Le 6 novembre 2025, la Ville de Nancy inaugure un contre-monument inédit face à la statue du sergent Blandan, intitulé la Table de Désorientation
Cette œuvre, commande artistique du musée des Beaux-Arts de Nancy, a été imaginée conjointement par Dorothée-Myriam Kellou, autrice et journaliste, Susana Gállego Cuesta, directrice du musée des Beaux-arts de Nancy et Kenza-Marie Safraoui, conservatrice du patrimoine au Palais des ducs de Lorraine – musée Lorrain, en charge de la Mission Histoire-Mémoire.
La Table de Désorientation : une adresse au fantôme colonial
Inspirée des tables d’orientation, cette installation propose l’inverse: elle désoriente. Dressée à la verticale, 1,59 mètre – la taille réelle du sergent Blandan, la table circulaire en métal est gravée d’un texte poétique. « Qui es-tu? », demande l’auteure à la statue.
Traduit en arabe par la poétesse Lamis Saïdi et ponctué d’un passage en tamazight, ce texte propose une contre-histoire du point de vue des colonisés et de leurs descendants. Elle invite le lecteur dont le visage se reflète en miroir à combler les blancs de l’histoire et à interroger l’impensé colonial.
La Table de Désorientation a été réalisée par l’artiste/designer Colin Ponthot, le typographe Redouan Chetuan, Romain Morieux et les apprentis de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) de Maxéville, avec la collaboration de l’École nationale supérieure d’art et de design (ENSAD) de Nancy et l’Atelier national de recherche typographique (ANRT).
Ce contre-monument poétique ouvre à Nancy une réflexion inédite: que faire des statues coloniales dans l’espace public? Comment donner place à la mémoire des anciens colonisés ?

Le sergent Blandan : de l’Algérie coloniale à Nancy
Héros célébré par le maréchal Bugeaud, le sergent Blandan (1819-1842) participe à la conquête coloniale de l’Algérie. Sa statue monumentale, érigée en 1887 à Boufarik, est « rapatriée » à Nancy en 1963 après l’indépendance algérienne, puis replacée sur la place publique en 1990.
Le réalisateur algérien Malek Kellou, exilé en France et père de Dorothée, croise ce monument à Nancy. Enfant, il en avait gardé un souvenir terrifiant à Boufarik. Cette rencontre fait ressurgir le refoulé colonial et inspire une œuvre familiale et artistique qui se poursuit aujourd’hui.
Un projet scolaire, mené en 2022 par le professeur Étienne Augris avec une classe de première du Lycée Jeanne d’Arc de Nancy, fait resurgir cette histoire et incite les musées et la mission Histoire-Mémoire à travailler à une nécessaire recontextualisation de la statue pour une juste prise en compte des conséquences de ces événements, tant de l’ordre de l’histoire collective, que du ressenti individuel et intime.
Un prolongement sonore : le podcast ARTE Radio
En écho à la Table de Désorientation, ARTE Radio diffuse à partir du 4 novembre le podcast « La statue du sergent Blandan : le fantôme de mon père », conçu par Dorothée-Myriam Kellou. Cette enquête sonore de 45 minutes interroge la transmission intergénérationnelle des mémoires coloniales et leur poids sur les imaginaires contemporains. Elle donne chair à la figure spectrale du sergent Blandan et accompagne le geste du contre-monument par une exploration intime et politique des fantômes de l’histoire.
Informations pratiques
Inauguration de la Table de Désorientation : 6 novembre 2025, face à la statue Blandan, place de Padoue, Nancy
10h30 : Cérémonie officielle – 17h-21h : Fête des Oranges
Podcast ARTE Radio : 4 novembre 2025, sur ARTE Radio
Partenaires : Ville de Nancy, Musée des Beaux-Arts de Nancy, ARTE Radio
Biographies
Dorothée-Myriam Kellou est journaliste, réalisatrice et autrice. Révélée par son enquête sur Lafarge en Syrie (Le Monde, 2016), elle est l’autrice du documentaire « À Mansourah, tu nous as séparés » (2019, Étoile de la SCAM) et de plusieurs podcasts (France Culture, ARTE Radio). Son essai Nancy-Kabylie (Grasset, 2023) a reçu le Prix littéraire de la Grande Mosquée de Paris. Lauréate du Prix Recanati-Kaplan / Villa Albertine – Institut du Monde Arabe (2024), elle anime des ateliers en France et à l’international.
Colin Ponthot a été formé à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon, le centre de recherche et création sonore STEIM à Amsterdam et le post-diplôme de la Cité du Design de Saint Etienne. Designer, il développe une production plastique de l’échelle de l’espace à celle de l’objet.
Redouan Chetuan est designer typographique, formé à l’Atelier National de Recherche Typographique (ANRT) et à l’école Estienne. Son travail, entre commande et recherche, utilise la typographie comme un medium. Il crée des fragments de récit à partir de matériaux porteurs d’histoire et de mémoire.
Source : Lettre culturelle franco-maghrébine #103 – Coup de soleil Rhône-Alpes – 29/10/2025 https://www.coupdesoleil-rhonealpes.fr/newsletter-lettre-culturelle-franco-maghrebine-103
