mai, nous entendons interpeller le Président Emmanuel Macron et le gouvernement, et forcer le Parlement à légiférer pour que ces crimes d’État soient enfin reconnus.

Ce travail mémoriel est d’autant plus important que ces faits restent ignorés du plus grand nombre. En 2015, c’est M’hamed Kaki et Olivier Le Cour Grandmaison qui m’enseignent ces tragiques évènements de 1945. Je participais déjà depuis plusieurs années aux mobilisations pour la reconnaissance des massacres du 17 octobre 61 et ceux de Charonne du 8 février 1962. C’est d’ailleurs plus dans le cadre de mes engagements politiques que je me suis formée à ces sujets. Est-ce qu’on ne me les avait pas enseignés dans ma scolarité ou bien est-ce mes engagements qui m’ont permis d’en prendre pleinement conscience ? Le fait est que depuis 2015, hors réseaux militants, aujourd’hui encore, je croise peu de personnes qui ont eu connaissance de ces crimes coloniaux.

Alors que j’écris cette note, les réseaux sociaux et médias s’enflamment contre les propos de l’éditorialiste Jean Michel Apathie sur RTL qui a déclaré mardi 25 février “Nous avons fait des centaines d’Oradour-sur-glane en Algérie”. Voilà le journaliste harcelé par l’extrême-droite mais aussi par la droite, suspendu de RTL 1 semaine et l’Arcom est même saisie ! Pour l’historien de référence sur l’Algérie, Benjamin Stora, «Jean-Michel Aphatie a levé le voile sur une vérité historique méconnue du grand public ». Selon lui « La suspension de Jean-Michel Aphatie est une nouvelle tentative de restreindre le champ de la critique historiographique ». 

Il est nécessaire de rappeler que la responsabilité des autorités françaises dans la déportation des juifs pendant la seconde guerre mondiale n’a commencé à être reconnue qu’en 1992, avec la première présence d’un président, François Mitterrand, à la commémoration de la rafle du Vel d’hiv. Une journée nationale sera instaurée l’année d’après, et Jacques Chirac reconnaîtra officiellement cette responsabilité au travers de son discours de juillet 1995, ouvrant la porte au devoir de mémoire. Le Parlement quant à lui ne se prononcera que 5 ans plus tard, dans la loi du 10 juillet 2000, pour reconnaître cette responsabilité au travers de l’instauration d’une « Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux « Justes » de France ». Il aura fallu 50 ans avant que la culpabilité de la France ne soit officiellement reconnue.

Combien de temps faudra-t-il attendre pour que les crimes coloniaux commis par l’État français le soient ? Ils restent toujours un sujet tabou. Pire, ils sont l’objet d’un déni politique. En 2015, le FN menait une bataille culturelle réactionnaire, en nostalgie de l’Algérie française et des criminels de l’OAS, en débaptisant comme à Béziers la « rue du 19 mars 1962 », date du cessez-le-feu de la guerre d’Algérie. Dix ans plus tard, la bataille idéologique semble avoir tant régressé. En 2022, le doyen RN à l’assemblée nationale s’est cru autorisé, dans son discours inaugural, à évoquer sa nostalgie de l’Algérie française, et que ce n’était pas à lui de juger si l’OAS avait commis des crimes. La banalisation de la parole raciste est étroitement liée à ce refus de condamner les crimes coloniaux. Il est d’autant plus important de les faire connaître et d’assumer enfin politiquement de les caractériser comme crimes d’État. 

Il faut rappeler les faits. Dans la rue principale de Sétif en Algérie, de nombreux Algériens s’étaient rassemblés pacifiquement pour fêter l’armistice mais aussi exiger la libération du dirigeant nationaliste du Parti du peuple algérien (PPA) Messali Hadj, et défendre « l’Algérie libre », pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et pour l’indépendance. Un jeune scout, Bouzid Saâl, arbore alors le drapeau du PPA, futur drapeau algérien, interdit par les autorités coloniales. Après avoir refusé de baisser le drapeau, il sera assassiné par la police française en marge de la manifestation. L’information se diffuse alors rapidement dans la région de Sétif et donne lieu à de violentes émeutes qui feront 102 victimes issues de la population dite « européenne ». Pendant plusieurs semaines, l’armée française comme à Sétif et des milices coloniales comme à Guelma, composées de civils d’origine européenne et couverts et même soutenues par le sous-préfet, ont fait régner la terreur au nom du rétablissement de l’ordre colonial et pour défendre l’Algérie française. Si le nombre des victimes algériennes est difficile à établir et encore sujet à débat, le gouvernement algérien avance le nombre de 45 000 morts, et la très grande majorité des historiens français attestent d’un bilan de dizaines de milliers de victimes arrêtées, torturées et exécutées dans une terrible répression qui dura jusqu’à fin juin. A Guelma, la “chasse aux musulmans”, organisée par les milices, a conduit à nombre d’exécutions dont les corps ont été brûlés dans des fours à la chaux.

Après la publication du rapport de l’historien Benjamin Stora de janvier 2021, le président Emmanuel Macron s’était engagé à soutenir des initiatives mémorielles communes entre la France et l’Algérie. La France a ainsi soutenu la création d’une commission mixte d’historiens français et algériens proposée par le gouvernement algérien. Cette commission a pu se réunir cinq fois et portait le projet de publier une chronologie de tous les massacres. Mais dans les faits, le travail mémoriel n’a quasi pas commencé du point de vue de l’État français et tout s’est arrêté. Avec la question du Sahara occidental, des accords migratoires, avec l’affaire des influenceurs algériens et de l’arrestation de Boualem Sansal, on assiste à une escalade des tensions sans précédent. Ceux qui étaient si silencieux lorsque tant d’Algériens engagés dans le Hirak subissaient la répression du pouvoir, sont prêts à remettre en cause tous les accords et coopérations liant la France et l’Algérie ! L’aile la plus réactionnaire de l’entourage de Macron est bien décidée à tendre au maximum. Cette escalade semble bien plus attisée par un agenda électoral dicté par l’extrême droite que visant à servir les intérêts de la France. Il ne s’agit pas de nier la place et l’instrumentalisation de la question mémorielle dans le récit national du pouvoir algérien. Mais s’y refuser au nom du rejet d’une « repentance » ne sert qu’à décrédibiliser celles et ceux qui veulent reconnaître les faits et la responsabilité de la République. 

Le travail mémoriel ne doit pas s’arrêter. Cette page de l’histoire est à la fois française et algérienne.  La reconnaître contribuerait à consolider la fraternité entre le peuple Algérien et le peuple Français, et entre français. Nous sommes toutes et tous d’histoires mêlées, de la grande Histoire à nos histoires familiales, et sociales en sens large. Les blessures sont toujours profondes. Le témoignage lors de notre colloque à l’assemblée de la famille Abda illustre la douleur partagée par tant de descendants des victimes des crimes coloniaux. Le silence du présent ajoutant tant d’humiliation à l’indignité et l’injustice des exécutions du passé. Le racisme et les discriminations ont été, et sont, la matrice du colonialisme et de son rapport de domination. Personne ne peut ignorer qu’aujourd’hui encore, les héritiers des migrations liées aux anciennes colonies sont les premières victimes du racisme et des discriminations.  Reconnaître ce massacre commis par l’État français permettra à tous nos concitoyens, notamment ceux issus de l’immigration algérienne, de se construire toujours plus fraternellement dans l’avenir commun de la communauté légale républicaine, où toutes les mémoires doivent être respectées. La bataille antiraciste doit se nourrir du devoir mémoriel. Nous devons regarder notre passé en face pour construire un futur commun !

Source : Mediapart – Billet de blog – 25/04/2025 https://blogs.mediapart.fr/pour-la-reconnaissance-des-massacres-du-8-mai-45-en-algerie/blog/250425/regarder-le-passe-en-face-pour-construire-un-avenir

Benjamin Stora : relation franco-algérienne, une régression sans fin ? France Culture – 23/04/2025

Alors que les relations entre la France et l’Algérie semblent vouées à l’incompréhension et la polémique, analyse par l’historien Benjamin Stora, spécialiste de la guerre d’Algérie, et chargé d’une mission sur les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie.

Avec Benjamin Stora, historien français

Entre la France et l’Algérie, les relations diplomatiques oscillent entre l’incendiaire et le froid polaire. Ces dynamiques durent depuis l’indépendance de l’Algérie et dès que le dialogue paraît s’ouvrir, il est finalement interrompu par des déclarations ou des provocations de l’un ou l’autre des pays. Pour l’historien spécialiste de la guerre d’Algérie Benjamin Stora, on ne peut pas comprendre la crise diplomatique perpétuelle entre l’Algérie et la France sans se pencher sur le passé, et plus précisément le passé colonial de la France en Algérie.

Une crise inédite depuis l’indépendance ?

Si Benjamin Stora inscrit dans le temps long la détérioration des relations entre l’Algérie et la France, il précise tout de même que la crise a pris une tournure particulièrement vive ces derniers mois. Il revient sur la situation : « Nous vivons des moments de tension, de crispation, parfois suivis de périodes de dégel. On a le sentiment que les choses s’apaisent, puis tout repart. Mais cette fois-ci, j’ai le sentiment que nous sommes entrés dans une phase malheureusement durable. Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, jamais encore, il n’y avait eu une absence totale d’ambassadeurs entre les deux pays. Or, c’est le cas aujourd’hui, et cela dure depuis plusieurs mois […] Cela s’est accompagné de l’expulsion réciproque de douze agents diplomatiques, et d’autres épisodes qui témoignent d’un durcissement structurel des relations. » Si l’historien explique que la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental n’est pas la seule cause de la déflagration actuelle, il y voit tout de même une rupture : « Avant même la question du Sahara occidental, d’autres tensions s’étaient manifestées : les propos du président de la République sur la prétendue inexistence de la nation algérienne avant 1830 ont provoqué une réaction bien plus forte qu’une simple crispation à Alger. Il y a aussi eu l’exfiltration par l’ambassade de France à Tunis d’une opposante algérienne. À chaque fois, les présidents parvenaient malgré tout à renouer le dialogue […] Mais la question saharienne marque un tournant, un franchissement de ligne rouge, tant elle touche à des enjeux existentiels pour l’Algérie comme pour le Maroc. Elle renvoie à une histoire ancienne de frontières et d’incomplétude du projet d’unité maghrébine. »

Un conflit aux relents coloniaux

L’inscription de cette crise diplomatique dans le contexte mémoriel partagé par les deux pays est à la source de sa gravité. Pour Benjamin Stora, certaines déclarations de responsables politiques français alimentent cette inscription mémorielle du conflit : « Quand on écoute un ministre de l’Intérieur français parler de l’Algérie, cela renvoie dans l’imaginaire algérien à un passé colonial encore proche. Car l’Algérie, jusqu’à son indépendance, n’était pas rattachée au ministère des colonies, mais relevait du ministère de l’Intérieur. Comme le disait François Mitterrand, « l’Algérie, c’était la France ». Cette continuité institutionnelle laisse planer l’idée que la France n’a pas encore totalement intégré l’Algérie comme un État pleinement souverain et distinct. »

Bruno Retailleau n’est en effet pas censé être le principal acteur de la diplomatie française en Algérie. En laissant Beauvau s’investir dans la crise, la France envoie un très mauvais signal à l’Algérie. De son côté, l’Algérie choisit également d’employer un vocabulaire et un imaginaire liés à la colonisation, Benjamin Stora explique comment le régime algérien instrumentalise à certains titres ce passé : « Le mot barbouzerie, utilisé dans un communiqué de l’agence de presse officielle algérienne, n’est pas innocent. Il renvoie aux commandos gaullistes de la fin de la guerre d’Algérie, opposés aux commandos de l’OAS. Ce terme réactive un imaginaire conflictuel de guerre secrète, et souligne que certains courants en Algérie refusent un rapprochement avec la France, préférant affirmer une identité strictement arabo-musulmane au détriment de sa pluralité historique. »

Pourtant l’historien ne partage pas l’indignation d’une partie de la classe politique française qui prétend que l’Algérie exige de la France qu’elle « s’autoflagelle » pour ses crimes coloniaux. Il explique que la France n’a en réalité presque rien fait pour réparer cette mémoire commune : « Le nationalisme français s’est en grande partie construit sur l’Empire colonial. Et la fin de l’Algérie française a provoqué une crise du nationalisme. […] On vient nous parler de repentance, alors qu’on n’est même pas capable de restituer un Coran, une épée, un burnous à l’Algérie. Rien n’a été rendu. Absolument rien. […] Ce refus alimente un éloignement profond des nouvelles générations post-coloniales de l’histoire française. » Aujourd’hui une part importante des Français est traversée par cette double identité franco-algérienne. Sans résolution de la crise mémorielle, la France met ces citoyens au pied du mur.

Permettre aux plaies de cicatriser

Benjamin Stora s’est engagé pour la compréhension et la fouille de ce passé colonial entre la France et l’Algérie. À ses yeux, il n’y aura pas de normalisation des relations franco-algériennes sans avoir au préalable considéré l’ampleur et la gravité de la guerre d’Algérie. Sans même parler de réparations financières, Benjamin Stora établit quelques axes qui pourraient, avec de la volonté politique, être travaillés par la France : « Il y a eu beaucoup de disparus pendant la guerre d’Algérie, des disparus algériens […] Très difficile pour les familles de faire le deuil si elles ne retrouvent pas le corps. […] Ensuite, dans l’été 62, il y a eu des enlèvements et disparitions d’Européens, en nombre moins important, mais tout aussi significatif. La question des disparus reste centrale. J’avais proposé une sorte de « guide des disparus » qui permettrait de dresser un inventaire pour pouvoir enfin faire ce travail de deuil. » En plus de cette voie, l’historien propose un regard large sur l’empreinte de l’ancienne puissance coloniale sur ce pays, notamment la question des essais nucléaires : « Si la France veut changer de ton, cela passe par des actes concrets. Par exemple, s’engager à nettoyer les déchets nucléaires au Sahara. Il y a encore des victimes de ces essais, des gens malades aujourd’hui. Ce ne sont pas des choses annexes. […] Il y a aussi des familles qui cherchent toujours leurs disparus dans les archives françaises, militaires, mais aussi celles déposées à Nantes. C’est une recherche perpétuelle autour d’un pays dont on s’est séparé, mais qui fut des départements français. »

En définitive, la relation entre l’Algérie et la France ne doit pas être laissée aux paroles irresponsables d’hommes et des femmes politiques, le sujet est trop grave pour être réduit à une question d’OQTF, ou d’influenceurs expulsables. Benjamin Stora précise : « On ne peut pas comprendre les relations entre la France et l’Algérie sans les inscrire dans la longue durée. La France est restée en Algérie pendant 132 ans. Cela représente six générations. La conquête coloniale fut longue, violente, et son empreinte est encore vive. Il y a, dans cette relation, à la fois des mélanges, de la mixité, mais aussi des séparations, des haines, des ressentiments. » En plus de le devoir aux victimes passées, les deux pays doivent ce travail mémoriel commun aux millions de personnes dont l’identité est tiraillée par ce conflit incessant.

Source : France Culture – 23/04/2025 https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/crise-algerienne-un-retour-en-arriere-1296232?at_medium=newsletter&at_campaign=culture_quoti_edito&at_chaine=france_culture&at_date=2025-04-23&at_position=2