De Pierre le Vénérable, de Martin Luther et d’autres affidés des Frères musulmans – Alain Gresh

Safar est une bande dessinée qui revient sur sept siècles de voyages et de rencontres, de l’abbaye de Cluny à Budapest, de Bagdad à l’Andalousie, pour suivre les traces du Coran dans la culture européenne.

Safar
Scénario de Maurizio Busca et John Tolan
Documentation : Jan Loop, John Tolan, Mercedes Garcia-Arenal, Roberto Tottoli
Dessins et couleurs : Ernesto Anderle
Éditions Petit à petit, Rouen, 2025 – 128 pages

Vous l’ignoriez sans doute, mais l’entreprise d’infiltration des islamistes en Europe a commencé depuis des siècles, bien avant la naissance des Frères musulmans. Parmi les complices de ce projet de subversion, on trouve pêle-mêle Martin Luther et Bonaparte, Pierre le Vénérable et le Pape Léon X. Tous ont œuvré à introduire le Coran et ses enseignements pernicieux sur le Vieux Continent.

« Faire des Européens une oumma qui s’ignore »

Heureusement, du haut de sa science qui lui a valu la Légion d’honneur et portes ouvertes dans tous les médias de l’extrême droite, et bien au-delà, l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler sonne une nouvelle fois le tocsin et dénonce ce travail de sape. Se vantant d’avoir été la première personne auditionnée par la commission gouvernementale sur les Frères musulmans, elle excommunie un projet de recherche qui avait échappé au commun des mortels, « Le Coran européen ». Celui-ci serait « très intéressant pour les Frères musulmans » et viserait à une « islamisation de la connaissance, c’est-à-dire un savoir compatible avec la charia ». « Un tel projet pourrait servir un certain révisionnisme historique qui vise à faire des Européens une oumma (nation islamique) qui s’ignore1 ».

Quelle est donc cette entreprise subversive ? Un programme2 qui remonte à 2019 et qui s’achève cette année. Il est financé par le Conseil européen de la recherche (plus connu avec son acronyme anglais ERC) sur une base scientifique rigoureuse — seul un projet soumis sur dix est accepté. Ce programme mobilise une large équipe de chercheurs de différentes disciplines et s’attache à étudier la réception du Coran en Europe et ses traductions en latin, en italien, en néerlandais, etc. Ses responsables expliquent : « Nous étudierons comment le Coran est traduit dans des langues européennes, comment il circule dans les milieux intellectuels européens, et comment il est compris, commenté, utilisé et réinterprété par des intellectuels européens (chrétiens, juifs, déistes, athées, ou autres) ».

Mohammed serait « un clerc chrétien frustré de ne pas avoir été élu pape »

La charge de Bergeaud-Blackler serait risible si elle ne reflétait pas l’air du temps, comme en témoignent les attaques du président étatsunien Donald Trump contre les universités ; si elle ne contribuait pas à vicier tout débat scientifique3. La plupart des textes publiés dans le cadre du « Coran européen » sont sans doute inaccessibles au commun des mortels et sûrement à la coqueluche de l’extrême droite (et du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau), dont les connaissances dans le domaine médiéval ou des langues utilisées au Moyen Âge avoisinent le zéro. Le seul intérêt de cette polémique sera, il faut l’espérer, d’amener plus de lecteurs à prendre connaissance de ce récit graphique co-scénarisé par l’historien franco-américain John Tolan, une des déclinaisons grand public du projet « Le Coran européen »4 Intitulé Safar qui signifie « voyage » (un mot arabe pour titre, quelle horreur !), il nous invite à une longue balade à travers les siècles, du Moyen Âge à l’époque contemporaine, via l’abbaye de Cluny, la ville de Bâle ou le Vatican, avec une étape à Bagdad.

Point de départ, Pierre le Vénérable, élu abbé de Cluny en 1122, qui part en Espagne, encore sous domination musulmane, à la recherche de lettrés capables de traduire le Coran, mais aussi des textes qui relatent la vie de Mohammed ou qui éclairent le livre sacré des musulmans et permettraient de « connaître réellement la religion des sarrasins et de corriger l’ignorance de nos confrères, » précise-t-il. À l’époque, on croit encore que Mohammed serait « un clerc chrétien qui, frustré de ne pas avoir été élu pape, fonda sa propre doctrine ». Le projet de Pierre reste de convertir les musulmans, mais, avec les idées plutôt qu’avec les épées, un programme dont on comprend qu’il hérisse Bergeaud. D’autant qu’il n’exclut pas une volonté de comprendre et d’être au plus près des textes, en allant à la recherche de manuscrits disséminés à travers les continents — tâche ô combien difficile avant l’invention de l’imprimerie.

On rencontre durant cette exploration des personnages fascinants comme Jean de Ségovie, au milieu du XVe siècle, alors que les principautés musulmanes résistent pour quelques décennies à la Reconquista5, et qui va réaliser une édition trilingue du Coran en arabe, latin et castillan. Son entreprise témoigne « d’un besoin sincère de compréhension du texte coranique ». Ou encore Al-Hassan, dit Léon l’Africain, rendu célèbre en France par l’écrivain Amine Maalouf. Musulman de naissance, né à Grenade en 1486 avant la chute de la ville en 1492, réfugié à Fès, il sera capturé par un navire espagnol en 1518 et livré au Pape Léon X. Celui-ci le baptisa et en fit un conseiller pour la traduction de documents arabes.

« Le diable du Pape est plus grand que le diable du Turc »

On découvrira aussi pourquoi Luther imposa à la ville réformée de Bâle la traduction du Coran en allemand contre toutes les réticences. « Il n’y a pas de meilleur moyen d’affronter le Turc que d’exposer les mensonges et les fables de Mahomet. » Avant le préciser que « la vraie cause de l’invasion turque6, c’est la punition divine pour la corruption de l’Église romaine. Le diable du Pape est plus grand que le diable du Turc ». Autre utilisateur du Coran, le général Bonaparte qui durant sa campagne d’Égypte proclama : « Nous sommes de vrais musulmans, n’avons-nous pas détruit le Pape qui voulait leur faire la guerre ? »

Le livre s’achève au XIXe siècle, avec la surprenante figure du rabbin allemand Geiger et son ouvrage Quels sont les emprunts que Muhammad a fait au judaïsme ?. C’est un moment de bascule. On entre dans une nouvelle période où s’impose désormais la méthode scientifique de l’étude du Coran plutôt que la méthode polémique, dont on aurait pu espérer qu’elle avait été abandonnée dans les milieux scientifiques. Mais, à écouter Bergeaud et consorts, on mesure notre erreur.

Notes

  1. «  Coran européen : les dessous du projet financé par l’UE  », entretien avec Le Figaro, 18 avril 2025.
  2. Les coordonnateurs du programme sont Mercedes Garcia-Arenal (Conseil National de la Recherche Espagnole, Madrid), Jan Loop (université de Copenhague), John Tolan (université de Nantes) et Roberto Tottoli (université de Naples).
  3. Pour défendre le projet de recherche de l’ERC face aux attaques de Florence Bergeaud-Blackler, John Tolan a rédigé une lettre ouverte au président du CNRS publié dans Le Club de Médiapart, «  Défendons l’indépendance de la recherche contre l’extrême droite  », 12 mai 2025.
  4. Une autre est l’exposition «  Le Coran, des histoires européennes  » visible à la médiathèque Jacques Demy à Nantes, jusqu’au 30 août 2025.
  5. La reconquête de l’Espagne par les rois catholiques s’acheva en 1492, avec la chute de Grenade.
  6. C’est l’époque de l’expansion de l’empire Ottoman en Europe.

Source : Orient XXI – 06/06/2025 https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/de-pierre-le-venerable-de-martin-luther-et-d-autres-affides-des-freres,8261

« L’indigénat. De l’Algérie à la Nouvelle Calédonie » – Isabelle Merle et Adrian Muckle

Les bonnes feuilles d’une histoire de l’indigénat depuis ses origines dans l’Algérie de la conquête jusqu’aux héritages les plus contemporains en Nouvelle-Calédonie.

Les éditions du CNRS rééditent en 2025 l’ouvrage consacré à l’histoire de l’indigénat en 2019 par Isabelle Merle et Adrian Muckle, avec un avant-propos et une postface évoquant les événements récents en Kanaky – Nouvelle Calédonie. Comme l’écrit l’éditeur, « ce livre offre, pour la première fois, une histoire du régime de l’indigénat sur la longue durée, depuis ses origines les plus lointaines dans l’Algérie de la conquête jusqu’aux héritages les plus contemporains en Nouvelle-Calédonie ». Nous publions ici son introduction.

Le régime de l’indigénat, connu aussi sous le nom de Code de l’indigénat ou réduit à la simple expression d’Indigénat est, parmi les dispositifs juridiques attachés à l’Empire colonial français, celui qui a probablement le plus fortement marqué la mémoire des colonisés. Aujourd’hui encore, on peut trouver, dans le discours de représentants de pays anciennement dominés par la France et aujourd’hui indépendants, l’évocation de l’Indigénat pour rappeler l’esprit et les pratiques d’une époque marquée par la violence, l’injustice, l’humiliation. C’est le cas du journal algérien El Moudjahid qui titrait le 5 juillet 2012 pour le cinquantenaire de la signature des Accords d’Evian : « La France coloniale : du Code noir au Code de l’indigénat ou l’humiliation de l’homme par l’homme[1]. »

Le message est frappant et joue sur les usages politiques du passé en renvoyant à la France l’image de son très long héritage de puissance colonisatrice, telle une piqûre de rappel dans le dialogue tendu avec l’ancienne métropole impériale. Le rappel est surtout historique, car l’Algérie, française à partir de 1830, a échappé à l’esclavage et le régime de l’indigénat qui y fut appliqué entre 1881 et 1944, semble aujourd’hui un lointain souvenir. En Algérie comme en France d’ailleurs, le rappel de ces « codes » participe d’un passé révolu à ranger avec les oripeaux du colonialisme, l’un et l’autre recouvrant des dispositifs dont on a largement oublié le contenu. Pourtant, leur évocation fait encore mouche en 2012 du point de vue de l’Algérie car il s’agit d’interpeller le passé colonial de la France et ses contradictions fondamentales : une nation démocratique qui dérogea avec persistance à ses principes, tout au long de son histoire, dés lors qu’il s’agissait de projets ou de territoires coloniaux.

En évoquant le code noir et le code de l’indigénat, le journaliste d’El Moudjahid rappelle les dispositifs juridiques d’exception mis en place pour discriminer, contrôler, réprimer et dominer les populations soumises et contredit ainsi le récit de fondation de la France, pays des droits de l’homme et du citoyen.

La mémoire de l’indigénat semble plus rarement mobilisée par les autorités politiques d’autres pays anciennement français en Afrique de l’Ouest, Madagascar ou encore au Viet Nam, Laos et Cambodge. L’indigénat est, en revanche, régulièrement évoqué et utilisé en tant que référence utile dans les débats contemporains, en Nouvelle-Calédonie où se joue, depuis 1988, un processus de décolonisation original dont l’aboutissement fut le récent référendum d’autodétermination qui s’est conduit, le 4 novembre 2018 et qui pourra se reproduire en 2020 et 2022[2].

En avril 2018, par exemple, dans la perspective de la venue du Président de la République, Emmanuel Macron, le Sénat Coutumier fustigeait l’absence de reconnaissance officielle de l’autorité coutumière et affirmait devant un journaliste que :

« Le modèle administratif privilégié ici [n’est autre qu’] « un copier-coller de l’Hexagone », où les communes, « positionnées à l’intérieur des districts », « agissent en parallèle », « sans aucune coordination » comme si « le régime de l’indigénat continuait à sévir »[3]

L ’allusion est obscure et nous nous contenterons de remarquer que le Sénat coutumier utilise l’argument pour pointer une organisation administrative contemporaine qui se contenterait, comme sous l’indigénat, de reproduire le modèle français. Nous verrons que le sujet est autrement plus complexe mais notons que, pour les Sénateurs coutumiers, l’indigénat évoque bien plus qu’un « code » désuet et renvoie à l’histoire de l’organisation administrative et coloniale du territoire.

Lorsqu’on interroge plus largement les Kanak nés avant ou pendant la Seconde guerre mondiale, les réponses ouvrent d’autres perspectives en rappelant, l’impôt de capitation, l’interdiction de circuler, les prestations, les réquisitions, le travail forcé mais restent au demeurant très stéréotypées, ancrées surtout dans la période des années 1930-1946. Le souvenir de ce qu’ils ont subi, cependant est encore très vif et signale le poids que représente ce régime dans la mémoire kanak[4].

Rappelons qu’actuellement, parmi les derniers confettis de l’empire que sont les territoires d’outre-mer français, la Nouvelle-Calédonie est le seul qui a connu l’indigénat. La Polynésie française, Wallis et Futuna, les Antilles française, la Réunion et la Guyane y ont échappé pour des raisons historiques. Et l’indigénat y a sévit longtemps puisqu’il a été imposé en 1887, 6 ans après son inauguration en Algérie et Cochinchine. Il a été supprimé, comme dans le reste de l’Empire (à l’exception de l’Algérie) en 1946 ; soixante années d’application dont le souvenir évoque en vrac des éléments disparates, sans lien évident les uns avec les autres. Ceci doit nous alerter sur le fait que, derrière le mot indigénat, se cache un objet d’étude complexe, protéiforme et difficile à saisir à la fois dans ses dimensions impériales et localisées.

Un chapitre classique du droit colonial

Jusqu’à la Seconde guerre mondiale, l’étude du régime de l’indigénat constituait un chapitre classique du droit colonial et fit l’objet de plusieurs thèses dans cette branche de la discipline juridique ; branche qui tomba en désuétude avec la décolonisation[5]. Le régime de l’indigénat perdit toute actualité alors que le contexte dans lequel il faisait sens jusqu’alors, se délitait, relégué, avec l’ensemble du droit colonial, dans les arcanes d’un passé impérial dont on ne voulait plus parler[6].On chercherait en vain, dans l’historiographie des années 1960-1980, une étude consacrée spécifiquement à ce dispositif, à l’exception de l’historien nigérien A.I Asiwaju[7]. Quelques spécialistes, anthropologues, politologues ou historiens, s’intéressent, encore en ces années-là, aux modalités pratiques de ce dispositif sur les terrains qu’ils étudient, observations qui restent localisées et partielles, tandis que les historiens de la France coloniale se contentent de le signaler parmi l’un des piliers essentiels de la politique indigène sans pourtant l’étudier pour lui-même et en tant que tel[8].

Le régime de l’indigénat réapparait comme objet d’étude légitime « en soi et pour soi » à la fin des années 1990 quand les études coloniales et post-coloniales prennent leur élan, aux Etats Unis, en Grande Bretagne puis en France. Plusieurs travaux lui sont consacrés adoptant essentiellement deux perspectives. La première s’inscrit dans un terrain colonial particulier pour en comprendre localement, la forme, la nature et les effets, au Dahomey[9], en Nouvelle-Calédonie[10], en Algérie[11] ou en Afrique noire[12]. La seconde entre dans le sujet par l’histoire de l’Etat, du droit et des institutions privilégiant alors une focale centrée sur la métropole, les débats parlementaires, les controverses juridiques et les aspects législatifs et réglementaires[13]. Le clivage est révélateur des difficultés que soulève l’étude d’un tel dispositif, comme le notait déjà en 2004, dans un article, Isabelle Merle, en soulignant l’importance d’articuler précisément principes et pratiques[14].

La genèse de l’indigénat est le fruit d’un processus complexe qui prend forme dans le contexte de la guerre coloniale que la France mène en Algérie entre 1830 et 1880. Plus exactement, il est l’un des instruments essentiels de ce qu’on appelle alors la pacification, doux euphémisme pour décrire le processus d’imposition d’un nouvel ordre public colonial derrière les lignes de combat dans les régions qui ont apporté leur reddition. Selon le juriste René Pommier en 1907, le régime de l’indigénat « n’est que le résidu des pouvoirs militaires dus aux nécessités de conquêtes »[15], dans une situation « qui n’est plus la guerre ouverte mais qui est loin de représenter la paix sociale »[16]. Un moyen de continuer la guerre par d’autres moyens pourrait-on dire en inversant la célèbre formule de Clausewitz[17]. Parmi les mesures préconisées : les pouvoirs spéciaux de haute police confiés aux gouverneurs — internement administratifs, séquestres de biens, amendes collectives — et les pouvoirs spéciaux confiés aux officiers ou administrateurs civils des affaires indigènes les autorisant à punir les seuls indigènes et ceux qui leurs sont assimilés pour réprimer des délits inconnus ou non prévus en France.

Au sens étroit du terme, le régime de l’indigénat est un régime juridique dérogatoire du droit commun dans le domaine du droit pénal dans la généalogie duquel on peut effectivement trouver le Code noir , l’un et l’autre incarnant la figure de l’exception juridique au sens où il s’agit « d’un ensemble de lois articulant une série de droits et de devoirs d’exception au concert général de la loi française ou, plus modestement, aux usages juridiquement retenus en métropole » selon la définition donnée par Louis Sala-Molins [18].

La complexité de la genèse de l’indigénat et plus encore les contradictions aigues que suscitent cette justice d’exception au regard des principes fondamentaux du droit français, en font un objet extrêmement intéressant à étudier en tant que révélateur des tensions liées à la fabrique conjointe d’une nation et d’un empire au xixe siècle.

Le paradoxe fondamental du colonialisme

Etudier l’indigénat, c’est travailler au plus près le paradoxe fondamental que soulève la politologue tunisienne, Hélé Béji : « Le colonialisme ne l’oublions pas a été l’œuvre de démocraties, de nations parlementaires. […] A mesure que les modernes forgeaient leurs droits politiques, ils nous les refusaient à nous, indigènes. » Et cette injustice qu’elle qualifie de métaphysique ouvre la voie à la violence, extrême ou régulière dont l’indigénat est l’un des instruments[19].

Béji fait ici implicitement le lien entre l’absence de droits politiques fondée sur l’exclusion de l’indigène de la citoyenneté — marque de fabrique caractéristique de la construction de la nationalité dans les colonies françaises qui distinguait les sujets et les citoyens — et l’imposition d’un régime répressif d’exception autorisant l’exercice d’une violence légale spécialement réservée aux indigènes. Nous verrons à quel point le statut pénal dérogatoire de l’indigénat est intimement lié à la construction du sujet indigène non citoyen, l’emboîtement de régimes spéciaux sur le plan pénal, civil et politique qualifiant finalement « la condition des indigènes en droit »[20]. Mais il faut signaler que ce différentiel dérogatoire au regard du droit commun crée tout au long de la période coloniale, débats, contestations et remises en cause qui révèlent toute la complexité de la construction de l’Etat en situation coloniale ; les colonies devant être comprises comme des zones « d’exceptionnalité » où sont mises à l’épreuve les principes fondamentaux de la nation[21].

L’objet « indigénat » interroge au premier chef la nation française et son histoire impériale. Mais il interroge aussi la situation coloniale au sens où l’entendait Georges Balandier en 1951 en tant qu’approche sociologique de sociétés composites créées ipso facto par le contact et la domination coloniale dans le contexte de terrains localisés et rigoureusement historicisés[22]. Car l’indigénat s’est déplacé et s’est mondialisé au fils du temps tout en se métamorphosant dans les lieux où il fut installé sous l’influence des logiques en jeu dans les contextes considérés. Le dispositif est connu par la loi votée le 28 juin 1881 pour l’Algérie limitée aux pouvoirs spéciaux des administrateurs des communes mixtes. Il est transféré et adapté en Cochinchine sous la forme d’un décret, promulgué un mois avant, le 25 mai 1881, qui opère, on le verra, une synthèse essentielle entre pouvoirs spéciaux dévolus aux gouverneurs et ceux dévolus aux agents subalternes. Une fois le régime de décret adopté, le dispositif peut voyager dans l’Empire colonial : il est appliqué en 1887 au Dahomey/Sénégal et en Nouvelle-Calédonie, en 1897 en l’Afrique occidentale française (AOF) et l’Afrique équatoriale française (AEF), au Tonkin, Annam, îles Sous-le-Vent en Polynésie, en 1898 au Cambodge. Il est adopté à Madagascar et aux Comores en 1901, à la Côte des Somalis en 1912 et enfin aux Togo et Cameroun en 1923 et 1924[23].

Dans chaque territoire, le cadre est posé : le gouverneur dispose de pouvoirs spéciaux l’autorisant à appliquer aux indigènes des peines qui entrent dans aucune catégorie légale en France (l’internement administratif, le séquestre et les amendes collectives), les administrateurs des affaires indigènes disposent de pouvoirs spéciaux les autorisant à sanctionner les manquements à la longue liste dite d’infractions spéciales dont se dote chaque colonie. Tandis que les gouverneurs agissent dans le registre de haute police, la liste d’infractions spéciales incarne une police de proximité dans les domaines les plus variés de la vie : habillements, signes ostensibles de respect aux autorités coloniales, obéissance aux ordres de réquisition ou d’obligation de travail, paiement de l’impôt, interdictions de circulation, respect des règles de prophylaxie, etc. Le régime de l’indigénat recouvre ainsi par les obligations et les interdictions qu’il impose, bien des aspects de l’ordre colonial, ce qui explique qu’en Nouvelle-Calédonie les souvenirs des « vieux » font le lien entre l’indigénat, le travail forcé, les impôts et les interdictions de mobilités. Ce qui explique aussi la difficulté de réduire l’analyse de ce régime à quelques principes fondamentaux sans étudier en détail ses modalités d’application et l’impact des règlements qu’il sous tend ou à l’inverse la complexité du contexte qui permet de comprendre l’élaboration de la liste des infractions, ses spécificités locales et ses évolutions. Celle-ci participe d’une microphysique du pouvoir et se métamorphose selon les contextes considérés. L’interdiction de la nudité sur les routes est inscrite dans la liste en Nouvelle-Calédonie quand elle n’aurait aucune pertinence en Algérie. Les réunions sans autorisation pour le pèlerinage sont condamnées en Algérie. L’omission à déclarer à la justice les cadavres découverts dans les fleuves devient une infraction en Cochinchine. Les listes fabriquées dans chaque colonie se distinguent les unes des autres par certains articles mais partagent fondamentalement les mêmes préoccupations : la défense de l’ordre public colonial qui exige le respect de l’autorité, l’obéissance aux ordres, l’obligation de travail, le paiement de l’impôt et le contrôle des circulations ; autant d’éléments qui structurent le nouvel ordre social dans lequel le régime de l’indigénat joue un rôle majeur.

Dans un article récent, Sylvie Thénault distingue trois acceptions de l’indigénat. La première, juridique, renvoie au dispositif que nous avons décrit précédemment et serait « la plus évidente » et la « plus commode » pour la recherche[24]. Les études qui s’y seraient consacrées se placeraient sur le point de vue des colonisateurs.

La seconde recouvre une « extension de la notion d’indigénat[25] » illustrée par les travaux entrepris dans les perspectives d’une historiographie de la punition et de la répression coloniale, en particulier ceux menés par Gregory Mann et par Taylor C. Sherman[26]. Fondés sur des enquêtes de terrain, ces travaux ne s’intéressent pas aux textes mais aux pratiques de l’indigénat rigoureusement situées historiquement et en contexte et révèlent la part d’arbitraire et d’illégal qui accompagnait l’exercice de la justice d’exception à l’encontre des indigènes. Les pouvoirs spéciaux confiés aux commandant de cercle en AOF ou aux administrateurs des affaires indigènes ailleurs servaient à couvrir toutes sortes de dérives jusqu’à contredire radicalement l’idée que l’empire colonial fut un « Empire du droit »[27]. Cette historiographie place sous le terme indigénat, les pratiques légales et illégales de répression qui tissent autour des indigènes les mailles d’un « réseau coercitif » pour reprendre la formule utilisée par Sherman. Elle adopterait le point de vue des colonisés.

La troisième acception de l’indigénat, enfin, élargit encore la perspective pour englober tout ce qui relève du statut indigène sur le plan pénal et civil. L’indigénat recouvrirait alors « dans un seul mouvement la totalité des dispositifs constitutifs du statut des sujets coloniaux[28] ».

Un régime juridique d’exception construit progressivement

Plutôt que d’opposer les textes et les pratiques et d’imputer à la notion d’indigénat un sens fabriqué a posteriori par le chercheur, nous préférons adopter une autre approche. L’exigence est de suivre, au plus près, la trame historique qui conduit progressivement à penser et organiser un régime juridique d’exception en Algérie, entre 1840 et 1881 en retraçant précisément les méandres des réflexions et débats, les interrogations, désaccords, avancées et reculs. Nous proposons ensuite d’emprunter ce que nous pourrions appeler les chemins de l’indigénat lorsque celui-ci est transféré en Cochinchine entre 1879 et 1881, écarté de Tahiti en 1880 lorsque l’île devient colonie, puis déployé, 6 ans plus tard, en Nouvelle-Calédonie et au Sénégal première étape d’une extension impériale qui ne cessera par la suite de s’élargir.

L’enjeu de cet ouvrage n’est pas de couvrir l’histoire de cette extension mais de resserrer peu à peu l’enquête.

Celle-ci s’ouvre, dans une première partie, sur l’étude des principes juridiques et leur genèse en Algérie et Cochinchine, pour amener ensuite le lecteur dans un voyage en Océanie où l’application du régime de l’indigénat a connu toutes sortes de variations en Polynésie française, aux Marquises et jusqu’en Nouvelle-Calédonie où il est pleinement et durablement installé à partir de 1887.

La deuxième partie de l’enquête rétrécit la focale sur le cas précis de la Nouvelle-Calédonie où le régime sera étudié sous toutes ses facettes en articulant précisément textes et pratiques. Ne seront jamais perdus de vue les débats juridiques, controverses ou tentatives de réformes menés au loin, en France ou dans les colonies dont les échos parviennent jusque dans les fonds de vallées calédoniennes où ils sont souvent détournés ou ignorés au prétexte de la spécificité du contexte local. L’analyse précise de ce contexte ainsi que des positions et actions des acteurs qui ordonnent, utilisent ou subissent le régime de l’indigénat, a pour but de révéler en finesse sa forme, sa nature, son fonctionnement, ses aléas, sa puissance et la limite de sa puissance sur un terrain singulier dont l’histoire est néanmoins emboitée dans les dynamiques plus larges d’une histoire impériale et métropolitaine. Autour de l’objet « indigénat » se pressent une multitude d’acteurs, ministres, inspecteurs des colonies, gouverneurs, chefs du service des affaires indigènes, gendarmes/syndic, colons, missionnaires, chefs kanak, sujets, et assimilés. L’enjeu n’est pas de distinguer le point de vue des colonisateurs ou des colonisés mais de comprendre le sens de la conversation, des interactions, des projets et des actes qui ont contribuer à la fabrique de l’indigénat en ce territoire précis pour le mettre en œuvre, l’accompagner, le défendre ou le dénoncer, s’y soumettre, le contourner ou lui résister.

La troisième partie de l’enquête, enfin, traitera de la période de l’entre-deux-guerres et des années de guerre et d’après-guerre au cours desquelles l’indigénat est discuté, contesté puis condamné. On verra ce qu’il en est en Nouvelle-Calédonie en analysant en pratique la sortie de l’indigénat, les résistances qu’elle suscite autant que les espoirs qu’elle soulève. Un épilogue conclusif ouvrira une réflexion sur les effets d’héritage et la mémoire vive d’un régime qui aujourd’hui encore constitue une référence inconsciente ou consciente mais toujours active.

Plusieurs raisons nous invitent à offrir en 2018 un ouvrage consacré à l’histoire du régime de l’indigénat en Nouvelle-Calédonie.

La première des raisons que nous pourrions invoquer tient à notre compétence et spécialité. Tous deux historiens, nous menons depuis plus de vingt ans des enquêtes sur l’histoire de la Nouvelle-Calédonie qui nous ont permis d’acquérir une grande familiarité avec le pays, ses habitants, son passé et ses archives. L’étude d’un régime répressif tel que l’indigénat, ses modalités d’application et ses effets est le fruit d’un long travail d’investigation dans un corpus documentaire parcellaire, éparpillé et souvent incomplet dont le regroupement et recoupement exigeaient une connaissance approfondie des fonds et du contexte[29]. Nous avons bien sûr bénéficié, de l’apport de recherches antérieures qui ont été menées sur le sujet sous un angle ou sous un autre[30]. Il convient cependant de constater qu’aucune n’a eu jusqu’ici l’ambition que soutient cet ouvrage, celle de couvrir l’histoire du régime de l’indigénat et de son application en Nouvelle-Calédonie sur la longue durée. L’indigénat occupe une place essentielle dans ce pays, tant sur le plan historique que dans les mémoires et les débats contemporains. Il convenait de combler cette lacune et d’offrir au lecteur un travail approfondi et rigoureux rendant justice à l’histoire, à ses acteurs et aux victimes.

La seconde raison est le caractère central qu’a pris dans ce pays, le régime de l’indigénat dans la définition du statut de l’indigène et dans l’organisation de sa vie sociale sous l’emprise coloniale. On peut faire ici l’hypothèse que l’indigénat n’a pas pesé de la même façon dans tous les territoires où il a été appliqué et qu’il a pesé particulièrement en Nouvelle-Calédonie en cherchant à organiser la société indigène et le quotidien des individus dans les registres les plus divers, politiques, économiques, sociaux ou culturels ainsi que sur le plan territorial et foncier[31].

Le décret d’application en 1887 ne se contente pas de légaliser les pouvoirs spéciaux dont sont dotés les gouverneurs et les syndics des affaires indigènes, comme c’est le cas en Cochinchine et au Sénégal. Il affirme une volonté de reformater l’espace et la société kanak par la délimitation de territoires dits de tribu — notion éminemment coloniale qui n’a pas d’existence sociologique dans le monde kanak ancien — qui seront nommés et à la tête desquels on désignera un « chef » — au sens colonial du terme — dont les attributions seront définies ultérieurement. La volonté d’imposer une nouvelle organisation territoriale ainsi que de nouvelles figures de pouvoir est constitutive du régime de l’indigénat en Nouvelle-Calédonie. Dix ans plus tard, le décret est prorogé et l’organisation administrative indigène précisée avec la création de districts et de grands chefs qui recouvriront des tribus et des petits chefs relégués sur des réserves indigènes, les sujets ne pourront sortir de leurs districts qu’avec l’autorisation du grand chef.

L’indigénat joue un rôle central en Nouvelle-Calédonie

Le régime de l’indigénat, en cela est au principe d’une organisation spatiale et sociale maintenue entre les deux guerres et après la seconde guerre mondiale et qui perdure encore aujourd’hui. Cette organisation spatiale et sociale, héritage essentiel de la période coloniale, qu’évoque le Sénat Coutumier encore en 2018, est un enjeu central depuis 1946 dans les débats portant sur le devenir de la société kanak en contexte post-colonial à l’intérieur du monde kanak mais aussi dans la société calédonienne en son ensemble.

Contrairement au cas d’autres territoires coloniaux, l’indigénat joue, en Nouvelle-Calédonie, un rôle central dans la définition juridique de l’indigène pendant toute la période coloniale comme si, il était seul à même de définir l’indigène en tant que sujet de droit. La première définition de ce qu’est un indigène en droit dans cette colonie est posée très tardivement en 1915, à l’intérieur même de l’arrêté qui renouvelle la liste des infractions spéciales à l’indigénat. L’intense travail juridique autour des statuts indigènes et de la codification des coutumes auquel on assiste à la fin du xixe siècle jusqu’à la Première Guerre Mondiale en Algérie, en Afrique française et en Indochine n’a pas eu lieu en Nouvelle-Calédonie malgré quelques tentatives en 1913 et dans les années 1920 vite abandonnées. Cette lacune du droit interpelle les juristes dans les années 1930 et provoque des effets paradoxaux. L’indigénat, seul cadre par lequel est défini l’indigène en Nouvelle-Calédonie, met en lumière les négligences du droit colonial de l’époque à l’encontre du sujet kanak, dont la prise en considération est si faible qu’on ne se soucie guère d’en faire un sujet de droit colonial à part entière (dans les normes de l’époque) en cherchant à donner du contenu à son statut personnel par exemple[32]. A l’extérieur des réserves, l’indigène est défini par l’indigénat, à l’intérieur, il devient un impensé juridique qui permet aux Kanak de trouver dans la réserve indigène un lieu de préservation de pratiques, de sociabilités et de coutumes à l’abri du regard européen et de l’imposition de normes juridiques exogènes.

Or la volonté de refondation d’un droit coutumier, y compris la reconnaissance des chefs, soutenue aujourd’hui par le Sénat Coutumier et un certains nombres de juristes métropolitains[33], est intimement lié à cet héritage et ne peut être compris et interprété sans une connaissance approfondie d’une histoire au croisement des univers sociaux et politiques kanak et du droit colonial français. Les « impensés juridiques » d’antan sont aujourd’hui des enjeux dont il faut rappeler précisément la genèse pour éclairer les débats contemporains.

Concernant les aspects strictement répressifs, on peut affirmer que le régime de l’indigénat en Nouvelle-Calédonie illustre parfaitement la notion de « réseau coercitif », pesant dans tous les domaines de la vie quotidienne des indigènes et assimilés. Ces derniers nous rappellent que le régime de l’indigénat n’a pas concerné les seuls Kanak mais aussi les travailleurs sous contrat, Océaniens ou Asiatiques, que l’on a fait venir pour travailler sur les propriétés et dans les mines dès les années 1860 et jusqu’entre les deux guerres. Dès 1887, la liste des infractions spéciales énonce qu’outre le respect des règles de soumission et de l’obéissance aux ordres, Kanak et assimilés ne pourront circuler librement et seront interdits dans les cabarets européens ou sur leurs propriétés et dans les centres de colonisation après 8h du soir. Ils devront s’habiller décemment (selon le point de vue européen), ne porter aucune arme traditionnelle ou pratiquer la sorcellerie. La liste ne cesse de s’allonger par la suite, augmentant d’autant les attributions des chefs chargés de contrôler leurs sujets et de répondre aux injonctions des autorités coloniales, dans les domaines aussi divers que le travail, l’impôt, l’habitat, la santé, les déplacements, d’accueil, les fêtes, l’utilisation des animaux, la consommation d’alcool, l’usage du feu, etc. On comprend alors pourquoi le gendarme/syndic en charge du bon fonctionnement du régime est devenu dans ce pays non seulement un interlocuteur privilégié des chefs mais surtout une figure essentielle du paysage colonial.

L’indigénat est l’arme de la coercition par excellence venant s’immiscer jusque dans l’intimité des corps. Il formate le quotidien de la société indigène, participe à la ségrégation des espaces territoriaux, cherche à contrôler les interrelations que ceux-ci peuvent avoir avec les autres communautés et en cela formate aussi l’ensemble de la société coloniale. Car, si l’indigénat a pesé sur ceux qui l’ont subis, il a aussi, à l’inverse, fortement conditionné les actions et comportements des Européens ou étrangers qui pouvaient en bénéficier activement ou passivement. En cela, la Nouvelle-Calédonie, colonie dite de peuplement, composée de colonisés et colons dont la démographie est quasi équilibrée dans les années 1950, illustre l’idée que soutenaient les intellectuels du temps tels qu’Albert Memmi, Jean-Paul Sartre ou encore Balandier : la situation coloniale fabrique l’indigène tout autant que le colon et oblige l’un comme l’autre à répondre aux jeux de miroir qu’elle impose[34].

La mémoire de l’indigénat symbolise les inégalités et injustices passées et interpellent l’ensemble des Calédoniens d’aujourd’hui, engagés sur le chemin d’une citoyenneté particulière et dans un projet, qui quelle que soit l’issue du référendum, affirmera la volonté d’un destin commun. Derrière ce mot « indigénat » ne se cache pas seulement la souffrance des victimes mais aussi la responsabilité de ceux, calédoniens ou métropolitains, qui l’appliquèrent et le défendirent pendant toute la première moitié du xxe siècle contre les velléités de réformes et contre ceux, qui dans le pays ou en France, voulaient soutenir d’autres valeurs que coloniales, nourries des principes de l’Etat de droit ou de l’humanisme. Il faut aujourd’hui se souvenir que le régime de l’indigénat qui a, par ailleurs connu de nombreuses critiques en son temps, n’a jamais été véritablement réformé en Nouvelle-Calédonie jusqu’en 1946, du fait essentiellement des résistances d’une partie des représentants du colonat. Et en 1947 encore, d’aucuns souhaitaient le rétablir pour revenir à ce qu’on pourrait appeler « la Nouvelle-Calédonie de Papa ». Mais celle-ci était en train de se déliter et de nouvelles perspectives de société s’ouvraient auxquelles une majorité a finalement adhérée portée par le slogan généreux d’un nouveau parti politique créé en 1953, l’Union calédonienne : « deux couleurs, un seul peuple ».

Le régime de l’indigénat est au cœur d’une histoire passée sur laquelle les descendants de colon ont, à l’évidence, aujourd’hui encore, du mal à revenir tandis qu’il sert d’argument repoussoir pour la communauté kanak. Pourtant on ne peut nier qu’il agit comme un référentiel actif, conscient ou inconscient, pour tous, dans les évocations parfois nostalgiques qu’on trouve ici ou là, d’un « ordre ancien », de la « Calédonie des Vieux ». Du côté kanak, on vante le souvenir de jeunes respectant leurs aînés, de chefs se faisant obéir de leurs sujets tandis que du côté européen, on imagine un territoire bien français où la délinquance n’existe pas, où le modèle métropolitain s’impose et avec lui l’implicite supériorité du mode de vie français et valeurs occidentales.

Nous voulions ouvrir cette boîte de Pandore pour contribuer à l’effort de connaissance et d’objectivation qui est au cœur du métier de l’historien. Nous voulions aussi rendre aux acteurs du passé, justice et responsabilité, pour que leurs descendants puissent soutenir leur histoire en conscience, sans peine, amertume ou culpabilité.

Tout au contraire, le travail que nous avons engagé espère nourrir les débats et aider à comprendre le passé pour mieux le dépasser.

Notes

[1] Cherfi A., « La France coloniale : du Code noir au Code de l’indigénat ou l’humiliation de l’homme par l’homme », El Moudjahid, 5 juillet 2012 http://www.elmoudjahid.com/fr/actualites/30046

[2] Conformément à l’accord de Nouméa signé le 5 mai 1998.

[3] Demain en Nouvelle-Calédonie, 19 avril 2018, http://www.dnc.nc/visite-presidentielle-le-senat-coutumier-veut-un-pardon-de-letat-et-la-reconnaissance-de-lautorite-des-chefferies/.

[4] On se reportera aux entretiens suivants : « Wakolo Pouyé : de l’enseignant à l’homme politique », Mwà Véé : revue culturelle kanak, no15, 1997, p. 23-27 ; « Avec Pierre Ataba : l’indigénat vu de Moindou », Mwà Véé : revue culturelle kanak, no15, 1997, p. 33-36 ; « Ambroise Wimbé : mes parents craignaient que l’histoire se répète… », Mwà Véé : revue culturelle kanak, no16, 1997, p. 16-22 ; « Entretien avec monseigneur Michel Kohu, de Nakéty (Canala) », Mwà Véé : revue culturelle kanak, no57, 2007, p. 16-20.

[5] Rinn L., Régime pénal de l’indigénat en Algérie. Les Commissions disciplinaires, Alger, A. Jourdan, 1885 ; Régime pénal de l’indigénat en Algérie. Le séquestre et la responsabilité collective, Alger, A. Jourdan, 1890 ; Carlotti A.L., De l’application faite en Cochinchine du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires : décrets sur l’indigénat, Paris, A. Chevalier-Marescq, 1903 ; Aumont-Thiéville J., Du régime de l’indigénat en Algérie, Thèse de doctorat, Paris, 1906 ; Pommier R., Le régime de l’indigénat en Indochine,Paris, Michallon, 1907 ; Ruyssen R., Le Code de l’indigénat en Algérie, Alger, Imprimerie Administrative Victor Heintz, 1908 ; Marneur F., L’indigénat en Algérie, Considérations sur le régime actuel, critique, projets de réformes, Paris, Recueil Sirey, 1914 ; Spas L., Etude sur l’organisation de Madagascar : justice indigène, indigénat, conseils d’arbitrage, Paris, M. Giard & É. Brière, 1912 ; Larcher E., Traité élémentaire de législation algérienne, 2 tomes, Paris, A. Rousseau, 1923 ; Dareste P., Traité de droit colonial, 2 tomes, Paris, 1931 ; Girault A., Principes de colonisation et de législation coloniale. Les colonies françaises avant et depuis 1815, notions historiques, administratives, juridiques, économiques et financières Paris, Sirey, 1843,[1ère éd.1894].

[6] Rivet D., « Le Fait colonial et nous. Histoire d’un éloignement », Vingtième Siècle, revue d’histoire, no33, 1992, p. 127.

[7]Asiwaju A.I., « Control through coercion: a study of the Indigenat Regime in French West African Administration, l887-l946 », Journal of the Historical Society of Nigeria, vol. 9, no1, 1978, p. 91-124.

[8] Ageron C.R., Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), t. 1, Paris, Bouchène, 2005 [1er éd. 1968] ; Suret-Canale J., Afrique Noire. L’ère coloniale, Paris, Éditions sociales, 1964 ; Guillaume P., Le Monde Colonial, XIXe-XXe siècle, Paris, Armand Colin, 1994 [1er éd. 1974] ; Collot C., Les institutions de l’Algérie durant la période coloniale (1830-1962), Paris, Éditions du CNRS, 1987 ; Fall B., Le travail forcé en Afrique Occidentale Française (1900-1945),Paris, Karthala, 1993 ; Bernault F. (dir.), Enfermement, Prison et Châtiments en Afrique. Du 19e siècle à nos jours, Paris, Karthala, 1999.

[9] Manière L., « Le code de l’indigénat en Afrique occidentale et son application : le cas du Dahomey (1887-1946) », Thèse de doctorat, Université Paris VII, 2007.

[10] Merle I., Expériences coloniales. La Nouvelle-Calédonie, 1853-1920,Paris, Belin, 1995 ; « Le régime de l’Indigénat et l’impôt de capitation en Nouvelle-Calédonie. De la force et du droit : la genèse d’une législation d’exception ou les principes fondateurs d’un Ordre colonial »,dans Saussol A. et Zitomersky J. (éd.), Colonies, Territoires, Sociétés. L’enjeu français, Harmattan, 1996, p. 223-241 ; « L’état français, le droit et la violence coloniale : le régime de l’indigénat en question » dans Chatriot A. et Gosewinkel D. (éd.), Les figures de l’État en Allemagne et en France, 1870-1945 Figurationen des Staates in Deutschland und Frankreich, 1870-1945,Oldenbourg, Wissenschaftsverlag, 2006, p. 97-116 ; « Du sujet à l’autochthone en passant par le citoyen. Les méandres, enjeux et ambiguïtés de la définition du statut des personnes en situation coloniale et postcoloniale. Pour exemple, la Nouvelle-Calédonie » dans Isabelle Merle et Else Faugère (ed.), La Nouvelle-Calédonie, vers un destin commun ? Paris, Editions Karthala, 2010, p. 19-37 ; Muckle A., « Troublesome chiefs and disorderly subjects: the indigénat and the internment of Kanak in New Caledonia (1887-1928) », French Colonial History, vol. 11, 2010, p. 131-160 ; « “Natives”, “immigrants” and “libérés” : the colonial regulation of mobility in New Caledonia », Law Text Culture, vol. 15, 2011, p. 135-161 ; « The Presumption of Indigeneity: Colonial administration, the “community of race” and the category of indigène in New Caledonia, 1887-1946 », Journal of Pacific History, vol. 47, no3, 2012, p. 309–328 ; «Putting Kanak to Work: Kanak and the colonial labor system in New Caledonia », Pacific Studies, vol. 38, no3, 2015, p. 345-372 ; Violences réelles et violences imaginées dans un contexte colonial : Nouvelle-Calédonie, 1917, Philippe Boisserand (trad.), Nouméa, Presses universitaires de la Nouvelle-Calédonie, 2018.

[11] Benhaddou-Bouzelat S., « Le code de l’indigénat. Entre lois et réalités »Mémoire de maitrise d’histoire sous la direction d’Omar Carlier, Université Paris I, 1999-2000 ; Guignard D., L’abus de pouvoir dans l’Algérie coloniale (1880-1914). Singularités et visibilités, Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest, 2010 ; Thénault S., Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence, Paris, Odile Jacob, 2012.

[12] Mann G., « What was the Indigénat ? The Empire of Law in French West Africa », Journal of African History, vol. 50, 2009, p. 331-53.

[13] Héricord-Gorre A., « Eléments pour une histoire de l’administration des colonisés de l’Empire français. Le ‘régime de l’indigénat’ et son fonctionnement depuis sa matrice algérienne (1881-c.1920) », Thèse de l’institut européen de Florence, 2008 ; Saada E., « « La question des métis » dans les colonies françaises : socio-histoire d’une catégorie juridique (Indochine française et autres territoires de l’Empire français, années 1890-années 1950) », Thèse de doctorat, EHESS, Paris, 2001 ; Le Cour Grandmaison O., De l’indigénat. Anatomie d’un monstre juridique. Le droit colonial en Algérie et dans l’Empire français, Paris, La Découverte, 2010.

[14] Merle I., « De la légalisation de la violence en contexte colonial. Le régime de l’indigénat en question », Politix, vol. 17, n°66, 2004, p. 137-162.

[15] Pommier, Le régime de l’indigénat en Indochine,p. 17. La formule serait d’Emile Larcher.

[16] Cité dans Saada E., « La question des métis », p. 359.

[17] Ibid.

[18] Sala-Molins L., Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, Paris, Puf, 1987, p. 73.

[19] Béji H., Nous, décolonisés, Paris, Arléa, 2008, p. 23.

[20] Pour reprendre le titre du célèbre traité du juriste Henry Solus, Traité de la condition des indigènes en droit privé : colonies et pays de protectorat et pays sous mandat Sirey, Paris, 1927.

[21] On soulignera ici l’apport des recherches la question relative à la nature de l’Etat colonial, les modes de « gouvernementalité » et les articulations entre nation et empire. Voir à titre indicatif : Cooper F. et Stoler A. (dir.), Tensions of Empire, Colonial Cultures in a Bourgeois World, Berkeley, University of California Press, 1997 ; Scott D., « Colonial Governmentality », Social Text,43, 1995, p. 191-220 ; Mamdani M., Citizen and Subject, Contemporary Africa and the Legacy of the Late Colonialism, Princeton, Princeton University Press, 1996 ; Cohn B. et Dirks N., « Beyond the Fringe : The Nation State, Colonialism, and the Technologies of Power », Journal of Historical Sociology, vol., 1, no2, 1988, p. 224-229. Dans le domaine français, cf. : Saada E., Les enfants de la colonie. Les métis de l’Empire français. Entre sujétion et citoyenneté, Paris, La Découverte, 2007 ; Blévis L., « Sociologie d’un droit colonial : citoyenneté et nationalité en Algérie (1865-1947) : une exception républicaine ? », Thèse de doctorat, Aix-Marseille, 2004.

[22] Balandier G., « La situation coloniale. Approche théorique », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 11, 1951, p. 44-79, p. 76. Cf. Merle I., « « La situation coloniale » chez Georges Balandier. Relecture historienne », Monde(s),vol. 2, n°4, 2013, p. 211-232.

[23] Dareste P., Traité de droit colonial,t.2, p. 502-512.

[24] Thénault S., « L’indigénat dans l’Empire français : Algérie/Cochinchine, une double matrice », Monde(s), vol. 12, no2, 2017, p. 23.

[25] Ibid., p. 23-24.

[26] Mann G., « What was the Indigénat ? » ; Sherman T.C., « Tensions of Colonial Punishment : Perspectives on Recent Developments in the Study of Coercive Networks in Asia, Africa and the Carribean », History Compass, vol. 7, no3, 2009, p. 659-677.

[27] Notion développée par Saada dans « The Empire of Law: Dignity, Prestige, and Domination in the « Colonial Situation » », French Politics, Culture and Society, vol. 20, no2, 2002, p. 98-120.

[28] Thénault S., « L’indigénat dans l’Empire français », p. 25.

[29] Ceci est surtout le cas en Nouvelle-Calédonie où les archives du Service des affaires indigènes ont été disloquées ou perdues soit presque totalement (notamment pour la période avant 1930) ou en partie (pour la période après). Donc en matière de statistiques, par exemple, on ne dispose pas du même niveau de détail ou organisation dans les fonds que les chercheurs en AOF ou Algérie.

[30] Nous citons ici les travaux directement centrés sur l’histoire de l’indigénat en Nouvelle-Calédonie : Corre B., « Histoire du service des affaires indigènes de Nouvelle-Calédonie. Affaires indigènes, Indigénat et politiques indigènes de 1856 à 1954, assimilation ou ségrégation ? », Mémoire de DEA, Université française du Pacifique, 1997 ; Lambert J-M., La nouvelle politique indigène en Nouvelle-Calédonie. Le capitaine Meunier et ses gendarmes, 1918-1954,Paris, Harmattan, 1999 ; Kurtovitch I., La vie politique en Nouvelle-Calédonie : 1940-1953, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2000 ; « Sortir de l’indigénat : Cinquantième anniversaire du régime de l’indigénat en Nouvelle-Calédonie », Journal de la Société des Océanistes,n°105, 1997-2, p. 117-139. Voir aussi dans la revue culturelle kanak Mwà Véé : « Dossier : L’indigénat 1887-1946 », Mwà Véé,n°15, 1997, p. 6-36 ; « Dossier : Indigénat II » Mwà Véé, n°16, 1997, p. 16-22 ; Les Kanak à l’heure de la « nouvelle politique indigène », Mwà Véé, n°57, 2007.

[31] Notre recherche est complémentaire des travaux des recherches historiques portant sur les politiques indigènes et l’expérience des colonisés. Nous citerons ici : Saussol A., L’Héritage. Essai sur le problème foncier mélanésien en Nouvelle-Calédonie, Paris, Musée de l’Homme, 1979 ; Dauphine J., Les spoliations foncières en Nouvelle-Calédonie, 1853-1913, Paris, Harmattan, 1989 ; Bensa A. et Goromido A., Histoire d’une chefferie kanak (1740-1878). Le pays de Koohnê – 1 (Nouvelle-Calédonie), Paris, Karthala (avec la Province Nord de Nouvelle-Calédonie), 2005 ; Jaumouillie A.-L., « Entre « sagaïes » et médailles : Processus colonial de reconnaissance des chefs kanak en Nouvelle-Calédonie (1878-1946) », Thèse de doctorat, Université de la Rochelle, 2007 ; Naepels M., « Le devenir colonial d’une chefferie kanake (Houaïlou, Nouvelle-Calédonie) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 65e année, no4, 2010, p. 913-943; Salaün M., L’école indigène. Nouvelle-Calédonie. 1885-1945, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005 ; Trépied B., Une mairie dans la France coloniale. Koné, Nouvelle-Calédonie, Paris, Karthala, 2010; Shineberg D., The People Trade. Pacific Island Laborers and New Caledonia, 1865-1930, Honolulu, University of Hawai‘i Press, 1999 ; Adi C., Orang kontrak. Les engagés originaires de Java venus sous contrat en Nouvelle-Calédonie, 1896-1955,Koné, Editions de la Province Nord, 2014.

[32] Henry Solus doute en 1927 qu’on ait reconnu aux Kanak un statut personnel (la reconnaissance de leurs coutumes en matière de filiation, mariage, héritage et succession sur terres de réserve). « Nous ne connaissons point de textes qui l’ait formellement proclamé » affirme-t-il dans son Traité de la condition indigène en droit privé, Paris, Recueil Sirey 1927, p. 151. Son collègue Dareste déplore le caractère embryonnaire de ce statut en 1920. Dareste P., Recueil de législation, de doctrine et jurisprudence coloniales, t. XXIII, 1920, Jurisprudence coloniale, p. 96-97.

[33] Voir en particulier : Lafargue R. La coutume face à son destin. Réflexions sur la coutume judiciaire en Nouvelle-Calédonie et la résilience des ordres juridiques infra-étatiques, Paris, LGDJ, 2010. Cf. Demmer C. et Trépied B. (dir.), La coutume kanak dans l’Etat : perspectives coloniales et postcoloniales sur la Nouvelle-Calédonie, Paris, Harmattan, 2017.

[34] Memmi A., Portrait du colonisé, précédé de Portrait du colonisateur, Paris, Buchet/Chastel, 1957 ; Sartre J.-P., « Le colonialisme est un système », Situations, t. V : Colonialisme et Néo-Colonialisme, Paris, Gallimard, 1964 ; Balandier G., « La situation coloniale. Approche théorique ».

Source :  Histoire coloniale et postcoloniale – Édition du 1er au 15 juin 2025

Guelma, Mémoires et fraternité – Mai 2013

Trois associations, la 4 ACG (Appelés Contre la Guerre) l’ANPNPA (Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et leurs Ami.e.s) et Les Réfractaires, avaient décidé d’aller en Algérie en mai 2012, pour rendre hommage aux martyrs de mai 1945.

Pour différentes raisons, le voyage a eu lieu en mai 2013.

Cette vidéo a été tournée à Guelma, le 8 mai 2013, en présence de notables de Guelma, en particulier ceux qui se sont mis à disposition du groupe pour différentes visites.

Paris (et en visio) : « Le passé de la colonisation française de l’Algérie et la brouille diplomatique actuelle entre les deux pays » – 14/06/2025 – 15h-17h

En partenariat avec Orient XXI, histoirecoloniale.net organise une table ronde pour décrypter la crise actuelle entre la France et l’Algérie. Entrée libre.

Au Centre international de culture populaire (CICP), 21ter, rue Voltaire 75011 Paris,se tiendra le samedi 14 juin de 15h à 17h une table ronde ayant pour thème : « Le passé de la colonisation française de l’Algérie et la brouille diplomatique actuelle entre les deux pays ».

Ouverte au public, elle aura lieu à l’issue de l’Assemblée générale de l’Association Histoire coloniale et postcoloniale, de 14h et 15h, ouverte quant à elle seulement aux donateurs et aux adhérents de cette association, ainsi qu’à des invités (demandes d’adhésions possibles sur place ; rapport moral et rapport financier y seront adoptés).

Organisée en partenariat avec Orient XXI, la table ronde sera animée par Sarra Grira (rédactrice en chef d’Orient XXI) et réunira : Aïssa Kadri (sociologue), Nedjib Sidi Moussa (historien), Jean-Pierre Sereni (journaliste à Orient XXI), Mouloud Boumghar (juriste et universitaire) et Alain Ruscio (historien).

ldentifiant de connexion en visio pour la table ronde : https://us06web.zoom.us/j/87368505772?pwd=B4BMU81RlN0d11xUF4kbbbNmdj0zuk.1
Code secret: 317229

Source : Histoire coloniale et postcoloniale – Édition du 1er au 15 juin 2025

Islamophobie. La fabrique d’un soupçon – Laurent Bonnefoy

L’ouvrage de Hamza Esmili, érudit et percutant, offre une réponse rare et salutaire à la stigmatisation des musulmans en France. Face à l’actualité marquée par une offensive islamophobe du pouvoir contre le prétendu « entrisme » des Frères musulmans, sa réflexion est essentielle.

Hamza Esmili, La cité des musulmans. Une piété indésirable
Éditions Amsterdam, 2025, 150 pages, 13 euros

Hamza Esmili, chercheur à l’Université libre de Bruxelles, s’intéresse dans ses travaux scientifiques au réinvestissement de la tradition islamique par les immigrés et leurs enfants en France. Dans La cité des musulmans publié ce printemps, il fait un léger pas de côté et se penche sur les formes de discriminations subies par les musulmans et sur la mise en place, à travers des politiques publiques et des discours, de l’islamophobie en France.

À travers une approche d’abord chronologique, l’auteur présente les mécanismes d’élaboration des discours discriminants à l’égard d’une pratique religieuse considérée comme indésirable. Il pointe notamment la convergence entre la stigmatisation des populations issues de l’immigration post-coloniale et un rapport défiant à la piété et à certaines formes de solidarité qui s’est structurée au fil de l’histoire.

En complément de textes parus depuis deux décennies, tels ceux fondateurs de Vincent Geisser (La Nouvelle islamophobie, La Découverte, 2003), Thomas Deltombe (L’Islam imaginaire, La Découverte, 2005) puis Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat (Islamophobie : Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », La Découverte, 2013), il met à jour la réflexion si malhonnêtement contestée dans l’espace médiatique et politique dominant. La séquence qui a suivi l’assassinat islamophobe d’Aboubakar Cissé dans une mosquée du Gard le 25 avril 2025 est la patente illustration de l’incapacité de bien des décideurs à intégrer la réalité concrète des violences et discriminations subies par celles et ceux qui sont liés à l’islam en France.

Hamza Esmili conceptualise ce qu’il désigne comme une « collision historique se figurant en problème musulman », soit entre « une invitation à la piété » portée par des musulmans d’une part, et d’autre part, « une société globale » française rétive à la perpétuation ou la réinvention de « liens de filiation » perçus comme communautaires. Le propos s’appuie sur une subtile réflexion philosophique et fait appel à la succession de débats, lois et décisions, jusqu’à celle récente sur le « séparatisme islamiste » en 2020-2021 qui sert à étendre toujours plus les pratiques d’exclusion. Nulle doute que les termes du débat lancé en mai 2025 avec la publication d’un rapport sur les Frères musulmans en France donnent du crédit à la thèse défendue par l’ouvrage.

Pile, je gagne, face tu perds

Les rengaines et obsessions du ministre Bruno Retailleau, de la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler ou du polémiste Éric Zemmour, leurs mensonges, excès et raccourcis, s’inscrivent dans une démarche qui s’est patiemment construite depuis les années 1980, et qui se reconfigure à chaque fois en mobilisant de nouveaux mots et concepts. À propos du « séparatisme » qui a un temps fait florès, l’auteur relève avec une grande justesse combien celui-ci construit une thèse qui confine au complotisme :

« La condition collective des immigrés et de leurs enfants en cité est constituée en sécession territoriale, tandis que le procès d’intégration sociale en leur sein est traduit en entrisme ».

Pile, je gagne, face tu perds !

La réflexion de l’ouvrage ne se limite pas uniquement aux modes de construction de cette singulière islamophobie française. Dans un second temps, Hamza Esmili s’intéresse en effet aux modalités par lesquelles, celles et ceux qui sont les cibles de ces discours, s’en démarquent, à travers une « réaffiliation religieuse » accomplie « solidairement », c’est-à-dire par les immigrés et leurs enfants eux-mêmes, au plus près de leur expérience. À travers le champ associatif ou les modalités locales de financement des mosquées se jouent des pratiques qui ne sont pas seulement réactives, mais plutôt le fruit d’une crise qui est collective, ancrée dans le contexte contemporain.

La prise en compte des apports de la sociologie des migrations et du champ des sciences sociales des religions, notamment pour réfléchir aux phénomènes de violence dite « djihadiste », se révèle ici tout particulièrement pertinente. La prose est certes parfois ardue, mais toujours incisive et efficace, faisant de La cité des musulmans une contribution indéniablement judicieuse.

Laurent Bonnefoy est chercheur au CNRS, Centre de recherches internationales (CERI), Sciences Po.

Source : Orient XXI – 23/05/2025 https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/islamophobie-la-fabrique-d-un-soupcon,8217

Immigration : Arenc, le hangar de la honte

Pendant douze ans, un hangar clandestin a servi de prison illégale sur le port de Marseille. Près de 30 000 étrangers y sont passés avant d’être expulsés, essentiellement des algériens. Il faudra attendre 1975, pour qu’un avocat révèle l’existence de ce fameux hangar d’Arenc. À l’époque, l’affaire a provoqué un scandale national.

Pour en parler, Jean-Pierre Gratien reçoit le journaliste et réalisateur Olivier Bertrand ainsi que les historiens Naïma Huber-Yahi et Benjamin Stora.

Paris : Festival « Décolonisons ! » – Du 10 au 20/06/2025

Nous voulons libérer le passé pour libérer l’avenir

Nous sommes au rendez-vous de ce que nous avions prévu il y a trois mois, nous accélérons le pas, avec cet Acte 1 pour le projet du Musée, qu’est le Festival « DÉCOLONISONS ! »

Annie Ernaux, Didier Daeninckx, Gérard Mordillat, Pierre Bergougnioux, de nombreux artistes, des collectifs d’artistes et des réalisateurs nous ont rejoint et le programme est à la hauteur : une cinquantaine d’intervenantes et intervenants, des films, des court-métrages, des documentaires, des points de situation sur différents quartiers, des lectures de textes et de poésies palestiniennes, des Antilles ou du Maghreb, de nombreux échanges thématiques où la parole sera libre.

Dorothy bar, 85 bis rue Ménilmontant 75020

CICP 21 rue Voltaire 75011 Paris

Volumes, 78 rue Compans 75019

Frères musulmans : décryptage d’un rapport qui se dégonfle – Lucie Delaporte et Marie Turcan

Le rapport sur l’influence des Frères musulmans en France, dont la version définitive vient d’être publiée, est loin d’être aussi alarmiste que ce qu’a tenté de faire croire Bruno Retailleau. Les chiffres, mis en perspective, montrent en réalité un repli de leur influence.

Tout ça pour ça. Le rapport sur les frères musulmans a occupé la communication gouvernementale toute la semaine. Une première version avait fuité dans Le Figaro mardi 20 mai, la veille de sa présentation en Conseil de défense, ce qui avait agacé Emmanuel Macron. Le ministère de l’intérieur a finalement publié officiellement vendredi soir le rapport, toujours expurgé de certains passages pour des raisons de sécurité.

Loin des formules sensationnalistes du ministre de l’intérieur, ce rapport laisse voir une influence réelle mais relativement limitée, et surtout en déclin, de la mouvance frériste dans le paysage musulman français. Tenu par la commande politique formulée par Gérald Darmanin il y a un an, qui voulait que ce document provoque un « choc » dans l’opinion, le rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France » avance l’idée d’une réelle menace pour la République, en restant souvent très flou.

À des passages factuels et neutres succèdent des assertions vagues aux accents parfois complotistes, ce qui fait penser à un rapport palimpseste, qui a manifestement subi plusieurs réécritures et dont une vingtaine de pages restent caviardées. Décryptage.

  • Une mouvance en déclin

Le frérisme en France, combien de divisions ? Pour le savoir, il faut d’abord passer par 40 pages consacrées à l’histoire des Frères musulmans, un mouvement sunnite créé en Égypte par Hassan el-Banna avec l’ambition de réislamiser les fidèles dans le contexte colonial marqué par la domination britannique. Puis arrive enfin l’Hexagone : les membres de la confrérie en France seraientaujourd’hui « entre 400 et mille personnes », estime le rapport. Il ne précise pas que ce nombre – difficile à établir, compte tenu de la tradition de secret de la confrérie – est tendanciellement en baisse, comme tous les spécialistes interrogés par Mediapart nous l’ont confirmé (voir notre boîte noire). Revendiquant l’héritage frériste, l’association Musulmans de France, qui gère notamment des lieux de cultes, est historiquement considérée comme la branche française des Frères musulmans, même si ses cadres assurent n’avoir plus de liens organiques avec la confrérie. 

Le rapport recense 139 lieux de cultes « affiliés à Musulmans de France »,et68 autres considérés comme « proches » de la mouvance frériste.Soit, au total, seulement 7 % des mosquées. Bernard Godard, qui a suivi au ministère de l’intérieur l’islam de France pendant près de quinze ans, rappelle qu’il y avait plus de 250 mosquées affiliées à l’UOIF (Union des organisations islamiques de France, ancêtre de Musulmans de France) à la fin des années 1990.

La photographie du monde caritatif est tout aussi parlante. Sur la trentaine d’ONG considérées comme « islamistes », 16 sont « dirigées par des salafistes », un courant sunnite concurrent marqué par une lecture littéraliste et rigoriste des textes. Mais le rapport en identifie seulement quatre « relevant ou ayant relevé de la mouvance frériste ». Une fois de plus, difficile de voir dans cette mouvance la principale menace dans l’offre islamiste, alors que le salafisme n’a cessé de gagner du terrain ces dernières années. 

Le budget de Musulmans de France, 500 000 euros annuels, a baissé de moitié depuis cinq ans. La structure n’est plus en mesure d’organiser ses grands rassemblements du Bourget, qui pouvaient attirer jusqu’à 100 000 personnes. « Leur rassemblement annuel se fait maintenant dans un hall d’hôtel où l’on voit des cadres de plus en plus vieillissants, précise sur ce point le chercheur Haoues Seniguer auprès de Mediapart.

Si Musulmans de France ne revendique que 53 associations affiliées, essentiellement religieuses, avec des « coopérations » avec une cinquantaine d’autres structures, le rapport affirme qu’il y aurait en réalité 280 associations reliées à la structure. Sans plus de précisions. Pour Bernard Godard, elles étaient « plus de 400 il y a quinze ans ».

Le reflux de l’influence frériste s’explique aussi par la vague de répression contre cette mouvance, en particulier depuis l’adoption de la loi sur le séparatisme. Le rapport en donne plusieurs exemples : expulsion de l’imam Iquioussendissolution du Comité contre l’islamophobie en France (CCIF)… Mais aussi fermeture de certaines structures et des enquêtes diligentées contre des associations comme Humani’terre ou Al Wakt al Islami pour financement d’entreprise terroriste.

  • Les mensonges de Retailleau sur la charia et le califat

La veille de la parution de la première version du rapport, Bruno Retailleau a employé des formules des plus alarmistes : « L’objectif ultime est de faire basculer toute la société française dans la charia », a-t-il lancé aux journalistes, à propos de cette grande loi islamique qui risquerait de supplanter les lois de la République.

Ledit rapport énonce pourtant précisément l’inverse : « Aucun document récent ne démontre la volonté de Musulmans de France d’établir un État islamique en France ou y faire appliquer la charía », lit-on dans ses conclusions.

Le terme de charia n’y apparaît d’ailleurs qu’une seule autre fois, au niveau du glossaire : « Grande loi islamique à la fois religieuse et sociale suivie par les musulmans des États islamiques qui englobe certains principes de droit ». Et de préciser qu’elle « ne s’applique pas de la même manière et selon les mêmes règles, dans les différents États qui l’ont adoptée », concédant ainsi la difficulté d’en définir les contours.

La rapport n’indique à aucun moment que la mouvance française aurait aujourd’hui le projet d’instaurer un califat, contrairement là encore aux déclarations tonitruantes du ministre de l’intérieur. 

  • Confusion entre salafisme et frérisme

À plusieurs reprises, le rapport pointe une hybridation entre les salafistes et la mouvance frériste. Cette thèse, développée notamment par la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler, qui parle de « fréro-salafistes », est controversée et minoritaire dans le champ académique. Sur le terrain, des chercheurs et chercheuses comme Brigitte Maréchal, spécialiste du frérisme européen, décrivent plutôt une concurrence féroce entre ces tendances de l’islam sunnite. 

Mais ce flou conceptuel permet au rapport de passer sans grande logique de la dénonciation d’un fonctionnement typiquement issu de la tradition frériste à celle de pratiques notoirement associées au salafisme.

  • Une même poignée d’établissements scolaires pointés du doigt

« Vingt et un établissements musulmans » en France seraient « liés à la mouvance des Frères musulmans », pour un total de 4 200 élèves, établit le rapport. Cinq établissements musulmans seulement ont un contrat avec l’État – le rapport ne dit pas que 96 % des établissements sous contrat en France sont catholiques, ce qui concernait 2 millions d’élèves en 2023.

Parmi ces établissements, il y a un binôme désormais incontournable : Averroès (Lille) et Al-Kindi (Lyon), deux groupes scolaires qui épousent la même destinée. À un an d’écart, leur contrat d’association avec l’État a été résilié par une décision de préfecture. Des motifs similaires ont été invoqués : une comptabilité pas assez carrée, des financements étrangers et des manquements aux « valeurs de la République ».

Le rapport omet de rappeler, comme l’ont révélé Mediapart et Mediacités, que les rapports de préfecture ont été tronqués pour monter des dossiers à charge. Tout juste est-il glissé qu’Averroès a eu gain de cause en avril, quand le tribunal administratif lillois a annulé la résiliation de son contrat, estimant que « les manquements ne sont pas suffisamment établis ».

Paradoxalement, le rapport souligne le fait que « les enfants scolarisés n’y sont pas, loin s’en faut, par des parents affiliés à la mouvance », car « un grand nombre d’entre eux recherche davantage l’excellence scolaire que proposent les écoles fréristes », le qualificatif lui-même étant rejeté par le personnel éducatif. « Ici, que ce soient les élèves ou n’importe qui d’autre, personne ne sait ce qu’est un frère musulman », s’est ému le directeur adjoint d’Al-Kindi, lorsque Mediapart l’a rencontré en janvier 2025. 

  • Le sport

À entendre les sénateurs et sénatrices et une grande partie des ministres du gouvernement Bayrou ces derniers mois, l’urgence serait d’interdire le port du voile dans les compétitions sportives. Pourtant, ce rapport sur l’entrisme ne consacre que quelques paragraphes au sport, reprenant des données éculées qui circulent depuis des années et en omettant soigneusement d’autres.

Il passe ainsi sous silence les conclusions du rapport Sporad, produit par les services de recherche du ministère de l’intérieur, qui montrent qu’il « n’y a pas de phénomène structurel, ni même significatif de radicalisation ou de communautarisme dans le sport ».Rendu en 2022, ce document a été mis de côté par le ministère de l’intérieur, jusqu’à ce que Mediapart le mette au jour en mars 2025.

Le rapport déclassifié sur l’entrisme mentionne qu’« en 2020, 127 associations sportives étaient identifiées comme “ayant une relation avec une mouvance séparatiste” ». Le rapport Sporad, lui, observe que « le nombre d’associations sportives “séparatistes” est passé de 127 à 62 » entre 2019 et 2021une forte baisse, « alors même que les services ont déployé plus d’efforts pour identifier des cas », notent les chercheurs et chercheuses.

  • L’obsession des municipales

L’entrisme de la mouvance aux municipales apparaît comme l’une des principales menaces pointées par le rapport. « Le danger d’un islamisme municipal, composite au plan idéologique mais très militant, avec des effets croissants dans l’espace public et le jeu politique local, apparaît bien réel »,note le rapport reprenant une vieille marotte de Bruno Retailleau, qui a déposé une proposition pour faire interdire les listes communautaires en 2019.

Le rapport indique que « certains spécialistes consultés considèrent que d’ici une dizaine d’années des municipalités seront à la main d’islamistes, comme en Belgique »,sans aucune autre précision sur la réalité d’un phénomène qui n’a pour l’instant jamais décollé en France.

Les listes communautaires musulmanes ont en effet été très peu nombreuses aux dernières élections municipales et ont recueilli très peu de voix. Sur la dizaine de listes recensées, aucune n’a été élue et leur score a rarement dépassé les 2 %.

  • Une logique du soupçon…

De nombreux passages du rapport mettent en doute la sincérité des organisations se référant à l’héritage frériste. Toutes les affirmations de Musulmans de France sur son éloignement de la confrérie sont considérées comme relevant du double discours ou de la dissimulation. Leur projet de réorganisation en fédérations thématiques, pour pallier le manque de cadres, viserait en réalité « à laisser accroire qu’il ne s’agit plus d’entités fréristes et à rendre plus difficiles les éventuelles entraves dont ils pourraient faire l’objet », lit-on.

Même lorsque Musulmans de France signe la charte des principes pour l’islam de France, présentée comme un refus du « séparatisme », ce choix «n’est probablement pas sans lien avec la crainte des cadres dirigeants d’une dissolution administrative », avance le rapport. 

Manifestement, les rapporteurs ne croient pas non plus au choix de l’organisation de s’en tenir aux questions strictement religieuses, qu’ils estiment être « artificieux ».

Les nombreux chercheurs interrogés ces derniers jours précisent pourtant qu’une évolution des acteurs de la mouvance a bien eu lieu ces vingt dernières années. Haoues Seniguer préfère d’ailleurs parler de « néofrérisme », pour marquer cette adaptation au contexte français et l’acculturation des cadres comme des sympathisants au cadre laïque.

Si la tradition de secret de la confrérie, héritage de la répression subie en Égypte dès sa création, pèse dans cette interprétation, le rapport n’apporte aucun élément tangible de cette dissimulation aujourd’hui. À sa lecture, toute manifestation visible de l’islam, de la consommation hallal au port du voile, est potentiellement suspecte. 

  • … et des nuances écrasées par la communication

Cet air de soupçon généralisé va paradoxalement à l’encontre d’autres passages du rapport. « Le reste du corps social doit accepter que l’islam est une religion française, très probablement l’une des toutes premières sinon la première en termes de pratique cultuelle, et mérite à cet égard de la considération, y compris vis-à-vis de certaines de ses mœurs qu’il ne partage pas », lit-on par exemple.

Plusieurs préconisations fortes du rapport, concernant les signaux à envoyer à une communauté musulmane en proie à un « sentiment de rejet » comme l’apprentissage de l’arabe à l’école, les carrés musulmans dans les cimetières ou la reconnaissance d’un État palestinien, ont aussi étrangement été passées à la trappe dans la communication outrancière de la Place Beauvau ces derniers jours. 

Boîte noire

Pour décrypter ce rapport Mediapart a interrogé plusieurs chercheurs comme Haouès Seniguer, Franck Frégosi ou Margot Dazey. Bernard Godard, qui a été chargé pendant plus de quinze ans de la question de l’islam au ministère de l’intérieur, nous a également aidé à mettre en perspective les chiffres présentés dans ce rapport. 

Pour l’enquête sur le livre de Florence Bergeaud-Blackler consacré au frérisme, nous avions également échangé sur le phénomène avec Brigitte Maréchal, Vincent Geisser ou Elyamine Settoul. 

Source : Mediapart – 24/05/2025 https://www.mediapart.fr/journal/politique/240525/freres-musulmans-decryptage-d-un-rapport-qui-se-degonfle

Disparition du cinéaste algérien Mohamed Lakhdar Hamina, seul africain sacré à Cannes – Houda Ibrahim

Le réalisateur et producteur algérien, Mohamed Lakhdar Hamina, seul cinéaste arabe et africain couronné à Cannes, est mort ce vendredi 23 mai à l’âge de 95 ans, a annoncé sa famille. Il y a 50 ans, jour pour jour, le 23 mai 1975, la Palme d’or du festival de Cannes lui était décernée. Vendredi, le palais du festival et le festival de Cannes avaient prévu un hommage pour ce 50e anniversaire, en projetant dans le cadre de Cannes classique son film Chronique des années de braise. Une projection qui est donc survenue le jour du décès du cinéaste.

Avec notre envoyée spéciale à Cannes, Houda Ibrahim

« Mes deux frères sont restés au chevet de mon père », a déclaré Malik Lakhdar Hamina avant la projection du film Chronique des années de braise de Mohamed Lakhdar Hamina son père. Quelques heures avant l’annonce de sa mort par la famille à Alger. Il était le doyen des lauréats de la Palme d’or encore en vie, et son film récompensé l’avait propulsé définitivement sur la scène mondiale du septième art.

Fresque historique

Mohamed Lakhdar Hamina est l’un des rares cinéastes africains à avoir concouru quatre fois à la compétition officielle au festival de Cannes. Avant d’avoir la Palme d’or, il a été récompensé par le prix de la première œuvre pour Le vent des Aurès, en 1967. La lutte pour l’indépendance de l’Algérie était au cœur de cette grande fresque historique qui raconte en six chapitres de 1939 à 1945 l’acheminement du peuple algérien vers sa liberté.

Pendant la guerre d’Algérie, son père avait été enlevé, torturé et tué par l’armée française. Il a été lui-même appelé en 1958, il avait rejoint la résistance algérienne à Tunis. Et c’est à Tunis en autodidacte qu’il a appris le cinéma en faisant des stages aux actualités tunisiennes avant de se lancer dans de premiers courts-métrages.

Un hommage à une « mémoire »

« Aujourd’hui à Cannes, nous ne célébrerons pas seulement un film », a déclaré son fils, « nous rendons hommage à une mémoire, à une conscience et à une œuvre qui à travers l’art a su porter la voix d’un peuple, l’histoire d’une lutte et l’âme d’un continent ».  

Source : RFI – 24/05/2025 https://www.rfi.fr/fr/culture/20250524-le-cin%C3%A9aste-alg%C3%A9rien-mohamed-lakhdar-hamina-seul-africain-sacr%C3%A9-%C3%A0-cannes-est-mort