Protestation de l’Algérie contre la détention en France d’un agent consulaire

L’ Algérie a « vivement protesté » samedi soir contre la détention en France d’un agent consulaire, accusé d’implication dans l’enlèvement fin avril sur le sol français de l’influenceur algérien Amir Boukhors, une affaire « inadmissible » selon Alger au moment où le dialogue avec Paris vient de reprendre.

Trois hommes, dont un travaille dans un consulat d’Algérie en France, ont été mis en examen vendredi à Paris, pour arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivie de libération avant le septième jour, en relation avec une entreprise terroriste, selon le Parquet national antiterroriste (Pnat) français.

Dans cette affaire concernant l’opposant au régime algérien Amir Boukhors, influenceur surnommé « Amir DZ », les trois hommes sont aussi poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Ils ont été placés en détention.

Résidant en France, Amir Boukhors a livré pour la première fois, samedi 12 avril, sa version du kidnapping dont il dit avoir été victime le 29 avril 2024 : « Je vois un gyrophare et quatre personnes qui descendent de la voiture avec un brassard de police. Ils m’ont menotté et dit qu’un officier de la police judiciaire m’attendait », confie-t-il à France 2. Selon lui, les services secrets algériens seraient à l’origine du kidnapping.

Alger a émis neuf mandats d’arrêt internationaux à son égard, l’accusant d’escroquerie et d’infractions terroristes. En 2022, la justice française a refusé son extradition. Âgé de 41 ans et suivi par plus de 1 million d’abonnés sur TikTok, « Amir DZ » a été la cible « de deux agressions graves, une en 2022 et une autre dans la soirée du 29 avril 2024 », jour de son enlèvement en banlieue sud de Paris (Val-de-Marne) avant d’être relâché le lendemain, avait rappelé à l’AFP son avocat, Éric Plouvier.

Le ministère algérien des affaires étrangères a tonné samedi soir contre « ce nouveau développement inadmissible et inqualifiable [qui] causera un grand dommage aux relations algéro-françaises ». Il s’est engagé à ne pas « laisser cette situation sans conséquences ». La diplomatie algérienne a précisé avoir reçu l’ambassadeur de France, Stéphane Romatet, pour « exprimer [s]a vive protestation ». Alger a protesté sur « la forme » et sur « le fond » de l’affaire, et a rappelé que « l’agent consulaire a été arrêté en pleine voie publique puis placé en garde à vue sans notification par le canal diplomatique ».

« Argumentaire vermoulu »

Et Alger a également dénoncé « l’argumentaire vermoulu et farfelu » du ministère de l’intérieur français, fustigeant une « cabale judiciaire inadmissible » reposant « sur le seul fait que le téléphone mobile de l’agent consulaire inculpé aurait borné autour de l’adresse du domicile de l’énergumène » Amir Boukhors. Cet influenceur algérien est en France depuis 2016, y a obtenu l’asile politique en 2023 et son pays le réclame pour le juger.

À la suite des mises en examen, MPlouvier a parlé d’une « affaire d’État » et le ministre français de l’intérieur, Bruno Retailleau, a évoqué « peut-être » un « acte d’ingérence étrangère ». Toutefois, une source proche du dossier en France a appelé samedi à la prudence sur ces trois mises en examen : elle a dit redouter que l’enquête ne débouche que sur « un dossier vide », contre des suspects qui ne seraient que des fusibles. 

Vives tensions

Mais pour la diplomatie algérienne, « ce tournant judiciaire, inédit dans les annales des relations algéro-françaises, n’est pas le fruit du hasard ». Il se produit « à des fins de torpillage du processus de relance des relations bilatérales convenu entre les deux chefs d’État [français et algérien – ndlr] lors de leur récent entretien téléphonique », a déploré le ministère des affaires étrangères. Il a exigé la libération « immédiate » de son agent consulaire.

De vives tensions affectent les relations entre la France et l’Algérie depuis que le président Emmanuel Macron a décidé fin juillet d’appuyer un plan d’autonomie sous souveraineté marocaine pour le Sahara occidental, où les indépendantistes du Front Polisario sont soutenus par Alger.

Elles se sont encore aggravées avec l’arrestation, l’incarcération et la condamnation fin mars à Alger à cinq ans de prison ferme de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal pour atteinte à l’intégrité du territoire. Emmanuel Macron s’était dit vendredi « confiant » dans la libération prochaine de l’auteur de 75 ans.

Les tensions franco-algériennes se sont toutefois un peu apaisées à la faveur d’un appel le 31 mars entre Emmanuel Macron et son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune qui a acté la reprise du dialogue bilatéral.

Source – AFP et Rédaction de Mediapart – 13/04/2025 https://www.mediapart.fr/journal/international/130425/protestation-de-l-algerie-contre-la-detention-en-france-d-un-agent-consulaire

Paris et Alger renouent le dialogue – Malik Ben Salem

Le déplacement à Alger du chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, le 6 avril confirme le dégel dans les relations franco-algériennes. L’objectif était de ne pas rester au stade des déclarations d’intention, mais de tracer une feuille de route pour une sortie de l’impasse diplomatique, qui paraissait encore inextricable il y a quelques jours.

Un peu plus d’une semaine après le coup de théâtre dans la crise entre la France et l’Algérie et la reprise du dialogue entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a effectué le 6 avril une visite officielle à Alger. Au programme : une rencontre avec son homologue, ainsi qu’avec le président algérien, rapporte le site d’information TSA. L’occasion pour le chef de la diplomatie française d’annoncer la « réactivation dès aujourd’hui de tous les mécanismes de coopération dans tous les secteurs ».

Clairement, le réchauffement des relations entre Paris et Alger se traduit par une reprise des contacts entre les services de renseignements des deux pays, notamment sur des questions stratégiques comme le Sahel, qui fera l’objet d’une réunion « des plus hauts responsables de la sécurité ». Au niveau judiciaire, comme prévu, la visite du ministre de la Justice Gérald Darmanin est maintenue pour entamer une « reprise du dialogue judiciaire » entre la France et l’Algérie.

Un autre dossier brûlant a été au centre des discussions du ministre des Affaires étrangères français avec la partie algérienne, précise de son côté le site d’information Le Matin d’Algérie : celui des biens mal acquis, qui fera prochainement l’objet d’une réunion de travail à Paris « entre le parquet national financier et ses homologues algériens ».

Le Matin d’Algérie rappelle que la justice française a refusé d’extrader vers l’Algérie l’ancien ministre de l’Industrie Abdeslam Bouchouareb, condamné pour corruption. Une affaire qui a contribué, entre autres, à la crispation des relations entre les deux pays.

Retailleau, le grand perdant

Jean-Noël Barrot a par ailleurs confirmé les engagements des deux présidents qui, lors de leur entretien téléphonique du 31 mars, avaient annoncé la « reprise sans délai de la coopération migratoire ». Tout n’a pas été réglé lors de cette visite dans le dossier des réadmissions et des visas, mais le chef de la diplomatie française a laissé comprendre que les détails seront traités progressivement à travers « les accords existants via les procédures normales et fluides de la coopération consulaire ».

Pour le journal algérien arabophone Echorouk, cette visite, et plus largement l’apaisement des tensions entre la France et l’Algérie, sonne comme un désaveu du ministre de l’Intérieur français, Bruno Retailleau, le « plus grand perdant du rapprochement entre l’Algérie et la France ». Retailleau, qui était l’un des plus virulents au sein du gouvernement français sur le dossier algérien, est aujourd’hui critiqué jusque dans son propre camp, souligne le quotidien.

Signe de la détente relativement rapide des relations franco-algériennes après la conversation entre les deux présidents, « la commission mixte algéro-française sur l’histoire et la mémoire reprendra prochainement ses travaux à Paris », rapporte le journal algérien El Watan (https://anpnpa.fr/commission-mixte-algero-francaise-sur-lhistoire-les-archives-de-la-colonisation-comme-prealable-m-abdelkrim/). La question mémorielle reste au cœur des relations complexes et des tensions sporadiques entre Alger et Paris.

Le quotidien El Khabar fait quant à lui une lecture sémiologique de cette rencontre. Contrairement aux sourires de circonstance qui accompagnent les visites diplomatiques, les visages de Barrot et de son homologue algérien Ahmed Attaf étaient plutôt fermés, ce qui reflète « la profondeur de la crise entre les deux pays ».

La presse algérienne n’a pas commenté les échanges au sujet de la condamnation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, dont le ministre français a à nouveau demandé qu’il puisse bénéficier d’un « geste d’humanité » de la part du président Tebboune.

Source : Courrier International – 07/04/2025 https://www.courrierinternational.com/article/paris-et-alger-renouent-le-dialogue_229629

Commission mixte algéro-française sur l’Histoire : Les archives de la colonisation comme préalable – M. Abdelkrim

La Commission mixte algéro-française sur l’histoire et la mémoire reprendra prochainement ses travaux à Paris. Des travaux qui interviennent dans un contexte politique marqué par une désescalade entre les deux capitales, entamée depuis quelques semaines à la faveur d’un entretien téléphonique entre le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, et son homologue français, Emmanuel Macron. 

C’est dans ce même contexte que le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, entamera dès aujourd’hui ( 06/04/2025) une visite officielle  à Alger.  Une visite qui acte une reprise de la  coopération algéro-française. Le coprésident de la Commission mixte algéro-française sur l’histoire et la mémoire, Lahcen Zeghidi, s’est exprimé, à cette occasion, sur la conduite à suivre pour faire avancer les négociations sur un dossier d’une extrême importance entre les deux pays.  

Selon le quotidien El Khabar, M. Zeghidi a appelé, instamment, vendredi, la partie française à mettre en œuvre les accords de la cinquième réunion du comité.  Dans une déclaration au quotidien arabophone, il a insisté notamment sur la nécessité de rouvrir le dossier des archives.  S’adressant à ses homologues français au sein du comité, il a suggéré de fixer un « calendrier concret » pour la restitution des archives et des biens spoliés pendant la colonisation française de l’Algérie, y compris ceux qui re-montent à la période ottomane. 

Sixième round

Par ailleurs, il a exhorté la partie française, lors d’un déjeuner offert par Anne-Claire Le Gendre, conseillère du président Emmanuel Macron pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (en marge du quatrième round, ndlr), à surmonter les obstacles législatifs qui considèrent que tous les éléments transférés des colonies sont la propriété de la France. « Nous avons insisté pour qu’un décret présidentiel soit publié, ce qui a suscité des réactions », a souligné M. Zeghidi, faisant référence aux « parties » qui s’opposent, toujours, à la restitution des archives et des biens pillés.

Il a, toujours selon El Khabar, ajouté que la délégation algérienne se rendra à Paris (pour participer au sixième round, décidé après l’appel téléphonique entre les Présidents des deux pays) afin de mettre en œuvre les accords du cinquième round. A ce propos, il a déclaré : « Nous nous rendrons à Paris pour récupérer les archives et non pour dialoguer ou discuter, ainsi que pour inspecter les zones du sud de la France où les sites d’archives n’ont pas été examinés. » 

M. Zeghidi s’est dit, par ailleurs, étonné par l’inventaire des biens algériens dans dix-neuf institutions et structures françaises (Bibliothèque nationale, musées, etc.) qui ont été examinées lors de la dernière mission de dix jours de la commission en France et qui ont fait l’objet de pillage. L’historien a également rappelé que l’accord conclu entre les deux parties portait sur la restitution de plus de deux millions de documents d’archives (copies numérisées) et des biens et possessions remontant à la période précédant l’invasion (1830), y compris des armes, comme des canons, des archives papier et des biens ayant une symbolique particulière pour les Algériens, dont certains ont été pillés au palais du Dey. « Nous avons dit à la partie française que nous ne céderons sur rien, même s’il s’agit d’un stylo, ainsi que les biens de l’Emir Abdelkader : son burnous, sa copie du Coran, ses épées et ses canons », a-t-il précisé.  

M. Zeghidi a fait savoir que la partie algérienne s’est appuyée sur un rapport du consul américain à l’époque de la chute d’Alger, présenté par le Dr Ali Tablit, pour appuyer ces revendications.  « Nous avons reçu des données et des informations de la part d’historiens, de scientifiques et d’experts algériens nationaux et de la diaspora qui ont renforcé l’argumentaire algérien contre la partie française », a-t-il dit. « Ces données ont mis en lumière des choses que nous ne savions pas », a-t-il enchaîné. 

Notons que le quatrième cycle de travail de la commission, le plus long, a permis à la partie algérienne d’examiner les archives détenues par la partie française, y compris celles détenues par le ministère de la Défense. 

Ce cycle a abouti à un accord sur la création d’un portail en ligne et sur l’échange de chercheurs (quinze par pays) pour mener des recherches.  

Source : El Watan – 06/04/2025 https://elwatan-dz.com/commission-mixte-algero-francaise-sur-lhistoire-les-archives-de-la-colonisation-comme-prealable

Le berger, le caïd et le bachaga : une histoire d’impunité militaire durant la guerre d’Algérie – Fabrice Riceputi

C’est une archive que l’on dirait tirée d’un pamphlet antimilitariste, mais qui a été produite par l’armée française elle-même en 1957, au sujet d’un triple assassinat commis par l’un des siens. Elle montre les voies tortueuses que pouvait emprunter l’institution militaire pour sauver son « honneur ».

Au printemps 1957, un magistrat rend compte au général Allard, commandant du corps d’armée d’Alger, du jugement de deux sous-officiers prononcé par le tribunal militaire permanent des forces armées d’Alger1. L’enquête a permis, selon lui, de reconstituer les faits comme suit.

Ils sont survenus près de la ville d’Aumale, aujourd’hui Sour El Ghozlane, à 120 kilomètres au sud d’Alger, dans la région montagneuse du Titteri. Au cours de l’après-midi du samedi 13 avril 1957, une jeep et un camion GMC de l’armée française quittent la petite ville. À bord des deux véhicules se trouve un petit détachement de membres du 5régiment de spahis algériens (RSA). Ils reviennent d’une cérémonie religieuse en mémoire de treize soldats de leur régiment tués non loin de là le 2 mars 1957 dans un affrontement avec des maquisards de l’Armée de libération nationale (ALN).

Les spahis rejoignent leur cantonnement à Beni Slimane, à une cinquantaine de kilomètres. Parmi eux, deux jeunes sous-officiers, militaires de carrière : l’adjudant François Bart, 31 ans, originaire de la Sarthe, et le maréchal des logis René Naux, 28 ans, parisien.

Il semble que tous soient alors ivres morts. En effet, « la cérémonie terminée, les sous-officiers et hommes de troupe se répandirent dans les cafés de la ville. Les deux sous-officiers consommèrent de nombreux apéritifs et déjeunèrent au Grand Hôtel. Au cours de leur repas, ils continuèrent à boire plus que de raison, aussi étaient-ils en état d’ivresse lorsque dans l’après-midi ils reprirent la direction du retour ». Mais les voilà qui reboivent encore, souligne le magistrat : « N’estimant pas, sans doute, avoir assez bu, en passant à nouveau devant le Grand Hôtel ils faisaient stopper le convoi pour y consommer entre autres boissons, du champagne. »

Au bout « d’une heure » de ces agapes, le petit convoi prend donc la route de Beni Slimane. « Les premiers kilomètres du parcours s’effectuèrent sans incidents. » Même si, note le magistrat, « les deux sous-officiers [ont] tiré des coups de feu dans toutes les directions ».

Puis, après cinq kilomètres seulement, au lieu-dit Les Carrières, Bart stoppe le convoi et décide « de son propre chef » de « procéder à des vérifications d’identité ».

Tout d’abord, un cycliste échappe au pire du fait de l’état lamentable de Bart. « Il arrêta d’abord un cycliste qui, pris de peur, abandonna sa bicyclette et se sauva à toutes jambes. BART voulu le poursuivre, mais trébucha dans le fossé et ne put se relever sans le secours de deux spahis. »

C’est alors qu’« un troupeau de moutons se présenta ensuite conduit par deux bergers ».Et qu’unpremier meurtre est commis : « Tandis que l’un d’eux emmenait le troupeau, l’autre était contrôlé par les deux sous-officiers et Naux l’abattait d’une rafale de mitraillette au bout de quelques pas»

La tuerie n’est pas finie : « Une voiture automobile Citroën traction avant fut ensuite arrêtée. Le Caïd MAHMOUDI BEN TAIBI et le Bachaga BRAHIMI Ahmed en descendaient. Pris de panique devant l’attitude menaçante de NAUX le Caïd parut tenter de fuir, Naux tira une rafale de sa mitraillette et l’abattit puis, tandis que le Bachaga Brahimi Ahmed remontait au volant de la voiture et démarrait, Naux s’emparait alors d’une carabine d’un des spahis à ses côtés et le tuait net d’une balle dans la tête. »

Le convoi reprend la route de Beni Slimane, « non sans tirer cette fois quelques rafales de mitrailleuse de 50 vers un djebel », un massif montagneux. Naux et Bart rejoignent enfin leur caserne. C’est le lendemain qu’on peut « établir la preuve de leur culpabilité ». Ils sont alors ramenés à Aumale, où ils sont mis aux arrêts de rigueur.

Acquittés pour cause d’ivresse

Tous deux comparaissent dès le 30 avril 1957 devant le Tribunal permanent des forces armées d’Alger. L’un est poursuivi pour « meurtres », l’autre pour « défaut d’assistance à personnes en péril ». Le tribunal est présidé par un magistrat militaire assisté de six officiers et sous-officiers.

Le jugement indique que « les deux inculpés […] se sont présentés correctement »,c’est-à-dire sans doute qu’ils sont sobres. Cependant, ils n’ont guère été prolifiques en explications. Ils « ont reconnu les faits, quoique ne se souvenant des événements de cet après-midi que de façon très imparfaite, pour ne pas dire inexistante ».

Les spahis qui accompagnaient les prévenus, témoins et acteurs directs du drame, ont été « cités à l’audience » mais « ne se sont pas présentés ». Ils ont néanmoins attesté, sans doute par écrit, que Naux et Bart « n’avaient aucune conscience » de ce qu’ils faisaient. Le médecin militaire a quant à lui déposé longuement sur « l’état mental » des prévenus. Et a conclu « à une responsabilité atténuée du fait de l’intoxication alcoolique aiguë » de Naux et Bart.

Et le compte rendu d’audience d’indiquer, semble-t-il sans ironie aucune, que la défense a « soutenu brillamment que les prévenus par leur état d’ivresse étaient dans un état qui les privait de tout contrôle de leurs actes et qu’ils ne pouvaient dans ces conditions avoir eu intention de commettre ces actes, intention qui nécessite l’intervention de la réflexion ». En conséquence de quoi, conclut le magistrat, René Naux et François Bart ont été déclarés non coupables et remis en liberté.

Comme toutes les archives, spécialement celles, plutôt rares, dans lesquelles l’armée garda une trace d’exactions commises par elle, celles de « l’affaire Naux et Bart » doivent être lues au second degré et, comme on dirait aujourd’hui, « debunkées ».

« Le prestige de l’Armée française » entaché

Trois Algériens ont donc été tués par des militaires lors d’un contrôle sur une route de campagne. En 1957 en Algérie, il n’y a rien là que de très banal : les forces de l’ordre sont autorisées à faire feu à volonté sur tout fuyard et le font très souvent. 

Mais ici, nous dit la note d’un colonel, les faits furent jugés « particulièrement graves pour le prestige de l’Armée française ». Le général Allard a tenu à faire savoir son indignation. De fait, l’affaire remonta illico d’Aumale à Alger, puis d’Alger à Paris. Le ministre de la défense Maurice Bourgès-Maunoury lui-même en fut informé par un télégramme signé du général Raoul Salan en personne.

C’est bien sûr l’identité de deux des victimes qui posait problème : un bachaga et un caïd, puissants notables régionaux, chefs de tribus, agents importants de l’administration coloniale, symboles officiels s’il en était de l’attachement supposé des « musulmans » à la présence française.

La mort d’Ahmed Brahimi préoccupait particulièrement. Car, comme le général Salan l’indiquait au ministre Bourgès-Maunoury, le « Bachaga BRAHIMI avait des attaches dans certains milieux parlementaires français à Paris ». Il était en effet notamment l’oncle d’un ancien député « musulman » à l’Assemblée nationale. Un scandale était à éviter.

Mais l’armée avait aussi à traiter en interne un scandaleux dysfonctionnement. Naux et Bart avaient gravement manqué à la discipline la plus élémentaire et donné un exemple déplorable à leur régiment. On ne pouvait, fût-ce en état d’ivresse, tuer de précieux alliés de la France en Algérie et compromettre ainsi l’œuvre de ralliement des « musulmans » à la présence française. D’où la décision prise en haut lieu de faire comparaître Naux et Bart devant la justice militaire.

Les deux sous-officiers ne pouvaient cependant pas être condamnés. Il y allait en effet du « moral des troupes ». Celles-ci ne devaient pas se sentir menacées de prison dans l’accomplissement de leur difficile mission de « pacification ». Quant à leur acquittement pour état d’ivresse, il était entendu que nul n’en aurait jamais connaissance. Le jugement fut prononcé à huis clos, et ses traces écrites toutes tamponnées « très secret ».

Une expédition punitive

Venons-en aux faits eux-mêmes. L’existence du triple meurtre le 13 avril 1957 à la sortie d’Aumale n’est pas douteuse. Les identités des victimes et des coupables non plus. Selon l’armée, il se serait agi d’un crime sans mobile, occasionné par « l’inconscience » des meurtriers. Le berger, le caïd et le bachaga auraient donc été victimes du malheureux hasard de s’être trouvés sur la route de dangereux ivrognes. Il n’en est évidemment rien.

En avril 1957, la région d’Aumale connaît une forte activité de la guérilla nationaliste, à un moment où le FLN/ALN est à l’apogée de son emprise politique et militaire sur nombre de zones rurales. Aumale se trouve en bordure sud de la Wilaya III du FLN. De nombreuses katibas, des bataillons de combattants algériens, y opèrent, rendant les sorties de l’armée toujours très périlleuses.

Un mois et dix jours avant le triple meurtre, le 2 mars, l’une d’elles a attaqué près d’Aumale un convoi du régiment de spahis auquel appartenaient Naux et Bart, lui infligeant de très lourdes pertes : treize tués, dont « dix Européens et trois musulmans », selon la presse. Le Monde signale l’embuscade meurtrière deux jours plus tard comme la plus grave des dernières journées, indiquant aussi que huit des spahis avaient survécu.

La cérémonie à laquelle Naux, Bart et leurs hommes ont assisté au matin du 13 avril concernait leurs proches camarades de régiment et a ravivé le souvenir d’un événement particulièrement tragique pour eux. On ne peut exclure qu’ils l’aient eux-mêmes vécu directement, soit qu’ils aient été parmi les survivants, soit qu’ils aient été de ces « renforts » accourus dont Le Monde nous dit que leur « intervention a permis de tuer vingt et un membres de la bande rebelle ».

Les historiens savent qu’au lendemain d’attentats et d’actions armées du FLN, les représailles collectives étaient monnaie courante. Aucune enquête sérieuse n’est jamais menée. Le comportement du détachement de spahis à son retour d’Aumale semble bien relever de cet habitus typiquement colonial. L’archive nous dit que les spahis tirent en roulant « dans toutes les directions ». Et qu’après le triple meurtre, ils continuent à le faire, à l’arme lourde – une « mitrailleuse de 50 » –, « sur le djebel », c’est-à-dire probablement sur des riverains. Leur sortie d’Aumale ressemble fort à une sauvage expédition punitive.

Le double jeu du bachaga

Mais un véritable règlement de comptes par exécution délibérée n’est pas à exclure. Selon le tribunal militaire, Naux n’eut pas conscience de ce qu’il faisait et ne se rendit donc pas compte de l’identité de ses victimes en principe intouchables. Cela est parfaitement invraisemblable.

Il entrait notamment dans les fonctions des membres du corp caïdal de représenter les tribus lors des cérémonies officielles. Ils y paraissaient vêtus d’un burnous d’apparat couleur fauve et bardés des médailles et décorations dont la France les avait gratifiés. Il est plus que probable qu’au matin du 13 avril 1957, Ahmed Brahimi et Mahmoudi ben Taïbi ont, eux aussi, participé à Aumale à la cérémonie en mémoire des spahis tués par l’ALN. Et qu’ils en revenaient quand ils ont rencontré leurs meurtriers, qui les ont nécessairement reconnus dans leur automobile de prix et leur costume d’apparat. Pourquoi Naux les a-t-il néanmoins abattus, faisant preuve malgré son état d’une redoutable efficacité dans son unique tir mortel et sans en être empêché par le reste du détachement ? 

Dans la mythologie de « l’Algérie française » abondamment diffusée à l’époque, les bachagas et caïds sont la figure par excellence de l’Algérien qui a « choisi la France ». On exhiba notamment beaucoup le bachaga Saïd Boualam, qui dirigea une troupe de harkis dans l’Ouarsenis, fit la guerre au FLN et fonda notamment le Front Algérie française (FAF). Adulé jusqu’à nos jours par les nostalgiques de l’Algérie coloniale, exécré comme traître par bien des Algériens, il était en réalité, en 1957, très loin d’être représentatif de l’ensemble de ses pairs2.

En 1956, le sous-préfet d’Aumale accusait certains de ces agents de son administration « musulmane » de complicité avec des nationalistes qu’ils étaient pourtant chargés de lui dénoncer. Et une note préfectorale signalait même nommément toute « la famille Brahimi »« comptant un ancien délégué à l’Assemblée algérienne et un ancien député »,comme purement et simplement « acquise à la rébellion3 ».

Ahmed Brahimi ne faisait pas exception. Les autorités françaises, au moins celles d’Aumale, en étaient informées. Trois jours après sa mort, le général Allard fut en effet destinataire d’une note, annexée au dossier d’archive, qui lui indiquait que Brahimi misait lui aussi « sur deux tableaux ». Il aurait même été « collecteur de fonds FLN » et « aurait hébergé à plusieurs reprises des chefs importants du FLN4 ». Le fait était si notoire dans la région d’Aumale, ajoute la note, que certains croyaient savoir que Brahimi avait été exécuté par le rival nationaliste du FLN, le Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj.

Maquillé en crime du FLN

Naux et Bart connaissaient-ils ce soupçon de complicité avec le FLN du bachaga qu’ils avaient vu à la cérémonie et qu’ils retrouvaient durant l’après-midi ? C’est très probable et cela constitue sans doute l’explication véritable de son assassinat.

Enfin, l’armée ne se contenta pas de cacher la vérité de ce triple meurtre. Si l’identité des meurtriers et leurs vraies motivations ne furent jamais révélées, la mort du bachaga fut tout de même l’objet d’un communiqué de l’armée en direction de la presse d’Algérie et de France. Elle attribuait tout bonnement les meurtres au FLN.

Le 16 avril 1957, dans sa chronique quotidienne de l’activité « terroriste » en Algérie, Le Monde livrait à ses lecteurs et lectrices des informations diffusées à la presse par le ministère de l’Algérie. Il indiquait que « les attentats [avaient fait] plusieurs morts et blessés dans les deux communautés ». Et signalait que « trois musulmans » avaient été « assassinés » dans la région d’Aumale. Une des victimes était nommée : le bachaga Ahmed Brahimi, bien « connu pour ses sentiments profrançais ». Et donc victime, comme tant d’autres Algériens collaborant avec la France, du « terrorisme » du FLN. Qui pouvait en douter ?

Notes

1. Affaire Naux et Bart, « exactions imputées aux forces de l’ordre », 1 H 2698, SHD. Toutes les citations en italique entre guillemets sont tirées de l’archive. 

2. Voir Isabelle Chiavassa, « Contournement et transgression de la norme chez des notables et fonctionnaires “indigènes” : les caïds de commune mixte en Kabylie (1940-1956) », et Neil Mac Master, Guerre dans les djebels. Société paysanne et contre-insurrection en Algérie, 1918-1958, ed. du Croquant, 2024.

3. « Famille Brahimi à Bir Rabalou, acquise à la rébellion, mais comptant un ancien délégué à l’Assemblée algérienne et un ancien député : correspondance avec le préfet et le colonel commandant le secteur », ANOM, 9125 36.

4. SHD, « Exactions imputées aux forces de l’ordre », note de l’antenne d’Aumale, 1 H 2698.

Fabrice Riceputi est historien, chercheur associé à l’Institut d’histoire du temps présent.

Source : Médiapart – 22/03/2025 https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/220325/le-berger-le-caid-et-le-bachaga-une-histoire-d-impunite-militaire-durant-la-guerre-d-algerie

Benjamin Stora : l’instrumentalisation de la crise diplomatique par la droite et  l’extrême droite françaises – Samia Naït Iqbal

Dans un entretien accordé au quotidien L’Humanité, l’historien Benjamin Stora revient sur la crise diplomatique actuelle entre la France et l’Algérie

Membre d’une commission mixte franco-algérienne chargée d’examiner les questions mémorielles, il analyse les tensions récurrentes entre les deux pays et met en garde contre l’instrumentalisation politique de cette crise par la droite et l’extrême droite françaises.

Une crise diplomatique d’une rare intensité

Interrogé sur le caractère inédit de la situation, Benjamin Stora estime que le rappel de l’ambassadeur algérien en France, toujours non remplacé, est un fait sans précédent. Il souligne toutefois que les tensions entre Paris et Alger ne sont pas nouvelles et ont jalonné l’histoire des relations franco-algériennes depuis l’indépendance en 1962.

Benjamin Stora évoque notamment la crise de 1973, marquée par une vague de crimes racistes en France et un attentat contre le consulat algérien à Marseille, ainsi que le refroidissement diplomatique qui a suivi la visite de Valéry Giscard d’Estaing en 1975.

D’autres périodes de tensions sont également mentionnées, comme celles de 1992 après l’arrêt du processus électoral en Algérie ou encore de 2005, lorsque le vote d’une loi en France vantant les « aspects positifs » de la colonisation a torpillé un projet de traité d’amitié entre les deux pays.

L’instrumentalisation de la crise à des fins politiques

Benjamin Stora met en lumière l’exploitation de la question algérienne dans la politique intérieure française, particulièrement en période électorale. Il rappelle que Nicolas Sarkozy, lors de sa campagne de 2007, a récupéré la nostalgie de l’Algérie française pour séduire l’électorat du Front national.

Aujourd’hui, il voit en Bruno Retailleau l’héritier de cette stratégie, l’accusant de reprendre et radicaliser les thématiques de l’extrême droite, notamment sur l’immigration et la remise en cause de la décolonisation.

Il estime que cette instrumentalisation vise à effacer la frontière entre la droite républicaine et l’extrême droite, notamment en contestant l’accord franco-algérien de 1968, qui découle directement des accords d’Évian ayant mis fin à la guerre d’Algérie.

Une méconnaissance persistante des crimes coloniaux

L’historien déplore également le manque de connaissance du passé colonial français, malgré les avancées historiographiques des vingt dernières années. Il note que, bien que de jeunes chercheurs aient produit des travaux remarquables grâce à l’ouverture des archives, une partie de la classe politique continue à minimiser ou nier les crimes de la colonisation.

Il explique ce décalage par l’ancrage du nationalisme français dans l’histoire impériale, où l’Algérie occupait une place particulière en tant que territoire administrativement intégré à la France. Cette spécificité explique, selon lui, pourquoi la perte de l’Algérie a été vécue comme une crise nationale et pourquoi la colonisation n’a jamais fait l’objet d’un véritable examen de conscience en France.

Quelle issue pour la crise ?

Benjamin Stora conclut en appelant à la poursuite du travail mémoriel entamé ces dernières années. Il rappelle son rapport remis en 2021 au président Emmanuel Macron, dans lequel il recommandait des gestes symboliques pour reconnaître les crimes coloniaux, notamment l’assassinat d’Ali Boumendjel par l’armée française.

Il regrette la suspension des travaux de la commission mixte franco-algérienne d’historiens à cause des tensions diplomatiques, tout en insistant sur l’importance de maintenir un dialogue avec ses collègues algériens. Enfin, il affirme que, malgré les crises successives, les liens entre la France et l’Algérie restent profonds et ancrés dans une histoire commune qui ne saurait être effacée.

Ainsi, Benjamin Stora met en garde contre la tentation de faire de cette crise un enjeu électoraliste en France et insiste sur la nécessité d’un travail historique et mémoriel dépassionné pour apaiser les relations entre les deux pays.

Source : Le Matin d’Algérie – 22/03/2025 https://lematindalgerie.com/benjamin-stora-avertit-contre-linstrumentalisation-de-la-crise-diplomatique-par-la-droite-et-lextreme-droite-francaises/

Nils Andersson, grand témoin de la résistance à la guerre d’Algérie

Nous revenons ici sur le rôle majeur que Nils Andersson joua dans la résistance française à la guerre coloniale d’Algérie, particulièrement comme éditeur en Suisse de livres interdits en France

C’est en 1960, par un livre intitulé La Pacification, que furent connues hors d’Algérie les toutes premières accusations de torture portées contre le député-parachutiste Jean-Marie Le Pen. L’éditeur de cette copieuse chronique de certains des crimes commis par la France durant les six premières années de la guerre était franco-suédois et résidait à Lausanne : Nils Andersson.

Alors que sévissait en France une censure féroce et que se multipliaient saisies judiciaires et condamnations pour « atteinte au moral de l’armée » ou « incitation à la désobéissance » à l’encontre des éditeurs, Nils Andersson permit à nombre des livres interdits dans l’Hexagone d’y circuler sous le manteau et d’y être lus. Cette « résistance éditoriale » à la guerre coloniale française par un intellectuel militant se qualifiant de « dreyfusard-bolchevik », résultait d’une entente avec les éditions de Minuit, fondées en 1942 dans la clandestinité par des résistants comme Vercors et dirigées depuis 1948 par Jérôme Lindon.

En 1958, Minuit publie La Question d’Henri Alleg, terrible témoignage d’une victime de la torture par l’armée française à Alger en 1957 qui deviendra un classique de la littérature française. Avant que le pouvoir n’ait le temps de le saisir, 65 000 exemplaires sont écoulés en 14 jours. A la demande de Jérôme Lindon, Nils Andersson, qui diffuse déjà des publications françaises en Suisse, prend le relais depuis Lausanne et le publie à son tour, fondant La Cité-Editeur. Il accompagne La Question d’ « Une victoire », texte puissant de Jean-Paul Sartre, dans lequel ce dernier se livre à une violente charge contre le gouvernement français et ses parachutistes, « seigneurs de la guerre aux terrifiants caprices ». Une grande quantité d’exemplaires est diffusée.

« C’est l’acte fondateur d’une maison d’édition dont le catalogue, riche de seulement 35 titres, aura un rayonnement international et un impact important sur l’histoire politique et intellectuelle », comme l’écrit Pascal Cottin. L’année suivante, c’est La Gangrène, publiée par Minuit, qui est saisi. Ce livre documente et dénonce également la torture désormais pratiquée dans l’Hexagone, par la police, ici dans les locaux de la DST, rue des Saussaies à Paris, en décembre 1958. La Cité le publie à Lausanne et en écoule beaucoup. Citons encore un autre livre important, quoique moins connu et jamais réédité. En 1959 toujours, Nils Andersson a édité Les Disparus. Le cahier vert : 175 témoignages de « disparitions » d’Algériens entre les mains de l’armée françaises recueillis par trois avocats à Alger en quelques jours, avant leur expulsion d’Algérie. Dans une postface, l’historien Pierre Vidal-Naquet analyse le système de terreur dont ont été victimes ces morts sous la torture ou par exécutions extra-judiciaires. Puis est publiée La Pacification, sous le nom d’Hafid Keramane. Ce dernier ouvrage est utilisé en 1960 comme colis piégé contre trois anticolonialistes belges. L’un d’entre eux, Georges Laperche, trouve la mort en ouvrant le paquet du livre qui lui était adressé.

Entre 1958 et 1962, les bureaux de La Cité voient passer des militants de la lutte anticoloniale, des membres des réseaux Jeanson ou Curiel – ces fameux « porteurs de valise » qui collectent et transportent fonds et faux papiers pour les agents du Front de libération national – et bon nombre d’Algériens présents en Suisse, mais aussi l’éditeur et écrivain français François Maspero. En 1961, Nils Andersson est arrêté à Lyon en compagnie de Robert Davezies, membre actif des réseaux d’aide au FLN. La même années, les locaux de La Cité sont plastiqués par l’OAS. Trop subversif pour les autorités helvétiques, Nils Andersson sera expulsé de Suisse en 1967.

L’ancien éditeur de La Cité a raconté la suite dans ses passionnantes Mémoires éclatées (Éd. d’en bas, 544 p. , 2017). Il tient un blog ici et un autre sur Mediapart.

L’Appel du 4 mars 2024

Indiquons enfin qu’en mars 2024, Nils Andersson a été à l’initiative d’un appel solennel aux plus hautes autorités de la République présenté lors d’une conférence de presse au siège de la Ligue des droits de l’Homme, qui a été signé par 25 associations et de nombreuses personnalités : « Pour la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans le recours à la torture durant la guerre d’Algérie ».

Le quotidien Le Monde a publié quelques mois plus tard, le 1er novembre 2024, une tribune collective signée de plus de 80 personnalités qui rendaient public leur soutien à cet « Appel du 4 mars ». Ils ont dit leur insatisfaction à la suite de la déclaration publiée par le président de la République, Emmanuel Macron, lors de sa visite, en septembre 2018, à Josette Audin, la veuve du jeune mathématicien Maurice Audin assassiné par les militaires français à Alger en juin 1957. Ils estiment que la reconnaissance par l’Elysée de cet assassinat et de la pratique de la torture institutionnalisée comme système par l’armée française à ce moment n’est pas suffisante. Car elle a été rendue possible par des dysfonctionnements de l’Etat et de ses institutions, militaires, administratives et judiciaires. Il n’est toujours pas répondu à la question : Comment, quelques années après la défaite du nazisme, a-t-il été possible que soit conceptualisée, enseignée dans les écoles militaires, pratiquée et couverte par les autorités de la République, une théorie qui l’impliquait, celle de la « guerre contre-révolutionnaire », avec l’aval ou le silence de l’Etat, de l’armée et de la justice ? Dans l’armée, ceux qui ont pratiqué la torture ont été promus et décorés, ceux qui l’ont dénoncée ont été condamnés, à l’exemple du général de Bollardière, et des mesures disciplinaires ont été prises à l’encontre de ceux qui ont alerté leur hiérarchie et dont les protestations n’ont pas été entendues. Paul Teitgen a démissionné de son poste de secrétaire général de la préfecture d’Alger, Robert Delavignette de celui de gouverneur général de la France d’outre-mer, Maurice Garçon de la Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels qui ne remplissait pas son rôle, et Daniel Mayer de son poste de député.

Signataire de l’« Appel du 4 mars », l’avocat Henri Leclerc, mort le 31 août 2024, a mis en garde : « L’Etat n’est ni fasciste ni raciste, mais il y a une faiblesse dans son contrôle qui permet le pire. » Sans un retour sur cette page sombre de l’histoire de la République française, rien ne la préserve de retomber dans les mêmes dérives. Il ne s’agit pas de repentance, mais d’un acte de réaffirmation et de confiance dans les valeurs dont se réclame notre nation. C’est cette claire reconnaissance au plus haut niveau de l’Etat et ce travail de recherches historiques et de réflexion juridique que demandent les citoyens et citoyennes signataires de l’« Appel du 4 mars » dont la liste complète est à retrouver ici. A ce jour, ils n’ont pas reçu de réponse.

Source : Histoire coloniale et postcoloniale – 15/03/2025 https://histoirecoloniale.net/nils-andersson-grand-temoin-de-la-resistance-a-la-guerre-dalgerie/

« Algérie, Sections Armes Spéciales », film déprogrammé par France Télévisions 

Réalisatrice : Claire Billet

 

Ce documentaire révèle comment et à quelle échelle l’armée française a fait usage de gaz chimiques interdits, pendant la guerre d’indépendance algérienne.

Les responsables de l’époque ont ordonné, testé puis utilisé à grande échelle des gaz toxiques pour éliminer les combattants de l’Armée de Libération Nationale (ALN) retranchés dans des grottes, notamment dans les Aurès et en Kabylie. Avec la torture et le déplacement des populations, la guerre chimique est le dernier élément d’une série de brèches dans les engagements internationaux de la France que celle-ci a bafoués pour mener sa guerre coloniale.

Enquête inédite sur ce scandale qui demeure encore largement méconnu aujourd’hui.

Enquête : Claire Billet, documentariste, et Christophe Lafaye, historien

Conseillère scientifique : Raphaëlle Branche, historienne

Production : Solent Production, France TV et la RTS 

Ce film devait être diffusé le dimanche 16 mars 2025 sur France 5, mais France Télévisions l’a déprogrammé, et l’a par la suite (solution médiane) mis en ligne. Vous le trouverez ci-dessous.

En complément : https://histoirecoloniale.net/le-film-algerie-sections-armes-speciales-sur-lusage-darmes-chimiques-par-larmee-francaise/

« Oradour algériens » – Avant Aphatie, René Vautier et Aimée Césaire

Peut-on comparer le massacre nazi d’Oradour-sur-Glane aux crimes coloniaux des Français en Algérie ? Bien avant Jean-Michel Aphatie, des militants anticolonialistes comme René Vautier et Aimée Césaire avaient déjà fait le parallèle.

Réalisation et écriture : Seumboy Vrainom

Histoires crépues – Mars 2025 – (5mn)

France-Algérie : la stratégie de la tension

« Riposte graduée », « humiliation », « rapport de force » : Bruno Retailleau fait monter la tension envers l’Algérie, dont le pouvoir ne cesse de se raidir. Quelles sont les vraies raisons de cette escalade ? Peut-on en sortir, et comment ?

Nejma Brahim, journaliste à Mediapart

Adlene Mohammedi, chercheur et enseignant en géopolitique 

Nadia Henni-Moulaï, journaliste, autrice d’Un rêve, deux rives (éd. Slatkine et Cie)

Akram Belkaïd, journaliste, rédacteur en chef du Monde diplomatique, auteur de L’Algérie en 100 questions. Un pays empêché (éd. Tallandier)

Mathieu Belezi, écrivain, auteur d’Attaquer la terre et le soleil, prix du livre Inter 2022 (éd. Le Tripode), et plus récemment de Moi, le glorieux (même éditeur)

Mediapart – 07/03/2025