Décembre 1960. Quand le peuple algérien se soulevait contre le colonialisme – Mathieu Rigouste

Un épisode oublié de la guerre d’indépendance. Après la « bataille d’Alger » en 1957, la France prétendait avoir anéanti toute opposition en Algérie. Mais le dimanche 11 décembre 1960 et les jours suivants, de vastes manifestations populaires sont organisées par les Algériens pour arracher leur indépendance. Cet épisode historique capital reste méconnu.

Le 11 décembre 1960, trois ans après la bataille d’Alger, de gigantesques manifestations du peuple algérien ont débordé la répression militaire française et changé le cours de la révolution algérienne. Alors que l’armée a largement démantelé le Front de libération nationale (FLN) dans les villes et les maquis de l’Armée de libération nationale (ALN), c’est une multitude de colonisés anonymes qui submerge l’ordre colonial. Avec souvent des anciens, et en première ligne des femmes et des enfants venus par milliers des bidonvilles et des quartiers ségrégués, le peuple algérien surgit au cœur des centres-villes coloniaux ; drapeaux, banderoles et corps en avant. La répression est comme d’habitude terrible, elle n’a cependant pas réussi à soumettre.

De Gaulle et le Front de l’Algérie française

Le général de Gaulle avait prévu un séjour en Algérie du 9 au 12 décembre 1960 pour promouvoir son projet néocolonial de « troisième voie », nommé « Algérie algérienne ». Calqué sur les modèles imposés dans les anciennes colonies françaises, il consistait à placer au pouvoir une classe dirigeante inféodée à l’État français et chargée de mettre en œuvre une nouvelle forme de vassalisation économique. Le chef de l’État voulait également sonder les troupes et les « pieds-noirs ». Mais son projet déchaîne la colère des colons « ultras ». Organisés dans un Front de l’Algérie française (FAF), ils ont l’appui de plusieurs régiments, mais également des réseaux dans la police, l’administration et l’industrie, jusqu’au sommet de l’État. Le FAF cherche à répéter le putsch militaire qui a installé de Gaulle en mai 1958 et fondé la Ve République, mais il veut désormais le faire chuter pour imposer « l’Algérie française ».

Le 1er décembre 1960, l’État français dispose de 467 200 militaires en Algérie, plus 94 387 supplétifs [1]. Le 8 décembre, de Gaulle annonce qu’un référendum sur l’autodétermination sera organisé le 8 janvier 1961. Le FAF diffuse des tracts appelant à la grève et à l’action. Toutes les forces en présence savent que les prochaines batailles détermineront soit le contenu et la forme de l’indépendance, soit celui de l’apartheid. Et si tout le monde s’attend au coup de force des Européens, personne n’a vu venir l’insurrection algérienne.

Un imposant dispositif de gendarmerie mobile et de policiers des compagnies républicaines de sécurité (CRS) est mis en place à Alger dès le 8 décembre. Les autorités civiles et militaires diffusent des appels au calme. Le lendemain, de Gaulle atterrit près de Tlemcen, accompagné de Louis Joxe et de Pierre Messmer ainsi que des généraux Paul Ély et Jean Olié. Il se rend à Aïn-Temouchent et veut éviter les grandes villes où les ultras sont nombreux et organisés. À Oran, Alger et dans plusieurs autres agglomérations, des commandos de jeunes Européens réussissent à bloquer les grandes artères, attaquent les forces de police et ciblent les lieux de pouvoir politique. Ils provoquent, humilient et attaquent aussi les colonisés dans la rue, souvent aux frontières des quartiers musulmans, des quartiers mixtes et des quartiers européens.

Contre les exactions des « ultras »

C’est donc rue de Stora (devenue rue des frères Chemloul) à Oran ou rue de Lyon (Belouizdad) à Alger, qu’éclatent, le 10 décembre, les premières révoltes et c’est là aussi que se forment les premiers cortèges de colonisés insurgés. Les soulèvements naissent ainsi sur les frontières urbaines de la ségrégation coloniale. Mostepha Hadj, un résistant oranais présent, raconte :

« Dès que l’alarme a été donnée, tous les habitants du quartier de M’dina J’dida se sont mis en autodéfense en scandant « Allahou Akbar », encouragés par les femmes et leurs youyous assourdissants. Elles s’étaient installées sur les terrasses et balcons en amassant toutes sortes de projectiles : bouteilles, gourdins, pierres, tuiles… prêtes à toute éventualité. (…) C’est avec une spontanéité extraordinaire que les Algériens des autres quartiers ont répondu à l’appel »[2].

L’armée et la police utilisent des haut-parleurs pour exiger des colonisés qu’ils rentrent dans leurs quartiers, tandis que les ultras sillonnent les rues et klaxonnent inlassablement le rythme ponctuant les cinq syllabes « Al-gé-rie-fran-çaise ». En réponse, et en dépit des barrages militaires et policiers qui bouclent plusieurs quartiers, les femmes accompagnent de leurs youyous les déplacements des colonisés, dont les cortèges affluent de partout.

À Alger, les premières révoltes à Belcourt sont suivies par celles des habitants du bidonville de Nador puis des autres zones misérables auto-construites depuis les années 1930. Depuis 1954, des migrants issus des montagnes et des campagnes dévastées par la guerre s’y sont également installés. Ils constituent une part importante des manifestants. Des cortèges de femmes prennent la tête des manifestations et enfoncent des barrages militaires, raconte Lounès Aït Aoudia, un manifestant qui habite toujours la Casbah [3]. Les soldats mitraillent nombre d’entre elles. Leurs haïks (NDLR. Long voile blanc.) rouges de sang et leur courage bouleversent les témoins.

En un après-midi, cette « flamme de Belcourt » s’étend aux quartiers populaires de la périphérie d’Alger puis, dans les jours qui suivent, elle gagne Constantine, Annaba, Sidi Bel Abbès, Chlef, Bône, Blida, Béjaïa, Tipasa, Tlemcen… Pendant près d’une semaine, des soulèvements, auto-organisés dans la spontanéité, se confrontent à des méthodes de répression impitoyables de la part de l’État et des ultras.

Fin de la « troisième voie » gaullienne

Les manifestations de décembre forcent le général de Gaulle à abandonner son projet de « troisième voie » et renvoient les ultras à leurs conspirations. Pour se légitimer, certains héritiers du FAF affirment que ces rassemblements dérivent de tentatives de manipulation par les structures d’action psychologique (sections administratives urbaines, SAU), qui auraient mal tourné et se seraient transformées en flambée de « racisme anti-européen ». Des sources militaires, le FLN et des témoins civils confirment que quelques membres des sections administratives spécialisées (SAS) ont autorisé la formation des manifestations spontanées en croyant pouvoir leur imposer des slogans gaullistes comme « Pour l’Algérie algérienne et contre les ultras ». Les colonisés s’en sont parfois saisis pour contourner le dispositif, passer ses barrages et manifester contre le projet néocolonial et pour l’indépendance réelle comme dans la majorité des villes, où aucune SAU n’est intervenue.

D’autre part, selon certains héritiers du FLN de l’époque, ce serait le parti, à travers la nouvelle zone autonome d’Alger (ZAA) qui aurait lancé les manifestations et trompé les SAU. Une partie de l’extrême droite française soutient d’ailleurs cette pseudo-thèse pour construire son mythe d’une alliance entre le FLN et l’État gaulliste.

Des réseaux plus ou moins formels de quelques dizaines de militants FLN avaient bien commencé à se reformer dans les grandes villes. Et selon l’historien algérien Daho Djerbal, jamais le FLN n’a « abandonné le principe de maintien d’une organisation du peuple ». Les réseaux de militants ne constituaient toutefois rien d’équivalent à cette organisation structurée et hiérarchisée qu’était la ZAA. On observe plutôt la participation de militants de base à des formes collectives et autonomes d’organisation populaire. Tandis que quelques « militants d’appareils », beaucoup moins nombreux, tenteront d’encadrer des manifestations, notamment en orientant les slogans pour que les cortèges refusent le mot d’ordre « Algérie algérienne » — qui pouvait passer pour un soutien au projet néocolonial gaulliste — et pour qu’apparaissent des banderoles, des écritures et des slogans pour « l’Algérie musulmane ».

Espoir d’indépendance

Dans de nombreuses villes fleurissent des slogans exigeant des « négociations avec le FLN », « Abbas [4] au pouvoir » ou « Vive le GPRA » qui ont fortement marqué les observateurs internationaux jusqu’aux débats à l’ONU. Bahiya M. [5], qui n’avait alors que 10 ans, a participé aux manifestations. Fille de collecteur de fonds pour le FLN, habitant à Belcourt, elle raconte :

« À un moment, on a compris qu’on avançait vers l’indépendance. Ma sœur s’est mise à confectionner des drapeaux à la maison. Elle cousait bien puisqu’elle avait eu une formation [de couture]. Ma mère avait une machine à coudre, il suffisait d’acheter du tissu blanc, vert et du rouge pour le croissant. Elle a fait beaucoup de drapeaux. Et bien sûr, on les avait ce jour-là ».

Malgré les récits de certains héritiers FLN, Bahiya M. assure que nombre de femmes cousaient des drapeaux bien avant décembre 1960 et que personne ne les encadrait pour le faire ni ne leur avait donné de consignes au soir du 10 décembre.

J’imagine que la plupart des femmes avaient œuvré, incognito, pour la révolution. En abritant des combattants, en donnant des sous… parce qu’elles voulaient voir leurs enfants vivre librement. Il y avait beaucoup d’enfants [dans les manifestations]. Et elles aussi, elles voulaient vivre librement. (…).

Les Algériennes ont été en première ligne des manifestations, elles ont aussi porté toute une part invisible de l’auto-organisation des soulèvements. Les enterrements des martyrs, qui permettaient de faire partir de nouvelles manifestations après les mises en terre, étaient aussi organisés principalement par des femmes. Dans le même temps, des centres de soins étaient installés dans des appartements ou des mosquées, avec des médecins et des infirmières algériens. Des cantines de rue permettaient à tous de manger dans les quartiers bouclés. Les journalistes français et étrangers, nombreux ces jours-là, étaient approchés par des adolescents, voire par des enfants, puis emmenés dans ce qu’ils ont décrit comme des « QG du FLN » où on livrait un point de vue indépendantiste sur les manifestations en cours.

Dans toutes ces expériences, on retrouve l’implication déterminée des femmes, des enfants et des anciens, et en général des civils jusque-là considérés comme la « population à conquérir » par les états-majors politiques et militaires français et par certaines fractions du FLN/ALN.

La libération arrachée par le peuple

Les fractions dominantes de l’armée française maintiennent que l’État s’est fait submerger parce qu’il n’aurait pas laissé l’armée s’engager dans la contre-insurrection. Or presque partout, les troupes ont été déployées et avec l’accord des autorités politiques, elles ont tiré et tué. Elles ont raflé et torturé. Les méthodes de guerre policière n’ont pas été empêchées par l’État gaulliste, mais débordées par le peuple algérien. Les autorités françaises reconnaissent alors officiellement 120 morts, dont 112 Algériens et des centaines de blessés, indique l’historien Gilbert Meynier. Des dizaines de colonisés, dont des adolescents ont été arrêtés, « interrogés » et pour certains ont « disparu » dans les jours et les semaines qui ont suivi.

Cette séquence a fortement influencé le schéma répressif mis en œuvre le 17 octobre 1961 à Paris par le préfet de police Maurice Papon, ancien « inspecteur général de l’administration en mission extraordinaire en Algérie »[6]. Des milliers d’Algériens de tous âges, venus des bidonvilles et des quartiers populaires pour manifester contre le colonialisme et le racisme seront raflés, tabassés, internés et plusieurs dizaines tués ce soir-là par la police en plein Paris. Décembre 1960 est aussi la scène historique qui irrigue la pensée de Frantz Fanon lorsqu’il commence à concevoir Les damnés de la terre, le mois suivant, comme nous l’a confirmé Marie-Jeanne Manuellan [7], une assistante sociale communiste et anticolonialiste avec qui il a travaillé et à qui il a dicté ses derniers livres.

Après les soulèvements, l’étau militaire est desserré dans les montagnes, Charles de Gaulle ordonne l’arrêt des exécutions, abandonne le projet de « troisième voie » et doit se résoudre à négocier avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) de Ferhat Abbas et Krim Belkacem. Le 19 décembre, l’Assemblée générale des Nations unies vote la résolution 1573 (XV) reconnaissant au peuple algérien son droit « à la libre détermination et à l’indépendance ».

Après plus de 130 années d’écrasement et cinq années d’une guerre impitoyable, le peuple algérien a réussi à prendre sa révolution en main. Depuis, de nouvelles classes dominantes ont rétabli une forme d’asservissement, tout en collaborant au néocolonialisme. Mais une histoire populaire des soulèvements de décembre 1960 — qui reste à approfondir — montre comment un peuple opprimé s’est organisé et a œuvré pour arracher sa propre libération[8].

[1] Alban Mahieu, « Les effectifs de l’armée française en Algérie », in Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse, Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, Éditions Complexe, 2001 ; p. 43-44.

[2] Mohamed Freha, Décembre 1960 à Oran, Éditions Dar El-Qods El-Arabi, 2013 ; p. 205.

[3] Entretien réalisé le 17 février 2014.

[4] Ferhat Abbas, chef nationaliste algérien, président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) de 1958 à 1961.

[5] Elle a requis l’anonymat. Entretien réalisé le 18 décembre 2014.

[6] Mathieu Rigouste, L’ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, La Découverte, 2009.

[7] Entretien réalisé le 19 octobre 2016.

[8] Un projet de livre, de documentaire et de site mettant à disposition l’ensemble des sources et des entretiens est en cours de réalisation.

Source : Algeria Watch – 15/12/2024 – https://algeria-watch.org/?p=95010

La Fédération de France du FLN ou l’immigration comme enjeu politique

Les chercheurs et les historiens ont depuis longtemps cherché à explorer les rouages internes du FLN – élément décisif pour une meilleure compréhension de la guerre d’Algérie. Mais un tel projet s’est souvent révélé difficile dans la mesure où, par définition, les organisations clandestines cherchent à garder secrètes leurs activités ; d’autre part, nombre des archives du FLN ont été détruites ou dispersées, tandis que dans le même temps l’État algérien et des acteurs importants du conflit ont eu tendance à imposer une lecture officielle ou partiale de l’histoire du mouvement nationaliste. Néanmoins, ces dernières années, les archives du Service historique de l’armée de terre (SHAT) ont permis de mieux appréhender la complexité du FLN. Celles-ci comprennent un grand nombre de documents internes au mouvement nationaliste saisis par l’armée française. Par ailleurs, l’ouverture (par dérogation) des archives de la préfecture de police de Paris (APP) relatives à la guerre d’Algérie offre désormais de nouvelles possibilités d’investigation concernant le FLN en France métropolitaine. Des documents précieux qui permettent d’examiner le fonctionnement interne de la fédération de France du FLN à travers l’étude d’un événement particulièrement controversé – l’organisation des manifestations parisiennes du 17-20 octobre 1961 qui s’achevèrent par l’une des répressions les plus sanglantes de l’histoire européenne moderne.

Aujourd’hui, les jeunes (issus de l’immigration algérienne) ne se contentent plus des discours officiels : ils en appellent à une nouvelle génération de politiques de mémoire. L’accès à la matière historique et à l’écriture mémorielle doit être démocratisé. Ainsi les récits sur le passé pourraient-ils trouver de multiples points d’ancrage dans leur environnement personnel et quotidien.

En plus de l’école et de la recherche, le monde de la culture est particulièrement attendu. Ils pointent leur besoin de rendre plus accessibles les connaissances afin de mieux les assimiler.

Les films, les expositions, les documentaires et les podcasts, ou encore les livres traitant de la colonisation de l’Algérie doivent pouvoir trouver les moyens institutionnels et financiers de et de faire circuler de nouvelles images et de nouveaux récits. Au-delà des conditions d’écriture de l’histoire et de la mémoire, les jeunes cherchent des opportunités de dialogues et d’échanges entre les mémoires, entre les générations, entre les jeunes eux-mêmes et avec l’Algérie et les Algériens. Ils insistent sur la nécessité de pouvoir entendre d’autres récits et de faire dialoguer ceux-ci dans l’espace public, notamment avec les générations les ayant précédés. La segmentation des espaces de leur vie quotidienne entrave aussi la possibilité de se rencontrer entre eux, au-delà de leurs seuls cercles ou réseaux familiers. Cette demande invite le politique à offrir un cadre institutionnel qui puisse créer des temps, des espaces et des outils multipliant les occasions de rencontres : renforcement de l’éducation populaire et des temps associatifs et collectifs, visites en commun de musées et de mémoriaux, témoignages en classe ou en ligne, voyages en Algérie, apprentissage des langues.

Les liens avec l’Algérie et les Algériens ne sont pas oubliés. La plupart des jeunes connaissent mal le pays de leurs parents/grands parents, sa géographie, son histoire et sa société contemporaine. L’Algérie semble absente de leur carte mentale. Elle n’est pas une destination touristique et son patrimoine culturel est méconnu. Beaucoup de jeunes s’en désintéressent et confient ne pas savoir de quelle façon développer une curiosité pour ce pays. Ce désintérêt cohabite avec un fort désir de découverte, d’apprentissage, de circulation et de dialogue notamment avec la jeunesse in situ dont les aspirations démocratiques s’exprimaient pendant le Hirak (2019-2021), soulèvent admiration et espoir. Les jeunes descendants notamment, sont nombreux à espérer y voyager pour découvrir la culture et parfois se reconnecter à l’histoire familiale. Des deux côtés de la Méditerranée, des politiques publiques doivent pouvoir organiser une libre circulation et une coopération permettant des échanges entre les jeunes et entre les deux pays. Près de trois quarts des jeunes Français (69%) pensent que les relations entre la France et l’Algérie doivent être améliorées pour construire un avenir partagé. Loin des rancœurs du passé, ils ont conscience que l’avenir de la France et de l’Algérie reste lié. Ils invitent à construire une relation d’un nouveau type à l’Algérie et aux Algériens qui doit être désormais une relation d’égalité, débarrassée de l’arrogance de la domination française et de l’instrumentalisation des rancœurs coloniales. Une relation où le rapport à l’Autre se construirait sur la considération, la curiosité, et l’empathie. Gageons que cela sera possible. C’est ce que veut en tout cas faire entendre la génération des descendants, la génération du dépassement.

Source : Histoire coloniale et postcoloniale https://histoirecoloniale.net/reflexions-sur-la-guerre-dindependance-algerienne-3-la-federation-de-france-du-fln/

Une guerre dans la guerre : la lutte FLN/MNA en France – Kader Abderrahim

Un combat fratricide

La Fédération de France du F.L.N. a joué un rôle déterminant durant la guerre de libération nationale. Sans son concours financier, le Front de Libération Nationale n’aurait pas été ce qu’il fut. Cependant, la crise, interne, du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), débouche sur une crise externe avec le Front de libération national (FLN), ce qui a généré des tensions dans un contexte dans lequel les messalistes étaient majoritaires dans l’émigration. Des cellules FLN sont constituées dans toutes les régions françaises sous la férule de Mohamed Boudiaf. C’est à partir de cette implantation, nouvelle, dans l’émigration algérienne que le FLN engage, une autre guerre, d’abord politique, puis militaire, pour l’hégémonie au sein des Algériens de France en opposition au MTLD.

Tout commence avec la venue de Mohamed Boudiaf en Janvier 1955 au Luxembourg. Émissaire du FLN, ce dernier organise un meeting rassemblant quelques dizaines d’Algériens auxquels il donne quelques orientations en clarifiant certains points sur le déclenchement de la lutte armée. Son périple le conduit également en Suisse, où il s’entretiendra avec Mourad Terbouche, responsable régional du MTLD, qu’il charge de constituer, à Paris, le premier noyau de la future Fédération. Les deux hommes n’eurent aucune peine à se mettre d’accord sur l’importance et l’urgence qu’il y avait à implanter une puissante organisation en France. Mohamed Boudiaf remit alors à Mourad Terbouche une importante somme d’argent et un exemplaire de la Proclamation du 1er novembre 1954.

De retour à Paris, Mourad Terbouche rencontre Boudjema Hamimi, un ancien responsable du MTLD de Nancy. Les deux hommes décident d’organiser une rencontre élargie à quelques anciens militants du MTLD.

L’hexagone devient le théâtre d’un affrontement meurtrier entre le Front de libération nationale (FLN) et son rival, le Mouvement nationaliste algérien (MNA), héritier de l’Etoile nord-africaine créée, en 1926 à Paris, par Messali Hadj. Une guerre fratricide qui aurait fait, selon les chiffres officiels des autorités françaises,près de 4000 morts et 10 223 blessés dans les deux camps entre 1956 et 1962. Éliminé physiquement par le FLN, le MNA sera ensuite effacé de la mémoire algérienne.

En France, des cadres de l’Union des syndicats des travailleurs algériens (USTA), proches du MNA, seront assassinés de 1957 à 1959 par le FLN. Le 17 septembre 1959, un groupe armé du Front de libération nationale (FLN), tentera d’assassiner Messali Hadj, le dirigeant nationaliste, à Gouvieux, dans l’Oise. Cet attentat manqué contre le pionnier de la cause indépendantiste algérienne constitue un épisode marquant de la compétition violente que se livrent les organisations nationalistes, qui sont passées de la rivalité à un combat fratricide, en lutte contre le colonialisme français.

L’argent de l’immigration 

Durant toute la guerre d’Algérie, la lutte entre le FLN et le MNA est féroce pour obtenir l’adhésion des Algériens travaillant en France. En jeu, s’imposer à la table des négociations avec de Gaulle et surtout mettre la main sur l’argent récolté au sein de l’immigration, qui finance l’achat d’armes du FLN. L’impôt FLN est d’environ 8% du salaire. En 1960, il représente 80% du budget du FLN. Un individu qui persiste à refuser de payer sa cotisation mensuelle, au FLN, peut être éliminé par des commandos du mouvement.

Le FLN, minoritaire en 1955, s’impose peu à peu par la force contre son rival en France : règlements de comptes sanglants (mitraillages de cafés, liquidations physiques, attentats ciblés) vont faire plusieurs milliers de morts et blessés. Pour se protéger, les partisans du MNA se regroupent par quartiers ou par hôtels. Certaines rues comprennent des hôtels FLN ou des hôtels MNA. La police effectue des barrages la nuit sur certains axes pour séparer les deux camps et, à la fin de la guerre, pour protéger le MNA. Sorti vainqueur de son affrontement avec le MNA, le FLN mène en parallèle la lutte contre les services de police français.

30 années de lutte nationaliste 

Messali Hadj incarne de 1926 à 1958 la cause nationaliste malgré les persécutions politiques infligées par les gouvernements français, de droite comme de gauche. Son prestige commence toutefois à pâlir avec son refus de rejoindre une organisation constituée en 1955 « à ses dépens », selon lui: le Front de libération nationale. Après la guerre, la propagande du gouvernement algérien ne glorifiera que le FLN, le MNA est absent de l’historiographie algérienne.

C’est deux mois après l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle le 1er juin 1958, que les dirigeants de la fédération de France du FLN, réunis à Cologne en Allemagne, décident d’étendre la lutte armée sur le territoire français. Le FLN lance en septembre ses premières attaques contre les dépôts de carburant. Les stocks de Marseille, Rouen, Gennevilliers, Vitry, Toulouse sont en flammes. Des voies ferrées sont sabotées, des commissariats attaqués.

Ces quelque 250 attaques et sabotages feront 88 morts et 180 blessés. Le préfet de Paris Maurice Papon décrète et impose en octobre 1961 un couvre-feu aux Algériens. Afin de le dénoncer, le FLN lance un appel à manifester à Paris, le 17 octobre 1961. La manifestation pacifique sera violemment réprimée.

Source : Histoire coloniale et postcoloniale

https://histoirecoloniale.net/reflexions-sur-la-guerre-dindependance-algerienne-2-la-lutte-fln-mna-en-france/

En complément : Les éditions Syllepse ont réédité en octobre 2024 un ouvrage majeur publié en 1981 et épuisé depuis longtemps du grand historien algérien Mohamed Harbi, Le FLN. Mirage et réalité. Des origines à la prise de pouvoir (1945-1962).

https://www.syllepse.net/fln-mirage-et-realite-_r_65_i_1096.html

Le front éditorial, une « tribune » pour dénoncer les tortures coloniales en Algérie

Le front éditorial a joué un rôle crucial dans la révélation des tortures coloniales durant la guerre de Libération et la dénonciation de la colonisation, a affirmé vendredi à Alger l’éditeur suisse et militant anticolonialiste, Nils Andersson.

S’exprimant lors d’une rencontre, en marge du 27e Salon international du livre d’Alger (Sila), cet éditeur qui a publié en Suisse des textes engagés pour la cause algérienne a souligné que l’édition était « un choix » conçu et pensé par les dirigeants du Front de libération nationale (FLN). Ces livres, témoignages et brochures, écrits par des intellectuels militants anticolonialistes, « rendaient compte des tortures subies par les Algériens » durant l’occupation française et dénonçaient la colonisation. Le front éditorial, a-t-il poursuivi, qui n’a pas pu exister en Algérie à cause de la répression et la censure, était un « instrument » pour faire connaître la cause algérienne à l’étranger à travers le livre qui, même saisi, peut circuler « clandestinement ».

« Les livres, à l’inverse de la presse écrite et la radio – étroitement contrôlées par les autorités coloniales -, avaient l’avantage de contourner la censure », a expliqué cet éditeur qui publie en 1958 « La question » d’Henri Alleg (interdit en France) qui dénonce la torture que l’auteur a subie par des militaires français. L’invité du SILA a également évoqué l’impact de la guerre d’Algérie sur les autres peuples colonisés, considérant que cette lutte de libération contre l’occupation française est « la plus importante du XXe siècle ». Militant anticolonialiste convaincu, Nils Andersson a été décoré en 2013 de la médaille « Achir » du mérite national en reconnaissance pour son soutien à la Révolution algérienne à travers l’édition et l’écriture.

Source : El Watan – 17/11/2024

https://elwatan-dz.com/le-front-editorial-une-tribune-pour-denoncer-les-tortures-coloniales-en-algerie