Benjamin Stora : « Je ne vois pas comment cette crise peut se dénouer » – Brahim Saci

Benjamin Stora est un historien français reconnu pour ses travaux sur l’Algérie contemporaine, la colonisation et les mémoires postcoloniales. Né à Constantine dans une famille juive, il porte les traces profondes de l’exil et des silences entourant la guerre d’indépendance, ce qui a façonné son travail d’historien.

Professeur des universités, il a enseigné à Paris XIII et à l’INALCO, et a occupé le poste d’inspecteur général de l’Éducation nationale. Il a présidé le Conseil d’orientation du Musée national de l’histoire de l’immigration, contribuant à la mise en lumière des récits souvent invisibilisés.

Auteur de nombreux ouvrages, il a bouleversé notre compréhension de la guerre d’Algérie en intégrant la mémoire et la transmission des blessures. La Gangrène et l’Oubli (1991) analyse l’effacement de ce conflit dans le récit national, tandis que Ils venaient d’Algérie (1992) explore l’immigration algérienne en France. Plus récemment, il a codirigé Histoire des relations entre juifs et musulmans, mobilisant plus d’une centaine de chercheurs.

En 2021, il remet à Emmanuel Macron un rapport sur les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie, dont il tire France-Algérie. Les passions douloureuses, un texte suscitant débats et initiatives comme la création d’une Commission « Mémoires et vérité ». 

En 2023, L’Arrivée revient sur son itinéraire d’exilé, mêlant autobiographie et réflexion sur l’histoire. 

Benjamin Stora a contribué à la reconnaissance des mémoires plurielles de la guerre d’Algérie, faisant dialoguer des récits longtemps cloisonnés. Il a œuvré à lever les tabous et encourager une lecture lucide et apaisée de l’histoire, articulant exigence académique et engagement civique. Son travail démontre que l’histoire n’est pas seulement affaire d’archives, mais aussi de transmission et de reconnaissance des mémoires blessées.

Dans cet entretien, l’historien Benjamin Stora revient avec une rare densité sur les fils entremêlés de son itinéraire personnel et intellectuel. De Constantine à Paris, de l’engagement militant à la rigueur académique, il déploie une parole lucide et habitée sur la guerre d’indépendance, les silences de la mémoire coloniale et les enjeux contemporains du récit historique.

Alors que son nom reste étroitement lié aux avancées mémorielles franco-algériennes, Stora interroge ici les limites du travail historien face aux crispations identitaires, tout en ouvrant des perspectives sensibles autour de l’exil, de la transmission et du rapport à l’histoire. Une parole à la fois intime et politique, qui éclaire les fractures d’hier et les défis de demain.

Le Matin d’Algérie : Votre parcours personnel étant intrinsèquement lié à l’histoire franco-algérienne, en quoi votre départ de Constantine a-t-il façonné votre vocation d’historien et influencé votre approche de la mémoire coloniale ?

Benjamin Stora : Ce n’est pas mon départ de Constantine, avec mes parents en 1962, qui a conditionné mon travail sur l’Algérie. Comme je l’ai déjà expliqué dans mes livres récents (Les clés retrouvées, ou l’Arrivée), c’est mon engagement politique à l’extrême-gauche dans les années 1970, à l’université de Nanterre, qui m’a poussé à m’intéresser à la guerre d’indépendance algérienne.

Dans mon engagement trotskiste de l’époque, j’ai alors pu rencontrer de nombreux militants révolutionnaires et nationalistes algériens comme Hocine Ait Ahmed, Mohamed Boudiaf, Ali Haroun, ou la fille de Messali Hadj qui m’a aidé dans ma connaissance de l’histoire du nationalisme algérien. Avec l’historien Mohammed Harbi, j’ai aussi beaucoup travaillé en particulier pour l’élaboration de mon Dictionnaire des militants nationalistes algériens, 600 biographies, parues en 1985. Dans les années 2000 ; j’ai commencé à « regarder » mon parcours intime, familial, personnel, avec la parution du livre en 2006, Les trois exils des juifs d’Algérie.

Le Matin d’Algérie : Votre contribution à l’historiographie de la guerre d’Algérie a marqué un tournant dans la manière de l’étudier. Qu’est-ce qui vous a conduit à intégrer les récits personnels et la mémoire dans votre démarche historique ?

Benjamin Stora : Effectivement, à partir de la rédaction de l’ouvrage, La gangrène et l’oubli publié en 1991, j’ai commencé à considérer la façon dont se construisait la mémoire algérienne avec les blessures, les silences, les non-dits de l’histoire. Je me suis aperçu que la production académique, à partir de sources écrites, comme les archives étatiques, que j’ai beaucoup regardé à Aix-en-Provence ou aux archives de Vincennes, ne suffisait pas. Il fallait aussi se diriger vers le vécu des différents acteurs. Comprendre l’histoire de cette histoire, pour tenter d’expliquer les mémoires de revanche, de ruminations, de nostalgies. 

Le Matin d’Algérie : Dans La Gangrène et l’oubli, vous décrivez un refoulement collectif autour de la guerre d’Algérie. Pensez-vous que ce silence s’est estompé au fil du temps, ou reste-t-il encore des non-dits dans la mémoire nationale ?

Benjamin Stora : Oui, la guerre d’Algérie a longtemps été refoulée dans l’espace public en France. En particulier par l’absence d’enseignement de cette histoire. Pendant trente ou quarante ans, cette mémoire ne s’exprimait que de manière « souterraine » par les récits personnels notamment, d’acteurs algériens ou français.

Par exemple, du côté algérien, je pense aux récits de Mohamed Lebjaoui, Vérités sur la révolution algérienne, paru en 1970, et qui décrivait l’assassinat d’Abane Ramdane par d’autres dirigeants du FLN ; aux Mémoires d’un combattant d’Hocine Ait Ahmed, paru en 1982,  ou aux Mémoires de Messali Hadj, que j’ai aidé pour la publication (Messali Hadj avait rédigé ses mémoires sur la naissance du nationalisme algérien, juste avant son décès en 1974, au moment, précisément où je commençais à travailler sur l’histoire d’Algérie).

Du côté français, dominaient alors les récits des partisans de l’Algérie française, comme les livres autobiographiques des généraux Salan, Massu, Challe, ou ils tentaient de justifier leur comportement. Le livre de Massu sur « la bataille d’Alger » a d’ailleurs été vivement réfuté par l’historien Pierre Vidal Naquet, en 1972.

Puis nous sommes sortis de ce silence « public » au début des années 2000, en particulier grâce aux enquêtes de journalistes, comme Florence Beaugé, qui, dans Le Monde, a publié des articles sur l’attitude de Le Pen et la pratique de la torture ; ou le rôle du général Aussaresses dans l’assassinat des dirigeants algériens comme Ali Boumendjel ou Larbi Ben M’hidi. Et puis, les travaux de jeunes universitaires sont arrivés en grand nombre, en particulier grâce à l’ouverture d’archives nouvelles. Je pense en particulier aux travaux de Raphaëlle Branche, Sylvie Thenaut, Linda Amiri, Tramor Quemeneur, Naima Yahi, Marie Chominot, Emmanuel Alcaraz, ou Lydia Ait Saadi. Du côté algérien, on pourrait citer les travaux de Hassan Remaoun, Omar Carlier, Fouad Soufi, Amar Mohand Amer, Tahar Khalfoune, et, bien sûr, les écrits de mon ami Abdelmadjid Merdaci, récemment décédé. J’en oublie sûrement…  Toute cette production n’a pas empêché les saignements autour de la mémoire algérienne, mais nous sommes enfin passé à une connaissance scientifique plus grande.  

Le Matin d’Algérie : Votre rapport remis à Emmanuel Macron a engendré des réactions contrastées. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ces réactions ?

Benjamin Stora : Ce rapport, rédigé à la demande du président de la République française Emmanuel Macron, et remis en janvier 2021, devait traiter de la mémoire de la guerre d’Algérie, et les blessures mémorielles provoquées par cette histoire, en France.

On m’a expliqué à l’époque, qu’un rapport devait être fait du côté algérien, mais cela ne s’est jamais produit. J’ai été critiqué par une partie de la gauche française pour n’avoir pas publié un rapport de condamnation global du système colonial, et qu’il ne fallait pas procéder par application de reconnaissances particulières par l’état, sur des questions portant sur l’utilisation de la torture, ou l’assassinat de militants algériens. J’ai, surtout, était vivement attaqué par la droite et l’extrême-droite, ce sont les groupes les plus influents en France aujourd’hui, qui ne veulent pas toucher à « la mission civilisatrice de la France » dans les colonies. Dans leur langage, cela signifie qu’il ne faut pas de « repentance ».

Pour l’Algérie, à la différence de la Seconde Guerre mondiale et du régime de Vichy, il ne faut jamais « regarder dans le rétroviseur » comme l’a expliqué le ministre Retailleau. En dépit de toutes ces difficultés, à la suite de mes recommandations, la République française a reconnu officiellement les assassinats des militants Maurice Audin, d’Ali Boumendjel, et de Larbi Ben M’hidi ; une reconnaissance officielle également des massacres des travailleurs algériens le 17 octobre 1961 à Paris ; l’ouverture plus grande des archives de la guerre d’Algérie ; l’érection d’une statue de l’Emir Abdelkader à Amboise, la ville où il avait été retenu en captivité….

D’autres recommandations n’ont pas abouti, par exemple l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon, avocate des militants algériens, à la suite d’une pétition de filles harkis ; également, le nettoyage par la France des déchets atomiques laissés au Sahara. J’espérais poursuivre ces recommandations, notamment par la mise en place d’une commission mixte des historiens français et algériens en 2022.

L’objectif était, non pas d’écrire une histoire commune, mais de partager le savoir sur l’histoire coloniale, en commençant par la terrible conquête coloniale du XIXe siècle. Nous nous sommes réunis à quatre reprises, mais les aléas de la vie politique entre la France et l’Algérie sont venus percuter cette activité en 2024. J’espère que tous les acquis de reconnaissances obtenus à la suite de tout ce travail mémoriel ne seront pas remis en question dans l’avenir.

Le Matin d’Algérie : L’Arrivée revient sur votre jeunesse entre Constantine et Paris. Qu’est-ce qui vous a poussé à dévoiler cet aspect plus intime de votre parcours à ce moment précis ?

Benjamin Stora : En juin 1962, c’est le départ d’Algérie. Seuls les adultes débarquent en France avec dans leur mémoire les tombes des aïeux qu’ils ne reverront jamais plus, mais pas les enfants. J’ai onze ans en juin 1962.

Pour l’enfant que je suis, le voyage est excitant, prometteur d’aventures. Mes parents, eux, se demandent comment ils vont faire bouillir la marmite. Et la France, qu’ils ne connaissent pas, est bien peu accueillante. L’arrivée – De Constantine à Paris est plus qu’un livre mémoriel, plutôt un « album-miroir ». Sur 240 pages, c’est tout un monde qui défile. De Gaulle, les Trente Glorieuses, Mai 68, une décennie à peine mais si riche en événement. Ce monde qui défile, le lecteur peut l’effeuiller page après page à travers le prisme d’un gosse de Constantine, devenu chercheur de la question algérienne, après avoir été un trotskyste membre de l’Alliance des Jeunes pour le Socialisme. Cet engagement à gauche a été celui de beaucoup de jeunes de ma génération.

J’ai donc raconté les heurs et malheurs de ces sixties mais aussi mes parents, déclassés après l’exode et vivant dans un HLM de Sartrouville. Je découvre la condition ouvrière par ma mère qui travaille comme OS à l’usine Peugeot, et qui maintient à la maison la tradition juive constantinoise, par le biais de plats cuisinés qui correspondent aux nombreuses fêtes religieuses. J’ai donc opéré une sorte de travelling arrière en revisitant surtout le regard de mes parents, mais il me faudra plusieurs années encore avant de comprendre le poids du déracinement, la brûlure de leur arrachement. 

Le Matin d’Algérie : Quels leviers pourraient permettre une réconciliation durable des mémoires franco-algériennes ? Le travail des historiens suffit-il ou d’autres initiatives sont-elles nécessaires pour combler les fractures du passé ?

Benjamin Stora : Je ne peux que répondre sur le plan des actes mémoriels, qu’il faut poursuivre. Mais avec la montée en puissance d’un courant néo-nationaliste en France qui s’appuie sur la nostalgie de l’Empire perdu, ce travail est difficile. Notamment sur le plan médiatique où se développe une stigmatisation de la population d’origine algérienne. Avec la circulation de stéréotypes très négatifs. Je crois qu’il faut mettre en valeur les apports de cette immigration à l’histoire de France. D’autres initiatives peuvent être prises, notamment sur les échanges culturels entre universités. Mais pour l’heure, je ne vois pas comment cette crise peut se dénouer sur le plan politique entre les deux Etats.

Le Matin d’Algérie : L’historien Omer Bartov, spécialiste de l’Holocauste, affirme que le gouvernement Netanyahu est passé de l’intention à la mise en œuvre d’actes génocidaires. Il considère que les pays fournissant des armes à Israël se rendent complices de ces actes. Comment interprêtez-vous le silence de nombreux historiens à ce sujet ?

Benjamin Stora : Je me suis très vite élevé contre le massacre en cours à Gaza, et me suis auparavant prononcé contre les massacres de civils israéliens le 7 octobre 2023. Ce que nous vivons en ce moment, les déplacements et l’écrasement d’une population civile palestinienne est très grave et relèvent d’actes génocidaires qu’il faut dénoncer. Dans le même temps, doit s’affirmer au plan politique la création d’un Etat palestinien. Je reste attaché à la solution des deux Etats, position que j’ai toujours défendu depuis une quarantaine d’années.

Le Matin d’Algérie : Quel regard portez-vous sur l’Algérie d’aujourd’hui ?

Benjamin Stora : Il faut, à mon sens, passer dans Algérie actuelle de la recherche de légitimité par le recours à l’histoire-guerre, à l’établissement d’une culture démocratique.

Le recours à l’histoire est nécessaire pour comprendre la séparation avec le système colonial, mais cela ne doit pas consister à s’enfermer dans une culture issue de la guerre.

Au contraire, à comprendre la pluralité des sensibilités autour de l’histoire longue du nationalisme algérien. C’est pour cela que j’ai publié les biographies de Ferhat Abbas en 1994 et de Messali Hadj (réédité en 2005), qui montrent les chemins différents pouvant parvenir à un même objectif : aller vers plus de citoyenneté, de liberté, et d’indépendance.

Il existe un fossé entre l’accumulation du savoir académique et universitaire, et sa transmission, sa diffusion dans le grand public. Autour de la question d’histoires de la guerre, circulent énormément d’idées reçues, des préjugés négatifs et des stéréotypes sur la primauté de la lutte armée au détriment du facteur politique. 

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Benjamin Stora : J’ai beaucoup travaillé sur l’histoire sensible, la mémoire, avec également toute une recherche iconographique, que j’ai exposé dans mon dernier livre : Un historien face au torrent des images (Ed de L’Archipel, 2025). Le documentaire, Les années algériennes, trois heures sur la guerre d’Algérie, à partir de la mémoire de ses acteurs a été diffusé en 1991. Avec L’indépendance aux deux visages, diffusé en 2002, j’ai réalisé des entretiens avec dix grands acteurs de la révolution algérienne, de Hocine Ait Ahmed à Youcef Khatib, en passant par Salah Goudjil ou Abderrazak Bouhara. La fabrication des images et leur interprétation a été une source importante. Les images, donc, mais aussi les paysages, à la fois ruraux et urbains.

Sur le thème des voyages, des paysages, voir leurs transformations dans l’histoire est un projet que j’aimerai mener à bien. C’est tout le sens de mon travail sur L’Algérie vue du ciel avec Yann Arthus Bertrand, le documentaire et le film diffusé en 2005. Je reste marqué par mon expérience vietnamienne. Le Vietnam c’est l’Indochine, et on ne peut pas travailler sur la guerre d’Algérie sans connaître l’histoire de l’Indochine.

Quand je suis arrivé au Vietnam en 1995 – ce fut aussi le cas au Maroc en 1998 – mes promenades à travers les villes ont été fondamentales. Elles me permettaient de saisir l’histoire sensible, de voir comment elle s’incarnait. Au Vietnam, je suis évidemment allé à Diên Biên Phu, lieu de la défaite militaire française en mai 1954. Et ce qui m’a sauté aux yeux, c’est que l’image que je m’en faisais ne correspondait pas à la réalité. J’imaginais une « cuvette », les montagnes et les soldats français qui se sont faits encerclés. En fait, Diên Biên Phu, c’est une grande plaine, et les montagnes sont loin. Une idée reçue sautait tout d’un coup.

Les officiers français n’avaient pas prévu que les Vietnamiens allaient réussir à installer des canons très puissants sur ces montagnes si lointaines, si hautes, et « arroser » la plaine de leur artillerie. Voir le paysage exact change la perception. C’est pour cela qu’il est important d’aller dans les villes, de circuler dans les campagnes, d’observer les paysages, c’est également une de mes sources ; le voyage fabrique aussi des imaginaires, contredit des stéréotypes, des fantasmes. Voilà un projet sur les voyages et l’écriture de l’histoire.

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Benjamin Stora : J’ai réalisé beaucoup de travaux et d’ouvrages sur l’Algérie. Non parce que mon activité de recherches était simplement ce pays, mais surtout par volonté de comprendre la guerre et l’exil. Que cela se passe en Algérie, je n’en disconviens pas, mais ce qui m’a obsédé, mes grandes thématiques, ce sont les chagrins et les bouleversements causés par la guerre, le déracinement et l’exil.

J’ai aussi vécu en exil pendant de nombreuses années et au sujet desquels j’ai écrit deux livres : Voyage en postcolonies et Imaginaires de guerre. Il est vrai que, fondamentalement, je me suis enraciné dans l’histoire intérieure algérienne, mais avec une portée beaucoup plus large, j’allais presque dire universelle. Les thèmes très généraux dont je traite, la mémoire de la violence, du bouleversement né de la guerre sont liés, et on peut les examiner en rapport à différents pays. Il se trouve que l’Algérie et son histoire ont concentré en moi tous ces phénomènes de séparation, de violence, et d’exil. Mais aussi de bonheurs de mon enfance.

Entretien réalisé par Brahim Saci

https://benjaminstora.univ-paris13.fr

Source : Le Matin d’Algérie – 18/05/2025 https://lematindalgerie.com/benjamin-stora-je-ne-vois-pas-comment-cette-crise-peut-se-denouer/

80 ans de « l’Autre 8 Mai 1945 » – Appel international à l’université de Bejaïa

Le 12 mai 2025, des écrivains et historiens venus d’Algérie, du Cameroun, des États-Unis, de France, du Royaume Uni, de Madagascar et du Sénégal, réunis dans un colloque à l’Université de Bejaïa en Algérie ont lancé un appel pour la reconnaissance pleine et entière par la France des massacres du 8 mai 1945 et autres crimes en Afrique.

APPEL DE BEJAIA

Nous, universitaires, écrivains et historiens venus de différents pays du monde, Algérie, Cameroun, États-Unis d’Amérique, France, Royaume Uni, Madagascar et Sénégal, enseignants et étudiants de l’Université de Bejaïa, en Algérie, qui avons participé au colloque international sur les crimes de la France coloniale en Afrique organisé les 11 et 12 mai 2025 à l’occasion des 80 ans des massacres de masse commis par la colonisation française à Sétif, Guelma, Kherrata et dans toute la région du Nord-Constantinois en mai-juin 1945, lançons en direction des citoyens de nos pays et de ceux du monde entier un Appel solennel dicté par le sentiment d’horreur et d’indignation que nous inspirent ces faits ainsi que leur reconnaissance insuffisante par l’État français qui en a eu la responsabilité.

Mai-juin 1945 en Algérie se situe dans une série de massacres qui ont pris place dans une tentative française de reconstituer son empire colonial en contradiction avec le mouvement mondial des peuples à affirmer leur droit à disposer d’eux-mêmes. Il a été précédé du massacre de Thiaroye, près de Dakar, en décembre 1944, suivi par le bombardement de Haïphong, au Viêt Nam, au début de la guerre d’Indochine en novembre 1946, et par les Massacres de Madagascar en 1947. Lors de toutes ces répressions, des « indigènes » recrutés dans d’autres colonies ont été utilisés pour réprimer les aspirations des peuples à l’indépendance.

Les choses bougent au sujet de cet « Autre 8 mai 1945 » qui, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, était en contradiction complète avec la victoire simultanée des peuples et des États alliés sur l’horreur et les crimes racistes commis par le régime nazi.

Le président de la République française, Emmanuel Macron, dans le discours qu’il a prononcé à Paris le 8 mai 2025 au pied de l’Arc de Triomphe, a évoqué le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et fait explicitement référence à cette page de l’histoire coloniale : « En mai 1945, des violences et des massacres venaient préfigurer l’histoire. Sétif, Bejaïa, la région de Kherrata, Guelma en Algérie, en Syrie aussi. » Mais il reste beaucoup de chemin à faire puisqu’il a parlé de violences et de massacres sans reconnaître la responsabilité de l’État français dans sa politique coloniale qui y a conduit.

Le président de la République algérienne, Abdelmadjid Tebboune, a déclaré de son côté : « Les manifestations du 8 mai sont l’expression la plus sincère de l’attachement du peuple algérien à la liberté, la dignité et la fierté […] Mue par son attachement au droit de son peuple et en reconnaissance de la sacralité de l’héritage de la résistance et de la lutte, par fidélité à l’esprit de Novembre et au message éternel des martyrs, l’Algérie ne saurait en aucun cas accepter à ce que le dossier de la mémoire soit relégué à l’oubli et au déni. » 

Par ailleurs, une délégation de parlementaires et d’élus de France issus de différents courants politiques est venue en Algérie pour témoigner de leur volonté de bonnes relations entre la France et l’Algérie ; de leur refus de l’hostilité à ce pays de la part de la politique incarnée par le ministre de l’Intérieur français, Bruno Retailleau ; de leur intention de travailler au dépassement de la période coloniale, à l’élimination des séquelles laissées dans les esprits par cette période qui a nié les droits, l’égalité et la dignité de tous les êtres humains ; et de leur volonté d’une coopération entre les peuples pour aujourd’hui et pour demain, en particulier pour ceux des deux rives de la Méditerranée.

Ils ont demandé une reconnaissance officielle des responsabilités françaises dans ce crime. Un sénateur français membre de la délégation a rappelé : « Ces Algériens ont été tués parce qu’ils ont revendiqué pour eux ce qu’ils ont défendu pour d’autres. Nous sommes aujourd’hui en Algérie pour parler de dignité humaine. »

La France, dont le passé comporte de belles pages mais aussi des pages plus sombres, doit assumer la totalité de son histoire.


Notre Appel de Bejaïa demande solennellement l’ouverture totale des archives relatives à cette période.

Parallèlement à cette reconnaissance des crimes coloniaux, des actes de réparation sont nécessaires, notamment pour la restitution des restes humains, des objets et des œuvres d’art dont les colonisateurs se sont emparés par la force.

Tous les moyens doivent être mis en œuvre pour faciliter aux chercheurs venant des pays anciennement colonisés les travaux dans les archives françaises. La coopération franche entre les historiens de tous les pays doit être développée.

Nous sommes convaincus que la reconnaissance des faits est un impératif moral et nous continuerons à travailler dans ce sens.

Béjaïa, le 12 mai 2025

Signataires :

Marie Ranjanoro (Madagascar)

Gilles Manceron (France)

Alain Ruscio (France)

Hosni Kitouni (Algérie)

Benjamin Claude Brower (USA)

William Gallois (Royaume Uni)

Aïssa Kadri (Algérie)

Cheikh Sakho (Sénégal)

Kamel Beniaiche (Algérie)

Ferdinand Marcial Nana (Cameroun)

Zidine Kacini (Algérie)

Mahmoud Aït Meddour (Algérie)

Settar Ouatmani (Algérie)

Nouredine Zerkaoui (Algérie)

Source : Mediapart / Billet de blog – 13/05/2025 https://blogs.mediapart.fr/histoire-coloniale-et-postcoloniale/blog/130525/80-ans-de-lautre-8-mai-1945-appel-international-luniversite-de-bejaia

Benjamin Stora : relation franco-algérienne, une régression sans fin ? France Culture – 23/04/2025

Alors que les relations entre la France et l’Algérie semblent vouées à l’incompréhension et la polémique, analyse par l’historien Benjamin Stora, spécialiste de la guerre d’Algérie, et chargé d’une mission sur les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie.

Avec Benjamin Stora, historien français

Entre la France et l’Algérie, les relations diplomatiques oscillent entre l’incendiaire et le froid polaire. Ces dynamiques durent depuis l’indépendance de l’Algérie et dès que le dialogue paraît s’ouvrir, il est finalement interrompu par des déclarations ou des provocations de l’un ou l’autre des pays. Pour l’historien spécialiste de la guerre d’Algérie Benjamin Stora, on ne peut pas comprendre la crise diplomatique perpétuelle entre l’Algérie et la France sans se pencher sur le passé, et plus précisément le passé colonial de la France en Algérie.

Une crise inédite depuis l’indépendance ?

Si Benjamin Stora inscrit dans le temps long la détérioration des relations entre l’Algérie et la France, il précise tout de même que la crise a pris une tournure particulièrement vive ces derniers mois. Il revient sur la situation : « Nous vivons des moments de tension, de crispation, parfois suivis de périodes de dégel. On a le sentiment que les choses s’apaisent, puis tout repart. Mais cette fois-ci, j’ai le sentiment que nous sommes entrés dans une phase malheureusement durable. Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, jamais encore, il n’y avait eu une absence totale d’ambassadeurs entre les deux pays. Or, c’est le cas aujourd’hui, et cela dure depuis plusieurs mois […] Cela s’est accompagné de l’expulsion réciproque de douze agents diplomatiques, et d’autres épisodes qui témoignent d’un durcissement structurel des relations. » Si l’historien explique que la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental n’est pas la seule cause de la déflagration actuelle, il y voit tout de même une rupture : « Avant même la question du Sahara occidental, d’autres tensions s’étaient manifestées : les propos du président de la République sur la prétendue inexistence de la nation algérienne avant 1830 ont provoqué une réaction bien plus forte qu’une simple crispation à Alger. Il y a aussi eu l’exfiltration par l’ambassade de France à Tunis d’une opposante algérienne. À chaque fois, les présidents parvenaient malgré tout à renouer le dialogue […] Mais la question saharienne marque un tournant, un franchissement de ligne rouge, tant elle touche à des enjeux existentiels pour l’Algérie comme pour le Maroc. Elle renvoie à une histoire ancienne de frontières et d’incomplétude du projet d’unité maghrébine. »

Un conflit aux relents coloniaux

L’inscription de cette crise diplomatique dans le contexte mémoriel partagé par les deux pays est à la source de sa gravité. Pour Benjamin Stora, certaines déclarations de responsables politiques français alimentent cette inscription mémorielle du conflit : « Quand on écoute un ministre de l’Intérieur français parler de l’Algérie, cela renvoie dans l’imaginaire algérien à un passé colonial encore proche. Car l’Algérie, jusqu’à son indépendance, n’était pas rattachée au ministère des colonies, mais relevait du ministère de l’Intérieur. Comme le disait François Mitterrand, « l’Algérie, c’était la France ». Cette continuité institutionnelle laisse planer l’idée que la France n’a pas encore totalement intégré l’Algérie comme un État pleinement souverain et distinct. »

Bruno Retailleau n’est en effet pas censé être le principal acteur de la diplomatie française en Algérie. En laissant Beauvau s’investir dans la crise, la France envoie un très mauvais signal à l’Algérie. De son côté, l’Algérie choisit également d’employer un vocabulaire et un imaginaire liés à la colonisation, Benjamin Stora explique comment le régime algérien instrumentalise à certains titres ce passé : « Le mot barbouzerie, utilisé dans un communiqué de l’agence de presse officielle algérienne, n’est pas innocent. Il renvoie aux commandos gaullistes de la fin de la guerre d’Algérie, opposés aux commandos de l’OAS. Ce terme réactive un imaginaire conflictuel de guerre secrète, et souligne que certains courants en Algérie refusent un rapprochement avec la France, préférant affirmer une identité strictement arabo-musulmane au détriment de sa pluralité historique. »

Pourtant l’historien ne partage pas l’indignation d’une partie de la classe politique française qui prétend que l’Algérie exige de la France qu’elle « s’autoflagelle » pour ses crimes coloniaux. Il explique que la France n’a en réalité presque rien fait pour réparer cette mémoire commune : « Le nationalisme français s’est en grande partie construit sur l’Empire colonial. Et la fin de l’Algérie française a provoqué une crise du nationalisme. […] On vient nous parler de repentance, alors qu’on n’est même pas capable de restituer un Coran, une épée, un burnous à l’Algérie. Rien n’a été rendu. Absolument rien. […] Ce refus alimente un éloignement profond des nouvelles générations post-coloniales de l’histoire française. » Aujourd’hui une part importante des Français est traversée par cette double identité franco-algérienne. Sans résolution de la crise mémorielle, la France met ces citoyens au pied du mur.

Permettre aux plaies de cicatriser

Benjamin Stora s’est engagé pour la compréhension et la fouille de ce passé colonial entre la France et l’Algérie. À ses yeux, il n’y aura pas de normalisation des relations franco-algériennes sans avoir au préalable considéré l’ampleur et la gravité de la guerre d’Algérie. Sans même parler de réparations financières, Benjamin Stora établit quelques axes qui pourraient, avec de la volonté politique, être travaillés par la France : « Il y a eu beaucoup de disparus pendant la guerre d’Algérie, des disparus algériens […] Très difficile pour les familles de faire le deuil si elles ne retrouvent pas le corps. […] Ensuite, dans l’été 62, il y a eu des enlèvements et disparitions d’Européens, en nombre moins important, mais tout aussi significatif. La question des disparus reste centrale. J’avais proposé une sorte de « guide des disparus » qui permettrait de dresser un inventaire pour pouvoir enfin faire ce travail de deuil. » En plus de cette voie, l’historien propose un regard large sur l’empreinte de l’ancienne puissance coloniale sur ce pays, notamment la question des essais nucléaires : « Si la France veut changer de ton, cela passe par des actes concrets. Par exemple, s’engager à nettoyer les déchets nucléaires au Sahara. Il y a encore des victimes de ces essais, des gens malades aujourd’hui. Ce ne sont pas des choses annexes. […] Il y a aussi des familles qui cherchent toujours leurs disparus dans les archives françaises, militaires, mais aussi celles déposées à Nantes. C’est une recherche perpétuelle autour d’un pays dont on s’est séparé, mais qui fut des départements français. »

En définitive, la relation entre l’Algérie et la France ne doit pas être laissée aux paroles irresponsables d’hommes et des femmes politiques, le sujet est trop grave pour être réduit à une question d’OQTF, ou d’influenceurs expulsables. Benjamin Stora précise : « On ne peut pas comprendre les relations entre la France et l’Algérie sans les inscrire dans la longue durée. La France est restée en Algérie pendant 132 ans. Cela représente six générations. La conquête coloniale fut longue, violente, et son empreinte est encore vive. Il y a, dans cette relation, à la fois des mélanges, de la mixité, mais aussi des séparations, des haines, des ressentiments. » En plus de le devoir aux victimes passées, les deux pays doivent ce travail mémoriel commun aux millions de personnes dont l’identité est tiraillée par ce conflit incessant.

Source : France Culture – 23/04/2025 https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/crise-algerienne-un-retour-en-arriere-1296232?at_medium=newsletter&at_campaign=culture_quoti_edito&at_chaine=france_culture&at_date=2025-04-23&at_position=2

Retailleau, le ministre de la haine – M. Abdelkrim

C’est l’homme politique qui fait le plus parler de lui ces derniers temps, ici et, surtout, là-bas. En France, Bruno Retailleau (64 ans), ministre français de l’Intérieur,  est un accélérateur de l’extrême droite. Ici, c’est celui qui permet de ressouder les rangs. 

Son objectif : occuper la scène médiatique le plus longtemps possible, bonifier son capital politique en vue de l’échéance de 2027.  « Sur la sécurité et sur l’immigration, il parle comme l’extrême droite mais il a l’avantage d’être au pouvoir »,  écrivait Le Dauphiné Libéré en février dernier. 

Le quotidien régional français rappelle que juste après sa nomination à la place Beauvau par Michel Barnier, Retailleau s’est fixé  trois priorités avec un retentissant  bégaiement : « La première rétablir l’ordre, la deuxième rétablir l’ordre, la troisième rétablir l’ordre.» 

A l’origine de la plus grave crise politique entre l’Algérie et la France, depuis 1962,  il est désormais  sur le point de provoquer une rupture  aux lourdes conséquences suite aux derniers développements observés au plan diplomatique. 

Le Canard Enchaîné, avec son légendaire humour acide, lui a consacré en mars un petit encart : « Avec lui, les Obligations de quitter le territoire (OQTF) allaient pleuvoir, les expulsions pulser, l’extrême droite rager devant tant d’efficacité et Laurent Wauquiez (son concurrent à la présidence des Républicains) plier devant tant d’habileté.» 

Le quotidien satirique, qui évoque l’Algérie dans son billet, paraphrase l’ancien président français pour cerner au mieux le personnage : « Comme disait Mitterrand à Balladur à propos  de son ministre de la Défense Léotard, il est capable de déclencher une guerre sans qu’on s’aperçoive.»  Avec, en plus, cette chute : « Retailleau était un peu sous-dimensionné pour lutter contre l’Algérie.» 

Bruno Retailleau était, en fait, assez peu connu des Français avant de devenir ministre, note Le Dauphiné Libéré.  Pour Le Monde, Retailleau occupe, depuis sa nomination, l’espace et les esprits. «Pas une journée sans un grand entretien, une annonce-choc et un propos clivant», souligne-t-il.  

Lunettes cerclées, visage grave et allure fluette, l’élu de Vendée assène ici que « l’immigration n’est pas une chance » (sur LCI, le 29 septembre), là que « l’État de droit n’est pas intangible ni sacré » (au Journal du Dimanche du 29 septembre). Encore moins des Algériens à qui il voue une animosité maladive. Il a, d’ailleurs, un surnom qui lui colle fort : le ministre de la « Haine ». Ancien président de son département, la Vendée, puis de la région Pays de la Loire, il était, jusqu’à la fin de l’été 2024, le patron du puissant groupe des sénateurs Les Républicains (LR). 

L’ancien proche de Philippe de Villiers avait un peu gagné en notoriété à l’occasion de l’élection pour la présidence du parti LR, où il a pourtant échoué face à Éric Ciotti en décembre 2022. En Macronie, la présence de Bruno Retailleau, symbole d’une droite catholique et traditionnelle et pas vraiment progressiste, inquiète, car elle fait dériver le bloc central sur sa droite. 

 « C’est le ministère de la parole. Il ne fait que perforer l’espace politique », griffe un député issu de l’aile gauche, note Le Dauphiné Libéré. Blast, média indépendant, apporte, lui, un éclairage assez intéressant sur la personne de Retailleau. Il définit son positionnement par rapport à l’extrême droite traditionnelle.  

Les relations entre le Vendéen et les parlementaires d’extrême droite ont pris un tour nouveau, en comparaison avec Gérald Darmanin, son prédécesseur au ministère de l’Intérieur français, souligne Blast. « Nous avons remarqué une rupture d’attitude. Retailleau nous considère d’égal à égal. 

Il a besoin de nous et reste attentif à nos requêtes », explique au média en ligne un député RN de la commission des lois qui préfère conserver l’anonymat. La même source révèle que Bruno Retailleau s’appuie sur un commando chevronné – tendance catholique traditionaliste – dont les membres sont habitués à travailler ensemble depuis plus de dix ans.  

Pour comprendre l’origine de la relation particulière qu’entretient Retailleau avec les élus d’extrême droite, il faut remonter une décennie en arrière, à l’époque où il présidait le conseil régional des Pays de la Loire, entre 2016 et 2017, en plus de son mandat de sénateur. 

Le Front national (actuellement RN) avait réussi à faire élire 13 conseillers régionaux, sur la liste emmenée par Pascal Gannat, ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen. « Je suis catholique, lui (Retailleau) aussi, et de ce fait nous faisions partie du même milieu conservateur local (…) Nous partagions une même admiration pour des économistes libéraux, comme Friedrich Hayek ou Frédéric Bastiat », dit Gannat. 

« Retailleau n’agit pas seul »

A l’inverse de Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse qui entretiennent des rapports conflictuels avec les élus RN au sein de leur collectivité, Bruno Retailleau veillait à s’assurer d’une forme de respect mutuel. L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson,  idéologue avant l’heure de l’union des droites, avait également l’oreille de Bruno Retailleau. 

Celui-ci a, en sus, été toujours à l’aise dans le bain de la fachosphère. Il est proche de Bolloré, milliardaire breton, propriétaire de nombreux  médias algérophobes en France. Ils s’étaient rencontrés lors d’un déjeuner fin 2020, selon une indiscrétion du Nouvel Obs. 

La couverture médiatique du ministre de l’Intérieur dans les pages et sur les antennes du groupe est à l’image de son nouveau statut de coqueluche de la droite : il a fait la une du Journal du Dimanche (JDD) en décembre dernier, sous la forme d’un grand entretien avec trois anciens journalistes de l’hebdomadaire Valeurs actuelles.  

L’AFP explique qu’Alger attribue l’entière responsabilité de la détérioration  des relations, déjà tendues, entre l’Algérie  et la France au ministre français de l’Intérieur. Le ministère des Affaires étrangères a fustigé, mardi, l’attitude « affligeante » du ministre, l’accusant de « barbouzeries à des fins purement personnelles ». 

Depuis qu’il est ministre, Retailleau «a ciblé de façon très singulière l’Algérie», explique l’enseignant en  géopolitique Adlene Mohammedi. L’ex-ministre et diplomate Abdelaziz Rahabi s’interroge sur X quant à la distinction faite par « une partie de (ses) compatriotes » entre Retailleau et Macron. Il ne croit pas « à une divergence de fond » entre les deux hommes, mais plutôt à une « distribution avisée des rôles, en mode good cop, bad cop ».

Le chercheur en relations internationales Abdellah Akir juge « difficile de dire que Retailleau agit seul, sans l’approbation du Président ». Que l’Algérie tienne à blâmer  Retailleau est « un message au président français afin qu’il prenne la mesure qu’il jugera appropriée pour démanteler les mines posées par le ministre sur le chemin de l’apaisement », assure à l’inverse M. Akir. 

Un « éloignement » définitif entre les deux pays n’est pas envisageable, pense Ismail Maarraf, professeur de sciences politiques à Alger. « Les intérêts stratégiques élevés entre les deux pays et la sensibilité des dossiers qui n’apparaissent pas en public font que l’on n’exclut pas un retour prochain des relations à la normale », selon l’expert. 

Le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot a assuré hier que même si Paris a répliqué « avec fermeté » aux décisions algériennes, il faudra « à terme » reprendre le dialogue « dans l’intérêt des Français ». Le Quai d’Orsay sait sûrement de quoi il parle. Idem de la place Beauvau ? 

Source : El Watan – 17/04/2025 https://elwatan-dz.com/hostilite-a-legard-des-algeriens-discorde-entre-alger-et-paris-rupture-retailleau-le-ministre-de-la-haine

France-Algérie : la déchirure – Ilyes Ramdani

Alors que la situation semblait s’apaiser, la crise entre les deux pays a atteint mardi 15 avril une gravité sans précédent depuis 1962. La France a rappelé son ambassadeur à Alger « pour consultations ». L’escalade pourrait conduire à une rupture aux conséquences incommensurables.

L’accalmie diplomatique aura été de courte durée. Une semaine à peine après la reprise du dialogue entre la France et l’Algérie, la relation bilatérale entre les deux pays connaît un nouvel épisode de tensions. Cette fois-ci, le désaccord a suivi la mise en examen, en France, d’un agent consulaire algérien, soupçonné d’avoir participé à l’enlèvement et à la séquestration d’un opposant au régime d’Alger exilé en France.

« Ce nouveau développement inadmissible et inqualifiable causera un grand dommage aux relations » entre les deux pays, a affirmé la diplomatie algérienne dans un communiqué. Convoquant l’ambassadeur français à Alger, le ministère des affaires étrangères a de plus répondu à un acte jugé « indigne » par une décision rarissime dans les relations bilatérales : dimanche 13 avril, l’obligation de quitter le territoire algérien sous quarante-huit heures a été signifiée à douze agents diplomatiques français.

Prenant « note avec consternation » de cette décision « injustifiée et incompréhensible », et accusant les autorités algériennes de prendre « la responsabilité d’une dégradation brutale [des] relations bilatérales », la France a répliqué deux jours plus tard. Dans un communiqué adressé mardi 15 avril, l’Élysée a ainsi annoncé procéder « symétriquement à l’expulsion de douze agents servant dans le réseau consulaire et diplomatique algérien en France » et indiqué qu’Emmanuel Macron avait « décidé de rappeler pour consultations » l’ambassadeur de France à Alger, Stéphane Romatet. 

« Dans ce contexte difficile, la France défendra ses intérêts et continuera d’exiger de l’Algérie qu’elle respecte pleinement ses obligations à son égard, s’agissant tout particulièrement de notre sécurité nationale et de la coopération en matière migratoire, poursuit la présidence de la République. Ces exigences vont avec l’ambition que la France continuera d’avoir pour ses relations avec l’Algérie, compte tenu de ses intérêts, de son histoire et des liens humains existants entre nos deux pays. »

Le matin même, Paris avait déjà dénoncé une « décision très regrettable » par la voix de son ministre des affaires étrangères. Invité de France 2, Jean-Noël Barrot avait alors averti l’Algérie : sa décision « ne [serait] pas sans conséquences » et « compromet le dialogue amorcé »« Il reste quelques heures aux autorités algériennes pour revenir sur leur décision, nous sommes prêts à répondre avec la plus grande fermeté », avait prévenu le ministre.

Il n’en fallait pas plus à la droite et à l’extrême droite pour railler « les brillants résultats […] des prosternations de Jean-Noël Barrot à Alger », comme l’a écrit sur le réseau social X Jordan Bardella, le président du Rassemblement national (RN), en référence au déplacement du chef de la diplomatie le 6 avril. En concurrence avec Bruno Retailleau pour la présidence du parti Les Républicains (LR), le député Laurent Wauquiez a concentré ses attaques sur le ministre de l’intérieur : « Voilà à quoi nous a menés la “riposte graduée” : une nouvelle humiliation. »

Au sommet de l’État, la nouvelle tension diplomatique entre les deux pays suscite un mélange de lassitude et de résignation. « En réalité, l’Algérie n’a aucune envie que ça aille mieux entre nos deux pays », souffle un conseiller de l’exécutif. Après avoir mis en œuvre l’apaisement décidé par les deux chefs de l’État, au téléphone le 31 mars, le Quai d’Orsay brille par sa discrétion depuis dimanche.

Bruno Retailleau dans le viseur d’Alger

Dans les usages très codifiés des tensions diplomatiques, l’épisode actuel dénote toutefois la volonté, de part et d’autre de la Méditerranée, de se ménager une voie de sortie. Ainsi l’Algérie concentre-t-elle ses flèches sur la personnalité du ministre de l’intérieur, comme pour mieux préserver le canal renoué avec l’Élysée et le Quai d’Orsay. « Il porte la responsabilité entière de la tournure que prennent les relations entre l’Algérie et la France », écrit la diplomatie algérienne dans son communiqué.

Le reste à l’avenant : Bruno Retailleau est accusé d’un « manque flagrant de discernement politique », d’« excelle[r] dans les barbouzeries à des fins purement personnelles », de vouloir « rabaisser l’Algérie » et d’entretenir à son égard une « attitude négative, affligeante et constante ». De la même façon, les douze fonctionnaires français visés par la procédure d’expulsion relèvent tous de la tutelle du ministère de l’intérieur : l’Algérie n’a ciblé ni la mission diplomatique ni les autres services de l’ambassade, comme pour mieux souligner que sa cible est à Beauvau.

Tout cela a évidemment été compris au Quai d’Orsay, où le choix a été fait d’éviter la surenchère verbale. S’il a pris la défense de son collègue de l’intérieur, assurant qu’il n’avait « rien à voir » avec la mise en examen du fonctionnaire algérien, Jean-Noël Barrot a soigneusement pesé ses mots dans la réponse. « Le principe numéro un de la diplomatie, c’est qu’il faut toujours laisser sa chance au dialogue, a lancé le ministre. Ceux qui vous disent le contraire sont des irresponsables. » Même l’Élysée, dans son communiqué de riposte, a tenu à laisser une porte ouverte aux tractations.

Si elle n’a, pour l’heure, pas tout ravagé sur son passage, la tempête des derniers jours raconte la fragilité de la reprise du dialogue entre les deux capitales. Même au lendemain de la visite de Jean-Noël Barrot à Alger, où il a passé plus de deux heures et demie dans le bureau d’Abdelmadjid Tebboune, la diplomatie française se gardait de tout triomphalisme. « Dans les mots, ça va mieux », soufflait une source haut placée au sein de l’exécutif, en insistant lourdement sur le début de la phrase.

Entre Paris et Alger, le seul canal de confiance semble être celui qui relie les deux chefs d’État entre eux. « C’est mon alter ego, expliquait fin mars le dirigeant algérien au sujet d’Emmanuel Macron lors d’une interview télévisée. On a eu des moments de sirocco, des moments de froid mais c’est avec lui que je travaille. » Au plus fort de la crise, c’est le contact direct entre les deux hommes qui a permis de reprendre le dialogue.

Mais, dans le reste de l’appareil d’État, la confiance n’est pas la même. Les entourages présidentiels échangent certes régulièrement : la conseillère Afrique du Nord d’Emmanuel Macron, Anne-Claire Legendre, a été reçue trois fois à Alger début 2025, comme le signe de l’estime que continuent de lui porter Abdelmadjid Tebboune et son chef de cabinet, Boualem Boualem.

D’autres voix influentes continuent de pousser pour un rapprochement entre les deux capitales. Ainsi de Rodolphe Saadé, le puissant patron du groupe CMA-CGM : proche d’Emmanuel Macron, le milliardaire – par ailleurs propriétaire de la chaîne BFMTV – est justement en visite à Alger mardi 15 avril pour sceller des accords XXL qui feraient de lui « l’acteur privé majeur du fret maritime en Algérie », comme le révélait lundi Africa Intelligence.

S’il est maintenu, le rendez-vous prévu entre le chef d’entreprise et le président algérien aura forcément une connotation très politique, au cœur d’une telle crise. Il n’est toutefois pas dit que ces interconnexions personnelles suffiront à rétablir la confiance entre deux puissances qui ont toutes les peines du monde à se parler.

La France pousse son avantage jusqu’à l’excès

Dans les allées du pouvoir français s’est ainsi diffusée une certaine méfiance à l’égard des autorités algériennes. On y critique le « formalisme » du pouvoir et son côté suranné ; à l’Élysée, on juge que la bonne volonté d’Abdelmadjid Tebboune est vouée à buter sur l’omnipotence d’un pouvoir militaire trop réticent à l’idée de renouer avec la France ; un ministre influent, pourtant concerné par la reprise des échanges, estime que « ça ne marchera jamais avec eux ».

Sur le terrain diplomatique, il est possible, sinon probable, que la bisbille du moment finisse par trouver une issue. Mais ensuite ? Le rétablissement des relations franco-algériennes pourrait buter sur un malentendu fondamental. La France estime que le rapport de forces lui est particulièrement favorable : l’Algérie lui paraît isolée dans la région, en conflit ouvert avec le Maroc mais aussi, depuis peu, avec les juntes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso.

La restriction des visas pour les dignitaires algériens a tapé là où elle voulait faire mal, juge-t-on également à Paris, où l’on note que beaucoup ont des enfants scolarisés en France, ou des résidences secondaires. De même, les répercussions de la crise sur la diaspora algérienne en France seraient particulièrement dommageables, du point de vue du régime.

Ainsi les autorités françaises estiment-elles que le rétablissement des relations bilatérales est beaucoup plus urgent pour Alger. D’où le peu d’empressement de la France à faire des gestes significatifs, qu’ils relèvent du champ mémoriel, économique ou stratégique. Exemple le plus bavard : sur le Sahara occidental, Emmanuel Macron a fait savoir que son inflexion en faveur d’une souveraineté marocaine était irréversible. « L’Algérie sait qu’elle a perdu sur ce dossier », glisse une source diplomatique.

En poussant si loin ce qu’elle estime être son avantage, la France prend toutefois le risque d’une rupture profonde des relations bilatérales. Fin connaisseur de la vie politique française, Abdelmadjid Tebboune n’en ignore pas deux paramètres : Emmanuel Macron n’a plus que deux ans de mandat, et son camp est soumis aux injonctions de plus en plus pressantes d’une droite conservatrice et d’une extrême droite en progression.

Pour le président français comme pour son homologue algérien, l’enjeu est aussi personnel : quelle trace laisseront-ils dans la longue histoire des relations entre les deux pays ? L’Algérie pourrait être tentée de les laisser végéter jusqu’à la prochaine élection présidentielle, moment souvent propice à une reprise du dialogue. L’Italie, la Turquie ou la Russie, déjà en très bons termes avec Alger, ne manqueront pas de s’engouffrer dans une telle brèche diplomatique.

Source : Mediapart – 15/04/2025 https://www.mediapart.fr/journal/international/150425/france-algerie-la-dechirure

Une crise diplomatique sans précédent entre Alger et Paris – Rabah Aït Abache

Dans une décision sans précédent depuis 1962, les autorités algériennes ont ordonné l’expulsion de 12 fonctionnaires français en poste en Algérie. Cette mesure, annoncée le lundi 14 avril 2025, exige que ces agents quittent le territoire algérien sous 48 heures. Cette décision marque une escalade significative des tensions diplomatiques entre Paris et Alger.

Selon les sources françaises, les personnes visées par cette expulsion seraient « toutes placées sous l’autorité de Bruno Retailleau », le ministre de l’Intérieur, donnant une dimension politique ciblée à cette décision.

Aucune communication officielle algérienne ne vient pour l’heure confirmer ces expulsions de fonctionnaires français.

La réaction des autorités algériennes

Le gouvernement algérien a justifié cette décision en réaction directe à la mise en examen de trois ressortissants algériens en France, dont un agent consulaire (affilié au de Créteil), soupçonnés d’implication dans l’enlèvement de l’influenceur algérien Amir DZ, selon les mêmes sources françaises.

Dans un communiqué officiel, le ministère algérien des Affaires étrangères a fermement condamné la mise en cause de son agent consulaire citoyen dans la forme et le fond et a critiqué les justifications fournies par le ministère de l’Intérieur français, les qualifiant de « vermoulues et farfelues ».

Les autorités algériennes ont également averti que « ce nouveau développement inadmissible et inqualifiable portera un préjudice majeur aux relations algéro-françaises ». Et la réaction n’a manifestement pas tardé.

https://www.mfa.gov.dz/fr/announcements/statement-of-the-ministry-of-foreign-affairs-french-ambassador-12042025

Aux origines de la crise : l’affaire Amir DZ

Cette nouvelle crise diplomatique a été ravivée par les derniers rebondissement dans l’enquête judiciaire de l’enlèvement de l’influenceur Amir DZ, réfugié en France depuis 2023, ce dernier a été enlevé dans le Val-de-Marne fin avril 2024. L’homme n’a dû sa liberté qu’à un invraisemblable imbroglio que l’enquête n’a pas encore éclairci.

Trois hommes, dont un agent employé dans un des consulats d’Algérie en France, ont été mis en examen vendredi 12 avril 2025 à Paris pour « arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivie de libération avant le 7e jour, en relation avec une entreprise terroriste », selon le parquet national antiterroriste (Pnat) français. Amir DZ est visé par sept mandats d’arrêt émis par les autorités algériennes, et la justice française a refusé la demande d’extradition émise par la justice algérienne. Les faits sont graves et l’affaire risque de percuter sérieusement le dernier rapprochement entre les deux pays.

Les répercussions diplomatiques immédiates

Face à cette décision, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a immédiatement réagi en demandant aux autorités algériennes de « renoncer à ces mesures d’expulsion sans lien avec la procédure judiciaire en cours ». Dans une déclaration écrite, il a clairement indiqué que « si la décision de renvoyer nos agents était maintenue, nous n’aurons d’autre choix que d’y répondre immédiatement »

Une détente diplomatique de courte durée

Un échange téléphonique entre les présidents français et algérien a récemment illustré une volonté commune de renouer un dialogue apaisé, fondé sur le respect mutuel des intérêts des deux pays. Dans la foulée, Jean-Noël Barrot s’est rendu à Alger, où il s’est entretenu avec son homologue Ahmed Attaf ainsi qu’avec le président Tebboune. À l’issue de ces discussions, qualifiées de « franches et constructives », le ministre français évoquait l’entrée dans « une nouvelle phase » des relations franco-algériennes, saluant un « retissage du fil du dialogue au service de nos deux pays ».

Quelques jours plus tard, depuis le Festival du Livre à Paris, Emmanuel Macron s’est dit « confiant » quant à une éventuelle libération de Boualem Sansal, assurant que l’écrivain bénéficiait d’« une attention particulière » de la part des autorités algériennes.

Une grave crise aux conséquences inquiétantes

Si Alger maintient sa décision d’expulser les douze agents français, la France pourrait adopter diverses mesures de représailles. Parmi les options de représailles évoquées figurent des expulsions réciproques de diplomates algériens, des restrictions sur les visas, ou même des mesures économiques ciblées.

Cette crise diplomatique risque d’avoir des conséquences durables sur les relations entre Paris et Alger. La visite prévue de Gérald Darmanin en Algérie dans les prochaines semaines semble désormais compromise. C’est tout le processus de normalisation des relations bilatérales qui est remis en question.

Source : Le Matin d’Algérie – 14/04/2025 https://lematindalgerie.com/une-crise-diplomatique-sans-precedent-entre-alger-et-paris/

Protestation de l’Algérie contre la détention en France d’un agent consulaire

L’ Algérie a « vivement protesté » samedi soir contre la détention en France d’un agent consulaire, accusé d’implication dans l’enlèvement fin avril sur le sol français de l’influenceur algérien Amir Boukhors, une affaire « inadmissible » selon Alger au moment où le dialogue avec Paris vient de reprendre.

Trois hommes, dont un travaille dans un consulat d’Algérie en France, ont été mis en examen vendredi à Paris, pour arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivie de libération avant le septième jour, en relation avec une entreprise terroriste, selon le Parquet national antiterroriste (Pnat) français.

Dans cette affaire concernant l’opposant au régime algérien Amir Boukhors, influenceur surnommé « Amir DZ », les trois hommes sont aussi poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Ils ont été placés en détention.

Résidant en France, Amir Boukhors a livré pour la première fois, samedi 12 avril, sa version du kidnapping dont il dit avoir été victime le 29 avril 2024 : « Je vois un gyrophare et quatre personnes qui descendent de la voiture avec un brassard de police. Ils m’ont menotté et dit qu’un officier de la police judiciaire m’attendait », confie-t-il à France 2. Selon lui, les services secrets algériens seraient à l’origine du kidnapping.

Alger a émis neuf mandats d’arrêt internationaux à son égard, l’accusant d’escroquerie et d’infractions terroristes. En 2022, la justice française a refusé son extradition. Âgé de 41 ans et suivi par plus de 1 million d’abonnés sur TikTok, « Amir DZ » a été la cible « de deux agressions graves, une en 2022 et une autre dans la soirée du 29 avril 2024 », jour de son enlèvement en banlieue sud de Paris (Val-de-Marne) avant d’être relâché le lendemain, avait rappelé à l’AFP son avocat, Éric Plouvier.

Le ministère algérien des affaires étrangères a tonné samedi soir contre « ce nouveau développement inadmissible et inqualifiable [qui] causera un grand dommage aux relations algéro-françaises ». Il s’est engagé à ne pas « laisser cette situation sans conséquences ». La diplomatie algérienne a précisé avoir reçu l’ambassadeur de France, Stéphane Romatet, pour « exprimer [s]a vive protestation ». Alger a protesté sur « la forme » et sur « le fond » de l’affaire, et a rappelé que « l’agent consulaire a été arrêté en pleine voie publique puis placé en garde à vue sans notification par le canal diplomatique ».

« Argumentaire vermoulu »

Et Alger a également dénoncé « l’argumentaire vermoulu et farfelu » du ministère de l’intérieur français, fustigeant une « cabale judiciaire inadmissible » reposant « sur le seul fait que le téléphone mobile de l’agent consulaire inculpé aurait borné autour de l’adresse du domicile de l’énergumène » Amir Boukhors. Cet influenceur algérien est en France depuis 2016, y a obtenu l’asile politique en 2023 et son pays le réclame pour le juger.

À la suite des mises en examen, MPlouvier a parlé d’une « affaire d’État » et le ministre français de l’intérieur, Bruno Retailleau, a évoqué « peut-être » un « acte d’ingérence étrangère ». Toutefois, une source proche du dossier en France a appelé samedi à la prudence sur ces trois mises en examen : elle a dit redouter que l’enquête ne débouche que sur « un dossier vide », contre des suspects qui ne seraient que des fusibles. 

Vives tensions

Mais pour la diplomatie algérienne, « ce tournant judiciaire, inédit dans les annales des relations algéro-françaises, n’est pas le fruit du hasard ». Il se produit « à des fins de torpillage du processus de relance des relations bilatérales convenu entre les deux chefs d’État [français et algérien – ndlr] lors de leur récent entretien téléphonique », a déploré le ministère des affaires étrangères. Il a exigé la libération « immédiate » de son agent consulaire.

De vives tensions affectent les relations entre la France et l’Algérie depuis que le président Emmanuel Macron a décidé fin juillet d’appuyer un plan d’autonomie sous souveraineté marocaine pour le Sahara occidental, où les indépendantistes du Front Polisario sont soutenus par Alger.

Elles se sont encore aggravées avec l’arrestation, l’incarcération et la condamnation fin mars à Alger à cinq ans de prison ferme de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal pour atteinte à l’intégrité du territoire. Emmanuel Macron s’était dit vendredi « confiant » dans la libération prochaine de l’auteur de 75 ans.

Les tensions franco-algériennes se sont toutefois un peu apaisées à la faveur d’un appel le 31 mars entre Emmanuel Macron et son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune qui a acté la reprise du dialogue bilatéral.

Source – AFP et Rédaction de Mediapart – 13/04/2025 https://www.mediapart.fr/journal/international/130425/protestation-de-l-algerie-contre-la-detention-en-france-d-un-agent-consulaire

Paris et Alger renouent le dialogue – Malik Ben Salem

Le déplacement à Alger du chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, le 6 avril confirme le dégel dans les relations franco-algériennes. L’objectif était de ne pas rester au stade des déclarations d’intention, mais de tracer une feuille de route pour une sortie de l’impasse diplomatique, qui paraissait encore inextricable il y a quelques jours.

Un peu plus d’une semaine après le coup de théâtre dans la crise entre la France et l’Algérie et la reprise du dialogue entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a effectué le 6 avril une visite officielle à Alger. Au programme : une rencontre avec son homologue, ainsi qu’avec le président algérien, rapporte le site d’information TSA. L’occasion pour le chef de la diplomatie française d’annoncer la « réactivation dès aujourd’hui de tous les mécanismes de coopération dans tous les secteurs ».

Clairement, le réchauffement des relations entre Paris et Alger se traduit par une reprise des contacts entre les services de renseignements des deux pays, notamment sur des questions stratégiques comme le Sahel, qui fera l’objet d’une réunion « des plus hauts responsables de la sécurité ». Au niveau judiciaire, comme prévu, la visite du ministre de la Justice Gérald Darmanin est maintenue pour entamer une « reprise du dialogue judiciaire » entre la France et l’Algérie.

Un autre dossier brûlant a été au centre des discussions du ministre des Affaires étrangères français avec la partie algérienne, précise de son côté le site d’information Le Matin d’Algérie : celui des biens mal acquis, qui fera prochainement l’objet d’une réunion de travail à Paris « entre le parquet national financier et ses homologues algériens ».

Le Matin d’Algérie rappelle que la justice française a refusé d’extrader vers l’Algérie l’ancien ministre de l’Industrie Abdeslam Bouchouareb, condamné pour corruption. Une affaire qui a contribué, entre autres, à la crispation des relations entre les deux pays.

Retailleau, le grand perdant

Jean-Noël Barrot a par ailleurs confirmé les engagements des deux présidents qui, lors de leur entretien téléphonique du 31 mars, avaient annoncé la « reprise sans délai de la coopération migratoire ». Tout n’a pas été réglé lors de cette visite dans le dossier des réadmissions et des visas, mais le chef de la diplomatie française a laissé comprendre que les détails seront traités progressivement à travers « les accords existants via les procédures normales et fluides de la coopération consulaire ».

Pour le journal algérien arabophone Echorouk, cette visite, et plus largement l’apaisement des tensions entre la France et l’Algérie, sonne comme un désaveu du ministre de l’Intérieur français, Bruno Retailleau, le « plus grand perdant du rapprochement entre l’Algérie et la France ». Retailleau, qui était l’un des plus virulents au sein du gouvernement français sur le dossier algérien, est aujourd’hui critiqué jusque dans son propre camp, souligne le quotidien.

Signe de la détente relativement rapide des relations franco-algériennes après la conversation entre les deux présidents, « la commission mixte algéro-française sur l’histoire et la mémoire reprendra prochainement ses travaux à Paris », rapporte le journal algérien El Watan (https://anpnpa.fr/commission-mixte-algero-francaise-sur-lhistoire-les-archives-de-la-colonisation-comme-prealable-m-abdelkrim/). La question mémorielle reste au cœur des relations complexes et des tensions sporadiques entre Alger et Paris.

Le quotidien El Khabar fait quant à lui une lecture sémiologique de cette rencontre. Contrairement aux sourires de circonstance qui accompagnent les visites diplomatiques, les visages de Barrot et de son homologue algérien Ahmed Attaf étaient plutôt fermés, ce qui reflète « la profondeur de la crise entre les deux pays ».

La presse algérienne n’a pas commenté les échanges au sujet de la condamnation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, dont le ministre français a à nouveau demandé qu’il puisse bénéficier d’un « geste d’humanité » de la part du président Tebboune.

Source : Courrier International – 07/04/2025 https://www.courrierinternational.com/article/paris-et-alger-renouent-le-dialogue_229629

Commission mixte algéro-française sur l’Histoire : Les archives de la colonisation comme préalable – M. Abdelkrim

La Commission mixte algéro-française sur l’histoire et la mémoire reprendra prochainement ses travaux à Paris. Des travaux qui interviennent dans un contexte politique marqué par une désescalade entre les deux capitales, entamée depuis quelques semaines à la faveur d’un entretien téléphonique entre le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, et son homologue français, Emmanuel Macron. 

C’est dans ce même contexte que le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, entamera dès aujourd’hui ( 06/04/2025) une visite officielle  à Alger.  Une visite qui acte une reprise de la  coopération algéro-française. Le coprésident de la Commission mixte algéro-française sur l’histoire et la mémoire, Lahcen Zeghidi, s’est exprimé, à cette occasion, sur la conduite à suivre pour faire avancer les négociations sur un dossier d’une extrême importance entre les deux pays.  

Selon le quotidien El Khabar, M. Zeghidi a appelé, instamment, vendredi, la partie française à mettre en œuvre les accords de la cinquième réunion du comité.  Dans une déclaration au quotidien arabophone, il a insisté notamment sur la nécessité de rouvrir le dossier des archives.  S’adressant à ses homologues français au sein du comité, il a suggéré de fixer un « calendrier concret » pour la restitution des archives et des biens spoliés pendant la colonisation française de l’Algérie, y compris ceux qui re-montent à la période ottomane. 

Sixième round

Par ailleurs, il a exhorté la partie française, lors d’un déjeuner offert par Anne-Claire Le Gendre, conseillère du président Emmanuel Macron pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (en marge du quatrième round, ndlr), à surmonter les obstacles législatifs qui considèrent que tous les éléments transférés des colonies sont la propriété de la France. « Nous avons insisté pour qu’un décret présidentiel soit publié, ce qui a suscité des réactions », a souligné M. Zeghidi, faisant référence aux « parties » qui s’opposent, toujours, à la restitution des archives et des biens pillés.

Il a, toujours selon El Khabar, ajouté que la délégation algérienne se rendra à Paris (pour participer au sixième round, décidé après l’appel téléphonique entre les Présidents des deux pays) afin de mettre en œuvre les accords du cinquième round. A ce propos, il a déclaré : « Nous nous rendrons à Paris pour récupérer les archives et non pour dialoguer ou discuter, ainsi que pour inspecter les zones du sud de la France où les sites d’archives n’ont pas été examinés. » 

M. Zeghidi s’est dit, par ailleurs, étonné par l’inventaire des biens algériens dans dix-neuf institutions et structures françaises (Bibliothèque nationale, musées, etc.) qui ont été examinées lors de la dernière mission de dix jours de la commission en France et qui ont fait l’objet de pillage. L’historien a également rappelé que l’accord conclu entre les deux parties portait sur la restitution de plus de deux millions de documents d’archives (copies numérisées) et des biens et possessions remontant à la période précédant l’invasion (1830), y compris des armes, comme des canons, des archives papier et des biens ayant une symbolique particulière pour les Algériens, dont certains ont été pillés au palais du Dey. « Nous avons dit à la partie française que nous ne céderons sur rien, même s’il s’agit d’un stylo, ainsi que les biens de l’Emir Abdelkader : son burnous, sa copie du Coran, ses épées et ses canons », a-t-il précisé.  

M. Zeghidi a fait savoir que la partie algérienne s’est appuyée sur un rapport du consul américain à l’époque de la chute d’Alger, présenté par le Dr Ali Tablit, pour appuyer ces revendications.  « Nous avons reçu des données et des informations de la part d’historiens, de scientifiques et d’experts algériens nationaux et de la diaspora qui ont renforcé l’argumentaire algérien contre la partie française », a-t-il dit. « Ces données ont mis en lumière des choses que nous ne savions pas », a-t-il enchaîné. 

Notons que le quatrième cycle de travail de la commission, le plus long, a permis à la partie algérienne d’examiner les archives détenues par la partie française, y compris celles détenues par le ministère de la Défense. 

Ce cycle a abouti à un accord sur la création d’un portail en ligne et sur l’échange de chercheurs (quinze par pays) pour mener des recherches.  

Source : El Watan – 06/04/2025 https://elwatan-dz.com/commission-mixte-algero-francaise-sur-lhistoire-les-archives-de-la-colonisation-comme-prealable