La Maison des cultures du monde ferme ses portes en France : l’Algérie perd un partenaire historique – Nidam Abdi

En février 1986, la Maison des cultures du monde coordonnait avec Riad El Feth l’événement « Algérie. Expressions contemporaines », dont la soirée légendaire du raï à La Villette reste gravée dans les mémoires. Quarante ans plus tard, cette institution pionnière des échanges culturels internationaux disparaît, victime d’une suppression de subvention de 488 000 euros.

La nouvelle est tombée tel un couperet : le 19 décembre 2025, la Maison des cultures du monde (MCM) fermera définitivement ses portes à Vitré, à l’est de Rennes (Ille-et-Vilaine). Quarante-trois ans après sa création à Paris, une subvention annuelle de 488 000 euros supprimée par le ministère français de la Culture suffit à faire vaciller l’une des institutions les plus singulières consacrées au patrimoine culturel immatériel. Pour l’Algérie et ses artistes, c’est un partenaire historique qui s’éteint.

Une institution fondée sur la réciprocité culturelle

Lorsque Chérif Khaznadar et Françoise Gründ fondent la MCM en 1982 et l’installent dans les locaux de l’Alliance française boulevard Raspail à Paris, ils répondent à une nécessité historique : appliquer le principe de réciprocité dans les relations culturelles françaises avec le monde. La France avait tissé un vaste réseau d’Alliances françaises et de centres culturels à l’étranger. Le temps était venu de la doter d’un espace ouvert sur d’autres horizons, en privilégiant la perspective culturelle aux exigences politiques. La philosophie de la MCM tenait en deux propositions fondamentales : « C’est en s’affirmant soi-même que l’on devient universel » et « Enrichissons-nous de nos différences ». Si la création est le moyen par lequel l›homme exprime ce qu›il a de plus intime, c›est en s›ouvrant à des expressions culturelles de toutes sortes qu›il apprend à connaître les autres et ainsi, à mieux cerner sa spécificité.

1986 : « Algérie. Expressions contemporaines »

Dès ses premières années d’existence, la MCM affirme sa vocation avec éclat. En février 1986, elle coordonne l’ensemble de la programmation d’un événement culturel majeur qui marquera durablement l’histoire des échanges franco-algériens : « Algérie. Expressions contemporaines ». Cette grande manifestation, organisée conjointement par le ministère de la Culture algérien, l’Office Riad El Feth, et du côté français par le ministère de la Culture, le ministère des Relations extérieures, la MCM, le Centre Georges Pompidou, le Centre national des arts plastiques et l’Institut du monde arabe, déploie pendant trois semaines à Paris toute la richesse de la création algérienne contemporaine. Du 5 au 25 février 1986, Paris découvre la diversité des expressions artistiques algériennes : expositions de peinture, de manuscrits littéraires et de mobilier contemporain, festival de cinéma, spectacles de théâtre avec notamment El Ajouad d’Abdelkader Alloula par le Théâtre régional d›Oran présenté à la MCM elle-même, concerts de jazz avec Safy Boutella et de rock avec le groupe T.34, défilé de mode avec les créations de Nassila, et spectacle poétique « Synergies ».

Le 17 février 1986 : la soirée qui consacra le rai

Mais c’est le 17 février 1986, à la Grande Halle de La Villette, que se produit un événement qui fera date dans l’histoire de la musique algérienne en France : « Le raï dans tous ses états », première grande soirée d›anthologie du raï organisée dans l’Hexagone. François Paul-Pont, qui avait vécu en Algérie et connaissait intimement cette musique populaire venue de l’Oranie, se charge de l’organisation de cette soirée historique. Ce concert légendaire réunit sur scène les figures majeures du raï, dans toute sa diversité : la grande Cheikha Rimitti, figure tutélaire du genre et voix mythique du raï traditionnel, le jeune Cheb Khaled qui n’a pas encore conquis la planète entière, Messaoud Bellemou, pionnier de l’électrification du raï avec sa trompette révolutionnaire, Bouteldja Belkacem, et le groupe Amarna. Les Medahats complètent cette affiche exceptionnelle. Pour la première fois, le raï – cette musique longtemps marginalisée en Algérie même, chantée dans les cabarets populaires et les fêtes de quartier – accède à la reconnaissance d’une grande scène parisienne. L’événement électrise le public. Cheikha Rimitti, avec sa voix rauque et sa liberté de ton légendaire, incarne la tradition orale et la transgression sociale du raï des origines. Face à elle, le jeune Khaled représente la nouvelle vague, celle qui modernise le genre en l’ouvrant aux synthétiseurs et aux rythmes contemporains. Cette anthologie révèle au public français la vitalité d’une musique qui deviendra, quelques années plus tard, un phénomène mondial.

Un engagement durable envers les musiques algériennes

La MCM accompagnera durablement cette reconnaissance du raï. Son label Inédit édite dès 1986 plusieurs enregistrements issus de cette soirée mémorable, puis en 1994 Aux sources du Raï, documentant l’évolution de ce genre musical. L’institution continuera de mettre en lumière les musiques andalouses, les traditions savantes du Maghreb, le chaâbi d’Alger avec Guerouabi el Hachemi, le malouf de Constantine avec Cheikh Salim Fergani, ou encore les maîtres de la gasba et les chants sacrés du Sahara.

Une action multiforme et visionnaire

L’institution se distingue par l’accueil de manifestations étrangères selon tous leurs modes d’expression et quel que soit leur milieu d’origine : profane ou sacré, savant ou populaire, professionnel ou non-professionnel, lettré ou oral, traditionnel ou contemporain. Cette ambition prend corps dans le Festival de l’imaginaire, créé en 1997. Unique au monde, la manifestation attire à Paris et ailleurs en France les artistes, maîtres rituels et troupes les plus authentiques, parfois menacés d’oubli dans leur propre pays. En près de trente éditions, le festival fait entendre le souffle des traditions autochtones de l’Amazonie aux danses sacrées d’Asie, en passant par les musiques d’Afrique du Nord ou les grandes formes théâtrales d’Orient. Loin d’être un simple programmateur, le centre produit disques, livres, revues, expositions, colloques. Son label Inédit devient une référence pour les amateurs de musiques du monde : archives rares, enregistrements de maîtres, captations de rites inaccessibles. En 2005, la MCM s’installe à Vitré, dans l’ancien prieuré bénédictin du XVIIe siècle, devenant un pôle national et européen du patrimoine immatériel. Un centre de documentation sur les spectacles du monde y est créé.

Un patrimoine irremplaçable

Le quarantième anniversaire, célébré en 2022, offrait une plongée exceptionnelle dans ce travail. L’exposition « Du terrain à la scène » dévoilait un fonds documentaire impressionnant : 10 000 photos, 2000 vidéos, 500 enregistrements sonores, une masse irremplaçable de notes, enquêtes et témoignages. Cette documentation nourrit la base de données Ibn Battuta, l’une des plus importantes d’Europe, qui rassemble plus de 20 000 références sur les traditions du monde. Depuis 2011, la MCM est officiellement le Centre français du patrimoine culturel immatériel. Elle accompagne la reconnaissance des pratiques vivantes et soutient la recherche ethnologique.

Un vide culturel

La fermeture de la MCM résonne comme un contresens historique. Comment un pays qui proclame son attachement à la diversité culturelle laisse-t-il s’éteindre une institution aussi exemplaire pour quelques centaines de milliers d’euros ? François Paul-Pont, disparu en 2015, qui avait porté avec tant de passion cette soirée d’anthologie du raï en 1986, n’aurait sans doute pas imaginé que l’institution qu’il avait servie puisse un jour disparaître. La décision prive la Bretagne d’un outil stratégique de rayonnement international, affaiblit la recherche ethnologique française et rompt un lien précieux avec des artistes venus du monde entier, notamment du Maghreb.

Pour l’Algérie, c’est un partenaire historique qui s’éteint, celui qui a donné au raï ses premières lettres de noblesse internationales et qui a contribué à faire connaître la richesse de son patrimoine musical. Le Collectif Vitré2026 propose la création d’une Maison des cultures vivantes. D’autres pistes émergent : alliances entre universités, coopérations internationales, mobilisation citoyenne. Mais rien ne remplacera totalement la cohérence visionnaire pensée par Khaznadar et Gründ. Dans une France confrontée aux peurs et aux fractures, la MCM rappelait une évidence : la culture n’est pas un décor, mais un langage commun. Khaznadar aimait répéter que « la culture n’est pas un luxe, mais une nécessité ». Sa Maison disparaît. Sa leçon, elle, demeure – et oblige.

Nidam Abdi est critique musical, spécialiste des musiques traditionnelles maghrébines.

Source : El Watan – 14/12/2025 https://elwatan.dz/la-maison-des-cultures-du-monde-ferme-ses-portes-en-france-lalgerie-perd-un-partenaire-historique/

Quel est l’impact de la condamnation de Christophe Gleizes sur les relations algéro-françaises ? – Samia Naït Iqbal

La confirmation, par la Cour d’appel de Tizi-Ouzou, de la peine de sept ans de prison ferme prononcée en première instance mercredi 3 décembre contre le journaliste français Christophe Gleizes constitue un tournant lourd de conséquences.

Ce verdict, rendu au terme d’une audience dense, intervient dans un contexte politique et médiatique algérien marqué par une surenchère patriotique autour de la défense de l’unité nationale face aux velléités indépendantistes du MAK. Dans ce climat électrique, Gleizes apparaît comme une victime collatérale d’une séquence où la question de la souveraineté nationale et de la défense de l’État contre le séparatisme a été érigée en priorité absolue.

Un jugement sous haute tension politique

Depuis quelques jours, les médias algériens se distinguent par un discours radicalisé autour du rejet de toute remise en cause de l’intégrité territoriale du pays, de la sécurité de l’État et de la lutte contre le « séparatisme ». Cette montée en intensité coïncide avec l’annonce imminente par le MAK de Ferhat Mhenni d’une prétendue « proclamation d’indépendance de la Kabylie » — une perspective essentiellement symbolique, dont les effets concrets sur le terrain demeurent aussi improbables qu’incertains. Cette annonce a néanmoins déclenché une réaction en chaîne au sein des milieux politiques, médiatiques et institutionnels.

La télévision nationale a relancé la mobilisation en diffusant un documentaire spectaculaire fondé sur les témoignages d’anciens militants ayant quitté le MAK. Le film, accusant Ferhat Mhenni de manipulations, de dérives autoritaires et de connexions étrangères  hostiles à l’Algérie, a servi de déclencheur. Son impact a été immédiat : une avalanche d’articles, souvent au ton martial, s’est abattue sur la presse écrite et les réseaux sociaux, martelant l’urgence de défendre l’unité nationale et dénonçant, au passage, la France accusée de « complaisance » envers le mouvement séparatiste.

C’est dans ce climat inflammable que s’est tenu le procès de Christophe Gleizes, poursuivi pour apologie du terrorisme et atteinte à l’intérêt national. La lecture de l’arrêt de renvoi — près de trente pages — et l’interrogatoire serré du journaliste par le président du tribunal et ses assesseurs illustrent la volonté manifeste d’établir ses connexions entre lui et le MAK, classé organisation terroriste par Alger. 

Tout au long de l’audience, les magistrats sont revenus, avec une insistance manifeste, sur les contacts répétés de l’accusé avec Ferhat Mhenni et Aksel (Brahim) Bellabassi. La stratégie de l’accusation apparaît limpide : reconstituer un faisceau d’éléments — voire provoquer des aveux — afin de consolider la qualification retenue contre lui.

Dans le climat politique actuel, ces échanges n’étaient pas perçus comme de simples démarches journalistiques, mais comme des indices probants d’une intention hostile envers l’État algérien.

Un verdict qui déjoue les signaux d’apaisement

Pourtant, plusieurs éléments laissaient espérer un infléchissement en appel :

– les visites autorisées aux parents du journaliste en détention ;

– le visa professionnel accordé à son avocat français, Emmanuel Daoud ;

– la plaidoirie marquée par une forte charge personnelle de l’avocat qui a rappelé ses propres attaches familiales avec l’Algérie. Me Daoudi s’est attaché à dépouiller le procès de toute lecture politique, affirmant que son client n’était “ni un otage d’États ni un instrument de rapports de force”. Selon lui, cette thèse serait alimentée en France par des cercles hostiles à l’Algérie, qui verraient dans un maintien en détention de Christophe Gleizes un moyen de nourrir leur surenchère anti-algérienne.

Ces signaux semblaient indiquer que la justice pourrait prendre ses distances avec la ligne dure du réquisitoire du représentant du ministère public qui avait requis l’aggravation de la peine, en la portant a 10 ans de prison ferme assortie de 500.000 dinars d’amende. La Cour a finalement suivi sans réserve la position du procureur, réaffirmant l’existence d’une intention criminelle et replaçant l’affaire dans un cadre politique plutôt que strictement judiciaire.

Une décision qui fragilise une reprise de dialogue déjà fragile

La condamnation intervient à un moment particulièrement délicat de la relation algéro-française. Alors que les deux capitales tentaient de réactiver un dialogue plusieurs fois interrompu, la décision de la Cour d’appel ajoute un irritant majeur.

En parallèle, un regain d’hostilité médiatique envers la France est observé dans certains journaux influents, nourrissant l’idée qu’une frange du pouvoir ou de son appareil communicationnel souhaite peser sur l’équilibre diplomatique.

La récente décision du président Abdelmadjid Tebboune de renoncer au sommet du G20 de Johannesburg — décision largement interprétée comme une volonté d’éviter une rencontre avec Emmanuel Macron — renforce cette lecture : derrière les déclarations officielles, les tensions restent vives et prêtes à ressurgir.

Les médias, baromètre d’un malaise profond

La Une récente du Soir d’Algérie particulièrement virulentes, accentue l’impression d’une orchestration plus large. Pour plusieurs observateurs, ces signaux ne relèvent pas seulement d’un choix éditorial mais participent d’une stratégie visant à envoyer un message clair à Paris : celui d’un durcissement du ton et d’une intransigeance accrue sur tout ce qui touche à l’unité nationale.

La résurgence de ce schéma — déjà observé lors d’épisodes antérieurs de tension bilatérale — révèle la persistance de résistances internes au rapprochement avec la France. Dans un contexte où l’opposition au MAK sert d’etalon  patriotique, toute tentative d’apaisement semble vouée à être immédiatement suspectée.

Un verdict à portée diplomatique majeure

En confirmant la lourde condamnation de Christophe Gleizes, la justice algérienne envoie un signal clair : la fermeté prévaut. À Paris, cette décision risque d’être interprétée comme un geste hostile, voire comme l’indice d’un raidissement politique interne.

L’affaire, qui aurait pu rester circonscrite au champ judiciaire, devient un révélateur des lignes de fracture diplomatiques. Elle pourrait ralentir, voire bloquer, la tentative de normalisation engagée depuis plusieurs mois, alimenter les discours anti-algériens en France, et offrir des arguments supplémentaires aux partisans du durcissement.

En filigrane, l’affaire Gleizes met en lumière une relation franco-algérienne hypersensible, où chaque décision de justice, chaque titre de presse et chaque prise de position publique peut raviver les tensions. Dans ce contexte volatil, la diplomatie avance à pas comptés — et le journaliste français se retrouve, malgré lui, au cœur d’un rapport de forces qui dépasse largement son cas personnel.

Source : Le Matin d’Algérie – 04/12/2025 https://lematindalgerie.com/quel-est-limpact-de-la-condamnation-de-christophe-gleizes-sur-les-relations-algero-francaises/

Christophe Gleizes : la place d’un journaliste n’est jamais en prison – Carine Fouteau

Le journaliste français a été condamné à sept ans de prison par la cour d’appel de Tizi Ouzou, en Algérie. Le jugement est contraire aux principes fondamentaux qui, à travers le monde, consacrent le droit de savoir.

La liberté d’informer est un principe fondamental attaché aux droits humains. Pas seulement en France, partout dans le monde. La mission des journalistes est d’être au service du droit de savoir et de la liberté de dire, dans le souci de la vérité des faits, le respect des sources et du contradictoire.

Le droit de chacun·e à avoir accès aux informations et aux idées est rappelé dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits humains de l’Organisation des Nations unies (ONU). En adhérant, dès son indépendance en 1962 à cette instance supranationale, l’Algérie a de facto souscrit à cette résolution de 1948.

Mercredi 3 décembre, dans la foulée de l’audience en appel, la cour de justice de Tizi Ouzou, en Algérie, a condamné le journaliste français Christophe Gleizes, âgé de 36 ans, à sept ans de prison. Notre confrère, collaborateur de So foot et Society, avait été arrêté le 28 mai 2024 et placé sous contrôle judiciaire notamment pour « être entré dans le pays avec un visa touristique » et pour « apologie du terrorisme ».

À la barre, il a exhorté les juges à la « clémence », reconnaissant avoir fait « beaucoup d’erreurs journalistiques malgré [ses] bonnes intentions », selon un journaliste de l’AFP présent à l’audience. Christophe Gleizes a ainsi admis qu’il aurait dû demander un visa de journaliste et non de touriste avant de partir en reportage.

Cela n’a pas empêché le parquet de réclamer un alourdissement à dix ans de sa première condamnation. « L’accusé n’est pas venu en Algérie pour accomplir un travail journalistique mais [pour commettre] un acte hostile », a estimé son représentant. Le tribunal lui a d’ailleurs demandé s’il savait que le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) avait été classé en mai 2021 comme terroriste par les autorités algériennes quand il avait rencontré son président Ferhat Mehenni, à Paris, en octobre de la même année.

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Manifestation pour la libération de Christophe Gleizes à Avignon, le 16 juillet 2025. © Photomontage Mediapart avec l’AFP

Quelle que soit la réponse – en l’occurrence Christophe Gleizes a affirmé qu’il n’était pas au courant –, il est nécessaire de rappeler que les journalistes ne doivent être identifiés ni aux personnes qu’ils mettent potentiellement en cause, ni aux témoins, ni même à leurs sources. Ils ne sont les défenseurs ni des uns ni des autres. Ils sont une autre voix, celle des citoyens et des citoyennes qui veulent savoir. Ils produisent des faits d’intérêt général, une fois que ceux-ci sont recoupés, vérifiés et documentés.

Interviewer, enquêter et informer, ce n’est pas un délit. « Le journalisme consiste à recueillir des informations, y compris auprès de personnes ou d’organisations controversées, indiquent les nombreuses organisations de médias français qui demandent la libération du journaliste. Qualifier cette démarche d’“apologie du terrorisme” revient à nier la nature même du métier et à menacer la liberté d’informer, garantie par les conventions internationales. Un reporter qui interroge un responsable sportif n’est pas complice de ses positions : il fait son travail. »

L’intérêt général

À l’issue du jugement, Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières (RSF), a fait part de sa stupéfaction : « RSF condamne avec la plus grande fermeté la décision aberrante de la cour d’appel de Tizi Ouzou, qui choisit de maintenir en prison un journaliste n’ayant fait que son travail. » « Nous devons expliquer aux magistrats d’appel qu’un journaliste ne fait pas de politique »« n’est pas un idéologue »« pas un activiste », affirmait l’avocat du journaliste, Emmanuel Daoud, avant l’audience.

Ce dernier a tenté, à raison, d’éviter d’imbriquer le destin de son client dans le tumulte des relations franco-algériennes, après la grâce et la libération par Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal le 12 novembre. Il a ainsi récusé l’expression d’« otage », en précisant que Christophe Gleizes avait pu recevoir des visites et avoir accès à son dossier pénal et à ses avocats.

Il n’en reste pas moins qu’en actant l’enfermement d’un journaliste – quelle que soit sa nationalité : cela vaut tout autant pour les journalistes algérien·nes injustement emprisonné·es –, le tribunal bafoue le droit des citoyennes et des citoyens – quelle que soit, à elles et eux aussi, leur nationalité – à disposer d’informations leur permettant de se positionner en toute autonomie et en toute liberté.

Ratifiée à Tunis en 2019, la charte mondiale d’éthique des journalistes, qui reprend les principes de la charte de Munich de 1971, ne dit pas autre chose : « La responsabilité du/de la journaliste vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité, notamment à l’égard de ses employeurs et des pouvoirs publics. »

Seul compte l’intérêt général des lecteurs et des lectrices, par-delà les frontières. Christophe Gleizes doit être libéré. Selon la procédure judiciaire algérienne, il ne reste qu’une issue, celle de la grâce que pourrait accorder le président algérien Abdelmadjid Tebboune (celle-ci ne pourrait intervenir qu’après la condamnation définitive du reporter, qui peut encore se pourvoir en cassation).

Cela suppose qu’aux côtés des professionnel·les de l’information, les citoyens et citoyennes se mobilisent pour le respect de leur droit : celui d’être informé·e, directement par celles et ceux qui témoignent et enquêtent.

Source : Mediapart – 04/12/2025 https://www.mediapart.fr/journal/international/041225/christophe-gleizes-la-place-d-un-journaliste-n-est-jamais-en-prison

Crise diplomatique entre l’Algérie et la France : Emmanuel Macron veut «corriger beaucoup de choses» – Madjid Makedhi

Alger et Paris ont lancé officiellement, depuis jeudi, le processus devant aboutir à un « retour à la normale » dans leurs relations bilatérales. La visite effectuée par la secrétaire générale du ministère français des Affaires étrangères, Anne-Marie Descôtes, s’inscrit dans cette démarche.

Le président français Emmanuel Macron semble se résoudre à la nécessité de changer de ton et de démarche avec l’Algérie. Face à une crise diplomatique qui dure depuis 18 mois et une rupture totale des canaux de dialogue entre les deux pays, il a fini par avouer que la démarche française dans la gestion de cette tension n’était pas la bonne. Ayant prôné « la fermeté » en été dernier, le chef de l’Etat français plaide désormais pour « l’apaisement ».

S’exprimant, samedi en marge du Sommet du G20 à Johannesburg, en Afrique du Sud, Emmanuel Macron veut « corriger beaucoup de choses » pour « bâtir une relation d’avenir avec l’Algérie ». « Moi, je veux bâtir une relation d’avenir qui soit apaisée, mais on doit corriger beaucoup de choses et on sait que sur beaucoup de sujets, sécuritaire, migratoire, économique, on n’est pas dans une situation satisfaisante », déclare-t-il lors d’un point presse.

Le Président français se démarque, ce faisant, des acteurs de la droite et de l’extrême droite qui ont poussé, durant les derniers mois, vers la rupture entre Alger et Paris. « Beaucoup de gens veulent faire de l’Algérie une question politique domestique française. Et en Algérie, beaucoup de gens veulent faire de la relation avec la France une question de politique domestique algérienne », dit-il, estimant avoir obtenu des « avancées» ces dernières années, avec une « même méthode : le respect et l’exigence ». Selon lui, « la libération de Boualem Sansal (qui a bénéficié d’une grâce du président Tebboune, sur demande de son homologue allemand) est un premier résultat dont il faut se féliciter». Concernant son éventuelle rencontre avec le président Abdelmadjid Tebboune, Emmanuel Macron affirme qu’elle « se fera au moment où on l’aura préparée pour avoir des résultats ». Les propos du chef de l’Etat français interviennent dans un contexte marqué par un début de rapprochement enclenché depuis le changement de gouvernement en France et, notamment, le départ de l’ancien ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.

Un processus de «normalisation»

Alger et Paris ont lancé officiellement, depuis jeudi, le processus devant aboutir à un « retour à la normale » dans leurs relations bilatérales. La visite effectuée par la secrétaire générale du ministère français des Affaires étrangères, Anne-Marie Descôtes, s’inscrit dans cette démarche, comme l’a expliqué le porte-parole du Quai d’Orsay, visant à « relancer la dynamique» de rapprochement». « Il s’agit d’une visite de travail qu’elle mène dans le cadre des priorités exprimées par le ministre (français, ndlr), que sont à la fois le rétablissement de la coopération en matière migratoire, le rétablissement de la coopération en matière de sécurité et aussi la relance de la coopération économique », indique-t-il.

Et d’ajouter : « Tout cela entre dans le cadre d’un dialogue exigeant et qui doit porter des résultats pour nos compatriotes.» Cette visite, rappelons-le, est la première du genre entre les deux pays depuis le mois d’avril, lorsque le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, s’était déplacé à Alger pour amorcer un rapprochement entre Alger et Paris. Les deux pays avaient alors arrêté un agenda de visites afin de « tourner la page » de la crise. Mais le programme a été vite abandonné, suite à l’arrestation, puis l’incarcération, d’un agent consulaire algérien, accusé d’implication dans l’affaire Amir Boukhors, dit Amir DZ. L’ Algérie avait directement accusé le ministre de l’Intérieur de l’époque, Bruno Retailleau, qui était l’un des principaux acteurs ayant envenimé les relations entre l’Algérie et la France, exploitant ainsi l’arrestation, en novembre 2024 à Alger, de l’écrivain Boualem Sansal.

Depuis septembre, le Premier ministre, Sébastien Lecornu, et son ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, ont adopté une nouvelle approche avec Alger, tout en appelant à la reprise du dialogue. Le successeur de Bruneau Retailleau, ex-ministre français de l’Intérieur, a annoncé même une visite à Alger à l’invitation de son homologue Saïd Sayoud, qui devrait intervenir au mois de décembre. Le rapprochement entre les deux pays a été confirmé indirectement, mardi, par le ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf. « Il n’y a pas d’initiative majeure, il y a un processus de contacts qui est en train de s’organiser entre l’Algérie et la France, sans plus », déclare-t-il.

Source : El Watan – 24/11/2025 https://elwatan.dz/crise-diplomatique-entre-lalgerie-et-la-france-emmanuel-macron-veut-corriger-beaucoup-de-choses/

Alger-Paris : quand l’ignorance des traités devient un argument de campagne –  Aziz Slimani

Il y a des discours qui se veulent patriotiques mais qui finissent, faute de connaissance historique, par devenir de véritables contresens politiques.

Depuis quelque temps, on entend ici ou là certains responsables ou commentateurs suggérer que l’Algérie devrait « annuler les accords bilatéraux de 1968 » avec la France. Une idée lancée comme un slogan, sans mesurer ni les conséquences ni les paradoxes qu’elle porte.

Évian : la liberté avant la frontière

Les Accords d’Évian (1962) ne furent pas qu’un cessez-le-feu. Ils représentaient une reconnaissance mutuelle et un pont humain entre deux peuples liés par plus d’un siècle d’histoire.

À travers ces accords, les Algériens pouvaient circuler, travailler et s’établir librement en France, sans visa, sans quotas ni obstacles administratifs. C’était un geste fort, une manière de dire : la séparation politique ne doit pas signifier la rupture humaine.

1968 : quand la bureaucratie remplace la fraternité

Six ans plus tard, les accords bilatéraux de 1968 viennent mettre de l’ordre — du moins en apparence. Sous prétexte d’“organiser les flux migratoires”, ils restreignent en réalité les droits obtenus à Évian.

L ’Algérien devient désormais un étranger comme un autre, soumis aux autorisations de travail, aux titres de séjour et aux politiques de visa.

Autrement dit, on ferme ce qu’Évian avait ouvert.

Et si l’Algérie les annulait ?

Ironie de l’histoire : si l’Algérie décidait aujourd’hui d’abroger les accords de 1968, le cadre juridique applicable serait celui des Accords d’Évian, jamais officiellement dénoncés.

Cela reviendrait, en droit international, à rétablir la libre circulation et l’installation sans visa des Algériens en France. Autrement dit, supprimer l’accord restrictif ferait renaître un texte bien plus libéral.

Le cauchemar de l’extrême droite

Voilà qui ferait sans doute tourner la tête à certains politiciens français qui, par ignorance ou opportunisme, agitent la menace d’une rupture des accords.

En voulant « punir » l’Algérie, ils offriraient en réalité une victoire symbolique et juridique aux Algériens eux-mêmes.

C’est le comble du populisme : brandir le drapeau sans connaître les lois.

L’histoire n’est pas un outil de chantage

Les relations franco-algériennes sont trop profondes pour être réduites à des calculs électoraux.

Les traités ne sont pas des jouets entre les mains d’apprentis du politique : ils sont la mémoire vivante d’un lien humain et historique.

Annuler, menacer, rompre — autant de mots vides si l’on ne comprend pas ce qu’ils impliquent.

Et parfois, l’histoire se venge : à force de vouloir effacer le passé, on finit par en réveiller les droits.

 Source : Le Matin d’Algérie – 09/11/2025 https://lematindalgerie.com/alger-paris-quand-lignorance-des-traites-devient-un-argument-de-campagne/

Algérie : de l’OAS à Lecornu, pourquoi le colonialisme n’a jamais pris fin –  Alain Ruscio

Une émission de Denis Robert, avec Alain Ruscio, historien

Blast – 05/11/2025

Le 30 octobre dernier, à une voix près, une résolution portée par le Rassemblement national (RN) a été adoptée à l’Assemblée, visant à remettre en cause les accords franco-algériens signés en 1968. Évènement auquel Sébastien Lecornu a emboîté le pas, quelques jours plus tard, en annonçant vouloir renégocier ces accords « le plus vite possible ».

L’ historien Alain Ruscio explique, pour Blast, en quoi ces offensives, coordonnées des macronistes jusqu’à l’extrême droite, s’inscrivent dans la longue histoire du colonialisme français, toujours bien vivante.

Journaliste : Maxime Cochelin

Montage : Hugo Bot Delpérié

Son : Baptiste Veilhan, Théo Duchesne

Graphisme : Morgane Sabouret, Margaux Simon

Production : Hicham Tragha

Directeur du développement des collaborations extérieures : Mathias Enthoven

Co-directrice de la rédaction : Soumaya Benaïssa

Directeur de la publication : Denis Robert

Vote sur l’accord de 1968 : « Une affaire franco-française », estime Ahmed Attaf

Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a réagi dimanche soir au vote de l’Assemblée nationale française visant à dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 sur la circulation, le séjour et l’emploi des ressortissants algériens en France.

Dans un entretien accordé à la chaîne d’information AL24 News, le chef de la diplomatie algérienne a adopté un ton à la fois mesuré et critique, qualifiant cette initiative d’« affaire franco-française » sans incidence directe, pour l’heure, sur les relations entre Alger et Paris.

Circulez il n’y a rien à voir ! Ahmed Attaf vient de renvoyer la petite tempête médiatique créée par le parti d’extrême droite, RN, à l’Assemblée, à une affaire « domestique française ». Le ministre est sans appel. « Sur le fond, cette affaire est une affaire entre l’Assemblée nationale française et le gouvernement français. C’est une affaire intérieure, une affaire franco-française. Elle ne nous concerne pas pour le moment », a déclaré M. Attaf, soulignant le caractère symbolique de la résolution adoptée jeudi dernier à Paris.

Le texte, proposé par le Rassemblement national (RN) et soutenu par des députés de droite (LR et Horizons), n’a pas de portée juridique contraignante, mais a provoqué de vifs débats dans les deux pays.

M. Attaf a exprimé son regret de voir “l’histoire d’un pays indépendant et souverain devenir l’objet d’une compétition électorale anticipée en France”. « Il est attristant de voir un pays aussi grand que la France se livrer à ce genre de manœuvres », a-t-il ajouté.

S’il a tenu à réaffirmer le respect d’Alger pour l’Assemblée nationale française, le ministre a jugé que le vote s’inscrivait avant tout dans une logique politicienne. « La première pensée qui m’est venue en voyant ce vote, c’est que la course à l’échalote se poursuit », a-t-il lancé, en référence à la surenchère observée entre partis français à l’approche des échéances électorales.

Tout en relativisant la portée du vote, M. Attaf a rappelé que l’accord de 1968 reste un “accord intergouvernemental” et donc “un accord international”. À ce titre, il ne pourrait être remis en cause qu’à travers un acte officiel du gouvernement français. « Tant que le gouvernement français ne nous a rien dit à ce sujet, nous considérons que cette affaire reste parlementaire et symbolique », a-t-il précisé.

Le ministre a toutefois laissé entendre qu’Alger suivait le dossier avec attention : « Cette question pourrait concerner l’Algérie si elle devient une affaire de gouvernement à gouvernement », a-t-il averti.

Faisant allusion aux récents signaux d’apaisement venus de Paris, notamment de la part du nouveau ministre français de l’Intérieur, Ahmed Attaf a conclu sur une note prudente mais optimiste : « Nous n’avons rien vu venir, et nous espérons ne rien voir venir. »

Pour l’heure, Alger privilégie donc la retenue et l’observation, considérant le vote du Parlement français comme un geste à usage interne plutôt qu’un acte diplomatique.

La rédaction

Source : Le Matin d’Algérie – 03/11/2025 https://lematindalgerie.com/vote-sur-laccord-de-1968-une-affaire-franco-francaise-estime-ahmed-attaf/

L’ accord franco-algérien de 1968, un fantasme de la droite – Jean-Pierre Sereni

Conçu pour faciliter l’immigration économique et pallier le besoin de main d’œuvre des Trente Glorieuses, l’accord prévoyait la libre circulation entre les deux pays pour les ressortissants algériens. Vidé de son contenu au cours des ans, le texte n’a aucune influence sur les flux migratoires ; pourtant la droite se mobilise pour l’abroger, ce qui lui permet d’agiter ses fantasmes sur l’invasion du pays.

Tout commence le 25 mai 2023 avec la publication de Politique migratoire : que faut-il faire de l’accord franco-algérien de 1968 ?, une étude de Xavier Driencourt, ancien ambassadeur français en Algérie (cf. https://anpnpa.fr/accords-de-1968-lextreme-droite-francaise-revient-a-la-charge-m-abdelkrim/). La réponse à la question du titre est claire : il faut abolir un texte largement oublié de tous, sinon de ses « bénéficiaires », parce qu’il favorise en France l’immigration algérienne, objet de peurs et de fantasmes dans une partie de la population.

L’ accord mettait fin à une tension sérieuse entre la France et l’Algérie au sujet du nombre d’Algériens admis en France. Paris avait réduit unilatéralement à 1 000 par mois le nombre des admis à compter du 1er juillet 1968. Trois ans après le coup d’état militaire du colonel Houari Boumediene, son ministre des affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika (qui deviendra trente ans plus tard chef de l’État) et l’ambassadeur de France en Algérie Jean Basdevant signent le 27 décembre 1968 un accord qui admet chaque année 35 000 travailleurs algériens sur le territoire français. Ils sont autorisés à y séjourner au préalable neuf mois pour y trouver un emploi — ce qui n’a rien d’un exploit dans la France des Trente Glorieuses où le taux de croissance annuel atteint 5 % et où les usines manquent de bras. En cas de réussite, les candidats à l’immigration obtiennent une carte de séjour valable 5 ans pour eux et leurs familles. Les touristes algériens munis d’un passeport peuvent entrer librement et séjourner trois mois dans l’Hexagone. Paris s’engage en outre à améliorer la formation professionnelle et les conditions de logement des immigrés, trop souvent cantonnés aux emplois les plus ingrats et souvent logés dans des bidonvilles.

Un traité sans cesse revu à la baisse

Le démarrage de l’accord est poussif : à peine 30 000 travailleurs sont admis en 1969, première année d’application. Environ 20 000 femmes et enfants sont entrés en France mais « il y a eu un nombre à peu près égal de sorties » note le professeur André Adam dans une chronique scientifique1.

Les Algériens profitent-ils de leur traitement dérogatoire au Code d’entrée et de séjour des étrangers (Codesa) ? Pas vraiment. Sans accord équivalent, les Marocains, peu nombreux à l’époque en France, arrivent en plus grand nombre, rattrapent leur retard et font aujourd’hui jeu égal avec les Algériens.Bas du formulaire

Fin 1985, à la veille d’élections difficiles et en pleine montée du chômage, le premier ministre Laurent Fabius abroge l’article 1 (l’admission de 35 000 travailleurs chaque année) et l’article 2 (les 9 mois de séjour pour trouver un emploi). Le texte est réécrit dans un sens restrictif. Deux autres avenants lui succéderont en 1994 et 2001. La partie « entrée » de l’accord est désormais supprimée, la partie « séjour » demeure partiellement en vigueur. Un an plus tard, le visa est instauré et devient la clé de l’entrée en France des étrangers. C’est le vrai régulateur pour les 800 000 étrangers qui entendent se rendre dans l’Hexagone. Il éclipse un peu plus encore l’accord franco-algérien, privé de muscle depuis trois ans. Ses adversaires d’aujourd’hui tirent à côté de la cible, la carte de séjour remplacée par le certificat de résidence bénéficie à environ 600 000 Algériens établis en général depuis longtemps, avantagés par quelques « privilèges », comme l’accès immédiat au revenu de solidarité active (RSA) sans avoir à attendre plusieurs années comme les autres immigrés.

Déjà, fin 2022, prenant tout le monde de vitesse, la première ministre Elizabeth Borne pressent le vent qui se lève à droite. Au cours d’une visite officielle en Algérie, elle annonce à ses hôtes qu’elle prépare une « révision » de l’accord. Un quatrième avenant est prévu. Pour quoi faire ? Rien ne filtre, sinon la vague promesse d’améliorer le sort des 32 000 Français qui vivent en Algérie et sont pour l’essentiel des binationaux détenteurs de deux passeports, l’un pour sortir d’Algérie, l’autre pour entrer en France…

L’ accueil est frais. La presse algérienne y voit une violation des Accords d’Évian, largement enterrés depuis 1962 par les deux parties. D’autres, comme l’ancien député socialiste au Parlement européen Kamel Zeribi dénonce « un coup porté aux relations franco-algériennes ». En réponse, le président Abdelmajid Tebboune précise dans un entretien au Figaro en décembre 2022 : « La mobilité des Algériens en France a été négociée et il convient de la respecter. Il y a une spécificité algérienne même par rapport aux autres pays maghrébins ». À demi-mot, on comprend que l’honneur du pays est en cause.

Inquiétante évolution de la société

L’ étude de Xavier Driencourt fait un retour remarqué dans la vie politique française au début de l’été 2023. Dans une interview largement reprise2, l’ancien premier ministre Édouard Philippe reprend la balle et appelle à son tour à l’abrogation de l’accord. Le 26 juin, Bruno Retailleau, président du groupe des Républicains au Sénat, et plusieurs de ses collègues déposent une proposition de loi en faveur, elle aussi, de l’abrogation.

Enfin, le 7 décembre, le groupe des députés Les Républicains à l’Assemblée nationale dépose à son tour une proposition de loi en faveur de la fin de l’accord de 1968. L’exposé des motifs des deux textes, à l’Assemblée comme au Sénat, reprend sans en changer une ligne la première page du rapport Driencourt. L’Assemblée rejette le projet par 151 voix contre 114, soit l’addition des Républicains et des députés d’Horizons, le groupuscule d’Édouard Philippe au Palais-Bourbon, plus quelques isolés. Le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen s’abstient de peur de renforcer son rival numéro 1 et le gros du groupe Renaissance l’imite pour respecter l’injonction du président Emmanuel Macron qui ne veut pas que le Parlement se mêle d’un dossier sensible entre Paris et Alger. Enfin, l’opposition au texte des Républicains, majoritaire, se recrute uniquement à gauche et fait le plein des 151 députés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes).

Que retenir d’un épisode parlementaire, gouvernemental et diplomatique marginal comparé à la « loi Immigration » et à ses 95 articles adoptés quelques jours plus tard ? Sans doute rien, l’opinion l’a ignorée et l’Assemblée l’a rejetée. C’est pourtant un signe supplémentaire d’une inquiétante évolution de la société française. Le développement décomplexé d’un fort courant politico-médiatique ouvertement hostile aux immigrés — surtout, disons-le, aux musulmans — se nourrit de la crise politique née de l’absence d’une majorité favorable au président Emmanuel Macron à l’Assemblée. Le centre droit en déclin court après l’extrême droite et reprend ses discours sur un sujet (l’immigration) qui vient dans les préoccupations des Français bien après le pouvoir d’achat, la santé, l’environnement et les inégalités3. Le pays n’a en vérité besoin ni de la disparition de l’accord de 1968 ni de la loi fourre-tout du ministre de l’intérieur, votée in fine par les lieutenants de Marine Le Pen, et qui n’aura aucun impact sur les flux migratoires.

Notes

1. Annuaire de l’Afrique du Nord, tome VIII, CNRS, 1969 ; page 468.

2. «  Édouard Philippe : immigration « subie », Algérie, délinquance… « On crève des non-dits » L’Express, 5 juin 2023.

3. NDLR. Voir par exemple «  70% des Français se déclarent pessimistes quant à l’avenir de la France  », Ipsos, 26 octobre 2023.

Source : Orient XXI – 11/01/2024 https://orientxxi.info/magazine/en-finir-avec-l-accord-franco-algerien-de-1968-une-obsession-de-la-droite,6989

Sur proposition du RN, dénonciation de l’accord franco-algérien de 1968 voté à l’Assemblée nationale, le 30 octobre 2025

Intervention de Sabrina Sebaihi, député écologiste

Voir aussi : Tribune de Paul Max Morin dans Libération – 30/10/2025 Texte du RN adopté à l’Assemblée nationale : «Mais qu’est-ce qu’ils vous ont fait les Algériens pour que vous les détestiez autant ?» – En kiosque le 03/11/2025.

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Analyse du scrutin ici : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/scrutins/3260

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Accords de 1968 : L’extrême droite française revient à la charge – M. Abdelkrim

La droite et l’extrême droite en France ne comptent pas lâcher prise lorsqu’il s’agit de l’Algérie. Encore une fois, les accords algéro-français de 1968 sont remis sur la table dans un seul objectif : maintenir délibérément une stratégie de tension dans les relations entre Alger et Paris. 

Selon le quotidien Le Figaro, le Rassemblement national (RN) va présenter devant l’Assemblée une résolution pour dénoncer ces accords à l’occasion de la tenue de la niche parlementaire du parti le 30 octobre. La niche parlementaire en France est le moment que tous les groupes d’opposition attendent pour se projeter au cœur de l’actualité politique. 

Un jour par mois, durant la session ordinaire, un groupe d’opposition fixe ainsi l’ordre du jour du Parlement. Il est, toutefois, assez rare qu’une résolution ou un projet de loi soient adoptés lors d’une niche parlementaire. Précisons qu’une résolution votée dans l’hémicycle n’a pas force de loi : elle exprime bien une position politique du Parlement, mais ne peut contraindre le gouvernement à faire passer une loi en ce sens. 

Eric Ciotti, président de l’Union des droites (UDR), a, en ce sens, affirmé : « On aura un débat la semaine prochaine ouvert par le Rassemblement national pour abroger les accords de 1968. Chacun devra prendre ses responsabilités. » La niche parlementaire du RN prévoit, entre autres, l’examen d’une résolution portée par le député Guillaume Bigot visant à dénoncer ces accords. Pour le média français, cette démarche «revêt une signification particulière» une semaine après la publication d’un rapport parlementaire sur les «coûts (…) résultant de ces accords»* (ci-après). 

S’en est suivi alors un flot de commentaires sur les conclusions d’un rapport qui s’inscrit nettement dans une démarche qui consiste à fustiger l’immigration algérienne de France. Depuis des mois, l’ancien ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, non-reconduit dans le gouvernement Lecornu 2, n’a cessé, lui en particulier, de réclamer la dénonciation de ces accords. 

« Coquille vide »

« Si demain la droite arrive au pouvoir, on abolira les accords de 1968 », avait-t-il lancé en mars. Son successeur à la place Beauvau n’est pas du même avis. Le nouveau ministre français de l’Intérieur, Laurent Nunez, se positionne contre une remise en cause de ces accords, qui «n’est pas à l’ordre du jour», a-t-il déclaré. « Il y a ces accords, ils fonctionnent, ils ne sont pas complètement parfaits, je vous le concède, mais pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour », a-t-il expliqué sur France Info il y a quelques jours. Nunez a, aussi, exprimé à plusieurs reprises, depuis sa prise de fonction, son désir d’engager une politique de dialogue avec l’Algérie. 

Face à lui, les courants de la droite et de l’extrême droite s’agitent. Fin septembre, les chiffres relatifs au nombre de visas accordés par la France aux étudiants algériens déclenche l’ire d’élus de la droite et de certains élus RN. Au total, 8351 visas ont été délivrés pour la rentrée 2025, soit plus d’un millier de plus en un an, une hausse dont l’ambassade de France à Alger s’est publiquement félicitée. En réaction, Eric Ciotti a violemment chargé les autorités française en les qualifiant de « gouvernement tartuffe ». De son côté, l’eurodéputée Reconquête Sarah Knafo a appelé à supprimer tous « les avantages accordés » par la France à l’Algérie. 

En somme, un déferlement de propos haineux et disproportionnés devenus courants dans la bouche des nostalgiques de l’Algérie française. Côté algérien, la dénonciation de ces accords n’est pas envisageable. La positon d’Alger, sur ce dossier, reste inflexible. 

Le président Tebboune a, d’ailleurs, réaffirmé cette position dans un entretien accordé en février au journal français L’Opinion. « Pour moi, c’est une question de principe. Je ne peux pas marcher avec toutes les lubies », a-t-il répondu à une question sur les appels lancés par plusieurs politiques français pour exiger la dénonciation des accords de 1968. « Pourquoi annuler ce texte qui a été révisé en 1985, 1994 et 2001 ? » 

« Ces accords étaient historiquement favorables à la France qui avait besoin de main-d’œuvre. Depuis 1986, les Algériens ont besoin de visas, ce qui annule de fait la libre circulation des personnes telle qu’elle est prévue dans les accords d’Evian », a-t-il souligné. Et d’ajouter : « Ces accords sont une coquille vide qui permet le ralliement de tous les extrémistes comme du temps de Pierre Poujade.» 

Source : El Watan- 25/10/2025 https://elwatan-dz.com/accords-de-1968-lextreme-droite-francaise-revient-a-la-charge

*Un rapport parlementaire français propose la dénonciation de l’accord franco-algérien de 1968

En France, deux députés du camp présidentiel ont dévoilé mercredi matin « pour éclairer le débat », un rapport sur le coût des accords entre la France et l’Algérie. Soutenus par l’ancien Premier ministre, Gabriel Attal, dans leur démarche, les deux élus pointent du doigt l’accord franco-algérien de 1968, qu’il faut, selon eux, dénoncer.

Cet accord avait été signé six ans après la fin de la guerre d’Algérie, alors que la France avait besoin de bras pour soutenir son économie. Ce rapport adresse plusieurs reproches à l’accord de 1968. Le premier d’entre eux, c’est que le statut dérogatoire dont bénéficient les Algériens porterait atteinte au principe d’égalité entre les étrangers.

« Un citoyen guinéen ou sénégalais, il doit attendre 18 mois pour bénéficier du regroupement familial contre 12 mois pour un Algérien », constate le député Ensemble pour la République, Charles Rodwell.

Deuxième enseignement, c’est que la France serait la seule des deux parties à continuer d’appliquer le texte. « Pour un Algérien qui a travaillé 40 ans, 20 ans en Algérie et 20 ans en France, l’accord dit que la France doit lui verser la moitié de sa pension. L’Algérie doit verser l’autre moitié de la pension. La Sécurité sociale algérienne ne verse pas cette pension, c’est la France qui compense », poursuit Charles Rodwell.

Deux milliards d’euros, le coût pour le contribuable français 

Le rapport estime à au moins 2 milliards d’euros, chaque année, le coût de l’accord pour le contribuable français. Un chiffrage « très peu étayé » critique la gauche, qui parle d’un rapport plus politique que financier. « Le Général de Gaulle souhaitait que le statut des Algériens soit spécifique en raison de leur appartenance à la nation française durant 132 ans. Il n’est pas totalement incompréhensible que des gens qui ont partagé un destin commun avec la France voient leur statut être régi de manière spécifique », estime le député socialiste Philippe Brun.

« L’ abrogation de cet accord ouvrirait une nouvelle page de l’histoire commune entre la France et l’Algérie », affirment au contraire les auteurs du rapport, qui espèrent que le président de la République entendra leur demande.

L’accord-cadre franco-algérien de 1968 et ses avenants

Les relations entre la France et l’Algérie sont dans un moment de fort tension au point que le dossier migratoire, pourtant en veilleuse, est revenu sur le tapis. Il a été remis sous le feu des projecteurs en 2023 à la faveur d’un rapport à charge pour l’Algérie de l’ancien ambassadeur Xavier Driencourt. Un rapport destiné au centre de réflexions Fondapol, très marqué à droite, et publié peu après la sortie en librairie de ses mémoires algériennes (L’Énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger, auxÉditions de l’Observatoire, 2022) qu’il conclut en ces termes : « Nous avons trop souvent tendu l’autre joue après avoir reçu une gifle. » Un rapport venu nourrir la volonté exprimée depuis plusieurs mois par des responsables politiques de droite (l’ex-ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau mais aussi les ex-Premiers ministres Edouard Philippe et Gabriel Attal, ou encore Marine Le Pen) de dénoncer l’accord-cadre de 1968.

 L’ accord-cadre de décembre 1968

Signé par Jean Basdevant, haut représentant envoyé par de Gaulle en Algérie, et Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères, cet accord à la négociation duquel a activement participé le diplomate et ancien résistant Stéphane Hessel, alors ministre-conseiller à Alger, restreint les dispositions des accords d’Évian de 1962 qui prévoyaient la libre circulation et installation des personnes d’Algérie vers la France, Algériens comme Français. La libre circulation entre les deux pays avait déjà été freinée avant cette date en raison de l’entrée importante d’Algériens sur le sol français en 1962 : la clause de libre circulation des Accords d’Évian est suspendue en 1964 (accords Nekkache-Grandval). Et dans l’accord-cadre de 1968 un certificat de résidence est imposé aux Algériens. Ce certificat est l’équivalent des cartes de séjour destinées aux étrangers du régime général. Ils peuvent l’obtenir après trois ans de résidence (et non cinq pour les autres ressortissants hors UE) et il est valable dix ans. En cas de regroupement familial, les membres de la famille reçoivent une carte de résident de la même durée que le titre de la personne qu’ils rejoignent. En outre, les Algériens peuvent s’installer à leur compte dans une activité libérale sans autre formalité.

Mais les Algériens subissent des contraintes spécifiques. Ainsi, les étudiants peuvent moins travailler (à mi-temps, au lieu de 60 % du temps de travail pour les autres nationalités) et doivent obtenir une autorisation de travail.

► Plusieurs avenants

Au cours des années suivantes, cet accord-cadre de 1968 a été amendé à trois reprises : en 1985, 1994 et 2001. Ces trois modifications ont rapproché la situation des ressortissants algériens des dispositions de droit commun. Après l’amendement de 1985, les Algériens sont soumis à l’obtention d’un visa pour entrer sur le territoire français. Après celui de 1994, le certificat de résidence d’un ressortissant algérien périme si ce dernier passe plus de trois ans consécutifs hors du territoire français, disposition qui s’applique aussi dans le droit commun. Enfin, en 2001, un dernier accord instaure des passe-droits — en particulier hospitaliers – destinés à l’élite algérienne.

En 2007, un aménagement (de niche) signé par Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, et par Mourad Medelci, son homologue algérien, et destiné à faciliter la circulation de détenteurs de passeports diplomatiques en les exemptant de visa, a été « suspendu » par le ministre de l’Intérieur le 17 mars dans le cadre de la « réponse graduée » aux autorités algériennes, répliquant à leur refus d’accueillir leurs ressortissants expulsés du sol français.

Par ailleurs, comme l’accord-cadre de 1968 relève du droit international qui prime sur le droit français, les Algériens vivant en France ne sont pas soumis aux dernières lois (qu’elles soient favorables ou défavorables pour les migrants) votées sur l’immigration depuis 2001. Ils sont ainsi exclus de dispositifs tels que le « passeport talents », qui répond au concept vanté par Nicolas Sarkozy d’une « immigration choisie », ou encore à la régularisation par le travail qui doit passer par le seul exercice d’un métier dit « en tension » ou pour raison humanitaire. « Quand vous mettez tout dans la balance, les ressortissants algériens perdent plus qu’ils ne gagnent et ils auraient intérêt à renégocier ce traité », juge le professeur de droit public Serge Slama.

► Alger prié de « réexaminer » les accords

La question de l’immigration de travail doit être replacée dans le contexte plus général des relations franco-algériennes. Entre l’affaire Boualem Sansal, le dossier du Sahara occidental, les arrestations récentes d’influenceurs, l’attaque mortelle perpétrée à Mulhouse fin février 2025 par un ressortissant Algérien sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), a été le détonateur de la résurgence du débat sur l’accord franco-algérien de 1968. À l’issue d’un comité interministériel mercredi 26 février 2025, le gouvernement français annonce demander à Alger de « réexaminer » la totalité des accords sur l’immigration et ce, dans un délai de quatre à six semaines.

► Que se passerait-il en cas de dénonciation de l’accord-cadre ?

En droit international, seul le président peut dénoncer ou ratifier des traités. « Quand on dénonce un accord international, on n’est pas tout seul à interpréter ses conséquences, explique le politologue Patrick Weil, pour qui une dénonciation serait une erreur. En France, le sénat affirme que les Algériens seraient soumis au droit commun, mais les Algériens, eux, estiment que l’on reviendrait aux accords d’Évian. Dans une situation de tension et de crise, l’Algérie pourrait décider de se replacer immédiatement dans l’esprit des accords d’Évian, et inciter ses ressortissants à se rendre massivement en France. Que ferait la France ? Elle n’a pas intérêt à se placer dans une situation d’incertitude dont la sortie dépendra moins d’elle encore qu’aujourd’hui. »

 Pour aller plus loin

« Les instruments internationaux en matière migratoire » (rapport du Sénat de février 2025)

L’ Histoire secrète des accords d’AlgerFrançois-Guillaume Lorrain, Le Point du 17 avril 2025

« Dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 serait une surenchère malvenue dans une conjoncture politique déjà abîmée » (Tribune de Hocine Zeghbib dans Le Monde du 16 janvier 2025)

Source : RFI –  15/10/2025  https://www.rfi.fr/fr/france/20251015-un-rapport-parlementaire-fran%C3%A7ais-propose-la-d%C3%A9nonciation-de-l-accord-franco-alg%C3%A9rien-de-1968