La missive adressée par le président à son premier ministre, dans laquelle il réclame « plus de fermeté et de détermination » face à Alger, est perçue comme une interférence malvenue d’enjeux de politique intérieure sur un dossier diplomatique sensible.
Henri Guaino, l’ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, n’avait jamais vu ça. « Quand Pompidou écrivait à Chaban-Delmas, il faisait une vraie lettre qui ne sortait pas dans la presse, a fait remarquer jeudi l’ex-député Les Républicains au micro d’Europe 1. C’est n’importe quoi. » C’est pourtant cette forme hybride d’un courrier adressé au premier ministre mais publié dans Le Figaro qu’a choisi Emmanuel Macron pour appeler François Bayrou à davantage de fermeté dans les différends opposant la France à l’Algérie.
Du maintien en détention par Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal et du journaliste français Christophe Gleizes aux blocages de la coopération en matière de réadmissions et de visas, « tout cela exige que la France agisse avec plus de fermeté et de détermination », a affirmé mercredi le président dans le quotidien de droite, ajoutant : « C’est ce que je demande au gouvernement. »
Il y a la forme, qui soulève des interrogations sur la finalité de l’exercice, et il y a le fond. Parmi les mesures demandées par le chef de l’État à son exécutif figure la « suspension officielle » de l’accord de 2013 concernant les exemptions de visa sur les passeports officiels et diplomatiques algériens. La décision entérine une situation de fait, le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot ayant annoncé le 14 mai, en réaction au renvoi par Alger de fonctionnaires français, « le renvoi en Algérie de tous les agents titulaires de passeports diplomatiques qui n’auraient pas de visa ».
Le Rassemblement national dénonce la « faiblesse » d’Emmanuel Macron face à l’Algérie.
Emmanuel Macron demande également la mise en œuvre immédiate d’un article de la loi immigration de 2024 permettant « de refuser les visas de court séjour aux détenteurs de passeports de service et diplomatiques » ainsi que « les visas de long séjour à tous types de demandeurs ». Il insiste sur la nécessité d’obtenir des partenaires de la France au sein de l’espace Schengen qu’ils « prennent les mesures indispensables à l’efficacité » des décisions françaises.
Le président s’inquiète par ailleurs de la « situation des ressortissants algériens les plus dangereux, sortant de prison ou placés en centre de rétention administrative et qui ne peuvent plus être expulsés, faute de coopération des autorités algériennes ». Il enjoint donc François Bayrou de pousser le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau à « trouver au plus vite les voies et moyens d’une coopération utile » avec Alger et à agir « sans repos et sans répit » face à « la délinquance des individus algériens en situation irrégulière ».
François Bayrou a pour sa part affirmé jeudi que la France « n’est pas dans l’esprit d’un affrontement perpétuel » avec Alger avec laquelle elle voudrait « retrouver un jour des relations équilibrées et justes ».
« La France doit être forte et se faire respecter. Elle ne peut l’obtenir de ses partenaires que si elle-même leur témoigne le respect qu’elle exige d’eux », tempère également dans sa missive le chef de l’État, ce qui fait dire à Henri Guaino : « À chaque fois qu’il y a une demande de fermeté, la phrase suivante explique qu’il faut rétablir des relations amicales. Il y a tout et son contraire dans cette lettre, vous ne pouvez pas en tirer une politique. »
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Alger accuse la France d’avoir déclenché et d’aggraver la crise bilatérale
En réponse au changement de ton d’Emmanuel Macron, l’Algérie a accusé jeudi la France d’être responsable de la crise bilatérale qui a éclaté il y a un an entre les deux pays et de son aggravation. Le ministère algérien des affaires étrangères a ainsi accusé le président français d’avoir dans une lettre à son premier ministre « fait porter tous les torts » de cette brouille à l’Algérie. Ce texte « exonère la France de l’intégralité de ses responsabilités » alors que, selon Alger, « rien n’est plus loin de la vérité et de la réalité ». Dès l’éclatement de la brouille due, selon Alger, au revirement de Paris sur le Sahara occidental, la France a « procédé par injonctions, ultimatums et sommations », dans une « gestion en termes de rapports de forces ». En réponse à la demande par Emmanuel Macron à son gouvernement de suspension de l’accord de 2013, Alger a annoncé jeudi « la dénonciation pure et simple » de cet accord, affirmant que « c’est la France et elle seule qui a été historiquement à l’origine d’une telle demande ».
Réagissant au propos du président français, Khaled Drareni, journaliste et représentant de l’ONG Reporters sans frontières (RSF) pour l’Afrique du Nord, a estimé sur X qu’Emmanuel Macron « s’est rangé derrière les outrances de son ministre de l’intérieur sur la question algérienne, piétinant les espoirs d’apaisement entre Alger et Paris ». Aux yeux de l’expert algérien Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, la lettre de M. Macron « signe un échec collectif dans la gestion d’une crise très coûteuse pour les deux pays. C’est un alignement total sur une politique de pression qui a montré ses limites ».
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Du message, l’extrême droite retient surtout la – très relative – tempérance, synonyme pour elle de faiblesse. « Emmanuel Macron a peur. Emmanuel Macron est un trouillard, il a peur des réactions d’une diaspora qu’il imagine forcément du côté d’un pouvoir algérien », a réagi le député Rassemblement national du Nord Sébastien Chenu, sur Europe 1.
« Et je pense que l’absence totale de crédibilité, la faiblesse, la peur d’Emmanuel Macron, les Français les paient très cher », a poursuivi l’élu RN, évoquant l’incapacité de la France « à faire en sorte que les États reprennent leurs ressortissants lorsque ce sont des condamnés, lorsque ce sont des délinquants ».
« Emmanuel Macron a conscience que Retailleau sera candidat à la prochaine présidentielle et il ne veut pas le laisser avoir son calendrier médiatique ».
Carlos Bilongo, député (LFI) du Val-d’Oise
À gauche, on dénonce au contraire un discours de fermeté à finalité de politique intérieure, visant à satisfaire les électeurs de la droite dure. « Macron a compris que l’Algérie ne lâcherait pas, alors il va dans le sens du vent, il fait plaisir au RN et aux nostalgiques de l’Algérie française, commente Akli Mellouli, vice-président de la commission sénatoriale des affaires étrangères et membre du groupe écologiste. Il se ménage une majorité à l’approche d’un moment difficile avec le budget. »
« Emmanuel Macron a conscience que Retailleau sera candidat à la prochaine présidentielle et il ne veut pas le laisser avoir son calendrier médiatique. Il le place devant ses responsabilités » sur la question algérienne, estime pour sa part le député France insoumise du Val-d’Oise Carlos Bilongo.
« Il n’y a pas d’action concrète, que des actions médiatiques à finalité électorale », déplore l’élu francilien, qui en veut pour preuve la disproportion entre le déploiement médiatique mis en œuvre par le gouvernement pour obtenir la libération de Boualem Sansal et Christophe Gleizes, d’une part, et de l’autre la discrétion de l’exécutif sur le sort des Français Cécile Kohler et Jacques Paris, détenus depuis plus de trois ans en Iran.
« Qu’on se batte pour faire libérer nos ressortissants, c’est normal, mais la meilleure voie, c’est la diplomatie. À chaque fois qu’on essaie le rapport de force, on est perdants ».
Sabrina Sebahi, députée (EELV) des Hauts-de-Seine
L’écrivain Boualem Sansal a été condamné à cinq ans de prison ferme pour « atteinte à l’unité nationale » algérienne, une peine confirmée le 1er juillet en appel, pour avoir notamment mis en questions les frontières de l’Algérie avant la colonisation française. Journaliste sportif parti en Algérie faire un reportage sur une équipe de football kabyle, Christophe Gleizes a été condamné fin juin à sept ans de prison pour « apologie du terrorisme ».
Les relations entre Paris et Alger sont au plus bas depuis la reconnaissance par la France fin juillet 2024 d’un plan d’autonomie « sous souveraineté marocaine » pour le Sahara occidental, territoire que se disputent depuis cinquante ans le Maroc et les indépendantistes du Polisario, soutenus par Alger. La crise a été marquée par des expulsions de diplomates et fonctionnaires de part et d’autre et un gel de toutes les coopérations officielles.
Députée Europe Écologie-Les Verts (EELV) des Hauts-de-Seine et vice-présidente du groupe d’amitié France-Algérie, Sabrina Sebaihi, souligne l’inefficacité de la stratégie de tension appliquée par le gouvernement et désormais reprise à son compte par l’Élysée. « Qu’on se batte pour faire libérer nos ressortissants, c’est normal, mais la meilleure voie, c’est la diplomatie, affirme-t-elle. À chaque fois qu’on essaie le rapport de force, on est perdants. »
De retour d’une récente visite en Algérie, l’élue francilienne déplore l’impact de « considérations nationales » sur les intérêts économiques de la France, « pendant que l’Algérie multiplie les partenariats à l’étranger ». « Pendant ce temps, l’Italie vient de signer 40 contrats avec l’Algérie », note-t-elle, avant de conclure : « Je relaie l’inquiétude de nos ressortissants français en Algérie, de nos entreprises, qui regardent cette crise avec beaucoup d’inquiétude alors que tout fonctionnait bien. »
Source : Mediapart – 07/08/2025 https://www.mediapart.fr/journal/politique/070825/macron-exige-plus-de-fermete-face-l-algerie-incomprehension-droite-consternation-gauche