Décembre 1960. Quand le peuple algérien se soulevait contre le colonialisme – Mathieu Rigouste

Un épisode oublié de la guerre d’indépendance. Après la « bataille d’Alger » en 1957, la France prétendait avoir anéanti toute opposition en Algérie. Mais le dimanche 11 décembre 1960 et les jours suivants, de vastes manifestations populaires sont organisées par les Algériens pour arracher leur indépendance. Cet épisode historique capital reste méconnu.

Le 11 décembre 1960, trois ans après la bataille d’Alger, de gigantesques manifestations du peuple algérien ont débordé la répression militaire française et changé le cours de la révolution algérienne. Alors que l’armée a largement démantelé le Front de libération nationale (FLN) dans les villes et les maquis de l’Armée de libération nationale (ALN), c’est une multitude de colonisés anonymes qui submerge l’ordre colonial. Avec souvent des anciens, et en première ligne des femmes et des enfants venus par milliers des bidonvilles et des quartiers ségrégués, le peuple algérien surgit au cœur des centres-villes coloniaux ; drapeaux, banderoles et corps en avant. La répression est comme d’habitude terrible, elle n’a cependant pas réussi à soumettre.

De Gaulle et le Front de l’Algérie française

Le général de Gaulle avait prévu un séjour en Algérie du 9 au 12 décembre 1960 pour promouvoir son projet néocolonial de « troisième voie », nommé « Algérie algérienne ». Calqué sur les modèles imposés dans les anciennes colonies françaises, il consistait à placer au pouvoir une classe dirigeante inféodée à l’État français et chargée de mettre en œuvre une nouvelle forme de vassalisation économique. Le chef de l’État voulait également sonder les troupes et les « pieds-noirs ». Mais son projet déchaîne la colère des colons « ultras ». Organisés dans un Front de l’Algérie française (FAF), ils ont l’appui de plusieurs régiments, mais également des réseaux dans la police, l’administration et l’industrie, jusqu’au sommet de l’État. Le FAF cherche à répéter le putsch militaire qui a installé de Gaulle en mai 1958 et fondé la Ve République, mais il veut désormais le faire chuter pour imposer « l’Algérie française ».

Le 1er décembre 1960, l’État français dispose de 467 200 militaires en Algérie, plus 94 387 supplétifs [1]. Le 8 décembre, de Gaulle annonce qu’un référendum sur l’autodétermination sera organisé le 8 janvier 1961. Le FAF diffuse des tracts appelant à la grève et à l’action. Toutes les forces en présence savent que les prochaines batailles détermineront soit le contenu et la forme de l’indépendance, soit celui de l’apartheid. Et si tout le monde s’attend au coup de force des Européens, personne n’a vu venir l’insurrection algérienne.

Un imposant dispositif de gendarmerie mobile et de policiers des compagnies républicaines de sécurité (CRS) est mis en place à Alger dès le 8 décembre. Les autorités civiles et militaires diffusent des appels au calme. Le lendemain, de Gaulle atterrit près de Tlemcen, accompagné de Louis Joxe et de Pierre Messmer ainsi que des généraux Paul Ély et Jean Olié. Il se rend à Aïn-Temouchent et veut éviter les grandes villes où les ultras sont nombreux et organisés. À Oran, Alger et dans plusieurs autres agglomérations, des commandos de jeunes Européens réussissent à bloquer les grandes artères, attaquent les forces de police et ciblent les lieux de pouvoir politique. Ils provoquent, humilient et attaquent aussi les colonisés dans la rue, souvent aux frontières des quartiers musulmans, des quartiers mixtes et des quartiers européens.

Contre les exactions des « ultras »

C’est donc rue de Stora (devenue rue des frères Chemloul) à Oran ou rue de Lyon (Belouizdad) à Alger, qu’éclatent, le 10 décembre, les premières révoltes et c’est là aussi que se forment les premiers cortèges de colonisés insurgés. Les soulèvements naissent ainsi sur les frontières urbaines de la ségrégation coloniale. Mostepha Hadj, un résistant oranais présent, raconte :

« Dès que l’alarme a été donnée, tous les habitants du quartier de M’dina J’dida se sont mis en autodéfense en scandant « Allahou Akbar », encouragés par les femmes et leurs youyous assourdissants. Elles s’étaient installées sur les terrasses et balcons en amassant toutes sortes de projectiles : bouteilles, gourdins, pierres, tuiles… prêtes à toute éventualité. (…) C’est avec une spontanéité extraordinaire que les Algériens des autres quartiers ont répondu à l’appel »[2].

L’armée et la police utilisent des haut-parleurs pour exiger des colonisés qu’ils rentrent dans leurs quartiers, tandis que les ultras sillonnent les rues et klaxonnent inlassablement le rythme ponctuant les cinq syllabes « Al-gé-rie-fran-çaise ». En réponse, et en dépit des barrages militaires et policiers qui bouclent plusieurs quartiers, les femmes accompagnent de leurs youyous les déplacements des colonisés, dont les cortèges affluent de partout.

À Alger, les premières révoltes à Belcourt sont suivies par celles des habitants du bidonville de Nador puis des autres zones misérables auto-construites depuis les années 1930. Depuis 1954, des migrants issus des montagnes et des campagnes dévastées par la guerre s’y sont également installés. Ils constituent une part importante des manifestants. Des cortèges de femmes prennent la tête des manifestations et enfoncent des barrages militaires, raconte Lounès Aït Aoudia, un manifestant qui habite toujours la Casbah [3]. Les soldats mitraillent nombre d’entre elles. Leurs haïks (NDLR. Long voile blanc.) rouges de sang et leur courage bouleversent les témoins.

En un après-midi, cette « flamme de Belcourt » s’étend aux quartiers populaires de la périphérie d’Alger puis, dans les jours qui suivent, elle gagne Constantine, Annaba, Sidi Bel Abbès, Chlef, Bône, Blida, Béjaïa, Tipasa, Tlemcen… Pendant près d’une semaine, des soulèvements, auto-organisés dans la spontanéité, se confrontent à des méthodes de répression impitoyables de la part de l’État et des ultras.

Fin de la « troisième voie » gaullienne

Les manifestations de décembre forcent le général de Gaulle à abandonner son projet de « troisième voie » et renvoient les ultras à leurs conspirations. Pour se légitimer, certains héritiers du FAF affirment que ces rassemblements dérivent de tentatives de manipulation par les structures d’action psychologique (sections administratives urbaines, SAU), qui auraient mal tourné et se seraient transformées en flambée de « racisme anti-européen ». Des sources militaires, le FLN et des témoins civils confirment que quelques membres des sections administratives spécialisées (SAS) ont autorisé la formation des manifestations spontanées en croyant pouvoir leur imposer des slogans gaullistes comme « Pour l’Algérie algérienne et contre les ultras ». Les colonisés s’en sont parfois saisis pour contourner le dispositif, passer ses barrages et manifester contre le projet néocolonial et pour l’indépendance réelle comme dans la majorité des villes, où aucune SAU n’est intervenue.

D’autre part, selon certains héritiers du FLN de l’époque, ce serait le parti, à travers la nouvelle zone autonome d’Alger (ZAA) qui aurait lancé les manifestations et trompé les SAU. Une partie de l’extrême droite française soutient d’ailleurs cette pseudo-thèse pour construire son mythe d’une alliance entre le FLN et l’État gaulliste.

Des réseaux plus ou moins formels de quelques dizaines de militants FLN avaient bien commencé à se reformer dans les grandes villes. Et selon l’historien algérien Daho Djerbal, jamais le FLN n’a « abandonné le principe de maintien d’une organisation du peuple ». Les réseaux de militants ne constituaient toutefois rien d’équivalent à cette organisation structurée et hiérarchisée qu’était la ZAA. On observe plutôt la participation de militants de base à des formes collectives et autonomes d’organisation populaire. Tandis que quelques « militants d’appareils », beaucoup moins nombreux, tenteront d’encadrer des manifestations, notamment en orientant les slogans pour que les cortèges refusent le mot d’ordre « Algérie algérienne » — qui pouvait passer pour un soutien au projet néocolonial gaulliste — et pour qu’apparaissent des banderoles, des écritures et des slogans pour « l’Algérie musulmane ».

Espoir d’indépendance

Dans de nombreuses villes fleurissent des slogans exigeant des « négociations avec le FLN », « Abbas [4] au pouvoir » ou « Vive le GPRA » qui ont fortement marqué les observateurs internationaux jusqu’aux débats à l’ONU. Bahiya M. [5], qui n’avait alors que 10 ans, a participé aux manifestations. Fille de collecteur de fonds pour le FLN, habitant à Belcourt, elle raconte :

« À un moment, on a compris qu’on avançait vers l’indépendance. Ma sœur s’est mise à confectionner des drapeaux à la maison. Elle cousait bien puisqu’elle avait eu une formation [de couture]. Ma mère avait une machine à coudre, il suffisait d’acheter du tissu blanc, vert et du rouge pour le croissant. Elle a fait beaucoup de drapeaux. Et bien sûr, on les avait ce jour-là ».

Malgré les récits de certains héritiers FLN, Bahiya M. assure que nombre de femmes cousaient des drapeaux bien avant décembre 1960 et que personne ne les encadrait pour le faire ni ne leur avait donné de consignes au soir du 10 décembre.

J’imagine que la plupart des femmes avaient œuvré, incognito, pour la révolution. En abritant des combattants, en donnant des sous… parce qu’elles voulaient voir leurs enfants vivre librement. Il y avait beaucoup d’enfants [dans les manifestations]. Et elles aussi, elles voulaient vivre librement. (…).

Les Algériennes ont été en première ligne des manifestations, elles ont aussi porté toute une part invisible de l’auto-organisation des soulèvements. Les enterrements des martyrs, qui permettaient de faire partir de nouvelles manifestations après les mises en terre, étaient aussi organisés principalement par des femmes. Dans le même temps, des centres de soins étaient installés dans des appartements ou des mosquées, avec des médecins et des infirmières algériens. Des cantines de rue permettaient à tous de manger dans les quartiers bouclés. Les journalistes français et étrangers, nombreux ces jours-là, étaient approchés par des adolescents, voire par des enfants, puis emmenés dans ce qu’ils ont décrit comme des « QG du FLN » où on livrait un point de vue indépendantiste sur les manifestations en cours.

Dans toutes ces expériences, on retrouve l’implication déterminée des femmes, des enfants et des anciens, et en général des civils jusque-là considérés comme la « population à conquérir » par les états-majors politiques et militaires français et par certaines fractions du FLN/ALN.

La libération arrachée par le peuple

Les fractions dominantes de l’armée française maintiennent que l’État s’est fait submerger parce qu’il n’aurait pas laissé l’armée s’engager dans la contre-insurrection. Or presque partout, les troupes ont été déployées et avec l’accord des autorités politiques, elles ont tiré et tué. Elles ont raflé et torturé. Les méthodes de guerre policière n’ont pas été empêchées par l’État gaulliste, mais débordées par le peuple algérien. Les autorités françaises reconnaissent alors officiellement 120 morts, dont 112 Algériens et des centaines de blessés, indique l’historien Gilbert Meynier. Des dizaines de colonisés, dont des adolescents ont été arrêtés, « interrogés » et pour certains ont « disparu » dans les jours et les semaines qui ont suivi.

Cette séquence a fortement influencé le schéma répressif mis en œuvre le 17 octobre 1961 à Paris par le préfet de police Maurice Papon, ancien « inspecteur général de l’administration en mission extraordinaire en Algérie »[6]. Des milliers d’Algériens de tous âges, venus des bidonvilles et des quartiers populaires pour manifester contre le colonialisme et le racisme seront raflés, tabassés, internés et plusieurs dizaines tués ce soir-là par la police en plein Paris. Décembre 1960 est aussi la scène historique qui irrigue la pensée de Frantz Fanon lorsqu’il commence à concevoir Les damnés de la terre, le mois suivant, comme nous l’a confirmé Marie-Jeanne Manuellan [7], une assistante sociale communiste et anticolonialiste avec qui il a travaillé et à qui il a dicté ses derniers livres.

Après les soulèvements, l’étau militaire est desserré dans les montagnes, Charles de Gaulle ordonne l’arrêt des exécutions, abandonne le projet de « troisième voie » et doit se résoudre à négocier avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) de Ferhat Abbas et Krim Belkacem. Le 19 décembre, l’Assemblée générale des Nations unies vote la résolution 1573 (XV) reconnaissant au peuple algérien son droit « à la libre détermination et à l’indépendance ».

Après plus de 130 années d’écrasement et cinq années d’une guerre impitoyable, le peuple algérien a réussi à prendre sa révolution en main. Depuis, de nouvelles classes dominantes ont rétabli une forme d’asservissement, tout en collaborant au néocolonialisme. Mais une histoire populaire des soulèvements de décembre 1960 — qui reste à approfondir — montre comment un peuple opprimé s’est organisé et a œuvré pour arracher sa propre libération[8].

[1] Alban Mahieu, « Les effectifs de l’armée française en Algérie », in Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse, Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, Éditions Complexe, 2001 ; p. 43-44.

[2] Mohamed Freha, Décembre 1960 à Oran, Éditions Dar El-Qods El-Arabi, 2013 ; p. 205.

[3] Entretien réalisé le 17 février 2014.

[4] Ferhat Abbas, chef nationaliste algérien, président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) de 1958 à 1961.

[5] Elle a requis l’anonymat. Entretien réalisé le 18 décembre 2014.

[6] Mathieu Rigouste, L’ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, La Découverte, 2009.

[7] Entretien réalisé le 19 octobre 2016.

[8] Un projet de livre, de documentaire et de site mettant à disposition l’ensemble des sources et des entretiens est en cours de réalisation.

Source : Algeria Watch – 15/12/2024 – https://algeria-watch.org/?p=95010

L’ Algérie : un géant aux pieds d’argile ou un phénix en devenir ? – Dr A. Boumezrag

Il est difficile de parler de l’Algérie sans évoquer ses paradoxes. Ce pays, riche d’une histoire millénaire, d’une jeunesse dynamique et de ressources naturelles inestimables, se retrouve pourtant enlisé dans des dysfonctionnements structurels qui freinent son envol.

Dans ce clair-obscur, où les espoirs de renaissance côtoient les ombres de l’immobilisme, l’Algérie oscille entre le poids d’un rentier passé et la promesse d’un avenir à réinventer. Alors, quel visage l’histoire retiendra-t-elle ? Celui d’un géant aux pieds d’argile ou celui d’un phénix renaissant de ses cendres ?

Les pieds d’argile : rente et inertie

L’ Algérie repose sur un modèle économique hérité des années d’indépendance, où la rente pétrolière et gazière est devenue le pilier d’une économie hyper-centralisée. Avec plus de 90 % des recettes d’exportation provenant des hydrocarbures, cette dépendance chronique a non seulement fragilisé le pays face aux fluctuations des prix mondiaux, mais aussi nourri une culture de l’immobilisme.

Pourquoi innover lorsque la matière pétrolière assure le minimum vital ? Pourquoi diversifier lorsque l’État, omniprésent mais inefficace, subventionne l’immédiat au détriment du long terme ?

Ajoutez à cela une bureaucratie pléthorique, souvent décriée pour son opacité et ses lenteurs, et vous obtenez une machine étatique qui étouffe les initiatives au lieu de les encourager. Ce système a créé un terrain fertile pour la corruption et la cooptation, deux fléaux qui, en détournant les ressources nationales, alimentent le désespoir d’une jeunesse en quête de perspectives.

Les cendres du Hirak : une nation en ébullition

Pourtant, l’Algérie n’est pas condamnée à l’inertie. Le Hirak, ce mouvement populaire qui a émergé en 2019, a révélé une société civile consciente de ses défis et déterminée à exiger le changement. Si le système politique a tenté d’endiguer cette vague en multipliant les promesses de réforme, il n’en demeure pas moins que l’esprit du Hirak continue de nourrir une aspiration collective à une Algérie meilleure : plus transparente, plus inclusive, et surtout , plus ambitieuse.

Cependant, la route est semée d’embûches. La répression des voix dissidentes, combinée à une absence de vision économique claire, risque de transformer ce printemps démocratique en simple parenthèse historique. Mais dans chaque crise, une opportunité se cache, et l’Algérie, grâce à sa résilience, pourrait encore surprendre.

Le phénix en devenir : l’urgence de la transformation

Le potentiel de l’Algérie est immense. Sa jeunesse, majoritaire, est éduquée, connectée au monde et avide de contribuer à l’essor de son pays. Ses ressources naturelles, bien que menacées par la transition énergétique mondiale, pourraient servir de levier pour financer des projets structurants, notamment dans les énergies renouvelables, l’agriculture durable et l’économie numérique.

Mais pour que ce phénix renaisse, des réformes profondes et courageuses sont indispensables :

Diversifier l’économie : rompre avec la dépendance aux hydrocarbures en investissant massivement dans les secteurs porteurs, comme l’agriculture, le tourisme ou encore l’industrie technologique.

Réformer l’État : réduire la bureaucratie, digitaliser les services publics et restaurer la confiance dans les institutions.

Investir dans la jeunesse : offrir des perspectives d’emploi et favoriser l’émergence d’un entrepreneuriat dynamique.

Promouvoir la transparence : lutter contre la corruption en adoptant des mécanismes de gouvernance modernes et inclusifs.

À la croisée des chemins

L’ Algérie est à un moment charnière de son histoire. Le choix est clair : persister dans une posture de géant aux pieds d’argile, fragile et vulnérable, ou embrasser une transformation qui ferait d’elle un acteur majeur de la Méditerranée et de l’Afrique. Le temps presse, car le monde n’attend pas, et les opportunités perdues pourraient devenir autant de regrets.

Dans le clair-obscur algérien, les monstres du passé doivent céder leur place à des bâtisseurs de lumière. Si l’Algérie parvient à se réinventer, elle pourrait bien écrire l’une des pages les plus inspirantes de ce siècle. Et, tel un phénix, montrer au monde que même les défis les plus immenses peuvent être transformés en tremplins vers la grandeur.

Une Algérie à réinventer

L’Algérie, à la croisée des chemins, porte en elle le potentiel d’une transformation historique. Entre le poids d’un passé rentier et les aspirations d’une jeunesse avide de changement, le pays à toutes les cartes en main pour écrire un nouvel avenir. Mais cette métamorphose ne pourra s’opérer sans une prise de conscience collective, un leadership audacieux et des réformes profondes.

Le choix reste d’entretenir l’illusion d’un géant solide, mais vulnérable aux secondes secondes du temps, ou d’embrasser pleinement le rôle d’un phénix, symbole de renaissance et de résilience. Une renaissance qui exigera non seulement des sacrifices, mais aussi une foi inébranlable dans la capacité des Algériens à surmonter les obstacles les plus tenaces.

Dans le tumulte du monde actuel, où les défis s’entrelacent aux opportunités, l’Algérie peut se lever, non pas comme une nation contrainte par son passé, mais comme une force renouvelée, prête à affronter l’avenir avec courage et détermination.

L’histoire appartient à ceux qui osent la réécrire. « L ’Algérie se trouve face à un choix historique : persister dans un modèle du passé, où l’immobilisme conforte les privilèges, ou embrasser une révolution de l’audace, où la transparence, l’innovation et la jeunesse deviennent les moteurs. d’une renaissance collective. »

Source : Le Matin d’Algérie – 19/12/2024 –https://lematindalgerie.com/lalgerie-un-geant-aux-pieds-dargile-ou-un-phenix-en-devenir/

La Fédération de France du FLN ou l’immigration comme enjeu politique

Les chercheurs et les historiens ont depuis longtemps cherché à explorer les rouages internes du FLN – élément décisif pour une meilleure compréhension de la guerre d’Algérie. Mais un tel projet s’est souvent révélé difficile dans la mesure où, par définition, les organisations clandestines cherchent à garder secrètes leurs activités ; d’autre part, nombre des archives du FLN ont été détruites ou dispersées, tandis que dans le même temps l’État algérien et des acteurs importants du conflit ont eu tendance à imposer une lecture officielle ou partiale de l’histoire du mouvement nationaliste. Néanmoins, ces dernières années, les archives du Service historique de l’armée de terre (SHAT) ont permis de mieux appréhender la complexité du FLN. Celles-ci comprennent un grand nombre de documents internes au mouvement nationaliste saisis par l’armée française. Par ailleurs, l’ouverture (par dérogation) des archives de la préfecture de police de Paris (APP) relatives à la guerre d’Algérie offre désormais de nouvelles possibilités d’investigation concernant le FLN en France métropolitaine. Des documents précieux qui permettent d’examiner le fonctionnement interne de la fédération de France du FLN à travers l’étude d’un événement particulièrement controversé – l’organisation des manifestations parisiennes du 17-20 octobre 1961 qui s’achevèrent par l’une des répressions les plus sanglantes de l’histoire européenne moderne.

Aujourd’hui, les jeunes (issus de l’immigration algérienne) ne se contentent plus des discours officiels : ils en appellent à une nouvelle génération de politiques de mémoire. L’accès à la matière historique et à l’écriture mémorielle doit être démocratisé. Ainsi les récits sur le passé pourraient-ils trouver de multiples points d’ancrage dans leur environnement personnel et quotidien.

En plus de l’école et de la recherche, le monde de la culture est particulièrement attendu. Ils pointent leur besoin de rendre plus accessibles les connaissances afin de mieux les assimiler.

Les films, les expositions, les documentaires et les podcasts, ou encore les livres traitant de la colonisation de l’Algérie doivent pouvoir trouver les moyens institutionnels et financiers de et de faire circuler de nouvelles images et de nouveaux récits. Au-delà des conditions d’écriture de l’histoire et de la mémoire, les jeunes cherchent des opportunités de dialogues et d’échanges entre les mémoires, entre les générations, entre les jeunes eux-mêmes et avec l’Algérie et les Algériens. Ils insistent sur la nécessité de pouvoir entendre d’autres récits et de faire dialoguer ceux-ci dans l’espace public, notamment avec les générations les ayant précédés. La segmentation des espaces de leur vie quotidienne entrave aussi la possibilité de se rencontrer entre eux, au-delà de leurs seuls cercles ou réseaux familiers. Cette demande invite le politique à offrir un cadre institutionnel qui puisse créer des temps, des espaces et des outils multipliant les occasions de rencontres : renforcement de l’éducation populaire et des temps associatifs et collectifs, visites en commun de musées et de mémoriaux, témoignages en classe ou en ligne, voyages en Algérie, apprentissage des langues.

Les liens avec l’Algérie et les Algériens ne sont pas oubliés. La plupart des jeunes connaissent mal le pays de leurs parents/grands parents, sa géographie, son histoire et sa société contemporaine. L’Algérie semble absente de leur carte mentale. Elle n’est pas une destination touristique et son patrimoine culturel est méconnu. Beaucoup de jeunes s’en désintéressent et confient ne pas savoir de quelle façon développer une curiosité pour ce pays. Ce désintérêt cohabite avec un fort désir de découverte, d’apprentissage, de circulation et de dialogue notamment avec la jeunesse in situ dont les aspirations démocratiques s’exprimaient pendant le Hirak (2019-2021), soulèvent admiration et espoir. Les jeunes descendants notamment, sont nombreux à espérer y voyager pour découvrir la culture et parfois se reconnecter à l’histoire familiale. Des deux côtés de la Méditerranée, des politiques publiques doivent pouvoir organiser une libre circulation et une coopération permettant des échanges entre les jeunes et entre les deux pays. Près de trois quarts des jeunes Français (69%) pensent que les relations entre la France et l’Algérie doivent être améliorées pour construire un avenir partagé. Loin des rancœurs du passé, ils ont conscience que l’avenir de la France et de l’Algérie reste lié. Ils invitent à construire une relation d’un nouveau type à l’Algérie et aux Algériens qui doit être désormais une relation d’égalité, débarrassée de l’arrogance de la domination française et de l’instrumentalisation des rancœurs coloniales. Une relation où le rapport à l’Autre se construirait sur la considération, la curiosité, et l’empathie. Gageons que cela sera possible. C’est ce que veut en tout cas faire entendre la génération des descendants, la génération du dépassement.

Source : Histoire coloniale et postcoloniale https://histoirecoloniale.net/reflexions-sur-la-guerre-dindependance-algerienne-3-la-federation-de-france-du-fln/

Algérie-France : nouvelle crise diplomatique

L’ ambassadeur de France à Alger convoqué et averti par le ministère des AE (ce jour, 15/12/2024)

L’ ambassadeur français en Algérie, Stéphane Romatet, a été convoqué au ministère des Affaires étrangères. Le quotidien gouvernemental El Moudjahid qui en a fait un compte rendu repris par la radio nationale nous apprend que « des avertissements fermes ont été adressés » à l’ambassadeur de France à Alger. Ci-dessous le contenu :

« L’ Algérie a exprimé son refus catégorique d’accepter à partir de maintenant les pratiques et actes de chantage émanant des autorités françaises et de leurs alliés, notamment des groupes de pression et des résidus de l’extrême droite.

Lors de cet entretien, des avertissements fermes ont été adressés à l’ambassadeur français, lui demandant de les transmettre aux autorités françaises, suite à l’intensification des actes hostiles commis par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française, visant les institutions de l’État algérien dans le but de déstabiliser le pays et nuire à ses intérêts.

Ainsi l’ambassadeur français a été informé que, compte tenu de la gravité des faits avérés, étayés par des preuves irréfutables, l’Algérie ne restera pas passive et que Paris doit s’attendre à des ripostes vigoureuses. »

Cette mise en garde qui renseigne sur la gravité des relations entre Alger et Paris arrive suite à l’arrestation et l’emprisonnement de Boualem Sansal à la mi-novembre dernier. Une campagne virulente a été menée par des franges de l’extrême droite pour réclamer sa libération. La violence et la haine exprimées par l’extrême droite ne justifie aucunement le placement en détention provisoire de Boualem Sansal (75 ans).

En réalité, l’affaire de l’écrivain Boualem Sansal a révélé les pratiques du pouvoir en grand jour et a une lumière crue sur les violations des droits humains et de l’État de droit. Esprit libre, Boualem Sansal, arbitrairement arrêté, s’ajoute malheureusement au 215 détenus d’opinion qui croupissent dans les prisons.

Enfin, nous rappelons que l’Algérie a rappelé son ambassadeur l’été dernier suite au soutien d’Emmanuel Macron pour le plan d’autonomie de Mohammed VI pour le Sahara occidental. Il y a quelques jours, c’est la chaîne de télévision publique Al24 qui diffuse un documentaire accusant les services français de tentative de déstabilisation de l’Algérie. Malgré la gravité des accusations, ce document n’a pas recueilli de réaction officielle française.

Que fera la France ? Rappellera-t-elle son ambassadeur ?

Source : Le Matin d’Algérie – 15/12/2024 – Sofiane Ayache – https://lematindalgerie.com/lambassadeur-de-france-a-alger-convoque-et-averti-par-le-ministere-des-ae/

La voie étroite des démocrates algériens pour soutenir Boualem Sansal –  Arezki Aït-Larbi

Dans ce combat éthique qui interpelle les consciences, il est du devoir des démocrates d’être en première ligne pour la libération de Boualem Sansal et de tous les prisonniers d’opinion, revendique l’éditeur algérien Arezki Aït-Larbi.

Rappelons d’abord quelques évidences que les régimes autoritaires semblent ignorer. Les propos d’une personnalité publique sont souvent discutables, parfois choquants. Mais ils relèvent toujours du débat démocratique. Aux outrances – réelles ou supposées – de Boualem Sansal, les autorités algériennes auraient dû opposer la force de l’argument d’un discours contradictoire. Sur l’histoire de l’Algérie et la géographie du Maghreb. Sur le droit des Palestiniens, chassés de leurs terres et soumis à une impitoyable oppression coloniale qui dure depuis plus de soixante-quinze ans. Sur le Sahara-Occidental et l’impuissance de l’ONU qui peine, depuis 1991, à organiser un référendum d’autodétermination.

Nouveau palier dans l’escalade répressive qui a fermé tous les espaces de libre expression, l’emprisonnement d’un écrivain adulé à l’étranger pour son talent, mais chahuté dans son pays pour une maladroite désinvolture, est un clou de plus sur le cercueil de nos libertés bafouées. Pour préparer le bûcher de la « trahison », on convoque l’histoire coloniale et on réveille, une fois encore, les martyrs de la guerre d’indépendance pour légitimer les dérives liberticides d’un pouvoir sans boussole, qui navigue au gré des tempêtes.

Derrière l’écume soulevée par l’affaire Sansal, se profilent les recompositions dans le sérail qui peinent à se stabiliser. Si le pouvoir et les islamistes se sont affrontés violemment durant la guerre civile des années 1990, ils jouent maintenant en duo une partition autoritaire pour neutraliser tout frémissement incontrôlé dans la société, toute contestation autonome. Des partis laïques, des syndicats et des associations libres sont suspendus ou dissous. La presse privée, qui a connu ses heures de gloire après l’ouverture en trompe-l’œil de 1989, est tenue en laisse par la publicité sous contrôle de l’État.

Même les cafés littéraires sont soumis à l’autorisation d’une commission de lecture qui a fini par tomber le masque quant à ses fantasmes idéologiques. Au Salon international du livre d’Alger, les «manuels du parfait salafiste» subventionnés par l’Arabie Saoudite, Mein Kampf de Hitler et les Mémoires de Mussolini sont à l’honneur depuis quelques années. Moins cotés et suspects de subversion, des auteurs critiques, notamment parmi les universitaires, sont blacklistés par les miliciens de la pensée, au mépris de la loi, qui ne reconnaît de pouvoir de censure qu’au seul magistrat.

Sansal est l’otage des forces extrémistes algérienne et française

Dans la crise diplomatique entre les gouvernements algérien et français, Boualem Sansal est l’otage des forces centrifuges de leurs extrémistes respectifs. D’un côté comme de l’autre, les surenchères, en apparence antagonistes mais qui se confortent mutuellement, convergent vers un même objectif : le divorce entre les deux pays pour en finir avec les querelles récurrentes.

Pour Emmanuel Macron, fragilisé par une dissolution suicide, la pression de l’extrême droite algérophobe a eu raison de sa neutralité dans le conflit du Sahara-Occidental ; il finira par s’aligner sur la position marocaine, déclenchant ainsi la colère des Algériens. Ce casus belli signe la fin de la lune de miel avec le président de la République algérienne, Abdelmadjid Tebboune, et conforte les islamo-nationalistes dans leur croisade contre « les traîtres francophones ».

Depuis la mise au pas, en 2020, du Hirak, le mouvement populaire pour le changement qui avait précipité la chute du président Bouteflika, son successeur multiplie les gages de bonne foi aux islamistes domestiqués, qui ont négocié leur soutien contre une influence grandissante dans les institutions. Avec une hégémonie déjà prégnante dans l’école, la justice et la culture, les partisans de l’unicisme arabo-islamique exigent davantage de concessions.

En accédant à leurs revendications, le pouvoir a pris le risque de mettre en péril les équilibres précaires d’une société plurielle, qui peine à retrouver ses marques après une décennie de terreur islamiste et de répression militaire qui n’a pas toujours fait dans le détail. Le résultat ne peut qu’attiser les frustrations : la liberté de conscience n’est plus garantie par la Constitution de 2020 ; le berbère, reconnu en 2016 comme « langue nationale et officielle », est réduit à son expression folklorique ; le français, ce « poison qui pollue l’âme nationale », est déjà banni au profit de l’anglais.

Une régurgitation de l’histoire qui s’impose

Cette guerre en différé contre « la France, ennemi d’hier et d’aujourd’hui », est une régurgitation de l’histoire qui a fini par s’imposer dans l’actualité. Héritière des oulémas, ce mouvement réformiste religieux qui s’était accommodé de l’ordre colonial s’il « respecte l’islam et la langue arabe », la coalition islamo-nationaliste peine à redorer un blason « révolutionnaire » qui est loin d’être glorieux. Dans cette fièvre patriotique, le récit consensuel sur la guerre d’indépendance est déboulonné par un révisionnisme outrancier.

Pour les historiens maison, qui tentent de réécrire le passé à l’aune des alliances du présent, l’insurrection du FLN [le Front de libération nationale, ndlr], le 1er novembre 1954, aurait « été ordonnée par Djamel Abdel Nasser, le raïs égyptien, et planifiée par les oulémas », qui avaient pourtant condamné le déclenchement de la lutte armée comme « une aventure irresponsable ». Même Djamila Bouhired, l’héroïne de la bataille d’Alger en 1957, est accusée par une courtisane aux protections haut placées d’être « une création de la France ».

Au cœur de ces luttes gigognes où les extrémistes des deux rives sont à la manœuvre, Boualem Sansal risque d’être broyé par la conjonction de calculs sournois. Le baiser de Judas de Marine Le Pen, de Philippe de Villiers, d’Eric Zemmour, et de tous les revanchards qui feignent de le défendre pour « faire plier l’Algérie », ne réussira en fin de compte qu’à exciter la répression, encourager le ralliement des indécis derrière les commissaires politiques qui ont dressé l’échafaud, et serrer un peu plus la corde autour du cou de l’écrivain.

Balisée par ces surenchères en miroir sur fond de guerre mémorielle, la voie de la justice et de la raison est étroite. Dans ce combat éthique qui interpelle les consciences, le devoir des démocrates algériens est d’être en première ligne. Pour la libération de Boualem Sansal et de tous les prisonniers d’opinion. Pour l’avenir de l’État de droit et le respect de nos libertés. Et pour l’honneur de l’Algérie, qui est « un idéal plus vaste que le cachot qu’elle est en train de devenir » (1).

(1) Extrait de l’Appel international à la libération du journaliste Ihsane el-Kadi  signé, en mai 2023, par une dizaine de personnalités, dont Noam Chomsky et Annie Ernaux, prix Nobel de littérature.

Arezki Aït-Larbi est journaliste free-lance, directeur de Koukou Éditions, maison d’édition algérienne spécialisée dans l’essai politique, le témoignage historique et le document d’actualité.

Source : Libération 07/12/2024 – https://www.liberation.fr/idees-et-debats/la-voie-etroite-des-democrates-algeriens-pour-soutenir-boualem-sansal-par-arezki-ait-larbi-20241207_Z3HEJ6YISFFU5C6LUKXHS2PCUE/?fbclid=IwY2xjawHCRDZleHRuA2FlbQIxMAABHW1GG8Y4QViWKJGwJEQ590fC1RkElILgIVcijOMbAdy_AxFRxPKymLQF5g_aem_FeNHSkytsK7PulSUfSqNqg

Une guerre dans la guerre : la lutte FLN/MNA en France – Kader Abderrahim

Un combat fratricide

La Fédération de France du F.L.N. a joué un rôle déterminant durant la guerre de libération nationale. Sans son concours financier, le Front de Libération Nationale n’aurait pas été ce qu’il fut. Cependant, la crise, interne, du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), débouche sur une crise externe avec le Front de libération national (FLN), ce qui a généré des tensions dans un contexte dans lequel les messalistes étaient majoritaires dans l’émigration. Des cellules FLN sont constituées dans toutes les régions françaises sous la férule de Mohamed Boudiaf. C’est à partir de cette implantation, nouvelle, dans l’émigration algérienne que le FLN engage, une autre guerre, d’abord politique, puis militaire, pour l’hégémonie au sein des Algériens de France en opposition au MTLD.

Tout commence avec la venue de Mohamed Boudiaf en Janvier 1955 au Luxembourg. Émissaire du FLN, ce dernier organise un meeting rassemblant quelques dizaines d’Algériens auxquels il donne quelques orientations en clarifiant certains points sur le déclenchement de la lutte armée. Son périple le conduit également en Suisse, où il s’entretiendra avec Mourad Terbouche, responsable régional du MTLD, qu’il charge de constituer, à Paris, le premier noyau de la future Fédération. Les deux hommes n’eurent aucune peine à se mettre d’accord sur l’importance et l’urgence qu’il y avait à implanter une puissante organisation en France. Mohamed Boudiaf remit alors à Mourad Terbouche une importante somme d’argent et un exemplaire de la Proclamation du 1er novembre 1954.

De retour à Paris, Mourad Terbouche rencontre Boudjema Hamimi, un ancien responsable du MTLD de Nancy. Les deux hommes décident d’organiser une rencontre élargie à quelques anciens militants du MTLD.

L’hexagone devient le théâtre d’un affrontement meurtrier entre le Front de libération nationale (FLN) et son rival, le Mouvement nationaliste algérien (MNA), héritier de l’Etoile nord-africaine créée, en 1926 à Paris, par Messali Hadj. Une guerre fratricide qui aurait fait, selon les chiffres officiels des autorités françaises,près de 4000 morts et 10 223 blessés dans les deux camps entre 1956 et 1962. Éliminé physiquement par le FLN, le MNA sera ensuite effacé de la mémoire algérienne.

En France, des cadres de l’Union des syndicats des travailleurs algériens (USTA), proches du MNA, seront assassinés de 1957 à 1959 par le FLN. Le 17 septembre 1959, un groupe armé du Front de libération nationale (FLN), tentera d’assassiner Messali Hadj, le dirigeant nationaliste, à Gouvieux, dans l’Oise. Cet attentat manqué contre le pionnier de la cause indépendantiste algérienne constitue un épisode marquant de la compétition violente que se livrent les organisations nationalistes, qui sont passées de la rivalité à un combat fratricide, en lutte contre le colonialisme français.

L’argent de l’immigration 

Durant toute la guerre d’Algérie, la lutte entre le FLN et le MNA est féroce pour obtenir l’adhésion des Algériens travaillant en France. En jeu, s’imposer à la table des négociations avec de Gaulle et surtout mettre la main sur l’argent récolté au sein de l’immigration, qui finance l’achat d’armes du FLN. L’impôt FLN est d’environ 8% du salaire. En 1960, il représente 80% du budget du FLN. Un individu qui persiste à refuser de payer sa cotisation mensuelle, au FLN, peut être éliminé par des commandos du mouvement.

Le FLN, minoritaire en 1955, s’impose peu à peu par la force contre son rival en France : règlements de comptes sanglants (mitraillages de cafés, liquidations physiques, attentats ciblés) vont faire plusieurs milliers de morts et blessés. Pour se protéger, les partisans du MNA se regroupent par quartiers ou par hôtels. Certaines rues comprennent des hôtels FLN ou des hôtels MNA. La police effectue des barrages la nuit sur certains axes pour séparer les deux camps et, à la fin de la guerre, pour protéger le MNA. Sorti vainqueur de son affrontement avec le MNA, le FLN mène en parallèle la lutte contre les services de police français.

30 années de lutte nationaliste 

Messali Hadj incarne de 1926 à 1958 la cause nationaliste malgré les persécutions politiques infligées par les gouvernements français, de droite comme de gauche. Son prestige commence toutefois à pâlir avec son refus de rejoindre une organisation constituée en 1955 « à ses dépens », selon lui: le Front de libération nationale. Après la guerre, la propagande du gouvernement algérien ne glorifiera que le FLN, le MNA est absent de l’historiographie algérienne.

C’est deux mois après l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle le 1er juin 1958, que les dirigeants de la fédération de France du FLN, réunis à Cologne en Allemagne, décident d’étendre la lutte armée sur le territoire français. Le FLN lance en septembre ses premières attaques contre les dépôts de carburant. Les stocks de Marseille, Rouen, Gennevilliers, Vitry, Toulouse sont en flammes. Des voies ferrées sont sabotées, des commissariats attaqués.

Ces quelque 250 attaques et sabotages feront 88 morts et 180 blessés. Le préfet de Paris Maurice Papon décrète et impose en octobre 1961 un couvre-feu aux Algériens. Afin de le dénoncer, le FLN lance un appel à manifester à Paris, le 17 octobre 1961. La manifestation pacifique sera violemment réprimée.

Source : Histoire coloniale et postcoloniale

https://histoirecoloniale.net/reflexions-sur-la-guerre-dindependance-algerienne-2-la-lutte-fln-mna-en-france/

En complément : Les éditions Syllepse ont réédité en octobre 2024 un ouvrage majeur publié en 1981 et épuisé depuis longtemps du grand historien algérien Mohamed Harbi, Le FLN. Mirage et réalité. Des origines à la prise de pouvoir (1945-1962).

https://www.syllepse.net/fln-mirage-et-realite-_r_65_i_1096.html

Réédition : Le corps d’exception. Les artifices du pouvoir colonial et la destruction de la vie – Sidi Mohammed Barkat

Préface : Kaoutar Harchi

Présentation de l’éditeur

« Parmi les membres de la nation, il y a ceux qui lui seraient originellement liés et en seraient les membres authentiques – ce sont les garants de son intégrité – et puis les autres, dont le lien est construit et donc artificiel. »

À l’époque coloniale, le corps indigène est soumis à un état d’exception permanent. Ce procédé est au cœur de l’institution de l’indigénat. Sur le plan juridique et politique, le sénatus-consulte rend le droit musulman et les coutumes des colonisés incompatibles avec la moralité républicaine, tandis que sur le plan culturel, le colonisé est représenté comme indigne de la qualité de citoyen – bien qu’il soit membre de la nation française. Inclus en tant qu’exclu, il se trouve assujetti à un régime légal qui établit au cœur de l’État de droit une suspension du principe d’égalité.

Cette exception juridique et politique n’a toutefois pas disparu avec la décolonisation, comme le montre la fréquence des crimes policiers dans les quartiers populaires ou le caractère xénophobe et répressif des lois successives sur l’immigration. Les représentations discriminantes demeurent vivaces dans la société française d’aujourd’hui, et la violence institutionnalisée s’abat depuis des décennies sur les populations issues des anciennes colonies. Le Corps d’exception fait la démonstration implacable de cette continuité.

Sidi Mohammed Barkat est philosophe. Ancien directeur de programme au Collège international de philosophie, il a dirigé l’ouvrage collectif Des Français contre la terreur d’État. Algérie 1954‐1962 (Reflex, 2002) et a publié plus récemment Le Travail en trompe-l’œil (Rojos, 2015).

Éditions Amsterdam – 176 pages – ISBN 9782354802929

http://www.editionsamsterdam.fr/le-corps-dexception-2/

Le Maghreb des ondes, un enjeu colonial

France CultureUn documentaire de Hajer Ben Boubaker , réalisé par Thomas Dutter

La radio du passé dans les pays du Maghreb constitue un monde disparu, paysage invisible qui n’a pas été enregistré. Pourtant, le départ de cette série est la découverte du fond d’archives radiophoniques de l’époque coloniale dans les archives françaises. Au sortir de la colonisation, une partie des archives de ces pays, qu’ils s’agissent d’œuvres d’arts, d’archives sonores et administratives, se sont retrouvées en France laissant un néant dans la mémoire collective de cette région. Arthur Asseraf explique : « les autorités françaises considèrent que ce sont eux qui ont produit ces émissions et donc les archives leur appartiennent. Et ça, ça fait partie d’un problème plus large. Il y a un grand débat entre les autorités françaises et algériennes autour de à qui appartiennent ces archives ? (…) » 

Épisode 1/8 : Le mal d’archives (29 min)

Au départ de cette série, un fond d’archives radiophoniques de l’époque coloniale. Qu’est-ce que ces traces du début du 20ᵉ siècle racontent de la relation du Maghreb à la France ?

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/le-mal-d-archives-3802484

Épisode 2/8 : Du café au poste (28 min)

Comment se constitue le premier public d’auditeurs ? En revenant sur des lieux importants et des moments importants, l’épisode nous informe sur les premiers afficionados de la radio autant que sur l’histoire musicale de la région.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/du-cafe-au-poste-4862823

Épisode 3/8 : La guerre des ondes (29 min)

Si l’on se souvient de la guerre des ondes entre Radio Londres et les radios sous contrôle nazi, peu se rappellent qu’une guerre des ondes entre puissances européennes a ciblé les auditeurs arabophones durant la Seconde Guerre mondiale.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/la-guerre-des-ondes-8244256

Épisode 4/8 : Le poste colonial (29 min)

Face à la propagande fascistes et nazies à l’adresse des auditeurs du Maghreb, quelle est la réponse française ?

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/le-poste-colonial-5015925

Épisode 5/8 : Ici la voix de l’Algérie libre et combattante (29 min)

Face au contrôle des ondes par la puissance coloniale française, le FLN lance, au début de la guerre d’indépendance algérienne, sa propre radio « Ici la voix de l’Algérie libre et combattante ».

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/ici-la-voix-de-l-algerie-libre-et-combattante-6314478

Épisode 6/8 : L’ incroyable monsieur Hachelaf (28 min)

Ahmed Hachelaf, plus grand producteur de musique arabe en Europe, a commencé sa carrière en tant qu’animateur radio sur les ondes françaises. Qu’est-ce qu’un destin dit de l’histoire de la radio et de l’histoire culturelle de l’immigration ?

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/l-incroyable-monsieur-hachelaf-9470873

Épisode 7/8 : Guerre d’Algérie, sabotages radiophoniques (28 min)

Aux dernières années de la guerre d’Algérie, la radio devient un objet pour les partisans de l’Algérie française qui n’hésitent pas à défier les autorités en sabotant les ondes.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/guerre-d-algerie-sabotages-radiophoniques-7057549

Épisode 8/8 : Indépendances radiophoniques (30 min)

Les indépendances tout juste acquises laissent place à une question importante : quelle est la place et le rôle des radios nationales dans ces jeunes pays indépendants ?

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/independances-radiophoniques-9074599

Guerre dans les djebels. Société paysanne et contre-insurrection en Algérie, 1918-1958 – Neil MacMaster

Disséquant le tissu social des communautés rurales de l’Ouarsenis et du Dahra et leur évolution sociopolitique de la fin de la Première Guerre mondiale à la lutte de libération, Neil MacMaster propose une analyse rigoureuse de la façon dont la société paysanne de ce territoire névralgique, qui sera l’un des poumons de la Wilaya IV historique, va basculer dans le nationalisme indépendantiste, apportant un soutien vital aux maquis de l’ALN.

Neil MacMaster est un éminent historien britannique. A partir des années 1980, il a commencé à s’intéresser à l’histoire de l’Algérie durant la période coloniale. On lui doit, entre autres, un ouvrage important coécrit avec Jim House sur les massacres du 17 octobre 1961 : Paris 1961 : les Algériens, la terreur d’État et la mémoire (2006). En 2020, il a publié Guerre dans les djebels. Société paysanne et contre-insurrection en Algérie, 1918-1958. Le livre est d’abord paru en Angleterre chez Oxford University Press.

En janvier 2024, la traduction française de l’ouvrage, réalisée par Houria Delourme-Bentayeb, a été publiée par les éditions du Croquant, à Paris, dans la collection « Sociétés et politique en Méditerranée », dirigée par Aïssa Kadri. C’est d’ailleurs le Professeur Kadri qui en a signé la préface. Le livre vient d’être réédité par Chihab, en Algérie, et il était disponible au SILA. Nous ne pouvons que vous recommander de vous ruer vers les librairies pour l’acquérir. Car Guerre dans les djebels est vraiment une œuvre magistrale.

Et bien que ce soit avant tout un travail de recherche historiographique qui s’étale sur plus de 600 pages, il se lit avec aisance. Nous avons affaire ici à une enquête historique extrêmement fouillée, qui s’impose à la fois par sa richesse documentaire et par l’originalité de sa démarche méthodologique. Neil MacMaster a le mérite de faire la lumière sur un aspect crucial de la période coloniale : le rôle de la paysannerie dans la lutte contre l’occupation française.

« Une réserve inépuisable de combattants et de guides »

L’auteur a étudié avec une précision clinique la société paysanne en Algérie en adoptant une méthodologie qui se revendique des « Subaltern Studies » qui proposent une approche de l’histoire « par le bas ». Neil MacMaster a concentré son enquête sur un territoire particulier : la région du Chélif en l’occurrence.

Disséquant le tissu social des communautés rurales de l’Ouarsenis et du Dahra et leur évolution sociopolitique de la fin de la Première Guerre mondiale au déclenchement de la lutte de libération, l’historien britannique propose une analyse rigoureuse sur la façon dont la société paysanne de ce territoire névralgique, qui sera l’un des poumons de la Wilaya IV historique, va basculer dans le nationalisme indépendantiste, apportant un soutien vital aux maquis de l’ALN.

Dans sa préface, le professeur Aïssa Kadri écrit de prime abord : « Voilà un ouvrage majeur qui interroge et renouvelle les approches socio-historiques sur ‘‘la guerre d’Algérie’’.» « La Guerre dans les djebels s’inscrit dans une perspective d’approche qui a souhaité rompre avec les travaux qui ont abordé ces événements par le haut de manière macro-historique (…), négligeant ‘‘les gens ordinaires’’», relève le préfacier.

Neil MacMaster « s’attache à voir ce qui se passe du côté du monde paysan, du point de vue des influences du nationalisme en société rurale, dans l’Algérie profonde », souligne Aïssa Kadri. Et d’ajouter : « (Il) développe ses travaux dans la suite des analyses de Mostefa Lacheraf en montrant que la paysannerie, en dépit des processus violents de déstructuration coloniale, ‘‘a gardé intactes des formes d’organisation autonomes au niveau local qui lui ont permis de résister et de contester la domination coloniale’’».

Dans son introduction, Neil MacMaster insiste sur l’obsession de l’occupant français dès la conquête de soumettre les populations paysannes dont il redoutait le soulèvement : « Alors que les envahisseurs français avaient réussi, en 1843, à écraser la résistance tribale dans le Dahra et l’Ouarsenis par la brutale politique de la terre brûlée, le régime colonial était constamment sous la crainte d’une insurrection sanglante des paysans des montagnes ; crainte qui s’est finalement concrétisée avec la guerre d’indépendance de 1954. » L’auteur explique comment le PCA d’abord (le Parti communiste algérien) et le FLN ensuite ont choisi la région du Chélif « comme forteresse naturelle pour leurs forces de guérilla ».

« Les contre-insurgés français ainsi que les historiens, en référence à la formulation maoïste classique du partisan ‘‘comme un poisson dans l’eau’’, ont compris que le soutien apporté aux rebelles par la paysannerie était crucial, car celle-ci fournissait une réserve inépuisable de combattants, de guides, d’approvisionneurs, de messagers, de guetteurs et de muletiers, en même temps qu’elle offrait une parfaite connaissance interne ou des renseignements précis sur l’organisation quotidienne de chaque famille, sur ses réseaux d’armes et de clans, ses ressources propres à l’environnement montagneux, ses sentiers secrets, ses grottes et ses sources », écrit l’historien.

« 78 communes mixtes couvraient l’Algérie rurale »

L’ouvrage est subdivisé en quatre principales parties. Dans la première partie, intitulée «Le dualisme de l’Etat colonial», Neil MacMaster s’est focalisé sur la gouvernance des régions ciblées par son étude, à travers notamment la mise en place d’un « système de commune mixte d’administration indirecte, largement maintenu en 1918 et 1958 ». Il y avait « 78 communes mixtes qui couvraient l’Algérie rurale », et où « vivaient plus de 70% de la population indigène », indique l’auteur.

« Pour l’essentiel, l’économie urbaine de la plaine, dominée par les Européens, a été largement assimilée à un mode de vie et à des institutions qui ont étroitement reflété et imité la France métropolitaine, y compris dans l’administration municipale, les organisations de partis et la politique électorale.

Cependant, en parallèle, à quelques kilomètres du périmètre officiel de la colonisation, il existait un ordre social et politique totalement différent, dans lequel des milliers de paysans déshérités étaient dirigés par une élite algérienne semi-féodale qui continuait d’exercer un pouvoir basé sur des relations patron-client», résume l’auteur.

Dans la deuxième partie du livre intitulée « Mobilisation et contestation politiques des paysans, 1932-1954 », Neil MacMaster s’est attelé à étudier « comment les mouvements anticoloniaux, dont le Parti communiste et le PPA messaliste, ont commencé à quitter les centres urbains pour infiltrer les campagnes environnantes afin de défier le système des communes mixtes et les caïds ».

L’historien insiste pour dire que la djemaâ n’était pas « une institution archaïque et immuable » mais qu’elle était « réactive et savait s’adapter ». L’esprit de contestation qui a commencé à gagner la paysannerie, observe le chercheur anglais, a été nourri au contact de « militants radicaux basés dans les villes qui ont rejoint les djemaâs et exploité l’énergie et les ressources de ces assemblées traditionnelles et autonomes qui gouvernaient de petites communautés ».

Du tremblement de terre de 1954 au séisme insurrectionnel

Dans la troisième partie intitulée « Organisation des premiers maquis, gouvernance rebelle et formation du contre-Etat FLN », Neil Macmaster analyse comment les idées nationalistes ont réussi à se propager parmi les populations des montagnes dans le Dahra et l’Ouarsenis. Un événement important, signale-t-il, allait accélérer la rupture d’avec l’administration coloniale : le tremblement de terre d’Orléansville (actuelle Chlef) de 1954.

« A 1h11 du matin, dans la nuit du 9 au 10 septembre, sept semaines avant que le FLN ne lance son insurrection, Orléansville et sa région environnante furent frappés par un tremblement de terre au cours duquel on estime le nombre de morts à 1147, à 1980 le nombre de blessés graves et quelque 54 000 maisons ou bâtiments détruits, de sorte que la majeure partie de la population s’est vu obliger de bivouaquer à l’air libre ou sous des tentes à l’approche des pluies d’hiver », détaille l’auteur.

En outre, le bilan de la catastrophe naturelle fait état de «l’effondrement d’environ 39 037 gourbis précaires ». « Dans la région du Chélif, note Neil MacMaster, l’extraordinaire coïncidence de la catastrophe du tremblement de terre et de l’insurrection, qui a suivi quelques semaines plus tard à l’Est, ont eu un effet complexe à plusieurs niveaux.

Ce qui a aggravé la montée du nationalisme par un énorme mécontentement populaire face à l’échec du programme de secours.» Et d’affirmer : « Tant le Parti communiste que le MTLD ont construit sur cette vague croissante de troubles un véritable climat insurrectionnel en s’emparant des échecs du programme de secours et de reconstruction.» 

Malgré la colère qui gronde, la population sinistrée ne va pas tout de suite se jeter dans les rangs de l’insurrection. L’onde de choc du 1er novembre 1954 « n’a atteint la région du Chélif qu’en juillet 1956 », révèle l’historien. 

C’est que le FLN, dit-il, était une dissidence au sein du MTLD, et dans le Chélif, les militants nationalistes étaient encore largement restés fidèles à Messali. Il y avait ainsi trois forces qui se disputaient le soutien de la paysannerie locale : les maquis de l’ALN, la guérilla du MNA et aussi le « Maquis rouge », autrement dit les combattants communistes du PCA, dont Henri Maillot. « Le FLN, une fraction dissidente du PPA-MTLD, était réduit numériquement, faible et encore inconnu de la plupart des Algériens.

Dans la région du Chélif, comme dans de nombreuses autres régions d’Algérie, les messalistes, qui seront bientôt rebaptisés MNA, sont restés la force nationaliste dominante », écrit Neil MacMaster. « Pour beaucoup, il a fallu des mois avant qu’ils ne commencent à prendre contact avec l’organisation émergente et décider de changer de camp ou pas », ajoute-t-il.

Le FLN s’est alors « engagé dans un travail d’organisation pour s’introduire dans la société rurale ». « Parmi les principaux agents clés qui ont contribué aux réseaux radicaux, figuraient les chauffeurs de bus, les marchands de bétail et de céréales, et les commerçants ambulants qui se déplaçaient en voiture ou en camionnette vers les marchés ruraux et transportaient les provisions des villes vers les petites épiceries des villages », nous apprend l’historien.

Neil MacMaster insiste en outre sur le fait que l’ALN était « non seulement une force de combat mais aussi un embryon de contre-Etat susceptible d’offrir un gouvernement alternatif au régime colonial ». « En écartant l’Etat colonial, l’ALN dans le Dahra et l’Ouarsenis s’est retrouvée dans une situation en vertu de laquelle elle contrôlait des dizaines de milliers de paysans pauvres et d’avoir tout à gérer, depuis l’économie rurale et l’approvisionnement en nourriture jusqu’à la scolarisation, l’aide sociale et la justice.»

«Celui qui gagne la population gagne la partie»

Enfin, dans la quatrième et dernière partie du livre, et sous le titre « Opération Pilote. Anthropologie va-t-en-guerre. 1956-1958 », Neil MacMaster décortique la stratégie mise en œuvre par l’armée coloniale pour stopper l’expansion vertigineuse de la guérilla du FLN dans les montagnes. « En janvier 1957, le gouvernement colonial et l’armée, en adoptant un modèle de stratégie élaboré par l’ethnologue Jean Servier, ont retenu la région du Dahra et de l’Ouarsenis comme lieu d’une grande expérience de contre-insurrection baptisée ‘‘Opération Pilote’’», précise l’auteur.

« La doctrine de la guerre révolutionnaire a été développée principalement par des officiers qui avaient servi dans le corps militaire professionnel pendant la guerre d’Indochine », rappelle-t-il. « Après la défaite écrasante du Vietminh à Diên Biên Phu en mai 1954, ils ont cherché une explication à leur humiliante défaite en étudiant Mao Tsé-toung et la stratégie de guérilla communiste.

(…)  Après le retrait du Vietnam et en contemplant les leçons à tirer de cette défaite, les théoriciens de la contre-insurrection ont souligné l’importance du ‘‘contact humain avec la population’’ et ont conclu qu’en fin de compte, ‘‘celui qui gagne la population gagne la partie’’». C’est dans cet esprit que Jean Servier, alors jeune ethnologue «spécialiste des Berbères des djebels », sera engagé par « Salan et Lacoste ». 

Pour Neil MacMaster, l’Opération Pilote est un « exemple parfait » de ce qu’il appelle « l’anthropologie va-t-en-guerre ». L’historien confie qu’à l’origine, son objet d’étude, au moment de se lancer dans cette enquête homérique, était la façon dont les sciences sociales, et en particulier l’anthropologie et l’ethnographie, ont été utilisées pour montrer une contre-insurrection afin de couper les liens entre la paysannerie et les troupes de l’ALN.

Cela l’a poussé à s’intéresser de plus près à la société paysanne. « J’ai entamé une remontée dans le temps afin d’explorer l’histoire antérieure, pré-insurrectionnelle, du monde des paysans à travers l’histoire sociale ‘‘vue d’en bas’’», dit-il. Et de constater : « Au fur et à mesure que ce projet avançait, j’étais frappé par la rareté des travaux universitaires sur l’histoire des paysans des montagnes algériennes, qui constituaient pourtant à la fois la majorité de la population colonisée et le soutien indispensable pendant la lutte de libération.» 

Source : El Watan – 17/11/2024 – Mustapha Benfodil

https://elwatan-dz.com/guerre-dans-les-djebels-societe-paysanne-et-contre-insurrection-en-algerie-1918-1958-de-neil-macmaster-comment-laln-a-gagne-le-soutien-de-la-paysannerie#google_vignette

Editions du Croquant https://editions-croquant.org/societes-et-politique-en-mediterranee/973-guerre-dans-les-djebels-societe-paysanne-et-contre-insurrection-en-algerie-1918-1958.html