Quel est l’impact de la condamnation de Christophe Gleizes sur les relations algéro-françaises ? – Samia Naït Iqbal

La confirmation, par la Cour d’appel de Tizi-Ouzou, de la peine de sept ans de prison ferme prononcée en première instance mercredi 3 décembre contre le journaliste français Christophe Gleizes constitue un tournant lourd de conséquences.

Ce verdict, rendu au terme d’une audience dense, intervient dans un contexte politique et médiatique algérien marqué par une surenchère patriotique autour de la défense de l’unité nationale face aux velléités indépendantistes du MAK. Dans ce climat électrique, Gleizes apparaît comme une victime collatérale d’une séquence où la question de la souveraineté nationale et de la défense de l’État contre le séparatisme a été érigée en priorité absolue.

Un jugement sous haute tension politique

Depuis quelques jours, les médias algériens se distinguent par un discours radicalisé autour du rejet de toute remise en cause de l’intégrité territoriale du pays, de la sécurité de l’État et de la lutte contre le « séparatisme ». Cette montée en intensité coïncide avec l’annonce imminente par le MAK de Ferhat Mhenni d’une prétendue « proclamation d’indépendance de la Kabylie » — une perspective essentiellement symbolique, dont les effets concrets sur le terrain demeurent aussi improbables qu’incertains. Cette annonce a néanmoins déclenché une réaction en chaîne au sein des milieux politiques, médiatiques et institutionnels.

La télévision nationale a relancé la mobilisation en diffusant un documentaire spectaculaire fondé sur les témoignages d’anciens militants ayant quitté le MAK. Le film, accusant Ferhat Mhenni de manipulations, de dérives autoritaires et de connexions étrangères  hostiles à l’Algérie, a servi de déclencheur. Son impact a été immédiat : une avalanche d’articles, souvent au ton martial, s’est abattue sur la presse écrite et les réseaux sociaux, martelant l’urgence de défendre l’unité nationale et dénonçant, au passage, la France accusée de « complaisance » envers le mouvement séparatiste.

C’est dans ce climat inflammable que s’est tenu le procès de Christophe Gleizes, poursuivi pour apologie du terrorisme et atteinte à l’intérêt national. La lecture de l’arrêt de renvoi — près de trente pages — et l’interrogatoire serré du journaliste par le président du tribunal et ses assesseurs illustrent la volonté manifeste d’établir ses connexions entre lui et le MAK, classé organisation terroriste par Alger. 

Tout au long de l’audience, les magistrats sont revenus, avec une insistance manifeste, sur les contacts répétés de l’accusé avec Ferhat Mhenni et Aksel (Brahim) Bellabassi. La stratégie de l’accusation apparaît limpide : reconstituer un faisceau d’éléments — voire provoquer des aveux — afin de consolider la qualification retenue contre lui.

Dans le climat politique actuel, ces échanges n’étaient pas perçus comme de simples démarches journalistiques, mais comme des indices probants d’une intention hostile envers l’État algérien.

Un verdict qui déjoue les signaux d’apaisement

Pourtant, plusieurs éléments laissaient espérer un infléchissement en appel :

– les visites autorisées aux parents du journaliste en détention ;

– le visa professionnel accordé à son avocat français, Emmanuel Daoud ;

– la plaidoirie marquée par une forte charge personnelle de l’avocat qui a rappelé ses propres attaches familiales avec l’Algérie. Me Daoudi s’est attaché à dépouiller le procès de toute lecture politique, affirmant que son client n’était “ni un otage d’États ni un instrument de rapports de force”. Selon lui, cette thèse serait alimentée en France par des cercles hostiles à l’Algérie, qui verraient dans un maintien en détention de Christophe Gleizes un moyen de nourrir leur surenchère anti-algérienne.

Ces signaux semblaient indiquer que la justice pourrait prendre ses distances avec la ligne dure du réquisitoire du représentant du ministère public qui avait requis l’aggravation de la peine, en la portant a 10 ans de prison ferme assortie de 500.000 dinars d’amende. La Cour a finalement suivi sans réserve la position du procureur, réaffirmant l’existence d’une intention criminelle et replaçant l’affaire dans un cadre politique plutôt que strictement judiciaire.

Une décision qui fragilise une reprise de dialogue déjà fragile

La condamnation intervient à un moment particulièrement délicat de la relation algéro-française. Alors que les deux capitales tentaient de réactiver un dialogue plusieurs fois interrompu, la décision de la Cour d’appel ajoute un irritant majeur.

En parallèle, un regain d’hostilité médiatique envers la France est observé dans certains journaux influents, nourrissant l’idée qu’une frange du pouvoir ou de son appareil communicationnel souhaite peser sur l’équilibre diplomatique.

La récente décision du président Abdelmadjid Tebboune de renoncer au sommet du G20 de Johannesburg — décision largement interprétée comme une volonté d’éviter une rencontre avec Emmanuel Macron — renforce cette lecture : derrière les déclarations officielles, les tensions restent vives et prêtes à ressurgir.

Les médias, baromètre d’un malaise profond

La Une récente du Soir d’Algérie particulièrement virulentes, accentue l’impression d’une orchestration plus large. Pour plusieurs observateurs, ces signaux ne relèvent pas seulement d’un choix éditorial mais participent d’une stratégie visant à envoyer un message clair à Paris : celui d’un durcissement du ton et d’une intransigeance accrue sur tout ce qui touche à l’unité nationale.

La résurgence de ce schéma — déjà observé lors d’épisodes antérieurs de tension bilatérale — révèle la persistance de résistances internes au rapprochement avec la France. Dans un contexte où l’opposition au MAK sert d’etalon  patriotique, toute tentative d’apaisement semble vouée à être immédiatement suspectée.

Un verdict à portée diplomatique majeure

En confirmant la lourde condamnation de Christophe Gleizes, la justice algérienne envoie un signal clair : la fermeté prévaut. À Paris, cette décision risque d’être interprétée comme un geste hostile, voire comme l’indice d’un raidissement politique interne.

L’affaire, qui aurait pu rester circonscrite au champ judiciaire, devient un révélateur des lignes de fracture diplomatiques. Elle pourrait ralentir, voire bloquer, la tentative de normalisation engagée depuis plusieurs mois, alimenter les discours anti-algériens en France, et offrir des arguments supplémentaires aux partisans du durcissement.

En filigrane, l’affaire Gleizes met en lumière une relation franco-algérienne hypersensible, où chaque décision de justice, chaque titre de presse et chaque prise de position publique peut raviver les tensions. Dans ce contexte volatil, la diplomatie avance à pas comptés — et le journaliste français se retrouve, malgré lui, au cœur d’un rapport de forces qui dépasse largement son cas personnel.

Source : Le Matin d’Algérie – 04/12/2025 https://lematindalgerie.com/quel-est-limpact-de-la-condamnation-de-christophe-gleizes-sur-les-relations-algero-francaises/

Christophe Gleizes : la place d’un journaliste n’est jamais en prison – Carine Fouteau

Le journaliste français a été condamné à sept ans de prison par la cour d’appel de Tizi Ouzou, en Algérie. Le jugement est contraire aux principes fondamentaux qui, à travers le monde, consacrent le droit de savoir.

La liberté d’informer est un principe fondamental attaché aux droits humains. Pas seulement en France, partout dans le monde. La mission des journalistes est d’être au service du droit de savoir et de la liberté de dire, dans le souci de la vérité des faits, le respect des sources et du contradictoire.

Le droit de chacun·e à avoir accès aux informations et aux idées est rappelé dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits humains de l’Organisation des Nations unies (ONU). En adhérant, dès son indépendance en 1962 à cette instance supranationale, l’Algérie a de facto souscrit à cette résolution de 1948.

Mercredi 3 décembre, dans la foulée de l’audience en appel, la cour de justice de Tizi Ouzou, en Algérie, a condamné le journaliste français Christophe Gleizes, âgé de 36 ans, à sept ans de prison. Notre confrère, collaborateur de So foot et Society, avait été arrêté le 28 mai 2024 et placé sous contrôle judiciaire notamment pour « être entré dans le pays avec un visa touristique » et pour « apologie du terrorisme ».

À la barre, il a exhorté les juges à la « clémence », reconnaissant avoir fait « beaucoup d’erreurs journalistiques malgré [ses] bonnes intentions », selon un journaliste de l’AFP présent à l’audience. Christophe Gleizes a ainsi admis qu’il aurait dû demander un visa de journaliste et non de touriste avant de partir en reportage.

Cela n’a pas empêché le parquet de réclamer un alourdissement à dix ans de sa première condamnation. « L’accusé n’est pas venu en Algérie pour accomplir un travail journalistique mais [pour commettre] un acte hostile », a estimé son représentant. Le tribunal lui a d’ailleurs demandé s’il savait que le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) avait été classé en mai 2021 comme terroriste par les autorités algériennes quand il avait rencontré son président Ferhat Mehenni, à Paris, en octobre de la même année.

Illustration 1
Manifestation pour la libération de Christophe Gleizes à Avignon, le 16 juillet 2025. © Photomontage Mediapart avec l’AFP

Quelle que soit la réponse – en l’occurrence Christophe Gleizes a affirmé qu’il n’était pas au courant –, il est nécessaire de rappeler que les journalistes ne doivent être identifiés ni aux personnes qu’ils mettent potentiellement en cause, ni aux témoins, ni même à leurs sources. Ils ne sont les défenseurs ni des uns ni des autres. Ils sont une autre voix, celle des citoyens et des citoyennes qui veulent savoir. Ils produisent des faits d’intérêt général, une fois que ceux-ci sont recoupés, vérifiés et documentés.

Interviewer, enquêter et informer, ce n’est pas un délit. « Le journalisme consiste à recueillir des informations, y compris auprès de personnes ou d’organisations controversées, indiquent les nombreuses organisations de médias français qui demandent la libération du journaliste. Qualifier cette démarche d’“apologie du terrorisme” revient à nier la nature même du métier et à menacer la liberté d’informer, garantie par les conventions internationales. Un reporter qui interroge un responsable sportif n’est pas complice de ses positions : il fait son travail. »

L’intérêt général

À l’issue du jugement, Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières (RSF), a fait part de sa stupéfaction : « RSF condamne avec la plus grande fermeté la décision aberrante de la cour d’appel de Tizi Ouzou, qui choisit de maintenir en prison un journaliste n’ayant fait que son travail. » « Nous devons expliquer aux magistrats d’appel qu’un journaliste ne fait pas de politique »« n’est pas un idéologue »« pas un activiste », affirmait l’avocat du journaliste, Emmanuel Daoud, avant l’audience.

Ce dernier a tenté, à raison, d’éviter d’imbriquer le destin de son client dans le tumulte des relations franco-algériennes, après la grâce et la libération par Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal le 12 novembre. Il a ainsi récusé l’expression d’« otage », en précisant que Christophe Gleizes avait pu recevoir des visites et avoir accès à son dossier pénal et à ses avocats.

Il n’en reste pas moins qu’en actant l’enfermement d’un journaliste – quelle que soit sa nationalité : cela vaut tout autant pour les journalistes algérien·nes injustement emprisonné·es –, le tribunal bafoue le droit des citoyennes et des citoyens – quelle que soit, à elles et eux aussi, leur nationalité – à disposer d’informations leur permettant de se positionner en toute autonomie et en toute liberté.

Ratifiée à Tunis en 2019, la charte mondiale d’éthique des journalistes, qui reprend les principes de la charte de Munich de 1971, ne dit pas autre chose : « La responsabilité du/de la journaliste vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité, notamment à l’égard de ses employeurs et des pouvoirs publics. »

Seul compte l’intérêt général des lecteurs et des lectrices, par-delà les frontières. Christophe Gleizes doit être libéré. Selon la procédure judiciaire algérienne, il ne reste qu’une issue, celle de la grâce que pourrait accorder le président algérien Abdelmadjid Tebboune (celle-ci ne pourrait intervenir qu’après la condamnation définitive du reporter, qui peut encore se pourvoir en cassation).

Cela suppose qu’aux côtés des professionnel·les de l’information, les citoyens et citoyennes se mobilisent pour le respect de leur droit : celui d’être informé·e, directement par celles et ceux qui témoignent et enquêtent.

Source : Mediapart – 04/12/2025 https://www.mediapart.fr/journal/international/041225/christophe-gleizes-la-place-d-un-journaliste-n-est-jamais-en-prison

Algérie. Les autorités doivent abandonner immédiatement les charges retenues contre Mohamed Tadjadit et 12 autres militant·e·s du Hirak

Les autorités algériennes doivent abandonner immédiatement les charges pesant sur le poète Mohamed Tadjadit, figure de premier plan du Hirak, et 12 autres militant·e·s, qui sont accusés d’atteintes à la sécurité de l’État passibles de longues peines d’emprisonnement, voire de la peine capitale, pour avoir exercé leurs droits humains, a déclaré Amnesty International à la veille de l’ouverture de leur procès le 30 novembre 2025. L’ organisation appelle les autorités à libérer immédiatement et sans condition tous les militant·e·s détenus uniquement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

Il est scandaleux qu’en Algérie des militant·e·s, comme Mohamed Tadjadit, risquent de lourdes peines de prison ou même la peine de mort pour avoir simplement réclamé des réformes politiques

Hussein Baoumi, directeur régional adjoint d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord

« Il est scandaleux qu’en Algérie des militant·e·s, comme Mohamed Tadjadit, risquent de lourdes peines de prison ou même la peine de mort pour avoir simplement réclamé des réformes politiques », a déclaré Hussein Baoumi, directeur régional adjoint d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

« L’utilisation abusive, par les autorités algériennes, de lois sur la sécurité formulées en termes vagues pour réduire au silence les personnes qui les critiquent est une grave injustice qui doit cesser. Ces charges infondées doivent être abandonnées, et les militant·e·s doivent être libérés immédiatement et sans condition. »

L’ Algérie n’a procédé à aucune exécution depuis 1993. Cependant, elle n’a toujours pas aboli la peine capitale ni ratifié le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ces dernières années, les autorités ont prononcé des condamnations à mort, notamment contre des opposant·e·s, à l’issue de procès inéquitables. L’application de la peine de mort à l’issue de procédures iniques rend le recours à ce châtiment arbitraire au regard du droit international et des normes y afférentes.

Amnesty International s’oppose catégoriquement à la peine de mort dans tous les cas et en toutes circonstances. 

Poursuites injustes et risque de condamnation à mort pour l’expression d’opinions dissidentes

Le procès des 13 militant·e·s du Hirak va s’ouvrir le 30 novembre devant le tribunal de première instance de Dar El Beïda, à Alger. Les accusé·e·s sont visés par des charges liées à la sécurité de l’État fondées uniquement sur leur action militante pacifique en faveur de réformes politiques.

Ils sont inculpés de « complot ayant pour but d’inciter les citoyens à s’armer contre l’autorité de l’État et de porter atteinte à l’intégrité du territoire national » (articles 77 paragraphe 1, 78 et 79 du Code pénal). Cette infraction pénale est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 30 ans d’emprisonnement ou de la peine de mort.

Le ministère public accuse aussi les militant·e·s d’avoir « reçu des fonds pour accomplir des actes portant atteinte à la sécurité ou à la stabilité de l’État […] en exécution d’un plan concerté à l’intérieur ou à l’extérieur du pays », « publié des contenus de nature à nuire à l’intérêt national » et « incité à un attroupement non armé », respectivement aux termes des articles 95 bis, 95 bis 1, 96 et 100 du Code pénal. Ces infractions sont passibles de peines allant de 11 à 30 ans de prison.

Ces dispositions pénales formulées en termes vagues et trop larges, qui prévoient de lourdes peines, manquent de clarté sur le plan juridique, érigent directement en infraction l’exercice pacifique des droits humains, et ouvrent la porte à une application arbitraire et discrétionnaire, en violation du droit international relatif aux droits humains et des normes liées. Par ailleurs, les actes poursuivis n’entrent pas dans la catégorie des « crimes les plus graves » (interprétés comme étant les homicides volontaires) qui, seuls, peuvent être passibles de la peine capitale au titre du droit international relatif aux droits humains et des normes en la matière.

Les seules « preuves » sur lesquelles s’appuie le parquet sont des publications sur les réseaux sociaux et des échanges numériques privés dans lesquels les militant·e·s se plaignent de la situation socioéconomique du pays et soutiennent les manifestations du Hirak.

Dans certains cas, le ministère public utilise des publications en ligne pour lesquelles les accusé·e·s ont déjà été condamnés par le passé, ce qui constitue une violation du principe interdisant la double incrimination. Par exemple, l’accusation s’appuie sur une vidéo publiée par Mohamed Tadjadit et quatre de ses coaccusés qui montre le témoignage d’un mineur torturé en garde à vue. Or, les cinq hommes ont déjà été condamnés à 16 mois d’emprisonnement pour ces faits.

Mohamed Tadjadit a déjà été déclaré coupable et condamné dans au moins sept autres affaires depuis 2019. Le 11 novembre, il s’est vu infliger une peine de cinq ans de prison dans une autre affaire s’appuyant sur des accusations infondées de terrorisme. Parmi les 13 accusé·e·s, beaucoup sont aussi confrontés à des condamnations multiples dans différentes affaires liées à leur militantisme pacifique.

« Les poursuites à répétition engagées par les autorités algériennes contre des militant·e·s pour le seul fait qu’ils ont exprimé des opinions dissidentes ou participé à des rassemblements pacifiques sont le signe d’une tentative délibérée de fermer l’espace civique et de museler toute forme de critique, a déclaré Hussein Baoumi.  

Les autorités algériennes doivent faire marche arrière de toute urgence, en libérant ces militant·e·s immédiatement et sans condition et en cessant d’ériger la dissidence en infraction

Hussein Baoumi

« Les autorités algériennes doivent faire marche arrière de toute urgence, en libérant ces militant·e·s immédiatement et sans condition et en cessant d’ériger la dissidence en infraction. » 

Complément d’information 

Depuis le début des manifestations du « Hirak » en 2019, les autorités algériennes continuent sans relâche de réprimer toutes les formes d’opposition en arrêtant, détenant et condamnant des militant·e·s, des journalistes et des détracteurs qui expriment leur opposition au gouvernement ou d’autres opinions critiques à l’égard du régime.

Source : Amnesty International – 27/11/2025 https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2025/11/algeria-authorities-must-immediately-drop-charges-against-mohamed-tadjadit-and-12-hirak-activists/

Rapport sénatorial contre «l’entrisme islamiste» en France : La Grande Mosquée de Paris dénonce une «stigmatisation institutionnelle» – MF Gaïdi

L’ institution dirigée par Chems-Eddine Hafiz parle d’une dérive structurelle portant sur la création d’un « régime d’exception pour les musulmans de France ».

Dans un climat national déjà saturé de tensions identitaires, la publication d’un rapport sénatorial consacré à la lutte contre « l’entrisme islamiste » agit comme un catalyseur. La Grande Mosquée de Paris (GMP) choisit de monter immédiatement au front. Dans un communiqué daté du 27 novembre, son recteur, Chems-Eddine Hafiz, dénonce avec une fermeté rare « un climat délétère visant les musulmans de France, où s’accroît la grave confusion entre musulman et islamiste ».

Dès les premières lignes, le ton est donné. Le document parlementaire ne serait pas une simple analyse, mais un texte porteur d’une menace directe pour l’équilibre républicain. La critique de l’institution n’est pas seulement politique, elle est aussi juridique et philosophique. Selon la GMP, le rapport, prétendant défendre la République et la laïcité, ne fait en réalité que trahir ces principes. « Il porte atteinte aux libertés fondamentales » et « stigmatise une communauté de foi tout entière ». La laïcité, rappelle le communiqué, n’est pas un instrument de restriction : « La laïcité n’a jamais signifié la suppression de la pratique religieuse. Elle garantit à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire.»

En faisant de certaines pratiques musulmanes des marqueurs suspects, le rapport sénatorial opère un glissement préoccupant. Il redéfinit des comportements religieux traditionnels comme des agissements potentiellement déviants. Les propositions contenues dans le rapport constituent l’un des points les plus sensibles du débat.

Les sénateurs recommandent notamment d’« interdire le port du voile aux accompagnatrices scolaires et d’empêcher les mineurs de moins de seize ans de jeûner pendant le Ramadhan ». La GMP répond en rappelant que le jeûne « est une obligation religieuse, soumise à des conditions, qui ne s’applique qu’à partir de la puberté ». Imposer une interdiction uniforme reviendrait à nier la réalité religieuse, familiale et éducative telle qu’elle est vécue par les citoyens musulmans. Mais la critique la plus lourde porte sur les modalités d’application implicites de ces mesures. Selon le communiqué, pour parvenir à interdire aux adolescents de jeûner ou pour vérifier qu’une mère ne porte pas de voile lors d’une sortie scolaire, il faudrait « forcer les portes des foyers », « vérifier si les enfants mangent lors du Ramadhan » et « contrôler l’apparence vestimentaire dans l’espace public ».

Cette perspective correspond, selon la GMP, à des « atteintes graves à la vie privée », inconcevables dans un Etat de droit. Le rapport, loin d’apporter une solution à des dérives extrémistes, instaurerait un régime de surveillance quotidienne des familles, visant « non les extrémistes, mais les fidèles ordinaires ». C’est cette inversion de logique, viser les pratiques courantes pour lutter contre des comportements marginaux, qui inquiète le plus la GMP. Elle y voit « une remise en cause de la liberté de conscience, de la Constitution et de la dignité de millions de citoyens musulmans ».

Un risque de rupture de confiance

Ce que dénonce la Grande Mosquée dépasse le contenu des recommandations. Il s’agit, à ses yeux, d’une dérive structurelle portant sur la création d’un « régime d’exception pour les musulmans de France ». Le terme n’est pas employé à la légère. Il renvoie à la logique même du rapport, qui cherche à encadrer des pratiques religieuses musulmanes pourtant partagées, par ailleurs, « par les autres religions monothéistes », rappelle la GMP. L’institution parle même d’une sorte de « targeted policies», c’est-à-dire une « véritable police des mœurs musulmanes, intrusive et inégalitaire ».

La police des mœurs, historiquement associée à des régimes autoritaires, renvoie à une logique de contrôle social permanent, incompatible avec les libertés individuelles.

La charge ne s’arrête pas là. Le rapport, selon le communiqué, « confond religion et idéologie, foi et radicalisme ». Cette confusion, loin d’être une simple erreur conceptuelle, produit des effets politiques sévères. « Elle stigmatise d’avance des familles, des quartiers, des mosquées, sans distinguer les croyants pacifiques des extrémistes ». L’islam devient ainsi « un coupable idéal ». Non seulement cette démarche est « injuste », souligne Chems-Eddine Hafiz, mais elle est « en tout point contreproductive dans la lutte contre les dérives radicales » que la Grande Mosquée affirme mener «depuis longtemps ».

Stigmatiser une communauté affaiblit ce lien et « menace la cohésion sociale, encourage l’exclusion et cultive la défiance ». En réponse à ce qu’elle considère comme une dérive, la GMP annonce l’étude des « voies et moyens légaux pour la défense du droit ». L’institution ne laissera pas ce rapport s’imposer sans recours. Mais l’essentiel se situe dans l’appel final, particulièrement ferme. La GMP appelle à « défendre la laïcité qui protège toutes les religions », et non une laïcité sélective. Elle demande de « garantir la liberté de conscience et de culte », considérée comme un socle non négociable. Enfin, elle insiste sur la nécessité de « promouvoir des politiques d’inclusion, de dialogue, de respect », et non des mesures « discriminatoires, stigmatisantes, coercitives ».

La conclusion du communiqué, d’une grande densité politique, résume l’ampleur de l’alerte lancée : «La France a besoin d’un débat serein, d’un vivre-ensemble fondé sur le respect et la dignité. Elle n’a pas besoin d’un texte qui divise, qui chasse, qui suspecte. » En d’autres termes, la réponse législative à la radicalisation ne peut ni fracturer la société ni sacrifier les principes républicains sur l’autel de la peur.

Source : El Watan – 30/11/2025 https://elwatan.dz/rapport-senatorial-contre-lentrisme-islamiste-en-france-la-grande-mosquee-de-paris-denonceune-stigmatisation-institutionnelle/