L’extrême droite française puise certaines de ses racines dans le colonialisme. Nous documentons ici l’imprégnation de l’appareil du FN par les anciens terroristes de l’OAS.

En 1999, l’historien Benjamin Stora voyait dans le Front national le principal instrument du transfert des comportements et stéréotypes négatifs hérités de la colonisation française de l’Algérie : « Dans la propagande et l’action du Front national, la filiation entre présence musulmane en France et persistance d’une mémoire coloniale, héritage d’un Sud perdu dans les guerres de décolonisation, joue un rôle décisif ». Mais au-delà des discours, cette filiation s’incarne surtout dans les trajectoires biographiques singulières, celles de nombreux cadres et militants du parti.

Créé en 1972, le Front national regroupe de nombreux jusqu’au-boutistes de l’Algérie française. Beaucoup de ceux qui étaient adultes entre 1954 et 1962 se sont engagés volontairement pour combattre les indépendantistes algériens. On pense évidemment au séjour de Jean-Marie Le Pen, officier tortionnaire à Alger au début de l’année 1957. Mais surtout, beaucoup des cadres du FN ont été, dans leurs jeunes années, des activistes de l’Organisation de l’Armée secrète (OAS), organisation terroriste (https://anpnpa.fr/guerre-dalgerie-le-pen-le-fascisme-francais-et-la-matrice-coloniale-fabrice-riceputi-et-ugo-palheta/) qui fit plus de 2 700 victimes en métropole et en Algérie.

L’hypothèse de l’existence d’une filiation entre l’OAS et le FN, souvent discutée, n’a jamais fait l’objet d’une étude approfondie. Les sources dont nous disposons aujourd’hui permettent pourtant aisément de mesurer l’imprégnation de l’appareil du FN par les anciens terroristes de l’OAS au moins jusqu’aux années 2000. Une simple comparaison entre les listes d’anciens de l’organisation disponibles sur leurs sites Internet et des candidats présentés par le Front national lors des élections permet d’exhumer des dizaines de noms de cadres, militants, secrétaires de fédérations, élus locaux, hommes de l’ombre, qui ont vu dans le parti de Jean-Marie Le Pen un lieu d’où organiser la revanche. En 1986, sur les 32 députés du groupe FN à l’Assemblée, 6 ont connu l’exil ou la prison pour leurs activités terroristes, soit 19%.

Une première catégorie est composée des anciens chefs de l’OAS, qui ont prolongé leur engagement en politique, et ont surtout perçu le FN comme un tremplin pour leurs ambitions personnelles. Ils n’y sont généralement pas restés plus de quelques années. C’est le cas de Jean-Marie Curutchet, qui participe activement à la campagne présidentielle de 1974, avant de quitter le parti. Pierre Sergent, ancien chef de l’OAS en métropole, est lui député et conseiller régional FN dans les années 1980-1990. Enfin, Jean-Jacques Susini, terroriste néofasciste proche du grand banditisme, adhère au FN en 1997 et devient conseiller régional de PACA l’année suivante.

Il ne faudrait pas s’arrêter à ces quelques profils très connus. Beaucoup d’anciens de l’OAS ont activement contribué à construire l’ossature du FN et en sont restés des cadres jusqu’aux années 2000. On pense ici à Christian Baeckeroot, ancien chef de « maquis » de l’OAS en Algérie, condamné à 3 ans de prison en 1962, qui crée et dirige l’organisation de jeunesse du FN (le FNJ) de 1973 à 1983. Il est élu député en 1986 et reste au FN jusqu’en 2006. On peut aussi citer Jean Fort, créateur et responsable du service d’ordre du parti, les DPS, entre 1985 et 1994. Quant à Roger Holeindre, qui a lui aussi dirigé un « maquis » terroriste, cet ami personnel de Jean-Marie Le Pen a été vice-président du FN et député – il dirige l’association d’anciens combattants du parti, qu’il ne quitte qu’en 2011.

Pour se rendre compte de la place prise par ces anciens activistes au FN, nous réunissons ici une liste (non exhaustive) de noms, qui devra être complétée et précisée par des recherches plus poussées :

  • Pierre Descaves a été personnellement impliqué dans des attentats, ce qui lui a fait connaitre la prison. Il rejoint le FN en 1984, il siège au comité central. Il est député de l’Oise en 1986 et reste chef du groupe FN au Conseil régional de Picardie jusqu’en 2010.
  • Hervé de Blignières était le chef d’état-major de l’OAS en métropole. Condamné à 6 ans de détention, il n’en fait que 2. Adhérent au FN en 1977, il y reste jusqu’à sa mort en 1989. Il est plusieurs fois candidat à des élections.
  • Louis de Condé a participé à l’attentat du Petit-Clamart (1962), visant à assassiner de Gaulle. Dès les années 1980, il est membre du comité central du FN. À partir des années 2000, il dirige la fédération de l’Allier et est encore candidat aux municipales de 2014 à Charmeil.
  • Jean Roussel est un militant royaliste, combattant de l’OAS en métropole, lui aussi emprisonné pendant plusieurs années. Il rejoint le FN en 1985, devient député l’année suivante. Il quitte le parti en 1998 pour rejoindre Bruno Mégret, qui a scissionné.
  • Jean-François Collin a été l’instigateur de l’assassinat du gaulliste Yves Le Tac en 1962, ce qui lui vaut une condamnation à 12 ans de prison. Président d’une association d’anciens de l’OAS, on le retrouve conseiller municipal FN de Hyères en 2012.
  • André Troise a été membre des Commandos Z, qui semaient la terreur à Alger. Il est le premier secrétaire de la fédération FN de l’Hérault en 1973. Plusieurs fois élu, il gravite autour du parti jusqu’à sa mort en 2018.
  • Georges Sarraf a fait 2 ans de prison pour une action violente commanditée par l’OAS. Lui qui n’a jamais fait le deuil de l’Algérie française, il rejoint le FN dans les années 1980. Il dirige la fédération de la Charente.
  • Robert Hemmerdinger a lui aussi connu la prison pour ses activités dans l’OAS, ainsi que pour une tentative d’évasion rocambolesque. Il rejoint le FN en 1984 et devient conseiller régional d’Ile-de-France de 1992 à 1998.
  • Claudine Dupont-Tingaud, ancienne détenue de l’OAS, est une personnalité connue de l’extrême droite bretonne. Elle se présente à diverses élections sous les couleurs du FN dans les années 1980-1990.
  • Guy Macary a longtemps été trésorier de la fédération FN du Vaucluse, et tête de liste FN aux régionales de 2004. Lui aussi a été membre de l’OAS, dont il était l’un des dirigeants dans la région algérienne de Mostaganem.
  • Bernard Mamy, ancien militaire putschiste, s’est exilé pour éviter la prison. Il dirige la fédération FN du Var de 1983 à 1986, avant de quitter le parti sur un différend.
  • Charles Met a été le commandant du réseau OAS Ouest en métropole, ce qui lui vaut une condamnation à 10 ans de prison. À partir des années 1980, il est plusieurs fois candidat pour le FN dans des élections.
  • Théodore Balalas, après avoir participé à la fédération FN des Bouches-du-Rhône en 1973, rallie le PS local. Les militants socialistes ne découvrent son passé terroriste qu’en 2011.
  • Christian Dufour a lui aussi été candidat FN dans plusieurs élections. Ses activités dans l’OAS lui avaient valu de passer 2 années en prison dans les années 1960.
  • Jean-Claude Bardet a milité pour l’Algérie française dans la Fédération des étudiants nationalistes, ce qui lui a valu une condamnation. Il rallie le FN en 1985, entre au comité central et est élu au Conseil régional de Lorraine.
  • Alexis Arette a été proche de l’OAS. Dirigeant historique de la fédération FN des Pyrénées-Atlantiques, on le retrouve conseiller régional d’Aquitaine dans les années 1980-1990.
  • Marcel Bouyer est l’ancien dirigeant du réseau terroriste Résurrection-Patrie, affilié à l’OAS. Lui aussi a connu la prison. Lui aussi adhère au FN dans les années 1980 ; il est candidat dans des élections en Charente.
  • Bernard Cabiro, militaire de carrière, impliqué dans le putsch de 1961 et condamné pour cela, a été plusieurs fois candidat du FN dans les Landes.
  • Noël Pichon, sergent-chef et ancien informateur de l’OAS, condamné à un an de détention, est plusieurs fois candidat du FN dans la Vienne.
  • Gérard de Gubernatis, ami personnel de Le Pen, était avocat de profession. Lui aussi ancien de l’OAS, il devient conseiller municipal de Nice sous les couleurs du FN de 1995 à 2008.
  • Jean-Baptiste Cianfarani, qui a participé à l’attentat du Mont-Faron contre de Gaulle en 1964, est candidat FN aux législatives de 1973.
  • Pierre Chassin, ancien membre de l’OAS, conseiller municipal FN, a fait l’actu des faits divers en dégradant une œuvre du Palais de Tokyo en 2023.
  • Robert Jobin, dirigeant historique de la fédération FN des Alpes-Maritimes jusqu’à sa mort en 1982, a lui aussi fait de la prison pour son activisme en faveur de l’Algérie française.
  • Jean-Paul Ripoll, président de « l’Association des détenus et exilés politiques de l’Algérie française » dans les années 1980, a été candidat FN dans plusieurs élections dans le Var.
  • Pierre Snabre, vice-président de cette même association, fait plusieurs fois acte de candidature dans les Alpes-Maritimes.
  • Pierre Pineau, premier dirigeant de la fédération FN de la Sarthe, est un ancien combattant de l’OAS, qui a transité par le CNI.

À cette liste, qui n’est que la face émergée de l’iceberg, on pourrait ajouter d’autres cadres du FN, qui eurent maille à partir avec la Justice durant les années algériennes, comme l’idéologue François Duprat, les anciens nazis Pierre Bousquet et André Dufraisse, le chef de la mouvance catholique traditionnaliste Bernard Antony, le futur maire d’Orange Jacques Bompard… Pour la plupart de ces militants, la filiation n’est pas dissimulée – elle est même revendiquée.

Le passé terroriste de nombre de ses militants, le FN le regrette-t-il aujourd’hui ? Bien au contraire. Il n’est qu’à constater les propos du député José Gonzalez, qui, en 2022 disait n’être « pas là pour juger si l’OAS a commis des crimes ». Aujourd’hui encore, le FN cultive une mémoire nostalgique de l’Algérie française : Louis Aliot a récemment été désavoué par la Justice dans sa tentative de nommer une esplanade de la ville de Perpignan du nom de Pierre Sergent. Quant à Marine Le Pen, elle a récemment dit considérer que la colonisation de l’Algérie n’était « pas un drame »…

Martin Lefranc

Agrégé d’histoire et doctorant en histoire contemporaine à l’université d’Orléans. Il mène, depuis septembre 2022, une thèse sur Les pratiques mémorielles de l’extrême droite française : entre construction d’une identité collective et offensive culturelle (1962-2022) sous la direction de Noëlline Castagnez. Ses recherches portent sur l’histoire de l’extrême droite française, la mémoire, les pratiques mémorielles et les usages politiques de l’histoire.

Source : Histoire coloniale et postcoloniale – 01/03/2025 https://histoirecoloniale.net/les-origines-colonialistes-de-lextreme-droite-francaise-la-filiere-oas-front-national-par-martin-lefranc/