Algérie : de l’OAS à Lecornu, pourquoi le colonialisme n’a jamais pris fin –  Alain Ruscio

Une émission de Denis Robert, avec Alain Ruscio, historien

Blast – 05/11/2025

Le 30 octobre dernier, à une voix près, une résolution portée par le Rassemblement national (RN) a été adoptée à l’Assemblée, visant à remettre en cause les accords franco-algériens signés en 1968. Évènement auquel Sébastien Lecornu a emboîté le pas, quelques jours plus tard, en annonçant vouloir renégocier ces accords « le plus vite possible ».

L’ historien Alain Ruscio explique, pour Blast, en quoi ces offensives, coordonnées des macronistes jusqu’à l’extrême droite, s’inscrivent dans la longue histoire du colonialisme français, toujours bien vivante.

Journaliste : Maxime Cochelin

Montage : Hugo Bot Delpérié

Son : Baptiste Veilhan, Théo Duchesne

Graphisme : Morgane Sabouret, Margaux Simon

Production : Hicham Tragha

Directeur du développement des collaborations extérieures : Mathias Enthoven

Co-directrice de la rédaction : Soumaya Benaïssa

Directeur de la publication : Denis Robert

Vote sur l’accord de 1968 : « Une affaire franco-française », estime Ahmed Attaf

Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a réagi dimanche soir au vote de l’Assemblée nationale française visant à dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 sur la circulation, le séjour et l’emploi des ressortissants algériens en France.

Dans un entretien accordé à la chaîne d’information AL24 News, le chef de la diplomatie algérienne a adopté un ton à la fois mesuré et critique, qualifiant cette initiative d’« affaire franco-française » sans incidence directe, pour l’heure, sur les relations entre Alger et Paris.

Circulez il n’y a rien à voir ! Ahmed Attaf vient de renvoyer la petite tempête médiatique créée par le parti d’extrême droite, RN, à l’Assemblée, à une affaire « domestique française ». Le ministre est sans appel. « Sur le fond, cette affaire est une affaire entre l’Assemblée nationale française et le gouvernement français. C’est une affaire intérieure, une affaire franco-française. Elle ne nous concerne pas pour le moment », a déclaré M. Attaf, soulignant le caractère symbolique de la résolution adoptée jeudi dernier à Paris.

Le texte, proposé par le Rassemblement national (RN) et soutenu par des députés de droite (LR et Horizons), n’a pas de portée juridique contraignante, mais a provoqué de vifs débats dans les deux pays.

M. Attaf a exprimé son regret de voir “l’histoire d’un pays indépendant et souverain devenir l’objet d’une compétition électorale anticipée en France”. « Il est attristant de voir un pays aussi grand que la France se livrer à ce genre de manœuvres », a-t-il ajouté.

S’il a tenu à réaffirmer le respect d’Alger pour l’Assemblée nationale française, le ministre a jugé que le vote s’inscrivait avant tout dans une logique politicienne. « La première pensée qui m’est venue en voyant ce vote, c’est que la course à l’échalote se poursuit », a-t-il lancé, en référence à la surenchère observée entre partis français à l’approche des échéances électorales.

Tout en relativisant la portée du vote, M. Attaf a rappelé que l’accord de 1968 reste un “accord intergouvernemental” et donc “un accord international”. À ce titre, il ne pourrait être remis en cause qu’à travers un acte officiel du gouvernement français. « Tant que le gouvernement français ne nous a rien dit à ce sujet, nous considérons que cette affaire reste parlementaire et symbolique », a-t-il précisé.

Le ministre a toutefois laissé entendre qu’Alger suivait le dossier avec attention : « Cette question pourrait concerner l’Algérie si elle devient une affaire de gouvernement à gouvernement », a-t-il averti.

Faisant allusion aux récents signaux d’apaisement venus de Paris, notamment de la part du nouveau ministre français de l’Intérieur, Ahmed Attaf a conclu sur une note prudente mais optimiste : « Nous n’avons rien vu venir, et nous espérons ne rien voir venir. »

Pour l’heure, Alger privilégie donc la retenue et l’observation, considérant le vote du Parlement français comme un geste à usage interne plutôt qu’un acte diplomatique.

La rédaction

Source : Le Matin d’Algérie – 03/11/2025 https://lematindalgerie.com/vote-sur-laccord-de-1968-une-affaire-franco-francaise-estime-ahmed-attaf/

L’ accord franco-algérien de 1968, un fantasme de la droite – Jean-Pierre Sereni

Conçu pour faciliter l’immigration économique et pallier le besoin de main d’œuvre des Trente Glorieuses, l’accord prévoyait la libre circulation entre les deux pays pour les ressortissants algériens. Vidé de son contenu au cours des ans, le texte n’a aucune influence sur les flux migratoires ; pourtant la droite se mobilise pour l’abroger, ce qui lui permet d’agiter ses fantasmes sur l’invasion du pays.

Tout commence le 25 mai 2023 avec la publication de Politique migratoire : que faut-il faire de l’accord franco-algérien de 1968 ?, une étude de Xavier Driencourt, ancien ambassadeur français en Algérie (cf. https://anpnpa.fr/accords-de-1968-lextreme-droite-francaise-revient-a-la-charge-m-abdelkrim/). La réponse à la question du titre est claire : il faut abolir un texte largement oublié de tous, sinon de ses « bénéficiaires », parce qu’il favorise en France l’immigration algérienne, objet de peurs et de fantasmes dans une partie de la population.

L’ accord mettait fin à une tension sérieuse entre la France et l’Algérie au sujet du nombre d’Algériens admis en France. Paris avait réduit unilatéralement à 1 000 par mois le nombre des admis à compter du 1er juillet 1968. Trois ans après le coup d’état militaire du colonel Houari Boumediene, son ministre des affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika (qui deviendra trente ans plus tard chef de l’État) et l’ambassadeur de France en Algérie Jean Basdevant signent le 27 décembre 1968 un accord qui admet chaque année 35 000 travailleurs algériens sur le territoire français. Ils sont autorisés à y séjourner au préalable neuf mois pour y trouver un emploi — ce qui n’a rien d’un exploit dans la France des Trente Glorieuses où le taux de croissance annuel atteint 5 % et où les usines manquent de bras. En cas de réussite, les candidats à l’immigration obtiennent une carte de séjour valable 5 ans pour eux et leurs familles. Les touristes algériens munis d’un passeport peuvent entrer librement et séjourner trois mois dans l’Hexagone. Paris s’engage en outre à améliorer la formation professionnelle et les conditions de logement des immigrés, trop souvent cantonnés aux emplois les plus ingrats et souvent logés dans des bidonvilles.

Un traité sans cesse revu à la baisse

Le démarrage de l’accord est poussif : à peine 30 000 travailleurs sont admis en 1969, première année d’application. Environ 20 000 femmes et enfants sont entrés en France mais « il y a eu un nombre à peu près égal de sorties » note le professeur André Adam dans une chronique scientifique1.

Les Algériens profitent-ils de leur traitement dérogatoire au Code d’entrée et de séjour des étrangers (Codesa) ? Pas vraiment. Sans accord équivalent, les Marocains, peu nombreux à l’époque en France, arrivent en plus grand nombre, rattrapent leur retard et font aujourd’hui jeu égal avec les Algériens.Bas du formulaire

Fin 1985, à la veille d’élections difficiles et en pleine montée du chômage, le premier ministre Laurent Fabius abroge l’article 1 (l’admission de 35 000 travailleurs chaque année) et l’article 2 (les 9 mois de séjour pour trouver un emploi). Le texte est réécrit dans un sens restrictif. Deux autres avenants lui succéderont en 1994 et 2001. La partie « entrée » de l’accord est désormais supprimée, la partie « séjour » demeure partiellement en vigueur. Un an plus tard, le visa est instauré et devient la clé de l’entrée en France des étrangers. C’est le vrai régulateur pour les 800 000 étrangers qui entendent se rendre dans l’Hexagone. Il éclipse un peu plus encore l’accord franco-algérien, privé de muscle depuis trois ans. Ses adversaires d’aujourd’hui tirent à côté de la cible, la carte de séjour remplacée par le certificat de résidence bénéficie à environ 600 000 Algériens établis en général depuis longtemps, avantagés par quelques « privilèges », comme l’accès immédiat au revenu de solidarité active (RSA) sans avoir à attendre plusieurs années comme les autres immigrés.

Déjà, fin 2022, prenant tout le monde de vitesse, la première ministre Elizabeth Borne pressent le vent qui se lève à droite. Au cours d’une visite officielle en Algérie, elle annonce à ses hôtes qu’elle prépare une « révision » de l’accord. Un quatrième avenant est prévu. Pour quoi faire ? Rien ne filtre, sinon la vague promesse d’améliorer le sort des 32 000 Français qui vivent en Algérie et sont pour l’essentiel des binationaux détenteurs de deux passeports, l’un pour sortir d’Algérie, l’autre pour entrer en France…

L’ accueil est frais. La presse algérienne y voit une violation des Accords d’Évian, largement enterrés depuis 1962 par les deux parties. D’autres, comme l’ancien député socialiste au Parlement européen Kamel Zeribi dénonce « un coup porté aux relations franco-algériennes ». En réponse, le président Abdelmajid Tebboune précise dans un entretien au Figaro en décembre 2022 : « La mobilité des Algériens en France a été négociée et il convient de la respecter. Il y a une spécificité algérienne même par rapport aux autres pays maghrébins ». À demi-mot, on comprend que l’honneur du pays est en cause.

Inquiétante évolution de la société

L’ étude de Xavier Driencourt fait un retour remarqué dans la vie politique française au début de l’été 2023. Dans une interview largement reprise2, l’ancien premier ministre Édouard Philippe reprend la balle et appelle à son tour à l’abrogation de l’accord. Le 26 juin, Bruno Retailleau, président du groupe des Républicains au Sénat, et plusieurs de ses collègues déposent une proposition de loi en faveur, elle aussi, de l’abrogation.

Enfin, le 7 décembre, le groupe des députés Les Républicains à l’Assemblée nationale dépose à son tour une proposition de loi en faveur de la fin de l’accord de 1968. L’exposé des motifs des deux textes, à l’Assemblée comme au Sénat, reprend sans en changer une ligne la première page du rapport Driencourt. L’Assemblée rejette le projet par 151 voix contre 114, soit l’addition des Républicains et des députés d’Horizons, le groupuscule d’Édouard Philippe au Palais-Bourbon, plus quelques isolés. Le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen s’abstient de peur de renforcer son rival numéro 1 et le gros du groupe Renaissance l’imite pour respecter l’injonction du président Emmanuel Macron qui ne veut pas que le Parlement se mêle d’un dossier sensible entre Paris et Alger. Enfin, l’opposition au texte des Républicains, majoritaire, se recrute uniquement à gauche et fait le plein des 151 députés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes).

Que retenir d’un épisode parlementaire, gouvernemental et diplomatique marginal comparé à la « loi Immigration » et à ses 95 articles adoptés quelques jours plus tard ? Sans doute rien, l’opinion l’a ignorée et l’Assemblée l’a rejetée. C’est pourtant un signe supplémentaire d’une inquiétante évolution de la société française. Le développement décomplexé d’un fort courant politico-médiatique ouvertement hostile aux immigrés — surtout, disons-le, aux musulmans — se nourrit de la crise politique née de l’absence d’une majorité favorable au président Emmanuel Macron à l’Assemblée. Le centre droit en déclin court après l’extrême droite et reprend ses discours sur un sujet (l’immigration) qui vient dans les préoccupations des Français bien après le pouvoir d’achat, la santé, l’environnement et les inégalités3. Le pays n’a en vérité besoin ni de la disparition de l’accord de 1968 ni de la loi fourre-tout du ministre de l’intérieur, votée in fine par les lieutenants de Marine Le Pen, et qui n’aura aucun impact sur les flux migratoires.

Notes

1. Annuaire de l’Afrique du Nord, tome VIII, CNRS, 1969 ; page 468.

2. «  Édouard Philippe : immigration « subie », Algérie, délinquance… « On crève des non-dits » L’Express, 5 juin 2023.

3. NDLR. Voir par exemple «  70% des Français se déclarent pessimistes quant à l’avenir de la France  », Ipsos, 26 octobre 2023.

Source : Orient XXI – 11/01/2024 https://orientxxi.info/magazine/en-finir-avec-l-accord-franco-algerien-de-1968-une-obsession-de-la-droite,6989

Sur proposition du RN, dénonciation de l’accord franco-algérien de 1968 voté à l’Assemblée nationale, le 30 octobre 2025

Intervention de Sabrina Sebaihi, député écologiste

Voir aussi : Tribune de Paul Max Morin dans Libération – 30/10/2025 Texte du RN adopté à l’Assemblée nationale : «Mais qu’est-ce qu’ils vous ont fait les Algériens pour que vous les détestiez autant ?» – En kiosque le 03/11/2025.

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Analyse du scrutin ici : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/scrutins/3260

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Accords de 1968 : L’extrême droite française revient à la charge – M. Abdelkrim

La droite et l’extrême droite en France ne comptent pas lâcher prise lorsqu’il s’agit de l’Algérie. Encore une fois, les accords algéro-français de 1968 sont remis sur la table dans un seul objectif : maintenir délibérément une stratégie de tension dans les relations entre Alger et Paris. 

Selon le quotidien Le Figaro, le Rassemblement national (RN) va présenter devant l’Assemblée une résolution pour dénoncer ces accords à l’occasion de la tenue de la niche parlementaire du parti le 30 octobre. La niche parlementaire en France est le moment que tous les groupes d’opposition attendent pour se projeter au cœur de l’actualité politique. 

Un jour par mois, durant la session ordinaire, un groupe d’opposition fixe ainsi l’ordre du jour du Parlement. Il est, toutefois, assez rare qu’une résolution ou un projet de loi soient adoptés lors d’une niche parlementaire. Précisons qu’une résolution votée dans l’hémicycle n’a pas force de loi : elle exprime bien une position politique du Parlement, mais ne peut contraindre le gouvernement à faire passer une loi en ce sens. 

Eric Ciotti, président de l’Union des droites (UDR), a, en ce sens, affirmé : « On aura un débat la semaine prochaine ouvert par le Rassemblement national pour abroger les accords de 1968. Chacun devra prendre ses responsabilités. » La niche parlementaire du RN prévoit, entre autres, l’examen d’une résolution portée par le député Guillaume Bigot visant à dénoncer ces accords. Pour le média français, cette démarche «revêt une signification particulière» une semaine après la publication d’un rapport parlementaire sur les «coûts (…) résultant de ces accords»* (ci-après). 

S’en est suivi alors un flot de commentaires sur les conclusions d’un rapport qui s’inscrit nettement dans une démarche qui consiste à fustiger l’immigration algérienne de France. Depuis des mois, l’ancien ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, non-reconduit dans le gouvernement Lecornu 2, n’a cessé, lui en particulier, de réclamer la dénonciation de ces accords. 

« Coquille vide »

« Si demain la droite arrive au pouvoir, on abolira les accords de 1968 », avait-t-il lancé en mars. Son successeur à la place Beauvau n’est pas du même avis. Le nouveau ministre français de l’Intérieur, Laurent Nunez, se positionne contre une remise en cause de ces accords, qui «n’est pas à l’ordre du jour», a-t-il déclaré. « Il y a ces accords, ils fonctionnent, ils ne sont pas complètement parfaits, je vous le concède, mais pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour », a-t-il expliqué sur France Info il y a quelques jours. Nunez a, aussi, exprimé à plusieurs reprises, depuis sa prise de fonction, son désir d’engager une politique de dialogue avec l’Algérie. 

Face à lui, les courants de la droite et de l’extrême droite s’agitent. Fin septembre, les chiffres relatifs au nombre de visas accordés par la France aux étudiants algériens déclenche l’ire d’élus de la droite et de certains élus RN. Au total, 8351 visas ont été délivrés pour la rentrée 2025, soit plus d’un millier de plus en un an, une hausse dont l’ambassade de France à Alger s’est publiquement félicitée. En réaction, Eric Ciotti a violemment chargé les autorités française en les qualifiant de « gouvernement tartuffe ». De son côté, l’eurodéputée Reconquête Sarah Knafo a appelé à supprimer tous « les avantages accordés » par la France à l’Algérie. 

En somme, un déferlement de propos haineux et disproportionnés devenus courants dans la bouche des nostalgiques de l’Algérie française. Côté algérien, la dénonciation de ces accords n’est pas envisageable. La positon d’Alger, sur ce dossier, reste inflexible. 

Le président Tebboune a, d’ailleurs, réaffirmé cette position dans un entretien accordé en février au journal français L’Opinion. « Pour moi, c’est une question de principe. Je ne peux pas marcher avec toutes les lubies », a-t-il répondu à une question sur les appels lancés par plusieurs politiques français pour exiger la dénonciation des accords de 1968. « Pourquoi annuler ce texte qui a été révisé en 1985, 1994 et 2001 ? » 

« Ces accords étaient historiquement favorables à la France qui avait besoin de main-d’œuvre. Depuis 1986, les Algériens ont besoin de visas, ce qui annule de fait la libre circulation des personnes telle qu’elle est prévue dans les accords d’Evian », a-t-il souligné. Et d’ajouter : « Ces accords sont une coquille vide qui permet le ralliement de tous les extrémistes comme du temps de Pierre Poujade.» 

Source : El Watan- 25/10/2025 https://elwatan-dz.com/accords-de-1968-lextreme-droite-francaise-revient-a-la-charge

*Un rapport parlementaire français propose la dénonciation de l’accord franco-algérien de 1968

En France, deux députés du camp présidentiel ont dévoilé mercredi matin « pour éclairer le débat », un rapport sur le coût des accords entre la France et l’Algérie. Soutenus par l’ancien Premier ministre, Gabriel Attal, dans leur démarche, les deux élus pointent du doigt l’accord franco-algérien de 1968, qu’il faut, selon eux, dénoncer.

Cet accord avait été signé six ans après la fin de la guerre d’Algérie, alors que la France avait besoin de bras pour soutenir son économie. Ce rapport adresse plusieurs reproches à l’accord de 1968. Le premier d’entre eux, c’est que le statut dérogatoire dont bénéficient les Algériens porterait atteinte au principe d’égalité entre les étrangers.

« Un citoyen guinéen ou sénégalais, il doit attendre 18 mois pour bénéficier du regroupement familial contre 12 mois pour un Algérien », constate le député Ensemble pour la République, Charles Rodwell.

Deuxième enseignement, c’est que la France serait la seule des deux parties à continuer d’appliquer le texte. « Pour un Algérien qui a travaillé 40 ans, 20 ans en Algérie et 20 ans en France, l’accord dit que la France doit lui verser la moitié de sa pension. L’Algérie doit verser l’autre moitié de la pension. La Sécurité sociale algérienne ne verse pas cette pension, c’est la France qui compense », poursuit Charles Rodwell.

Deux milliards d’euros, le coût pour le contribuable français 

Le rapport estime à au moins 2 milliards d’euros, chaque année, le coût de l’accord pour le contribuable français. Un chiffrage « très peu étayé » critique la gauche, qui parle d’un rapport plus politique que financier. « Le Général de Gaulle souhaitait que le statut des Algériens soit spécifique en raison de leur appartenance à la nation française durant 132 ans. Il n’est pas totalement incompréhensible que des gens qui ont partagé un destin commun avec la France voient leur statut être régi de manière spécifique », estime le député socialiste Philippe Brun.

« L’ abrogation de cet accord ouvrirait une nouvelle page de l’histoire commune entre la France et l’Algérie », affirment au contraire les auteurs du rapport, qui espèrent que le président de la République entendra leur demande.

L’accord-cadre franco-algérien de 1968 et ses avenants

Les relations entre la France et l’Algérie sont dans un moment de fort tension au point que le dossier migratoire, pourtant en veilleuse, est revenu sur le tapis. Il a été remis sous le feu des projecteurs en 2023 à la faveur d’un rapport à charge pour l’Algérie de l’ancien ambassadeur Xavier Driencourt. Un rapport destiné au centre de réflexions Fondapol, très marqué à droite, et publié peu après la sortie en librairie de ses mémoires algériennes (L’Énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger, auxÉditions de l’Observatoire, 2022) qu’il conclut en ces termes : « Nous avons trop souvent tendu l’autre joue après avoir reçu une gifle. » Un rapport venu nourrir la volonté exprimée depuis plusieurs mois par des responsables politiques de droite (l’ex-ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau mais aussi les ex-Premiers ministres Edouard Philippe et Gabriel Attal, ou encore Marine Le Pen) de dénoncer l’accord-cadre de 1968.

 L’ accord-cadre de décembre 1968

Signé par Jean Basdevant, haut représentant envoyé par de Gaulle en Algérie, et Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères, cet accord à la négociation duquel a activement participé le diplomate et ancien résistant Stéphane Hessel, alors ministre-conseiller à Alger, restreint les dispositions des accords d’Évian de 1962 qui prévoyaient la libre circulation et installation des personnes d’Algérie vers la France, Algériens comme Français. La libre circulation entre les deux pays avait déjà été freinée avant cette date en raison de l’entrée importante d’Algériens sur le sol français en 1962 : la clause de libre circulation des Accords d’Évian est suspendue en 1964 (accords Nekkache-Grandval). Et dans l’accord-cadre de 1968 un certificat de résidence est imposé aux Algériens. Ce certificat est l’équivalent des cartes de séjour destinées aux étrangers du régime général. Ils peuvent l’obtenir après trois ans de résidence (et non cinq pour les autres ressortissants hors UE) et il est valable dix ans. En cas de regroupement familial, les membres de la famille reçoivent une carte de résident de la même durée que le titre de la personne qu’ils rejoignent. En outre, les Algériens peuvent s’installer à leur compte dans une activité libérale sans autre formalité.

Mais les Algériens subissent des contraintes spécifiques. Ainsi, les étudiants peuvent moins travailler (à mi-temps, au lieu de 60 % du temps de travail pour les autres nationalités) et doivent obtenir une autorisation de travail.

► Plusieurs avenants

Au cours des années suivantes, cet accord-cadre de 1968 a été amendé à trois reprises : en 1985, 1994 et 2001. Ces trois modifications ont rapproché la situation des ressortissants algériens des dispositions de droit commun. Après l’amendement de 1985, les Algériens sont soumis à l’obtention d’un visa pour entrer sur le territoire français. Après celui de 1994, le certificat de résidence d’un ressortissant algérien périme si ce dernier passe plus de trois ans consécutifs hors du territoire français, disposition qui s’applique aussi dans le droit commun. Enfin, en 2001, un dernier accord instaure des passe-droits — en particulier hospitaliers – destinés à l’élite algérienne.

En 2007, un aménagement (de niche) signé par Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, et par Mourad Medelci, son homologue algérien, et destiné à faciliter la circulation de détenteurs de passeports diplomatiques en les exemptant de visa, a été « suspendu » par le ministre de l’Intérieur le 17 mars dans le cadre de la « réponse graduée » aux autorités algériennes, répliquant à leur refus d’accueillir leurs ressortissants expulsés du sol français.

Par ailleurs, comme l’accord-cadre de 1968 relève du droit international qui prime sur le droit français, les Algériens vivant en France ne sont pas soumis aux dernières lois (qu’elles soient favorables ou défavorables pour les migrants) votées sur l’immigration depuis 2001. Ils sont ainsi exclus de dispositifs tels que le « passeport talents », qui répond au concept vanté par Nicolas Sarkozy d’une « immigration choisie », ou encore à la régularisation par le travail qui doit passer par le seul exercice d’un métier dit « en tension » ou pour raison humanitaire. « Quand vous mettez tout dans la balance, les ressortissants algériens perdent plus qu’ils ne gagnent et ils auraient intérêt à renégocier ce traité », juge le professeur de droit public Serge Slama.

► Alger prié de « réexaminer » les accords

La question de l’immigration de travail doit être replacée dans le contexte plus général des relations franco-algériennes. Entre l’affaire Boualem Sansal, le dossier du Sahara occidental, les arrestations récentes d’influenceurs, l’attaque mortelle perpétrée à Mulhouse fin février 2025 par un ressortissant Algérien sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), a été le détonateur de la résurgence du débat sur l’accord franco-algérien de 1968. À l’issue d’un comité interministériel mercredi 26 février 2025, le gouvernement français annonce demander à Alger de « réexaminer » la totalité des accords sur l’immigration et ce, dans un délai de quatre à six semaines.

► Que se passerait-il en cas de dénonciation de l’accord-cadre ?

En droit international, seul le président peut dénoncer ou ratifier des traités. « Quand on dénonce un accord international, on n’est pas tout seul à interpréter ses conséquences, explique le politologue Patrick Weil, pour qui une dénonciation serait une erreur. En France, le sénat affirme que les Algériens seraient soumis au droit commun, mais les Algériens, eux, estiment que l’on reviendrait aux accords d’Évian. Dans une situation de tension et de crise, l’Algérie pourrait décider de se replacer immédiatement dans l’esprit des accords d’Évian, et inciter ses ressortissants à se rendre massivement en France. Que ferait la France ? Elle n’a pas intérêt à se placer dans une situation d’incertitude dont la sortie dépendra moins d’elle encore qu’aujourd’hui. »

 Pour aller plus loin

« Les instruments internationaux en matière migratoire » (rapport du Sénat de février 2025)

L’ Histoire secrète des accords d’AlgerFrançois-Guillaume Lorrain, Le Point du 17 avril 2025

« Dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 serait une surenchère malvenue dans une conjoncture politique déjà abîmée » (Tribune de Hocine Zeghbib dans Le Monde du 16 janvier 2025)

Source : RFI –  15/10/2025  https://www.rfi.fr/fr/france/20251015-un-rapport-parlementaire-fran%C3%A7ais-propose-la-d%C3%A9nonciation-de-l-accord-franco-alg%C3%A9rien-de-1968

Pétition : Lettre ouverte aux Présidents de la République française et algérienne

Pour signer la pétition : https://www.change.org/p/lettre-ouverte-au-pr%C3%A9sident-emmanuel-macron-et-au-pr%C3%A9sident-abdelmadjid-tebboune?utm_medium=custom_url&utm_source=share_petition&recruited_by_id=b60e6660-aacf-11e9-ac0d-6b8e0d6d1965

Monsieur Emmanuel Macron, Président de la République française
Monsieur Abdelmadjid Tebboune, Président de la République algérienne démocratique et populaire

Nous vous écrivons aujourd’hui, en tant qu’Algériens, Français, Franco-Algériens et amis des deux rives, avec inquiétude et gravité, mais aussi portés par un espoir sincère.
Gravité, car les relations entre nos deux pays traversent une nouvelle phase de tensions, d’incompréhensions et de crispations.
Espoir, car nous restons convaincus qu’une approche politique courageuse et une volonté partagée peuvent ouvrir la voie à une réconciliation durable.

Ce qui relie nos deux pays s’inscrit dans l’Histoire et ses blessures. Cette mémoire commune ne peut être ni effacée, ni détournée, ni instrumentalisée à des fins de division. Les séquelles de la colonisation, de la guerre, de l’exil et des discriminations demeurent vives des deux côtés de la Méditerranée. Pourtant, elles ne doivent pas entraver la construction d’un avenir apaisé, fondé sur le respect mutuel et l’intérêt commun.

Algériens, Français et toutes celles et ceux concernés par ces liens historiques et humains portent une double mémoire, une double appartenance et une double espérance. Ils aspirent à vivre en paix sans être stigmatisés, caricaturés ou transformés en boucs émissaires ; être reconnus dans leur dignité ; ne plus être pris en otage dans des tensions politiques dont ils ne sont ni les auteurs ni les responsables, mais au contraire contribuer pleinement à la société française et à la société algérienne, au développement des deux pays, à consolider les nombreux liens entre-deux, sans devoir choisir un camp ni justifier leur loyauté.

Dans ce contexte, Messieurs les Présidents, votre responsabilité est grande. Vous avez le pouvoir et le devoir d’ouvrir une voie de sortie de crise : rétablir un dialogue franc, traiter avec courage et honnêteté les questions mémorielles, renforcer les échanges humains, culturels et économiques entre nos deux pays, surtout placer les jeunes au centre des préoccupations et protéger les populations prises dans cet entre-deux sans voie de sortie : souvent blessées, mais toujours dignes.

L’ avenir des relations entre la France et l’Algérie ne peut se réduire à des calculs électoraux ou à des postures diplomatiques éphémères. Il concerne des millions de vies, engage les générations à venir et façonne l’image de nos nations à l’échelle mondiale.

Le silence des peuples n’est pas indifférence : il exprime un profond malaise et une inquiétude face à l’escalade des tensions entre l’Algérie et la France. Chacun espère un retour rapide à l’apaisement, à une relation fondée sur la confiance, la dignité et la solidarité.

C’est, animés de cette espérance que nous vous adressons cette lettre, tout en espérant que soit retrouvé l’esprit qui a animé les hommes d’État qui ont su trouver les solutions idoines au sortir d’une guerre atroce.

Nous vous prions de bien vouloir agréer, Messieurs les Présidents, l’expression de notre haute considération.

Premiers signataires :
Lyazid BENHAMI, Président du Groupe de Réflexion sur l’Algérie (GRAL)
Aissa KADRI, Professeur des universités, Ancien directeur de l’Institut Maghreb Europe Paris VIII
Nils ANDERSSON, Président de l’Association Contre la Colonisation Aujourd’hui (ACCA), Ancien éditeur
Ahmed MAHIOU, Agrégé des facultés de droit, Ancien doyen de la Faculté de droit d’Alger, Ancien directeur de l’IREMAM (Aix-en-Provence)
Stanislas HUTIN, Membre de l’Association la 4ACG (Anciens appelés en Algérie contre la guerre et leurs amis)
André GAZUT, Réalisateur
Jean-Louis LEVET, Haut responsable à la coopération technologique et industrielle franco-algérienne (2013–2019), Délégué général de l’Association France Algérie (janvier 2021–février 2025)
Michel BERTHELEMY, Membre de l’Association la 4ACG
Jacques PRADEL, Président de l’Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et leurs Ami.e.s (ANPNPA)
Louisa FERHAT, Présidente de l’Association Femmes Berbères Européennes
Abderrahmane MEBTOUL, Professeur des universités, expert international – Industrie & Énergie –
Farid YAKER, Président du Forum France-Algérie
Allain LOPEZ, Secrétaire de l’ANPNPA Midi Pyrénées
Nadir MAROUF, Anthropologue du droit, Professeur Émérite des Universités (UPJV – Amiens)
Alain RUSCIO, Historien
Gilles MANCERON, Historien
Catherine BRUN, Professeure Université Sorbonne Nouvelle (Paris)
Viviane CANDAS, Cinéaste
Christophe LAFAYE, Docteur en histoire contemporaine ; Université d’Aix Marseille, Chercheur-associé à l’université de Bourgogne Europe
Alice CHERKI, Psychiatre, psychanalyste
Todd SHEPARD, Professeur – Johns Hopkins Université – Baltimore USA
Hocine ZEGHBIB, Juriste, Maître de conférences honoraire, Université de Montpellier, ancien directeur du Master européen « Migrations Inter Méditerranéennes »
Emmanuel ALCARAZ, Docteur en histoire – Mesopolhis-Science-Po Aix
Hanafi Si LARBI, Universitaire
Henri POUILLOT, Militant anticolonialiste et antiraciste (ANPNPA)
Fatiha RAHMOUNI, Avocate
Kader A. ABDERRAHIM, Maître de conférences – Sciences Po Paris & Chercheur en sciences politiques
Pierre PRADEL, Membre de l’Association des Pieds Noirs Progressistes et leurs Ami.e.s (ANPNPA)
Madjid SI HOCINE, Chef de service hospitalier
Fayçal ZEGGAT, Opérateur économique – Agroalimentaire – Algérie
Myassa MESSAOUDI, Universitaire et Écrivaine Franco-Algérienne
Guy JOURDAIN, Ancien Officier de Marine & Membre du corps du Contrôle Général des Armées
Bernard POINTECOUTEAU, Membre de la 4ACG
Pierre MOREAU, Membre de la 4ACG
Mustapha BOUTADJINE, Artiste-plasticien – Paris
Tarek L. RADJEF, Ingénieur à la retraite
Patrick RADJEF, Retraité
Abdelhalim ZEGGAT, Avocat – Alger
Henni Mahammedi BOUZINA, Membre de l’Association Nationale des Pieds Noirs progressistes et leurs Ami.e.s (ANPNPA)
Nabéla AÏSSAOUI, Directrice juridique
Nassim MAHDI, Médecin cardiologue
Boukhari Nacer-Eddine dit N.E. TATEM, Journaliste
Omar HAMOURIT, Historien
Ouarda MERROUCHE, Économiste
Omar Adel BELARBI, Directeur de projets – Groupe immobilier – France, Conseiller de quartier Paris 15
Hocine ADMEZIEM, Cadre & Entrepreneur – France
Ahmed GHOUATI, Consultant en Éducation et Formation
Betitra AMOUR, Cadre secteur bancaire – France
Brahim OUMANSOUR, Géopolitologue
Rahim REZIGAT, Association de Promotion des Cultures et du Voyage
Fernand PONCET, Ancien appelé en Algérie
Karim HOUFAID, Réalisateur & Expert en coopération internationale – France
Mohamed KHANDRICHE, Sociologue et militant associatif dans les deux pays
Tewfik ALLAL, Correcteur, militant associatif
Yohan LAFFORT, Réalisateur
Michel LACROZE, Membre de l’Association la 4ACG (Anciens appelés en Algérie contre la guerre et leurs amis)

L’étrange rappel à l’ordre estival d’Emmanuel Macron à François Bayrou sur l’Algérie – Renaud Dély

Le président a écrit une lettre à son Premier ministre, lui demandant plus de fermeté vis-à-vis de l’Algérie. Une lettre révélée par la presse.

Emmanuel Macron se livre à une bien étrange manœuvre vis-à-vis de son Premier ministre. Étrange en raison du moment choisi, au beau milieu de la torpeur estivale, alors que lui-même se trouve dans la résidence d’été des présidents, qu’une partie de l’équipe gouvernementale est en vacances et qu’une autre est mobilisée sur le front de l’incendie de l’Aude. Mais surtout étrange par la méthode : une lettre que le président de la République adresse à son Premier ministre, lettre qu’il estime nécessaire de rendre publique, alors qu’il aurait pu, comme il le fait souvent, exprimer sa position sous les ors du palais de l’Élysée, lors du Conseil des ministres.

Y aurait-il dans la démarche présidentielle un brin de manipulation, voire une volonté d’humiliation ? Ce qui est sûr, c’est qu’en exigeant plus de fermeté vis-à-vis d’Alger, Emmanuel Macron va précisément dans le sens de ce que demandait le gouvernement. Il n’avait donc nul besoin de le lui rappeler et encore moins de le faire sur la place publique.

Que dit cet épisode algérien des relations entre Emmanuel Macron et son Premier ministre ? Qu’elles sont complexes, et vraisemblablement de plus en plus. Et cela ne date pas d’hier. Avant de rallier Emmanuel Macron en 2017, François Bayrou, le démocrate-chrétien dénonçait en lui le libéral, « le candidat des forces de l’argent ». Et depuis qu’il est à Matignon, le maire de Pau n’a de cesse de rappeler sa liberté tandis que le chef de l’État le recadre de son côté sans ménagement, en exigeant qu’il tienne ses troupes, et qu’en particulier, il empêche Bruno Retailleau de prendre la lumière.

Bayrou poussé vers la sortie ?

Emmanuel Macron serait-il tenté de pousser son Premier ministre vers la sortie ? Ce n’est pas la plus probable des hypothèses mais c’en est. En général, sous la Ve République, le président est « protégé » par son Premier ministre qui lui sert de « fusible ». Dans le cas du couple Macron-Bayrou, c’est différent : le Premier ministre est très impopulaire certes, mais c’est un Premier ministre « Teflon » : toutes les crises glissent sur lui.

De là à penser que le président aurait intérêt à se séparer de lui avant même d’être censuré parce qu’il l’entraînerait dans son impopularité, il n’y a qu’un pas. Mais sans aller jusque-là, avec cette lettre, c’est un Emmanuel Macron affaibli qui fait d’une pierre deux coups : en demandant d’agir à François Bayrou, il remet à sa place Bruno Retailleau dont l’ambition présidentielle s’affirme chaque jour un peu plus, et il rappelle que jusqu’en 2027, le seul maître de la politique étrangère de la France, c’est lui.

Source : France Info – 07/08/2025 https://www.radiofrance.fr/franceinfo/podcasts/l-edito-politique/edito-l-etrange-rappel-a-l-ordre-estival-d-emmanuel-macron-a-francois-bayrou-sur-l-algerie-4738988

Macron exige plus de fermeté face à l’Algérie : incompréhension à droite, consternation à gauche – Nicolas Cheviron

La missive adressée par le président à son premier ministre, dans laquelle il réclame « plus de fermeté et de détermination » face à Alger, est perçue comme une interférence malvenue d’enjeux de politique intérieure sur un dossier diplomatique sensible.

Henri Guaino, l’ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, n’avait jamais vu ça. « Quand Pompidou écrivait à Chaban-Delmas, il faisait une vraie lettre qui ne sortait pas dans la presse, a fait remarquer jeudi l’ex-député Les Républicains au micro d’Europe 1. C’est n’importe quoi. » C’est pourtant cette forme hybride d’un courrier adressé au premier ministre mais publié dans Le Figaro qu’a choisi Emmanuel Macron pour appeler François Bayrou à davantage de fermeté dans les différends opposant la France à l’Algérie.

Du maintien en détention par Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal et du journaliste français Christophe Gleizes aux blocages de la coopération en matière de réadmissions et de visas, « tout cela exige que la France agisse avec plus de fermeté et de détermination », a affirmé mercredi le président dans le quotidien de droite, ajoutant : « C’est ce que je demande au gouvernement. »

Il y a la forme, qui soulève des interrogations sur la finalité de l’exercice, et il y a le fond. Parmi les mesures demandées par le chef de l’État à son exécutif figure la « suspension officielle » de  l’accord de 2013 concernant les exemptions de visa sur les passeports officiels et diplomatiques algériens. La décision entérine une situation de fait, le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot ayant annoncé le 14 mai, en réaction au renvoi par Alger de fonctionnaires français, « le renvoi en Algérie de tous les agents titulaires de passeports diplomatiques qui n’auraient pas de visa ».

Le Rassemblement national dénonce la « faiblesse » d’Emmanuel Macron face à l’Algérie.

Emmanuel Macron demande également la mise en œuvre immédiate d’un article de la loi immigration de 2024 permettant « de refuser les visas de court séjour aux détenteurs de passeports de service et diplomatiques » ainsi que « les visas de long séjour à tous types de demandeurs ». Il insiste sur la nécessité d’obtenir des partenaires de la France au sein de l’espace Schengen qu’ils « prennent les mesures indispensables à l’efficacité » des décisions françaises.

Le président s’inquiète par ailleurs de la « situation des ressortissants algériens les plus dangereux, sortant de prison ou placés en centre de rétention administrative et qui ne peuvent plus être expulsés, faute de coopération des autorités algériennes ». Il enjoint donc François Bayrou de pousser le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau à « trouver au plus vite les voies et moyens d’une coopération utile » avec Alger et à agir « sans repos et sans répit » face à « la délinquance des individus algériens en situation irrégulière ».

François Bayrou a pour sa part affirmé jeudi que la France « n’est pas dans l’esprit d’un affrontement perpétuel » avec Alger avec laquelle elle voudrait « retrouver un jour des relations équilibrées et justes ».

« La France doit être forte et se faire respecter. Elle ne peut l’obtenir de ses partenaires que si elle-même leur témoigne le respect qu’elle exige d’eux », tempère également dans sa missive le chef de l’État, ce qui fait dire à Henri Guaino : « À chaque fois qu’il y a une demande de fermeté, la phrase suivante explique qu’il faut rétablir des relations amicales. Il y a tout et son contraire dans cette lettre, vous ne pouvez pas en tirer une politique. »

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Alger accuse la France d’avoir déclenché et d’aggraver la crise bilatérale

En réponse au changement de ton d’Emmanuel Macron, l’Algérie a accusé jeudi la France d’être responsable de la crise bilatérale qui a éclaté il y a un an entre les deux pays et de son aggravation. Le ministère algérien des affaires étrangères a ainsi accusé le président français d’avoir dans une lettre à son premier ministre « fait porter tous les torts » de cette brouille à l’Algérie. Ce texte « exonère la France de l’intégralité de ses responsabilités » alors que, selon Alger, « rien n’est plus loin de la vérité et de la réalité ». Dès l’éclatement de la brouille due, selon Alger, au revirement de Paris sur le Sahara occidental, la France a « procédé par injonctions, ultimatums et sommations », dans une « gestion en termes de rapports de forces ». En réponse à la demande par Emmanuel Macron à son gouvernement de suspension de l’accord de 2013, Alger a annoncé jeudi « la dénonciation pure et simple » de cet accord, affirmant que « c’est la France et elle seule qui a été historiquement à l’origine d’une telle demande ».

Réagissant au propos du président français, Khaled Drareni, journaliste et représentant de l’ONG Reporters sans frontières (RSF) pour l’Afrique du Nord, a estimé sur X qu’Emmanuel Macron « s’est rangé derrière les outrances de son ministre de l’intérieur sur la question algérienne, piétinant les espoirs d’apaisement entre Alger et Paris ». Aux yeux de l’expert algérien Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, la lettre de M. Macron « signe un échec collectif dans la gestion d’une crise très coûteuse pour les deux pays. C’est un alignement total sur une politique de pression qui a montré ses limites »

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Du message, l’extrême droite retient surtout la – très relative – tempérance, synonyme pour elle de faiblesse. « Emmanuel Macron a peur. Emmanuel Macron est un trouillard, il a peur des réactions d’une diaspora qu’il imagine forcément du côté d’un pouvoir algérien », a réagi le député Rassemblement national du Nord Sébastien Chenu, sur Europe 1.

« Et je pense que l’absence totale de crédibilité, la faiblesse, la peur d’Emmanuel Macron, les Français les paient très cher », a poursuivi l’élu RN, évoquant l’incapacité de la France « à faire en sorte que les États reprennent leurs ressortissants lorsque ce sont des condamnés, lorsque ce sont des délinquants ».

« Emmanuel Macron a conscience que Retailleau sera candidat à la prochaine présidentielle et il ne veut pas le laisser avoir son calendrier médiatique ».

Carlos Bilongo, député (LFI) du Val-d’Oise

À gauche, on dénonce au contraire un discours de fermeté à finalité de politique intérieure, visant à satisfaire les électeurs de la droite dure. « Macron a compris que l’Algérie ne lâcherait pas, alors il va dans le sens du vent, il fait plaisir au RN et aux nostalgiques de l’Algérie française, commente Akli Mellouli, vice-président de la commission sénatoriale des affaires étrangères et membre du groupe écologiste. Il se ménage une majorité à l’approche d’un moment difficile avec le budget. »

« Emmanuel Macron a conscience que Retailleau sera candidat à la prochaine présidentielle et il ne veut pas le laisser avoir son calendrier médiatique. Il le place devant ses responsabilités » sur la question algérienne, estime pour sa part le député France insoumise du Val-d’Oise Carlos Bilongo.

« Il n’y a pas d’action concrète, que des actions médiatiques à finalité électorale », déplore l’élu francilien, qui en veut pour preuve la disproportion entre le déploiement médiatique mis en œuvre par le gouvernement pour obtenir la libération de Boualem Sansal et Christophe Gleizes, d’une part, et de l’autre la discrétion de l’exécutif sur le sort des Français Cécile Kohler et Jacques Paris, détenus depuis plus de trois ans en Iran.

« Qu’on se batte pour faire libérer nos ressortissants, c’est normal, mais la meilleure voie, c’est la diplomatie. À chaque fois qu’on essaie le rapport de force, on est perdants ».

Sabrina Sebahi, députée (EELV) des Hauts-de-Seine

L’écrivain Boualem Sansal a été condamné à cinq ans de prison ferme pour « atteinte à l’unité nationale » algérienne, une peine confirmée le 1er juillet en appel, pour avoir notamment mis en questions les frontières de l’Algérie avant la colonisation française. Journaliste sportif parti en Algérie faire un reportage sur une équipe de football kabyle, Christophe Gleizes a été condamné fin juin à sept ans de prison pour « apologie du terrorisme ».

Les relations entre Paris et Alger sont au plus bas depuis la reconnaissance par la France fin juillet 2024 d’un plan d’autonomie « sous souveraineté marocaine » pour le Sahara occidental, territoire que se disputent depuis cinquante ans le Maroc et les indépendantistes du Polisario, soutenus par Alger. La crise a été marquée par des expulsions de diplomates et fonctionnaires de part et d’autre et un gel de toutes les coopérations officielles.

Députée Europe Écologie-Les Verts (EELV) des Hauts-de-Seine et vice-présidente du groupe d’amitié France-Algérie, Sabrina Sebaihi, souligne l’inefficacité de la stratégie de tension appliquée par le gouvernement et désormais reprise à son compte par l’Élysée. « Qu’on se batte pour faire libérer nos ressortissants, c’est normal, mais la meilleure voie, c’est la diplomatie, affirme-t-elle. À chaque fois qu’on essaie le rapport de force, on est perdants. »

De retour d’une récente visite en Algérie, l’élue francilienne déplore l’impact de « considérations nationales » sur les intérêts économiques de la France, « pendant que l’Algérie multiplie les partenariats à l’étranger ». « Pendant ce temps, l’Italie vient de signer 40 contrats avec l’Algérie », note-t-elle, avant de conclure : « Je relaie l’inquiétude de nos ressortissants français en Algérie, de nos entreprises, qui regardent cette crise avec beaucoup d’inquiétude alors que tout fonctionnait bien. »

Source : Mediapart – 07/08/2025 https://www.mediapart.fr/journal/politique/070825/macron-exige-plus-de-fermete-face-l-algerie-incomprehension-droite-consternation-gauche

Retailleau revient à la charge sur fond de malaise au sein de l’exécutif : offensive anti-algérienne de la droite extrême en France – M. Abdelkrim

Le ministère des Affaires étrangères a réagi, dimanche, au sujet d’une récente déclaration du ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, au quotidien Le Figaro.

L’ offensive anti-algérienne menée par la droite extrême française ne semble pas s’essouffler. Un tantinet refroidies par un hypothétique fléchissement de la position algérienne par rapport à des dossiers en lien avec des affaires judiciaires, clairement sous la coupe du droit algérien, les attaques « algérophobes » reprennent de plus belle. Incisives et presque désespérées. Dimanche, le ministère des Affaires étrangères a réagi, selon une source qui s’est confiée à l’APS, au sujet d’une récente déclaration du ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, au quotidien Le Figaro.

Comme c’est le cas depuis plusieurs mois, le patron du parti Les Républicains (LR) souffle le chaud et le froid s’agissant des relations entre Alger et Paris, tout en se positionnant comme celui qui cherche à défendre « les intérêts » français face à une Algérie qui met en avant ses attributs de souveraineté non négociables.

Au Figaro, Retailleau annonce son intention de demander aux préfectures françaises de « ne pas tenir compte des passeports délivrés par les consulats algériens aux ressortissants algériens, aux fins d’obtention de titres de séjour ». Surréaliste et complètement infondée, cette affirmation dénote d’un aveuglement mû incontestablement par des calculs politiciens en relation avec les prochaines échéances électorales en France. La source citée par l’APS a, à ce propos, souligné que l’octroi de ces passeports est un droit pour les citoyens algériens et une obligation de l’État algérien souverain. De même, leur reconnaissance s’impose à l’État français.

Discorde

Cette source estime, par ailleurs, que la déclaration du ministre français relève clairement de l’arbitraire, de la discrimination et de l’abus de pouvoir, en ce qu’elle s’inscrit en opposition frontale à la législation française elle-même. Une déclaration politiquement marquée, fait remarquer la même source, ajoutant qu’elle est contestable, car sans fondement aucun du point de vue du droit français.

De ce fait, une non-reconnaissance de ces documents, comme annoncé par Retailleau, constituerait tout autant « une violation de droits individuels et un autre manquement aux engagements bilatéraux de la France ». En France, l’immixtion de Retailleau dans le champ diplomatique de la France officielle ne cesse d’agacer, au point de provoquer une crise ouverte entre le pensionnaire de la place Beauvau et son collègue du Quai d’Orsay, Jean-Noël Barrot.

Une discorde relevée hier par bon nombre de médias français qui, tout en s’interrogeant sur l’issue de cette « mésentente », ont annoncé que le président français, Emmanuel Macron, vient de convier son ministre de l’Intérieur, demain, pour aborder le « dossier algérien ». Ces mêmes médias soulignent le fait que début juillet, les soutiens de Boualem Sansal espéraient une nouvelle fois une grâce du président Tebboune, à l’occasion de la Fête de l’indépendance du pays. En ce moment, Retailleau s’était fait discret sur le sujet, ne voulant « obérer aucune chance de libération » de Sansal. La grâce n’est pas venue, à contre-courant des espérances des soutiens de l’écrivain.

Raison pour laquelle, selon la presse française, Retailleau est finalement sorti du silence, dénonçant vendredi auprès du Figaro  une « scandaleuse injustice » de la part du « pouvoir algérien (qui) aurait dû avoir un geste humanitaire ». « Pendant de longues semaines, je me suis tu pour n’obérer aucune chance de libération de Boualem Sansal », a-t-il même expliqué. Il a d’ailleurs déclaré au Figaro, désormais porte-voix des « intellos » anti-algériens, que « la diplomatie des bons sentiments a échoué. Il faut changer de ton, assumer un rapport de force que le pouvoir algérien a lui-même choisi. J’y suis prêt, depuis le début de cette crise ».

Jean-Noël Barrot réagit, sans tarder, à son collègue au sein du gouvernement français.  « Il n’y a pas diplomatie des bons sentiments, il n’y a que la diplomatie », a-t-il répondu sur son compte X. D’après les médias français, le ministre de l’Intérieur rencontrera demain Emmanuel Macron et « va venir avec des propositions », selon  l’un de ses proches. Des propositions qui concernent le gel des avoirs, révisions de la politique des visas, mesures de rétorsion sur les compagnies aériennes…

Le premier flic de France souhaite que l’Exécutif revienne à la position de François Bayrou de février dernier, juste après l’attaque au couteau par un Algérien sous OQTF. Bruno Retailleau compte notamment faire valoir « l’unanimité au sein du socle commun » sur la remise en cause de l’accord de 68. « C’est le seul sujet où tout le monde est d’accord », appuie son entourage. La cabale anti-algérienne de la droite extrême en France continue donc, avec les mêmes acteurs…

Selon Paris Match : Retailleau veut passer à la vitesse supérieure

Selon le magazine Paris Match, le ministre de l’Intérieur français, Bruno Retailleau, vient de prendre une série de mesures visant de hauts responsables en Algérie pour tenter d’«obliger» l’ Algérie « à accepter de reprendre leurs ressortissants dangereux présents illégalement en France ››. Après avoir affirmé vouloir « changer de ton » avec l’Algérie,  Retailleau a enclenché, lundi soir, selon la même source, une série de mesures à l’encontre de hauts dirigeants nationaux. Des dirigeants qui, ajoute le média français, ont récemment « dénigré » la France. « On rentre dans le du r», commente l’un des proches de Retailleau. « Cela concerne, pour l’heure, 44 personnalités, a affirmé un proche du dossier.
Et ce chiffre devrait grimper à 80 d’ici la fin de la journée.» Et de préciser : « Ce n’est que le début. Nous pouvons aller plus loin.» Pour l’entourage de Retailleau, « le stade ultime étant la remise en cause des accords de 1968 ». Ainsi, selon Paris Match, Bruno Retailleau devrait aborder ce sujet directement avec le président français, Emmanuel Macron, demain, lors d’un entretien prévu à l’Elysée. En tant que chef de la diplomatie française, le président de la République est le seul à pouvoir engager une rupture d’accords internationaux. Il s’y est, pour l’heure, toujours refusé. En février dernier, Jean-Noël Barrot annonçait avoir pris «des mesures de restriction de circulation et d’accès au territoire national visant certains dignitaires algériens». M. A.

Source : El Watan – 23/07/2025 https://elwatan-dz.com/retailleau-revient-a-la-charge-sur-fond-de-malaise-au-sein-de-lexecutif-offensive-anti-algerienne-de-la-droite-extreme-en-france

En ligne : conférence avec Alain Ruscio et Aïssa Kadri sur la relation France-Algérie, enjeux historiques et sociopolitiques – 18/07/2025

18 juillet @ 21h00 – 23h00

Le Groupe de Réflexion sur l’Algérie (GRAL) vous convie à la conférence : « La relation France-Algérie : enjeux historiques et sociopolitiques », le vendredi 18 juillet 2025 à 21h (heure de Paris) et 20h (heure d’Alger).

Ce sera l’occasion de réfléchir en profondeur sur les dynamiques complexes qui marquent les relations entre nos deux pays, un sujet de première importance dans le contexte actuel.

Nous aurons l’honneur d’accueillir deux intervenants de renom :

  • Alain Ruscio, historien reconnu pour ses travaux sur la colonisation et l’histoire contemporaine de l’Algérie.
  • Aissa Kadri, sociologue et expert en relations internationales, qui analysera les aspects sociaux et politiques de cette relation.

La conférence sera suivie d’un temps de débat et de questions-réponses, afin de favoriser un échange enrichissant entre les participants.

L’événement se tiendra en distanciel , la diffusion sera assurée par Alternatv, notre partenaire média, sur Youtube et les réseaux sociaux.

Pour suivre l’émission , cliquer sur le lien ci-dessous :

Relation France-Algérie : Décryptage du GRAL – YouTube

Lyazid Benhami, Président du GRAL