L ’Assemblée nationale a adopté, pour la première fois sous la Ve République, un texte du Rassemblement national. Il ne fallait qu’une voix de plus pour l’en empêcher. Derrière la technicité du débat sur l’accord franco-algérien de 1968, c’est un basculement politique majeur.

Il n’aura fallu qu’une voix. Une voix pour qu’un texte du Rassemblement national, pour la première fois de la Ve République, soit adopté par l’Assemblée nationale. Une voix pour qu’un parti fondé sur la nostalgie coloniale, la haine de l’étranger et le repli identitaire voit son discours validé par les institutions de la République.

Ce n’est pas un détail de procédure, c’est un séisme politique. L’ objet du vote, la dénonciation de l’accord franco-algérien de 1968, pourrait sembler technique. Il ne l’est pas. Cet accord, fruit d’un compromis historique après une guerre d’indépendance sanglante, reconnaît aux Algériens des droits particuliers en matière de circulation et de séjour.

En d‘autres termes, il traduit une responsabilité postcoloniale : celle d’une puissance ancienne colonisatrice qui admet que l’histoire crée des liens, des dettes et des devoirs. Dénoncer cet accord, c’est rompre symboliquement avec cette mémoire. C’est aussi, et surtout, réactiver les réflexes d’un nationalisme crispé, d’un fantasme d’identité close sur elle-même.

On pourrait être tenté de se rassurer : ce vote n’a aucune portée juridique. Il n’a rien de contraignant. C’est un texte a seule visée symbolique. Il s’agit d’une simple résolution et n’oblige pas le gouvernement à présenter un texte de loi. Mais la politique ne se réduit pas au droit.

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La politique est aussi une affaire de symbole, de mots, de gestes. Et celui-ci est clair : l’Assemblée nationale, lieu où s’exprime la souveraineté populaire, a avalisé un texte d’extrême droite, validé sa grille de lecture, admis que son diagnostic sur l’immigration et les accords internationaux méritaient d’être pris au sérieux. Depuis des années, le cordon sanitaire se fissure à coup de « convergences ponctuelles », de « débats légitimes », de « constats partagés ».

Aujourd’hui, ce cordon a cédé, comme hier le front républicain – comme nous le révélions dans un sondage Politis/Bonafidé, ce dernier recueillerait une large majorité de voix contre lui (59%). Car voter, ou même s’abstenir sur un texte, fut-ce au nom du pragmatisme, c’est déjà admettre que l’extrême droite fait partie du champ de la raison, et a fortiori de l’arc républicain ; que l’extrême droite n’est plus l’ennemie de la République mais une interlocutrice politique normale, banale (cf. notre dossier de cette semaine).

Ainsi, le texte adopté s’attaque à l’accord franco-algérien de 1968 au nom d’une « égalité migratoire » supposée, d’une égalité de traitement entre ressortissants étrangers. Le RN s’approprie ici les mots de la justice pour en inverser le sens : il ne s‘agit pas d’égalité mais d’exclusion ; pas de justice mais de vengeance.

Derrière la technicité juridique, le message politique est limpide : il faut fermer, trier, rompre les liens avec le monde arabe et africain. Le RN ne parle plus ici de « préférence nationale » en lui préférant les termes « d’équité migratoire » mais la logique reste la même : rendre suspect tout étranger, en particulier l’Algérien, figure obsédante d’une France fantasmée par les apprentis fachos du RN.

Banalisation des discours xénophobes

Un vote d’autant plus inquiétant qu’il a été rendu possible par l’attitude ambiguë de la droite classique – celle que l’on dit « républicaine » – ainsi que la droite un peu moins classique – celle que l’on dit « macroniste » – dont les dirigeants ont multiplié depuis des mois les signaux hostiles à cet accord.

Gabriel Attal, Édouard Philippe, Laurent Wauquiez, tous ont tenu, peu ou prou, le même discours que le RN au nom de ce qu’ils appellent le « réalisme migratoire ». Peu après le vote des députés, Marine Le Pen s’est réjouie sur X et a remercié «  les groupes – ceux d’Édouard Philippe et de Laurent Wauquiez – qui ont voté en cohérence avec leurs opinions ».

Ce vote est d’autant plus inquiétant qu’il a été rendu possible par l’attitude ambiguë de la droite classique.

Ce sont ces glissements du centre vers l’extrême droite qui ont permis au RN de se retrouver au centre du jeu politique. Et contrairement à la fable médiatique qui assure matin, midi et soir que le RN s’est recentré, c’est bien le reste de l’échiquier politique qui s’est déplacé vers lui.

Ce vote n’est pas seulement un banal épisode de notre vie parlementaire. Il révèle le naufrage moral et politique d’une classe politique incapable d’assumer l’histoire coloniale et ses conséquences. Refuser de reconnaître la singularité du lien franco-algérien, c’est refuser de voir que l’immigration algérienne en France n’est pas une question de contingence, mais de continuité. Que ces hommes et ces femmes ne sont pas des étrangers comme les autres, mais des héritiers d’une histoire commune, douloureuse, indissoluble.

En ce sens, l’attaque contre l’accord de 1968 est une attaque contre la mémoire, la complexité et le réel. Il est la négation même de notre histoire. Ce 30 octobre 2025 marquera peut-être une date : celle où l’extrême droite n’a plus eu besoin d’être au pouvoir pour faire triompher ses idées. Ce vote n’est pas seulement un symptôme, c’est une victoire culturelle. Celle d’un récit national resserré, d’une politique qui se nourrit de peurs et de haines. D’une République qui se renie… à une voix près !

Source : Politis – 30/10/2025 https://www.politis.fr/articles/2025/10/algerie-unis-derriere-le-rn-les-deputes-effacent-la-memoire-coloniale/

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Analyse du scrutin ici : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/scrutins/3260

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