Quel est l’impact de la condamnation de Christophe Gleizes sur les relations algéro-françaises ? – Samia Naït Iqbal

La confirmation, par la Cour d’appel de Tizi-Ouzou, de la peine de sept ans de prison ferme prononcée en première instance mercredi 3 décembre contre le journaliste français Christophe Gleizes constitue un tournant lourd de conséquences.

Ce verdict, rendu au terme d’une audience dense, intervient dans un contexte politique et médiatique algérien marqué par une surenchère patriotique autour de la défense de l’unité nationale face aux velléités indépendantistes du MAK. Dans ce climat électrique, Gleizes apparaît comme une victime collatérale d’une séquence où la question de la souveraineté nationale et de la défense de l’État contre le séparatisme a été érigée en priorité absolue.

Un jugement sous haute tension politique

Depuis quelques jours, les médias algériens se distinguent par un discours radicalisé autour du rejet de toute remise en cause de l’intégrité territoriale du pays, de la sécurité de l’État et de la lutte contre le « séparatisme ». Cette montée en intensité coïncide avec l’annonce imminente par le MAK de Ferhat Mhenni d’une prétendue « proclamation d’indépendance de la Kabylie » — une perspective essentiellement symbolique, dont les effets concrets sur le terrain demeurent aussi improbables qu’incertains. Cette annonce a néanmoins déclenché une réaction en chaîne au sein des milieux politiques, médiatiques et institutionnels.

La télévision nationale a relancé la mobilisation en diffusant un documentaire spectaculaire fondé sur les témoignages d’anciens militants ayant quitté le MAK. Le film, accusant Ferhat Mhenni de manipulations, de dérives autoritaires et de connexions étrangères  hostiles à l’Algérie, a servi de déclencheur. Son impact a été immédiat : une avalanche d’articles, souvent au ton martial, s’est abattue sur la presse écrite et les réseaux sociaux, martelant l’urgence de défendre l’unité nationale et dénonçant, au passage, la France accusée de « complaisance » envers le mouvement séparatiste.

C’est dans ce climat inflammable que s’est tenu le procès de Christophe Gleizes, poursuivi pour apologie du terrorisme et atteinte à l’intérêt national. La lecture de l’arrêt de renvoi — près de trente pages — et l’interrogatoire serré du journaliste par le président du tribunal et ses assesseurs illustrent la volonté manifeste d’établir ses connexions entre lui et le MAK, classé organisation terroriste par Alger. 

Tout au long de l’audience, les magistrats sont revenus, avec une insistance manifeste, sur les contacts répétés de l’accusé avec Ferhat Mhenni et Aksel (Brahim) Bellabassi. La stratégie de l’accusation apparaît limpide : reconstituer un faisceau d’éléments — voire provoquer des aveux — afin de consolider la qualification retenue contre lui.

Dans le climat politique actuel, ces échanges n’étaient pas perçus comme de simples démarches journalistiques, mais comme des indices probants d’une intention hostile envers l’État algérien.

Un verdict qui déjoue les signaux d’apaisement

Pourtant, plusieurs éléments laissaient espérer un infléchissement en appel :

– les visites autorisées aux parents du journaliste en détention ;

– le visa professionnel accordé à son avocat français, Emmanuel Daoud ;

– la plaidoirie marquée par une forte charge personnelle de l’avocat qui a rappelé ses propres attaches familiales avec l’Algérie. Me Daoudi s’est attaché à dépouiller le procès de toute lecture politique, affirmant que son client n’était “ni un otage d’États ni un instrument de rapports de force”. Selon lui, cette thèse serait alimentée en France par des cercles hostiles à l’Algérie, qui verraient dans un maintien en détention de Christophe Gleizes un moyen de nourrir leur surenchère anti-algérienne.

Ces signaux semblaient indiquer que la justice pourrait prendre ses distances avec la ligne dure du réquisitoire du représentant du ministère public qui avait requis l’aggravation de la peine, en la portant a 10 ans de prison ferme assortie de 500.000 dinars d’amende. La Cour a finalement suivi sans réserve la position du procureur, réaffirmant l’existence d’une intention criminelle et replaçant l’affaire dans un cadre politique plutôt que strictement judiciaire.

Une décision qui fragilise une reprise de dialogue déjà fragile

La condamnation intervient à un moment particulièrement délicat de la relation algéro-française. Alors que les deux capitales tentaient de réactiver un dialogue plusieurs fois interrompu, la décision de la Cour d’appel ajoute un irritant majeur.

En parallèle, un regain d’hostilité médiatique envers la France est observé dans certains journaux influents, nourrissant l’idée qu’une frange du pouvoir ou de son appareil communicationnel souhaite peser sur l’équilibre diplomatique.

La récente décision du président Abdelmadjid Tebboune de renoncer au sommet du G20 de Johannesburg — décision largement interprétée comme une volonté d’éviter une rencontre avec Emmanuel Macron — renforce cette lecture : derrière les déclarations officielles, les tensions restent vives et prêtes à ressurgir.

Les médias, baromètre d’un malaise profond

La Une récente du Soir d’Algérie particulièrement virulentes, accentue l’impression d’une orchestration plus large. Pour plusieurs observateurs, ces signaux ne relèvent pas seulement d’un choix éditorial mais participent d’une stratégie visant à envoyer un message clair à Paris : celui d’un durcissement du ton et d’une intransigeance accrue sur tout ce qui touche à l’unité nationale.

La résurgence de ce schéma — déjà observé lors d’épisodes antérieurs de tension bilatérale — révèle la persistance de résistances internes au rapprochement avec la France. Dans un contexte où l’opposition au MAK sert d’etalon  patriotique, toute tentative d’apaisement semble vouée à être immédiatement suspectée.

Un verdict à portée diplomatique majeure

En confirmant la lourde condamnation de Christophe Gleizes, la justice algérienne envoie un signal clair : la fermeté prévaut. À Paris, cette décision risque d’être interprétée comme un geste hostile, voire comme l’indice d’un raidissement politique interne.

L’affaire, qui aurait pu rester circonscrite au champ judiciaire, devient un révélateur des lignes de fracture diplomatiques. Elle pourrait ralentir, voire bloquer, la tentative de normalisation engagée depuis plusieurs mois, alimenter les discours anti-algériens en France, et offrir des arguments supplémentaires aux partisans du durcissement.

En filigrane, l’affaire Gleizes met en lumière une relation franco-algérienne hypersensible, où chaque décision de justice, chaque titre de presse et chaque prise de position publique peut raviver les tensions. Dans ce contexte volatil, la diplomatie avance à pas comptés — et le journaliste français se retrouve, malgré lui, au cœur d’un rapport de forces qui dépasse largement son cas personnel.

Source : Le Matin d’Algérie – 04/12/2025 https://lematindalgerie.com/quel-est-limpact-de-la-condamnation-de-christophe-gleizes-sur-les-relations-algero-francaises/

Christophe Gleizes : la place d’un journaliste n’est jamais en prison – Carine Fouteau

Le journaliste français a été condamné à sept ans de prison par la cour d’appel de Tizi Ouzou, en Algérie. Le jugement est contraire aux principes fondamentaux qui, à travers le monde, consacrent le droit de savoir.

La liberté d’informer est un principe fondamental attaché aux droits humains. Pas seulement en France, partout dans le monde. La mission des journalistes est d’être au service du droit de savoir et de la liberté de dire, dans le souci de la vérité des faits, le respect des sources et du contradictoire.

Le droit de chacun·e à avoir accès aux informations et aux idées est rappelé dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits humains de l’Organisation des Nations unies (ONU). En adhérant, dès son indépendance en 1962 à cette instance supranationale, l’Algérie a de facto souscrit à cette résolution de 1948.

Mercredi 3 décembre, dans la foulée de l’audience en appel, la cour de justice de Tizi Ouzou, en Algérie, a condamné le journaliste français Christophe Gleizes, âgé de 36 ans, à sept ans de prison. Notre confrère, collaborateur de So foot et Society, avait été arrêté le 28 mai 2024 et placé sous contrôle judiciaire notamment pour « être entré dans le pays avec un visa touristique » et pour « apologie du terrorisme ».

À la barre, il a exhorté les juges à la « clémence », reconnaissant avoir fait « beaucoup d’erreurs journalistiques malgré [ses] bonnes intentions », selon un journaliste de l’AFP présent à l’audience. Christophe Gleizes a ainsi admis qu’il aurait dû demander un visa de journaliste et non de touriste avant de partir en reportage.

Cela n’a pas empêché le parquet de réclamer un alourdissement à dix ans de sa première condamnation. « L’accusé n’est pas venu en Algérie pour accomplir un travail journalistique mais [pour commettre] un acte hostile », a estimé son représentant. Le tribunal lui a d’ailleurs demandé s’il savait que le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) avait été classé en mai 2021 comme terroriste par les autorités algériennes quand il avait rencontré son président Ferhat Mehenni, à Paris, en octobre de la même année.

Illustration 1
Manifestation pour la libération de Christophe Gleizes à Avignon, le 16 juillet 2025. © Photomontage Mediapart avec l’AFP

Quelle que soit la réponse – en l’occurrence Christophe Gleizes a affirmé qu’il n’était pas au courant –, il est nécessaire de rappeler que les journalistes ne doivent être identifiés ni aux personnes qu’ils mettent potentiellement en cause, ni aux témoins, ni même à leurs sources. Ils ne sont les défenseurs ni des uns ni des autres. Ils sont une autre voix, celle des citoyens et des citoyennes qui veulent savoir. Ils produisent des faits d’intérêt général, une fois que ceux-ci sont recoupés, vérifiés et documentés.

Interviewer, enquêter et informer, ce n’est pas un délit. « Le journalisme consiste à recueillir des informations, y compris auprès de personnes ou d’organisations controversées, indiquent les nombreuses organisations de médias français qui demandent la libération du journaliste. Qualifier cette démarche d’“apologie du terrorisme” revient à nier la nature même du métier et à menacer la liberté d’informer, garantie par les conventions internationales. Un reporter qui interroge un responsable sportif n’est pas complice de ses positions : il fait son travail. »

L’intérêt général

À l’issue du jugement, Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières (RSF), a fait part de sa stupéfaction : « RSF condamne avec la plus grande fermeté la décision aberrante de la cour d’appel de Tizi Ouzou, qui choisit de maintenir en prison un journaliste n’ayant fait que son travail. » « Nous devons expliquer aux magistrats d’appel qu’un journaliste ne fait pas de politique »« n’est pas un idéologue »« pas un activiste », affirmait l’avocat du journaliste, Emmanuel Daoud, avant l’audience.

Ce dernier a tenté, à raison, d’éviter d’imbriquer le destin de son client dans le tumulte des relations franco-algériennes, après la grâce et la libération par Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal le 12 novembre. Il a ainsi récusé l’expression d’« otage », en précisant que Christophe Gleizes avait pu recevoir des visites et avoir accès à son dossier pénal et à ses avocats.

Il n’en reste pas moins qu’en actant l’enfermement d’un journaliste – quelle que soit sa nationalité : cela vaut tout autant pour les journalistes algérien·nes injustement emprisonné·es –, le tribunal bafoue le droit des citoyennes et des citoyens – quelle que soit, à elles et eux aussi, leur nationalité – à disposer d’informations leur permettant de se positionner en toute autonomie et en toute liberté.

Ratifiée à Tunis en 2019, la charte mondiale d’éthique des journalistes, qui reprend les principes de la charte de Munich de 1971, ne dit pas autre chose : « La responsabilité du/de la journaliste vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité, notamment à l’égard de ses employeurs et des pouvoirs publics. »

Seul compte l’intérêt général des lecteurs et des lectrices, par-delà les frontières. Christophe Gleizes doit être libéré. Selon la procédure judiciaire algérienne, il ne reste qu’une issue, celle de la grâce que pourrait accorder le président algérien Abdelmadjid Tebboune (celle-ci ne pourrait intervenir qu’après la condamnation définitive du reporter, qui peut encore se pourvoir en cassation).

Cela suppose qu’aux côtés des professionnel·les de l’information, les citoyens et citoyennes se mobilisent pour le respect de leur droit : celui d’être informé·e, directement par celles et ceux qui témoignent et enquêtent.

Source : Mediapart – 04/12/2025 https://www.mediapart.fr/journal/international/041225/christophe-gleizes-la-place-d-un-journaliste-n-est-jamais-en-prison

Algérie. Les autorités doivent abandonner immédiatement les charges retenues contre Mohamed Tadjadit et 12 autres militant·e·s du Hirak

Les autorités algériennes doivent abandonner immédiatement les charges pesant sur le poète Mohamed Tadjadit, figure de premier plan du Hirak, et 12 autres militant·e·s, qui sont accusés d’atteintes à la sécurité de l’État passibles de longues peines d’emprisonnement, voire de la peine capitale, pour avoir exercé leurs droits humains, a déclaré Amnesty International à la veille de l’ouverture de leur procès le 30 novembre 2025. L’ organisation appelle les autorités à libérer immédiatement et sans condition tous les militant·e·s détenus uniquement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

Il est scandaleux qu’en Algérie des militant·e·s, comme Mohamed Tadjadit, risquent de lourdes peines de prison ou même la peine de mort pour avoir simplement réclamé des réformes politiques

Hussein Baoumi, directeur régional adjoint d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord

« Il est scandaleux qu’en Algérie des militant·e·s, comme Mohamed Tadjadit, risquent de lourdes peines de prison ou même la peine de mort pour avoir simplement réclamé des réformes politiques », a déclaré Hussein Baoumi, directeur régional adjoint d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

« L’utilisation abusive, par les autorités algériennes, de lois sur la sécurité formulées en termes vagues pour réduire au silence les personnes qui les critiquent est une grave injustice qui doit cesser. Ces charges infondées doivent être abandonnées, et les militant·e·s doivent être libérés immédiatement et sans condition. »

L’ Algérie n’a procédé à aucune exécution depuis 1993. Cependant, elle n’a toujours pas aboli la peine capitale ni ratifié le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ces dernières années, les autorités ont prononcé des condamnations à mort, notamment contre des opposant·e·s, à l’issue de procès inéquitables. L’application de la peine de mort à l’issue de procédures iniques rend le recours à ce châtiment arbitraire au regard du droit international et des normes y afférentes.

Amnesty International s’oppose catégoriquement à la peine de mort dans tous les cas et en toutes circonstances. 

Poursuites injustes et risque de condamnation à mort pour l’expression d’opinions dissidentes

Le procès des 13 militant·e·s du Hirak va s’ouvrir le 30 novembre devant le tribunal de première instance de Dar El Beïda, à Alger. Les accusé·e·s sont visés par des charges liées à la sécurité de l’État fondées uniquement sur leur action militante pacifique en faveur de réformes politiques.

Ils sont inculpés de « complot ayant pour but d’inciter les citoyens à s’armer contre l’autorité de l’État et de porter atteinte à l’intégrité du territoire national » (articles 77 paragraphe 1, 78 et 79 du Code pénal). Cette infraction pénale est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 30 ans d’emprisonnement ou de la peine de mort.

Le ministère public accuse aussi les militant·e·s d’avoir « reçu des fonds pour accomplir des actes portant atteinte à la sécurité ou à la stabilité de l’État […] en exécution d’un plan concerté à l’intérieur ou à l’extérieur du pays », « publié des contenus de nature à nuire à l’intérêt national » et « incité à un attroupement non armé », respectivement aux termes des articles 95 bis, 95 bis 1, 96 et 100 du Code pénal. Ces infractions sont passibles de peines allant de 11 à 30 ans de prison.

Ces dispositions pénales formulées en termes vagues et trop larges, qui prévoient de lourdes peines, manquent de clarté sur le plan juridique, érigent directement en infraction l’exercice pacifique des droits humains, et ouvrent la porte à une application arbitraire et discrétionnaire, en violation du droit international relatif aux droits humains et des normes liées. Par ailleurs, les actes poursuivis n’entrent pas dans la catégorie des « crimes les plus graves » (interprétés comme étant les homicides volontaires) qui, seuls, peuvent être passibles de la peine capitale au titre du droit international relatif aux droits humains et des normes en la matière.

Les seules « preuves » sur lesquelles s’appuie le parquet sont des publications sur les réseaux sociaux et des échanges numériques privés dans lesquels les militant·e·s se plaignent de la situation socioéconomique du pays et soutiennent les manifestations du Hirak.

Dans certains cas, le ministère public utilise des publications en ligne pour lesquelles les accusé·e·s ont déjà été condamnés par le passé, ce qui constitue une violation du principe interdisant la double incrimination. Par exemple, l’accusation s’appuie sur une vidéo publiée par Mohamed Tadjadit et quatre de ses coaccusés qui montre le témoignage d’un mineur torturé en garde à vue. Or, les cinq hommes ont déjà été condamnés à 16 mois d’emprisonnement pour ces faits.

Mohamed Tadjadit a déjà été déclaré coupable et condamné dans au moins sept autres affaires depuis 2019. Le 11 novembre, il s’est vu infliger une peine de cinq ans de prison dans une autre affaire s’appuyant sur des accusations infondées de terrorisme. Parmi les 13 accusé·e·s, beaucoup sont aussi confrontés à des condamnations multiples dans différentes affaires liées à leur militantisme pacifique.

« Les poursuites à répétition engagées par les autorités algériennes contre des militant·e·s pour le seul fait qu’ils ont exprimé des opinions dissidentes ou participé à des rassemblements pacifiques sont le signe d’une tentative délibérée de fermer l’espace civique et de museler toute forme de critique, a déclaré Hussein Baoumi.  

Les autorités algériennes doivent faire marche arrière de toute urgence, en libérant ces militant·e·s immédiatement et sans condition et en cessant d’ériger la dissidence en infraction

Hussein Baoumi

« Les autorités algériennes doivent faire marche arrière de toute urgence, en libérant ces militant·e·s immédiatement et sans condition et en cessant d’ériger la dissidence en infraction. » 

Complément d’information 

Depuis le début des manifestations du « Hirak » en 2019, les autorités algériennes continuent sans relâche de réprimer toutes les formes d’opposition en arrêtant, détenant et condamnant des militant·e·s, des journalistes et des détracteurs qui expriment leur opposition au gouvernement ou d’autres opinions critiques à l’égard du régime.

Source : Amnesty International – 27/11/2025 https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2025/11/algeria-authorities-must-immediately-drop-charges-against-mohamed-tadjadit-and-12-hirak-activists/

Rapport sénatorial contre «l’entrisme islamiste» en France : La Grande Mosquée de Paris dénonce une «stigmatisation institutionnelle» – MF Gaïdi

L’ institution dirigée par Chems-Eddine Hafiz parle d’une dérive structurelle portant sur la création d’un « régime d’exception pour les musulmans de France ».

Dans un climat national déjà saturé de tensions identitaires, la publication d’un rapport sénatorial consacré à la lutte contre « l’entrisme islamiste » agit comme un catalyseur. La Grande Mosquée de Paris (GMP) choisit de monter immédiatement au front. Dans un communiqué daté du 27 novembre, son recteur, Chems-Eddine Hafiz, dénonce avec une fermeté rare « un climat délétère visant les musulmans de France, où s’accroît la grave confusion entre musulman et islamiste ».

Dès les premières lignes, le ton est donné. Le document parlementaire ne serait pas une simple analyse, mais un texte porteur d’une menace directe pour l’équilibre républicain. La critique de l’institution n’est pas seulement politique, elle est aussi juridique et philosophique. Selon la GMP, le rapport, prétendant défendre la République et la laïcité, ne fait en réalité que trahir ces principes. « Il porte atteinte aux libertés fondamentales » et « stigmatise une communauté de foi tout entière ». La laïcité, rappelle le communiqué, n’est pas un instrument de restriction : « La laïcité n’a jamais signifié la suppression de la pratique religieuse. Elle garantit à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire.»

En faisant de certaines pratiques musulmanes des marqueurs suspects, le rapport sénatorial opère un glissement préoccupant. Il redéfinit des comportements religieux traditionnels comme des agissements potentiellement déviants. Les propositions contenues dans le rapport constituent l’un des points les plus sensibles du débat.

Les sénateurs recommandent notamment d’« interdire le port du voile aux accompagnatrices scolaires et d’empêcher les mineurs de moins de seize ans de jeûner pendant le Ramadhan ». La GMP répond en rappelant que le jeûne « est une obligation religieuse, soumise à des conditions, qui ne s’applique qu’à partir de la puberté ». Imposer une interdiction uniforme reviendrait à nier la réalité religieuse, familiale et éducative telle qu’elle est vécue par les citoyens musulmans. Mais la critique la plus lourde porte sur les modalités d’application implicites de ces mesures. Selon le communiqué, pour parvenir à interdire aux adolescents de jeûner ou pour vérifier qu’une mère ne porte pas de voile lors d’une sortie scolaire, il faudrait « forcer les portes des foyers », « vérifier si les enfants mangent lors du Ramadhan » et « contrôler l’apparence vestimentaire dans l’espace public ».

Cette perspective correspond, selon la GMP, à des « atteintes graves à la vie privée », inconcevables dans un Etat de droit. Le rapport, loin d’apporter une solution à des dérives extrémistes, instaurerait un régime de surveillance quotidienne des familles, visant « non les extrémistes, mais les fidèles ordinaires ». C’est cette inversion de logique, viser les pratiques courantes pour lutter contre des comportements marginaux, qui inquiète le plus la GMP. Elle y voit « une remise en cause de la liberté de conscience, de la Constitution et de la dignité de millions de citoyens musulmans ».

Un risque de rupture de confiance

Ce que dénonce la Grande Mosquée dépasse le contenu des recommandations. Il s’agit, à ses yeux, d’une dérive structurelle portant sur la création d’un « régime d’exception pour les musulmans de France ». Le terme n’est pas employé à la légère. Il renvoie à la logique même du rapport, qui cherche à encadrer des pratiques religieuses musulmanes pourtant partagées, par ailleurs, « par les autres religions monothéistes », rappelle la GMP. L’institution parle même d’une sorte de « targeted policies», c’est-à-dire une « véritable police des mœurs musulmanes, intrusive et inégalitaire ».

La police des mœurs, historiquement associée à des régimes autoritaires, renvoie à une logique de contrôle social permanent, incompatible avec les libertés individuelles.

La charge ne s’arrête pas là. Le rapport, selon le communiqué, « confond religion et idéologie, foi et radicalisme ». Cette confusion, loin d’être une simple erreur conceptuelle, produit des effets politiques sévères. « Elle stigmatise d’avance des familles, des quartiers, des mosquées, sans distinguer les croyants pacifiques des extrémistes ». L’islam devient ainsi « un coupable idéal ». Non seulement cette démarche est « injuste », souligne Chems-Eddine Hafiz, mais elle est « en tout point contreproductive dans la lutte contre les dérives radicales » que la Grande Mosquée affirme mener «depuis longtemps ».

Stigmatiser une communauté affaiblit ce lien et « menace la cohésion sociale, encourage l’exclusion et cultive la défiance ». En réponse à ce qu’elle considère comme une dérive, la GMP annonce l’étude des « voies et moyens légaux pour la défense du droit ». L’institution ne laissera pas ce rapport s’imposer sans recours. Mais l’essentiel se situe dans l’appel final, particulièrement ferme. La GMP appelle à « défendre la laïcité qui protège toutes les religions », et non une laïcité sélective. Elle demande de « garantir la liberté de conscience et de culte », considérée comme un socle non négociable. Enfin, elle insiste sur la nécessité de « promouvoir des politiques d’inclusion, de dialogue, de respect », et non des mesures « discriminatoires, stigmatisantes, coercitives ».

La conclusion du communiqué, d’une grande densité politique, résume l’ampleur de l’alerte lancée : «La France a besoin d’un débat serein, d’un vivre-ensemble fondé sur le respect et la dignité. Elle n’a pas besoin d’un texte qui divise, qui chasse, qui suspecte. » En d’autres termes, la réponse législative à la radicalisation ne peut ni fracturer la société ni sacrifier les principes républicains sur l’autel de la peur.

Source : El Watan – 30/11/2025 https://elwatan.dz/rapport-senatorial-contre-lentrisme-islamiste-en-france-la-grande-mosquee-de-paris-denonceune-stigmatisation-institutionnelle/

Sahara Occidental. L’ Algérie face aux pressions des États-Unis – Lakhdar Benchiba

La dernière résolution du Conseil de sécurité sur le Sahara occidental, adoptée le 31 octobre 2025, a été accueillie en Algérie, par une combinaison de critique officielle molle, de déni médiatique et, surtout, d’inquiétudes face à des pressions étatsuniennes qui s’esquissent.

La résolution 2797 (2025) du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU)1adoptée le 31 octobre 2025, introduit une évolution notable dans le dossier du Sahara occidental. Les États-Unis, auteurs d’un projet initial ouvertement pro-marocain et prônant l’autonomie comme unique solution, ont accepté de l’édulcorer pour faire passer l’essentiel. La résolution finale réaffirme ainsi le principe d’autodétermination comme base juridique du processus onusien, tout en mettant explicitement en avant le plan d’autonomie marocain qui « pourrait représenter la solution la plus faisable ».

Cette inflexion politique ne modifie pas le statut du territoire, toujours considéré comme non autonome par l’ONU, mais elle oriente l’action diplomatique vers une solution négociée autour de l’autonomie. Si la résolution évoque un accord « mutuellement accepté », elle ne mentionne plus le référendum comme voie d’expression de l’autodétermination, principale revendication des Sahraouis, pourtant constamment réaffirmée dans les résolutions antérieures de l’ONU.

L’explication de la « chaise vide »

Si les médias algériens minimisent ou pratiquent le déni, le chef de la diplomatie algérienne, Ahmed Attaf, a mis en avant les efforts de l’Algérie pour reformuler la résolution préparée par les États-Unis, qui ont déjà reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en contrepartie de la normalisation avec Israël.

Le discours officiel algérien évite toute critique directe à l’encontre de Washington, tout en se voulant rassurant vis-à-vis d’une opinion publique attachée au principe de l’autodétermination. L’Algérie, a affirmé le ministre des affaires étrangères sur la chaîne algérienne AL24 News, « était à deux doigts de voter pour la résolution » du Conseil de sécurité2. Mais le maintien, dans le préambule, de l’affirmation qu’une « autonomie véritable sous souveraineté marocaine pourrait constituer une solution des plus réalisables » a incité Alger à ne pas participer au vote.

Le représentant permanent algérien auprès des Nations unies, Amar Bendjama, a expliqué que l’Algérie a refusé de participer au vote pour marquer « sa prise de distance avec un texte qui ne reflète pas fidèlement et suffisamment la doctrine onusienne en matière de décolonisation »3.

Cette explication de la « chaise vide » est accueillie en Algérie avec scepticisme. Des analystes y voient surtout un souci de ne pas « froisser » les États-Unis et de défendre une diplomatie algérienne qui vit sur le capital, devenu lointain, de la guerre d’indépendance. Le lent effritement du soutien international au référendum d’autodétermination du Sahara occidental, y compris en Afrique où il était très élevé, en est une illustration.

Dans un pays où les médias sont aux ordres, c’est dans les réseaux sociaux que surgissent des interrogations sur l’échec possible d’un investissement politique, diplomatique et financier d’un demi-siècle dans le dossier du Sahara occidental, devenu au fil des années l’axe central de la politique extérieure du pays.

Certes, la résolution du Conseil de sécurité n’octroie pas le Sahara occidental au Maroc, mais la tendance imprimée au dossier par les États-Unis (la résolution a été approuvée par 11 voix, contre trois abstentions — la Russie, la Chine et le Pakistan — et l’absence de l’Algérie) va se renforcer dans les mois à venir.

Réalistes vs orthodoxes

Le vote du Conseil de sécurité a fait réapparaître en Algérie un courant minoritaire — qui a toujours existé au sein du régime — appelant à se débarrasser de l’affaire du Sahara occidental et des charges qu’elle impose au pays.

En mars 2003, l’ancien ministre de la défense, le général Khaled Nezzar (1937-2023), dont l’influence est restée grande au sein du pouvoir, avait défrayé la chronique en déclarant à La Gazette du Maroc que « l’Algérie n’a pas besoin d’un nouvel État à ses frontières (…) ». Il avait renvoyé la décision de débloquer les choses au président Abdelaziz Bouteflika : « Si le président de la République ne peut ou plutôt ne veut pas aller dans le sens du déblocage, l’armée ne pourra pas y faire face, elle est à la disposition du politique. »4

Le propos avait choqué et Nezzar avait essuyé quelques commentaires acerbes dans les médias. Abdelaziz Rahabi, ancien ministre de la communication, avait alors dénoncé des affirmations préjudiciables « aux intérêts diplomatiques du pays ». Il avait rétorqué que l’armée algérienne « participe substantiellement à la conception, la définition et l’exécution de la politique extérieure et de défense du pays ». Il avait également souligné que la question du Sahara occidental n’était pas une simple question de « politique étrangère », car elle s’appuie « sur un des socles fondateurs de la Révolution et de l’État algérien, qui est le droit à l’autodétermination et à l’indépendance. Elle se pose à nos frontières et devient ainsi un problème de sécurité nationale. »

Un rappel de l’orthodoxie qui avait été efficace. Khaled Nezzar, probablement recadré par ses pairs, n’a plus évoqué le sujet, mais le débat est revenu à la faveur de la dernière résolution du Conseil de sécurité. Ce courant « réaliste » s’est exprimé de nouveau par la voix de Noureddine Boukrouh5, deux fois ministre sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika et aujourd’hui à l’étranger, qui a estimé que les jeux étaient faits.

Dans un article titré « Le dernier quart d’heure » — expression maladroite qui renvoie en Algérie au discours de l’armée coloniale française6— et publié sur son site personnel, il estime que « le choix laissé au Polisario n’est plus entre le statut d’autonomie et l’indépendance, mais entre l’autonomie et le statut de terroriste, entre le plan marocain et rien du tout faute d’avoir pensé à élaborer un plan B. »7

Pour Boukrouh, le Front Polisario doit désormais être réaliste et renoncer à une « aléatoire République arabe sahraouie démocratique [RASD] » et accepter une « Région autonome du Sahara (RAS) réelle et viable ».

Il s’est attiré une réponse acerbe du chroniqueur Abed Charef dans un article intitulé « Noureddine Boukrouh, victime collatérale de l’effet Trump au Sahara occidental », publié le 28 octobre 2025 sur Al-hirak al-ikhbari. Pour Abed Charef, le vote du Conseil de sécurité ne change pas la donne :

« Ce n’est pas à travers cette démarche que les États-Unis vont remodeler la carte de la région à leur guise. Pour une raison bien simple : il y a, en face, un peuple qui aspire à exercer son droit à l’autodétermination. Et ce peuple est soutenu par d’autres peuples, épris de liberté ».

Une position conforme à l’orthodoxie algérienne.

La proposition d’une médiation

Pourtant, dans sa conférence de presse du 18 novembre, Ahmed Attaf a confirmé qu’Alger n’était plus dans sa zone de confort habituelle de défense du principe de l’autodétermination par voie référendaire comme en témoigne sa disponibilité à soutenir une médiation entre le Maroc et le Front Polisario :

« Compte tenu des données et des responsabilités qui lui incombent en tant que pays voisin des deux parties au conflit, l’Algérie n’hésitera pas à apporter son soutien à toute initiative de médiation entre le Front Polisario et le Maroc »8.

Ce soutien est assorti de « conditions ». La médiation doit s’inscrire dans :

« le cadre des Nations unies, qu’elle adhère, dans sa forme et son contenu, aux principes d’une solution juste, durable et définitive à la question du Sahara occidental, tels qu’ils sont stipulés dans toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, y compris la dernière résolution n° 2797 ».

Malgré le rappel de ces « conditions », cette évolution où l’Algérie jouerait un rôle de « facilitateur » laisse perplexe. D’abord, l’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc en août 2021, accusant le Maroc d’actions hostiles, ce qui ne la rend pas la plus apte à jouer aux facilitateurs. Plus fondamentalement, le « sujet » de la médiation, si elle se mettait en place, pourrait-il être autre que celui de l’autonomie mise en avant dans la résolution et que les États-Unis veulent passer comme un exercice effectif de l’autodétermination des Sahraouis  ?

Sous l’attention particulière de Washington

La question du rapport aux États-Unis est cruciale. L’Algérie fait face à des difficultés géostratégiques majeures. Elle a des situations difficiles à toutes ses frontières — Libye, Mali, Niger, Maroc —. Son « amitié » avec la Russie est troublée par des intérêts divergents au Sahel. Et la Chine commerce avec tout le monde, et même davantage avec le Maroc. Le plus grand pays d’Afrique fait donc l’objet d’une attention particulière des États-Unis.

L’ ambassadrice étatsunienne à Alger, Elizabeth Moore Aubin, en poste depuis 2022, fait d’ailleurs preuve d’un activisme inhabituel. Depuis son arrivée, elle multiplie les déplacements en Algérie, y compris hors d’Alger, rencontre entrepreneurs, ONG, start-ups, élus locaux et étudiants — une présence publique rarement observée de la part d’un diplomate occidental dans le pays. Même lors des bombardements les plus intenses sur Gaza, elle n’a pas réduit son exposition médiatique, signe d’une diplomatie étatsunienne affirmée et déterminée.

Cet interventionnisme de Washington dans le dossier du Sahara occidental s’inscrit également dans un contexte de retour des pétroliers étatsuniens en Algérie. En août 2025, Occidental Petroleum a signé deux conventions avec l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures (Alnaft) pour explorer les périmètres d’El Ouabed et Dahar dans le sud algérien. ExxonMobil et Chevron sont proches de finaliser un accord pour l’exploitation du gaz de schiste. Un article de Maghreb émergent relevait que « l’entrée d’acteurs américains sur les gisements de gaz non conventionnels en Algérie » pourrait, à défaut de sauver le plan onusien d’autodétermination, être un levier pour atténuer les pressions étatsuniennes9.

Le fonctionnement brutal des États-Unis crée cependant de l’incertitude. Les concessions algériennes dans ce domaine seront-elles une « transaction » suffisante pour atténuer les pressions d’une administration Trump pressée d’ajouter la question du Sahara occidental à son trophée de « faiseur de paix » ?

Un vote troublant sur Gaza

La vraie interrogation — et, pour certains, la véritable appréhension — porte sur l’usage que feront les États-Unis de cette résolution, qui donne un coup de pouce diplomatique au plan d’autonomie. À Alger, l’affirmation sur la chaîne CBS de Steve Witkoff, conseiller de Donald Trump pour le Proche-Orient, selon laquelle un « accord de paix » serait conclu entre l’Algérie et le Maroc « d’ici 60 jours » n’est pas passée inaperçue10. Elle a été très largement perçue comme le début des pressions annoncées. Attaf s’est empressé d’extirper l’Algérie du tête-à-tête avec le Maroc, projeté par le conseiller étatsunien :

« Je pense qu’il y a eu confusion entre ce que tentent de faire les États-Unis dans le dossier du Sahara occidental et les relations algéro-marocaines. Je pense qu’il voulait parler de l’initiative américaine, en coopération avec l’ONU, de proposer un plan de résolution de la question sahraouie ».

Christopher Ross, envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental (2009–2017), tout en qualifiant la résolution du conseil de sécurité de « recul », a compris autrement : « La prédiction de Steve Witkoff (…) relève, je le crains, de l’utopie. » L’Algérie, a-t-il ajouté, « n’est pas réputée pour céder aux pressions ni pour pratiquer une diplomatie transactionnelle »11.

Anna Theofilopoulou, ancienne conseillère auprès de James Baker, lui-même ancien envoyé personnel au Sahara occidental du secrétaire général de l’ONU (1997-2004), est moins catégorique. Dans une déclaration au média espagnol El Indepediente, le 9 novembre 2025, elle se pose des questions sur le rôle de l’Algérie :

« L’ ancien régime algérien (…) était très dur, mais il savait ce qu’il faisait. (…) Maintenant, avec Tebboune, je ne sais pas. Je parlais avec un ami, et on riait de la perspective de voir Trump et Boulos, son conseiller pour le Sahara occidental, sur place. Il m’a dit : “Avant, j’aurais dit que les Algériens l’auraient dévoré au petit-déjeuner. Aujourd’hui, j’en suis moins sûr… ”

La résolution du Conseil de sécurité n’étant pas une reconnaissance de jure de la « marocanité » du Sahara occidental, la suite dépendra de l’action — ou non — des États-Unis envers l’Algérie et le Front Polisario, et de la capacité de ces derniers à résister aux pressions de l’administration Trump.

Le 17 novembre, le vote, troublant, de l’Algérie sur la résolution étatsunienne sur Gaza — alors que la Russie et la Chine se sont abstenues — suscite des doutes sur cette capacité. À Alger, certains interprètent ce vote — inhabituellement conciliant envers Washington — comme le signe d’une nouvelle configuration du rapport de force. Face aux critiques et aux dénonciations exprimées sur les réseaux sociaux — malgré les risques encourus dans un pays où une publication sur Facebook peut mener en prison —, la réaction officielle s’est faite très menaçante.

L’agence de presse officielle algérienne APS a rappelé, le 18 novembre, que la Constitution « fait de la politique extérieure un domaine réservé du président de la République, en sa qualité d’unique et seul artisan de la décision politique extérieure, au nom de la Nation algérienne ». Elle a dénoncé des « parties internes » qui se lancent dans une « tentative exécrable d’instrumentaliser la politique extérieure du pays au service de calculs politiciens étriqués ».

Le commentaire affirme que l’État national « ne permettra jamais que sa décision souveraine en matière de politique extérieure soit transformée en outil de marchandages politiques ou partisans, étroits dans leur portée comme dans leur vision ». Le message est clair : silence dans les rangs.

Source : Orient XXI – 25/11/2025 https://orientxxi.info/Sahara-Occidental-L-Algerie-face-aux-pressions-des-Etats-Unis

Crise diplomatique entre l’Algérie et la France : Emmanuel Macron veut «corriger beaucoup de choses» – Madjid Makedhi

Alger et Paris ont lancé officiellement, depuis jeudi, le processus devant aboutir à un « retour à la normale » dans leurs relations bilatérales. La visite effectuée par la secrétaire générale du ministère français des Affaires étrangères, Anne-Marie Descôtes, s’inscrit dans cette démarche.

Le président français Emmanuel Macron semble se résoudre à la nécessité de changer de ton et de démarche avec l’Algérie. Face à une crise diplomatique qui dure depuis 18 mois et une rupture totale des canaux de dialogue entre les deux pays, il a fini par avouer que la démarche française dans la gestion de cette tension n’était pas la bonne. Ayant prôné « la fermeté » en été dernier, le chef de l’Etat français plaide désormais pour « l’apaisement ».

S’exprimant, samedi en marge du Sommet du G20 à Johannesburg, en Afrique du Sud, Emmanuel Macron veut « corriger beaucoup de choses » pour « bâtir une relation d’avenir avec l’Algérie ». « Moi, je veux bâtir une relation d’avenir qui soit apaisée, mais on doit corriger beaucoup de choses et on sait que sur beaucoup de sujets, sécuritaire, migratoire, économique, on n’est pas dans une situation satisfaisante », déclare-t-il lors d’un point presse.

Le Président français se démarque, ce faisant, des acteurs de la droite et de l’extrême droite qui ont poussé, durant les derniers mois, vers la rupture entre Alger et Paris. « Beaucoup de gens veulent faire de l’Algérie une question politique domestique française. Et en Algérie, beaucoup de gens veulent faire de la relation avec la France une question de politique domestique algérienne », dit-il, estimant avoir obtenu des « avancées» ces dernières années, avec une « même méthode : le respect et l’exigence ». Selon lui, « la libération de Boualem Sansal (qui a bénéficié d’une grâce du président Tebboune, sur demande de son homologue allemand) est un premier résultat dont il faut se féliciter». Concernant son éventuelle rencontre avec le président Abdelmadjid Tebboune, Emmanuel Macron affirme qu’elle « se fera au moment où on l’aura préparée pour avoir des résultats ». Les propos du chef de l’Etat français interviennent dans un contexte marqué par un début de rapprochement enclenché depuis le changement de gouvernement en France et, notamment, le départ de l’ancien ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.

Un processus de «normalisation»

Alger et Paris ont lancé officiellement, depuis jeudi, le processus devant aboutir à un « retour à la normale » dans leurs relations bilatérales. La visite effectuée par la secrétaire générale du ministère français des Affaires étrangères, Anne-Marie Descôtes, s’inscrit dans cette démarche, comme l’a expliqué le porte-parole du Quai d’Orsay, visant à « relancer la dynamique» de rapprochement». « Il s’agit d’une visite de travail qu’elle mène dans le cadre des priorités exprimées par le ministre (français, ndlr), que sont à la fois le rétablissement de la coopération en matière migratoire, le rétablissement de la coopération en matière de sécurité et aussi la relance de la coopération économique », indique-t-il.

Et d’ajouter : « Tout cela entre dans le cadre d’un dialogue exigeant et qui doit porter des résultats pour nos compatriotes.» Cette visite, rappelons-le, est la première du genre entre les deux pays depuis le mois d’avril, lorsque le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, s’était déplacé à Alger pour amorcer un rapprochement entre Alger et Paris. Les deux pays avaient alors arrêté un agenda de visites afin de « tourner la page » de la crise. Mais le programme a été vite abandonné, suite à l’arrestation, puis l’incarcération, d’un agent consulaire algérien, accusé d’implication dans l’affaire Amir Boukhors, dit Amir DZ. L’ Algérie avait directement accusé le ministre de l’Intérieur de l’époque, Bruno Retailleau, qui était l’un des principaux acteurs ayant envenimé les relations entre l’Algérie et la France, exploitant ainsi l’arrestation, en novembre 2024 à Alger, de l’écrivain Boualem Sansal.

Depuis septembre, le Premier ministre, Sébastien Lecornu, et son ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, ont adopté une nouvelle approche avec Alger, tout en appelant à la reprise du dialogue. Le successeur de Bruneau Retailleau, ex-ministre français de l’Intérieur, a annoncé même une visite à Alger à l’invitation de son homologue Saïd Sayoud, qui devrait intervenir au mois de décembre. Le rapprochement entre les deux pays a été confirmé indirectement, mardi, par le ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf. « Il n’y a pas d’initiative majeure, il y a un processus de contacts qui est en train de s’organiser entre l’Algérie et la France, sans plus », déclare-t-il.

Source : El Watan – 24/11/2025 https://elwatan.dz/crise-diplomatique-entre-lalgerie-et-la-france-emmanuel-macron-veut-corriger-beaucoup-de-choses/

Réactions à la libération de Sansal : entre geste humanitaire, calcul diplomatique et appel à la cohérence politique – Samia Naït Iqbal

La grâce présidentielle accordée à l’écrivain Boualem Sansal continue de susciter des réactions contrastées, oscillant entre soulagement, scepticisme et exigence de cohérence.

Si la décision du chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, intervenue à la suite d’une intercession du président allemand Frank-Walter Steinmeier, a été officiellement présentée comme un geste humanitaire, elle soulève en Algérie et à l’étranger des interrogations d’ordre politique, éthique et diplomatique.

Un geste interprété comme un aveu

Pour l’ancien président du RCD et écrivain Saïd Sadi, cette grâce met en lumière une contradiction profonde : « En Algérie, l’humanisme c’est comme les hydrocarbures ; c’est bon pour l’exportation. » Derrière la formule cinglante, il pointe une dépendance morale à la reconnaissance extérieure : « L’ humanisme d’un chef d’État dépendrait de la stimulation d’un homologue étranger », écrit-il, estimant que le geste, bien qu’heureux pour l’écrivain et sa famille, révèle une faiblesse politique autant qu’un déficit d’autonomie morale.

Sadi souligne en outre la coïncidence troublante entre la libération de Sansal et la condamnation à cinq ans de prison du poète Mohamed Tadjadit, figure du Hirak : « La même peine, la même société, deux destins opposés. » Pour lui, la juxtaposition des deux affaires illustre une logique sélective de la clémence et une gestion symbolique de la justice.

Entre diplomatie et justice sélective

Du côté politique, les réactions oscillent entre approbation prudente et mise en garde contre toute instrumentalisation diplomatique.

Le président du parti Jil Jadid, Sofiane Djilali, reconnaît le caractère « humanitaire » de la décision, mais avertit : « Ne pas étendre le geste à d’autres détenus incarcérés pour des motifs bien moindres serait perçu comme une injustice. » Selon lui, la clémence présidentielle « ne doit pas dépendre d’un plaidoyer étranger ni créer une hiérarchie entre citoyens ».

Le magistrat à la retraite Habib Achi adopte un ton plus institutionnel. Il voit dans cette grâce « un acte de diplomatie raisonnée », inscrit dans un équilibre d’intérêts internationaux. Mais il appelle à « une cohérence interne entre les gestes extérieurs et la justice domestique », suggérant une seconde mesure de grâce pour les détenus d’opinion, « afin d’éviter le double standard et d’affirmer la souveraineté morale de l’État ».

Une exigence d’ouverture démocratique

Dans un communiqué, le président du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), Atmane Mazouz, salue une décision « bénéfique et positive », rappelant que son parti avait plaidé pour la libération de Sansal sans partager ses positions sur la question de l’intégrité territoriale. « Le courage politique, écrit-il, c’est aussi de défendre la liberté d’expression, même pour ceux avec qui nous sommes en désaccord. »

Mazouz replace la grâce dans une perspective plus large : la nécessité de « tourner la page de la répression » et d’ouvrir un dialogue national fondé sur la liberté et la justice. « L’Algérie, conclut-il, ne retrouvera sa place et sa dignité internationales que dans la liberté et la justice. »

Une société en attente de signaux forts

Les réactions de la société civile abondent dans le même sens. Un citoyen de Tizi-Ouzou, vétérinaire de profession, a résumé sur les réseaux sociaux un sentiment partagé : « Le Président s’est libéré d’un fardeau encombrant. Il est temps maintenant de libérer tous les détenus d’opinion et, ce faisant, de libérer sa conscience. »

Même tonalité chez le journaliste Hafid Derradji, qui se félicite de la libération de Sansal tout en appelant à la cohérence : « Si cette décision sert la dignité de l’Algérie, qu’elle soit suivie d’un geste envers ceux qui ont été condamnés pour leurs idées. C’est ainsi qu’on renforce l’unité nationale. »

Entre humanisme affiché et réalités politiques

Au-delà de l’émotion et des lectures diplomatiques, la grâce accordée à Boualem Sansal renvoie à une question plus essentielle : celle de la crédibilité de l’État face à la justice et aux libertés. L’ acte humanitaire, s’il n’est pas accompagné d’une dynamique politique interne, risque d’apparaître comme une concession circonstancielle plutôt qu’une orientation durable.

Dans un pays où l’espace public demeure sous tension, cette libération pourrait constituer soit un précédent encourageant, soit un simple épisode dans la chronologie des ajustements diplomatiques. Tout dépendra de la suite — c’est-à-dire de la capacité du pouvoir à faire de l’humanisme, non plus un produit d’exportation, mais une valeur nationale.

Source : Le Matin d’Algérie – 12/11/2025 https://lematindalgerie.com/reactions-a-la-liberation-de-sansal-entre-geste-humanitaire-calcul-diplomatique-et-appel-a-la-coherence-politique/

Ici, on enterra les Algériens

Dans la Seine, on noya les Algériens. À Thiais, on enterra un massacre. Le cimetière parisien de Thiais a été un lieu de la dissimulation du massacre de l’automne 1961. Nous avons fouillé les archives et retrouvé des noms de victimes. On en dénombre une centaine. La vérité sur ce crime d’État n’en finit pas de refaire surface.

ACCES-94 – Association de Coopération Culturelle Educative et Sportive. Éduc’ pop’ à Chevilly-Larue dans le 94

Illustration 1
Carré musulman. Division 97 du cimetière parisien de Thiais.

« Monsieur Papon voulait que la vérité ne puisse pas se faire. Finalement cette vérité a fait son chemin. Je suis venu ici en mémoire de ces victimes algériennes, enterrées comme des chiens dans la fosse commune réservée aux musulmans inconnus du cimetière de Thiais. »

C’est par ces mots qu’en 1997 Jean-Luc Einaudi concluait son témoignage lors du procès du préfet collaborationniste Papon. Cette déclaration que nous découvrons tardivement vient corroborer ce que nous pressentions depuis des années, à savoir que des martyrs du 17 octobre 1961 avaient été enterrés juste à côté de chez nous, le long de la nationale 7. C’est le nouveau point de départ de notre travail associatif, celui de l’association ACCES, association d’éducation populaire située à Chevilly-Larue dans le Val-de-Marne, commune limitrophe de l’immense cimetière parisien de Thiais.

Nous nous sommes rendus sur place, nous avons fouillé ses archives consultables en ligne, notamment le registre journalier d’inhumation, première source consultée en 1988 par l’auteur de La Bataille de Paris, enquête pionnière sur les massacres de l’automne 1961. 

Comme Jean-Luc Einaudi, nous observons que les enterrements de personnes aux noms d’origine nord-africaine augmentent et s’enchaînent de septembre à décembre 1961. Nous en dénombrons une centaine.

Il convient de préciser que toutes les victimes du massacre n’ont pas été enterrées à Thiais et que tous les décès ne résultent pas de la répression policière. Car bien sûr, nous ne prenons pas en compte les quelques morts naturelles ou liées à une maladie, ni les membres de la FAP, la force auxiliaire de police (la police de Harkis de Paris, créée par Papon en 1959). 

L’ examen du registre débute en septembre. Parce que la violence qui s’est déchaînée le 17 octobre n’a pas commencé ce soir-là. Elle ne constitue que le point culminant d’une répression policière inouïe qui sévit depuis la fin du mois d’août. Cette répression s’inscrit dans la continuité d’un maintien de l’ordre colonial importé en métropole et au cœur même de la capitale des Lumières. Elle s’abat sur celles et ceux qu’on appelait les « Français musulmans d’Algérie » (FMA), confronté·es au racisme de la société coloniale dans les usines, les chantiers, les foyers et les bidonvilles de nos banlieues. 

Les corps de Thiais proviennent en grande partie de l’Institut médico-légal, dont les rapports mentionnent des homicides par coups, strangulation, coups de feu, noyade. Des corps découverts sur les berges de la Seine, dans les ruelles et les sentiers des parcs et bois de la banlieue parisienne.

Voilà quelques exemples d’une longue liste macabre d’Algériens enterrés sur deux carrés musulmans pour cette seule période de 4 mois. D’abord à la division 89, puis à la division 97 pour y enfouir les cadavres que la division 89 voisine ne peut plus contenir. On compte des dizaines de corps non identifiés, enterrés tantôt sous X FMA, X-Inconnu, ou Inconnu NA pour Nord-Africain, qui peut désigner aussi bien un Tunisien qu’un Marocain.  

MESSILI Saïd, âge inconnu, abattu avec Mehraz Chérif le 26 septembre 1961 par des policiers à l’arrière des bâtiments du 1, avenue de la Villette à Paris. Enterré le 10 octobre. Division 89 ligne 16, tombe 52. Dossier classé sans suite par le parquet de Paris. Sept autres inhumations ce jour-là de morts brutales dont les affaires judiciaires – si elles ont fait l’objet d’une enquête – ont été classées sans suite ou conclues par un non-lieu.  

Cinq inconnus « FMA »,enterrés le 24 octobre, corps découverts à Boulogne, Colombes, Aubervilliers, quartiers parisiens du Gros Caillou et de Bel Air. Enterrés à la division 89 ligne 15, tombes, 59, 41, 53, 43, 47.

Illustration 2
Une partie des inhumations du 24 octobre. Page 32 du registre. Surlignage par nos soins. © Archives de Paris.

DEROUES Abdelkader, 27 ans, découvert avenue du Général-de-Gaulle, à Puteaux après la manifestation. Mort d’un coup de feu dans l’épaule droite. Enterré le 31 octobre, division 97, ligne 1, tombe 5. Ce qui porte à dix inhumations ce jour-là d’Algériens dont 5 inconnus FMA, tous découverts à Aubervilliers.

DELOUCHE Mohamed, âge présumé, 63 ans.C’est l’épicier du bidonville de la Folie à Nanterrequi a ététué le 18 octobre par deux coups de feu. Monique Hervo, écrivaine et militante associative qui était alors travailleuse sociale au service civil international du bidonville, était cachée à l’arrière de la boutique quand les policiers sont entrés dans sa boutique. Elle a entendu les deux détonations. Enterré le 12 décembre 1961, division  97, ligne 5, tombe 3. Non-lieu rendu le 2 novembre 1962.

ZEBIR Mohamed, retiré de la Seine le 7 octobre, à la hauteur du barrage de Suresnes, du côté de l’Île de Puteaux. Identifié 3 semaines après. Mort provoquée par 3 balles. Enterré le 7 novembre, division 97, ligne 2, tombe 4. 

Illustration 3

Parmi les 9 inhumations d’Algériens ce jour-là, il y a cet homme. Enterré division 97, ligne 1, tombe 20. Il a été pris en photo par Elie Kagan et un autre photographe américain, témoins de la manifestation. Ils l’ont trouvé gisant à terre, ensanglanté, rue des Pâquerettes, à Nanterre, dans la nuit du 17 au 18 octobre. Les deux hommes l’ont conduit jusqu’à la Maison départementale de Nanterre, où, à leur arrivée, un infirmier s’est exclamé : « Et un raton, encore un! ». 

Les photographes ignorent son nom mais trente ans plus tard, ce cliché illustrera la couverture de La Bataille de Paris. Son visage est alors reconnu par son neveu en Algérie. Il s’agit de BENNEHAR Abdelkader, il avait 42 ans. L’enquête sur sa mort avait fait l’objet d’un non-lieu le 25 février 1963.

Illustration 4
Neuf X-Inconnus enterrés le 5 décembre à la division 97, à la demande de l’IML (Institut médico-légal), découverts dans différents quartiers parisiens et de villes de banlieue. Surlignage par nos soins. © Archives de Paris

Le registre d’inhumation indique des emplacements précis, à savoir des sépultures individuelles. Il n’y a donc pasde fosses communes. Cette information qui circule de livre en livre s’avère inexacte.

Toutefois, les informations du registre permettent d’identifier les conditions d’inhumation. À une dizaine d’exceptions près, les inhumations étaient toutes exécutées, non pas à la demande d’un proche mais de l’administration, à savoir l’Institut médico-légal. Les corps ont été mis dans une volige, un bois rudimentaire très mince, utilisé dans son usage funéraire comme un cercueil provisoire. Ce qui permet une décomposition rapide. Puis enterrés dans des concessions gratuites, prévues pour cinq ans, une pratique courante à cette époque dans « le cimetière des indigents ». 

Ces sépultures gratuites ne sont pas équipées de pierre tombale, ce qui ne permet pas d’identifier les défunts en surface. 

Ainsi disparaissait le massacre en même temps que ses victimes se décomposaient sous la terre anonyme. Des disparus enterrés sans leurs proches, sans rite cultuel musulman, et bien sûr sans les honneurs que le FLN avait pour habitude de rendre aux chouhadas, martyrs de la lutte de libération. 

Une centaine de morts ont été enterrés « comme des chiens », dans ce cimetière le plus à l’écart des regards parisiens, le cimetière des indésirables, des indigents, mais aussi des collabos, des criminels.

Dans la Seine, on noya les Algériens. À Thiais, on enterra un massacre.

Mais la vérité fit peu à peu surface, grâce notamment à la mémoire militante et familiale de cette génération de l’immigration post-coloniale qui luttait contre les crimes racistes et sécuritaires des années 70 et 80.

Vingt-trois corps ont été rapatriés en Algérie le 13 juin 1969 et le 12 mars 1970 pour être inhumés au cimetière des martyrs de la révolution d’El Alia à Alger. 

Les 5 et 7 septembre 1979, plusieurs supplétifs de la force de police auxiliaire ont été exhumés des carrés musulmans pour la division militaire 17. Une stèle leur rend hommage. 

Illustration 5
Division militaire 17. Cimetière parisien de Thiais.

Pour les autres, rien. Rien ne rappelle le souvenir d’Algériens massacrés par la police pour avoir participé pacifiquement à une manifestation ce 17 octobre 1961, que les historiens britanniques Jim House et Neil Mac Master qualifient  comme « la répression d’État la plus violente qu’eût jamais provoquée une manifestation de rue, dans l’histoire moderne de l’Europe occidentale ».

Où sont ces Algériens aujourd’hui ? La mairie de Paris nous indique que « les dépouilles des victimes du massacre du 17 octobre 1961 ont été reprises ».  Exhumés en 2019et 2021, les ossements sont aujourd’hui conservés dans des reliquaires à l’ossuaire du cimetière.  

Les seules traces de leur mort sont celles de leur disparition.

Notre tâche est de poursuivre le travail de Jean-Luc Einaudi et d’autres historien·nes, collectifs associatifs et militants afin d’exhumer leur mémoire et de réparer cet effacement scandaleux. Soixante-quatre ans ans après ce massacre d’État, il est temps de reconnaître, de redonner des noms, des visages et des histoires à ces personnes que la déshumanisation coloniale a effacées. 

Des victimes dont nous savons aujourd’hui qu’elles n’étaient pas « terroristes », qu’elles avaient juste le tort d’être perçues comme algériennes. Et au pire, de le revendiquer.

Tuées pour ce qu’elles étaient et non pour ce qu’elles ont fait.

Papon et les pouvoirs publics de droite comme de gauche ont voulu effacer ce crime pendant 30 ans. Papon a perdu. Il a perdu deux fois. L’Algérie est devenue indépendante. Et l’ancien secrétaire général de la Gironde a été condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité pour avoir participé à la déportation de 1690 juifs entre 1942 et 1944. 

Mais ses défaites ne sont pas une victoire.

La vérité sur le massacre d’État de l’automne 1961 a fait son chemin sans la justice. Soixante-quatre ans après, la responsabilité ne peut plus être individuelle.

Notre association a organisé cette année la quatrième commémoration officielle. 

Nous demandons une nouvelle fois à la ville de Paris, propriétaire du cimetière, de créer un mémorial en hommage aux victimes du crime d’État de l’automne 1961, afin de mettre fin à l’oubli dans lequel elles ont été noyées depuis maintenant près de soixante-cinq ans.

Nous nous inscrivons pleinement dans les revendications des nombreuses associations, syndicats et organisations politiques. En ce sens, la République française doit enfin et clairement reconnaître le massacre de l’automne 1961 comme un crime d’État. 

Il s’agit d’un devoir de mémoire à l’égard d’un combat décolonial, antiraciste toujours d’actualité qui doit contribuer à tracer enfin pour l’avenir un chemin de vérité, de justice et d’égalité. 

L’ association ACCES, avec le soutien des historiens Emmanuel Blanchard, Fabrice Riceputi, Alain Ruscio, Gilles Manceron, Jim House, Amzat Boukari-Yabara – historien et militant panafricain, Kahina Aït-Mansour – réalisatrice, Hajer Ben Boubaker – écrivaine documentariste, Saïd Bouamama – sociologue et membre fondateur du FUIQP, Alima Boumediene Thiery – avocate, Chérif Cherfi – passeur de mémoire et fondateur du Collectif du 17 octobre Banlieue Nord Ouest, Faïza Guène – romancière scénariste, Patrick Karl – comédien, Daniel Kupferstein – réalisateur, Mehdi Lallaoui – écrivain réalisateur, Olivier Le Cour Grandmaison – universitaire, Médine – rappeur, Mohand Mounsi – chanteur, Mouss & Hakim – chanteurs, Mathieu Rigouste – sociologue, Rocé – rappeur, Mehdi Slimani – chorégraphe CIE NO MAD, Ambre Thieffry – danseuse chorégraphe activiste – Françoise Vergès – politologue, autrice, militante décoloniale, Farid Zerzour – metteur en scène, directeur et fondateur théâtre Kalam. 

Les Amis de Jean-Luc Einaudi ; Les Ami.e.s de Maurice Rajsfus ; Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons ; ARAC Chevilly-Larue ; Association culturelle Les Oranges ; Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis (ANPNPA) ; Association des Femmes des Pays d’Afrique de l’Ouest (AFPAO) ; Association Solidaire d’Accompagnement des Parents (ASAP) ; Au Nom de la Mémoire ; Collectif et association AFRO DES 100 DANSES ; Collectifs 17 octobre Banlieue Nord Ouest Colombes, Argenteuil et Gennevilliers ; Collectif 17 octobre 1961 Isère ; Collectif du 17 octobre Marseille ; Collectif Mémoire en marche Marseille ;  Comité Vérité et Justice pour Charonne ; Convergence Citoyenne Ivryenne (CCI) ; Femmes Plurielles ; Filles et fils de la République Créteil ; Fondation Frantz Fanon ; Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires (FUIQP) ; Fédération nationale de la Libre Pensée ; Histoirecoloniale.net ; Institut Tribune Socialiste-Histoire, mémoire et actualité des idées du PSU ; Institut Mehdi Ben Barka – Mémoire vivante ; Le 93 au Coeur de la République ; LDH Thiais-Orly-Choisy ; LDH Val-de-Bièvre ;  MRAP Nanterre ; Mémoire de nos luttes ; Pour la Mémoire Contre l’Oubli ; Réseau Féministe « Ruptures » ; SNEPS-PJJ-FSU ; Solidaires ; Solidarité Algérie Inclusion et Développement (SAID) ; Tactikollectif ; Villejuif en mouvement(s) ; You’Manity.

Source : Mediaprt – Tribune – 10/11/2025 https://blogs.mediapart.fr/acces-94/blog/101125/ici-enterra-les-algeriens

Alger-Paris : quand l’ignorance des traités devient un argument de campagne –  Aziz Slimani

Il y a des discours qui se veulent patriotiques mais qui finissent, faute de connaissance historique, par devenir de véritables contresens politiques.

Depuis quelque temps, on entend ici ou là certains responsables ou commentateurs suggérer que l’Algérie devrait « annuler les accords bilatéraux de 1968 » avec la France. Une idée lancée comme un slogan, sans mesurer ni les conséquences ni les paradoxes qu’elle porte.

Évian : la liberté avant la frontière

Les Accords d’Évian (1962) ne furent pas qu’un cessez-le-feu. Ils représentaient une reconnaissance mutuelle et un pont humain entre deux peuples liés par plus d’un siècle d’histoire.

À travers ces accords, les Algériens pouvaient circuler, travailler et s’établir librement en France, sans visa, sans quotas ni obstacles administratifs. C’était un geste fort, une manière de dire : la séparation politique ne doit pas signifier la rupture humaine.

1968 : quand la bureaucratie remplace la fraternité

Six ans plus tard, les accords bilatéraux de 1968 viennent mettre de l’ordre — du moins en apparence. Sous prétexte d’“organiser les flux migratoires”, ils restreignent en réalité les droits obtenus à Évian.

L ’Algérien devient désormais un étranger comme un autre, soumis aux autorisations de travail, aux titres de séjour et aux politiques de visa.

Autrement dit, on ferme ce qu’Évian avait ouvert.

Et si l’Algérie les annulait ?

Ironie de l’histoire : si l’Algérie décidait aujourd’hui d’abroger les accords de 1968, le cadre juridique applicable serait celui des Accords d’Évian, jamais officiellement dénoncés.

Cela reviendrait, en droit international, à rétablir la libre circulation et l’installation sans visa des Algériens en France. Autrement dit, supprimer l’accord restrictif ferait renaître un texte bien plus libéral.

Le cauchemar de l’extrême droite

Voilà qui ferait sans doute tourner la tête à certains politiciens français qui, par ignorance ou opportunisme, agitent la menace d’une rupture des accords.

En voulant « punir » l’Algérie, ils offriraient en réalité une victoire symbolique et juridique aux Algériens eux-mêmes.

C’est le comble du populisme : brandir le drapeau sans connaître les lois.

L’histoire n’est pas un outil de chantage

Les relations franco-algériennes sont trop profondes pour être réduites à des calculs électoraux.

Les traités ne sont pas des jouets entre les mains d’apprentis du politique : ils sont la mémoire vivante d’un lien humain et historique.

Annuler, menacer, rompre — autant de mots vides si l’on ne comprend pas ce qu’ils impliquent.

Et parfois, l’histoire se venge : à force de vouloir effacer le passé, on finit par en réveiller les droits.

 Source : Le Matin d’Algérie – 09/11/2025 https://lematindalgerie.com/alger-paris-quand-lignorance-des-traites-devient-un-argument-de-campagne/

Algérie : de l’OAS à Lecornu, pourquoi le colonialisme n’a jamais pris fin –  Alain Ruscio

Une émission de Denis Robert, avec Alain Ruscio, historien

Blast – 05/11/2025

Le 30 octobre dernier, à une voix près, une résolution portée par le Rassemblement national (RN) a été adoptée à l’Assemblée, visant à remettre en cause les accords franco-algériens signés en 1968. Évènement auquel Sébastien Lecornu a emboîté le pas, quelques jours plus tard, en annonçant vouloir renégocier ces accords « le plus vite possible ».

L’ historien Alain Ruscio explique, pour Blast, en quoi ces offensives, coordonnées des macronistes jusqu’à l’extrême droite, s’inscrivent dans la longue histoire du colonialisme français, toujours bien vivante.

Journaliste : Maxime Cochelin

Montage : Hugo Bot Delpérié

Son : Baptiste Veilhan, Théo Duchesne

Graphisme : Morgane Sabouret, Margaux Simon

Production : Hicham Tragha

Directeur du développement des collaborations extérieures : Mathias Enthoven

Co-directrice de la rédaction : Soumaya Benaïssa

Directeur de la publication : Denis Robert