Appel national 2025 –Commémoration du crime d’État commis en plein Paris le 17 octobre 1961

La guerre d’indépendance algérienne approchait de sa victoire quand, le 17 octobre 1961, un massacre a été perpétré par la police française à l’encontre des milliers d’Algériennes et d’Algériens qui manifestaient pacifiquement à Paris contre le couvre-feu raciste qui leur avait été imposé par le gouvernement de l’époque.

Ce crime d’État demeure trop souvent occulté et trop rarement enseigné.

Nous protestons 
– Contre les odieuses déclarations de haine à l’encontre des Algériens exprimées par des responsables politiques, au premier rang desquels le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Elles traduisent la résurgence des pires idées racistes des tenant-e-s de l’Algérie française et des extrémistes criminels de l’OAS que certain-e-s cherchent à réhabiliter.
– Contre l’augmentation systématique des entraves à la circulation des personnes entre l’Algérie et la France et l’aggravation des conditions de séjour des Algérien-ne-s, comme celles des autres étrangères et étrangers en France.

Nous demandons 
– Dans un souci de transparence sur notre histoire et de reconnaissance des faits, un accès libre aux archives de la guerre d’Algérie.
– Que la recherche sur ces questions historiques et mémorielles soit encouragée sans ingérence des pouvoirs politiques.
– Qu’afin de favoriser la transmission aux nouvelles générations, soit créé, en France, un musée national d’histoire du colonialisme et que soit équitablement enseigné cette période de notre histoire commune.

Nous appelons les citoyennes et les citoyens de ce pays et l’ensemble des organisations progressistes, politiques, syndicales et associatives à se joindre aux différentes initiatives prises ce 17 octobre 2025 et à Paris :

RASSEMBLEMENT ORGANISÉ PAR NOTRE COLLECTIF DEVANT LA PLAQUE SUR LE PONT SAINT-MICHEL LE 17 OCTOBRE 2025, À PARTIR DE 18 H

afin de rendre hommage à la mémoire de tous les Algériens qui ont été victimes des violences racistes et colonialistes de l’État français et de combattre leurs résurgences dans le présent.

Appel 17 octobre 1961 – 2025

Signataires :
17 octobre contre l’oubli, ACCES (Chevilly-Larue), ACCA, AFPS Paris-Sud, Africa 93, AGAUREPS-Prométhée, AMFPGN, AMF, APAREDESA, Apel-Égalité, Association de Promotion des Cultures du Voyage (APCV), Association des Médecins pour la Prévention de la Guerre Nucléaire (AMPGN), Association des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis (ANPNPA), Association Démocratique des Tunisiens en France (ADTF), ASTI de Colombes, ATTAC France, ATMF, Au nom de la Mémoire, CEDETIM, CGT, CISE, CISPM, Collectif Boycott Apartheid Israël Paris-Banlieue, Collectif Faty KOUMBA, Collectif Ivryen de Vigilance Contre le Racisme, collectif Sövkipeu, Collectif Unitaire Franco-Algérien de l’Île de France, Comité vérité et justice pour Charonne, Compagnie Un Pas de Côté, Coordination nationale Pas sans Nous, COPAF, coudes à coudes, CRID, DIEL, Euro Palestine, FASTI, Fédération nationale de la Libre Pensée, Fondation Frantz Fanon, FSE, FTCR, Histoire coloniale et postcoloniale, Institut Mehdi Ben Barka – Mémoire vivante, Institut Tribune Socialiste-Histoire et Mémoire du PSU (ITS), Jeunes Insoumis-es, JSJV, L’APRES, La Marche des Solidarités, Le 93 au Cœur de la République, Le Poing Levé, Les Ami-es de Maurice Rajsfus, Les Amis de Jean-Luc Einaudi, Les amis de Max Marchand – de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons, LDH, LDH Auxerre, LDH EHESS, Les Amoureux au ban public, Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP), Morlaix Libertés, Mouvement de la Paix, Mouvement des Progressistes, PCF, PEPS, NPA Anticapitaliste, Palestine Vivra !, Pour une Écologie Populaire et Sociale, Pour la Mémoire – Contre l’Oubli, Renouveau Syndical, RESOCI-Algérie-Point-com, Réseau Féministe « Ruptures », Révolution Permanente, ROSMERTA, SNPES.PJJ-FSU, Solidaires Étudiant-e-s, Solidarités Asie France, SOS Racisme, Survie, Union étudiante, UJFP, Union communiste libertaire, Union syndicale Solidaires,…

Actions partout en France

Besançon : Rassemblement 17 octobre sur le pont Battant à 17h30 – des fleurs seront lancées dans le Doubs;
Givors : 18 octobre, La pièce de notre ami M’hamed Kaki « 17 octobre 1961, je me souviens » au Théâtre de Givors;
Lille : Manifestation samedi 18 départ à 15h Place de la république;
Montpellier : Rassemblement vendredi 17 octobre à 18h sur le Pont Zuccarelli;
Nanterre : 17 octobre à 18h rassemblement devant la plaque commémorative du 17 octobre 1961, place des Droits de l’Homme; 20h. projection dans la maison de la musique du film Frantz Fanon, « une vie, un combat », une œuvre réalisé par Cheikh Djemaï en 2001;
Noisy le sec : 17 Octobre rassemblement commémoratif et prise de parole du maire devant la fresque et la stèle en hommage aux victimes du 17 octobre1961 à 18h rue du17 Octobre 1961;
Perpignan : 17h30 – Rassemblement sur la passerelle de l’Archipel, Prise de parole et lancer de fleurs; 18h30 – Ciné-débat « Ici on noie les Algériens » de Yasmina Adi (90mn) Cinéma Castillet centre-ville;
Roubaix : Rassemblement place de la Liberté à 14h30 le samedi 18;
Strasbourg : 17 octobre 17h30 Pont du Corbeau;
Venissieux : 17 octobre, La pièce de notre ami M’hamed Kaki « 17 octobre 1961, je me souviens » Salle la Halle à Grains 85, Boulevard Coblod;
Villejuif : la ville commémore le 17 octobre 1961 avec les associations le vendredi 17/10 à 18h30 place du 17 octobre;
Vitry : le Mrap déposera une gerbe sur la stèle dédiée, quai Jules Guesde (…)

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En complément

17 octobre 2001

Plaque à la mémoire des Algériens tués lors de la sanglante répression du 17 octobre 1961, apposée 40 ans plus tard quai Marché-Neuf, dans l’île de la Cité et à proximité du pont Saint-Michel (Paris)

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Institut national de l’audiovisuelhttps://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001887/inauguration-d-une-plaque-commemorative-dediee-aux-algeriens-tues-le-17-octobre-1961.html

Date de diffusion : 17 octobre 2001

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17 octobre 1961 – Histoire et mémoires

https://www.histoire-immigration.fr/integration-et-xenophobie/histoire-et-memoires-de-la-manifestation-du-17-octobre-1961-a-paris

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La guillotine, arme de terreur coloniale – Alain Ruscio

Alors qu’est panthéonisé Robert Badinter qui fit abolir la peine de mort en France, l’historien Alain Ruscio rappelle que la guillotine fut surabondamment utilisée par la France dans tout son empire pour y terroriser les « indigènes » et y maintenir l’ordre colonial.

La guillotine, manifestation paroxystique de la répression coloniale par Alain Ruscio

Illustration 1

 Le 20 octobre 1842, Victor Hugo s’installe à sa table de travail et décrit l’arrivée de drôles de caisses sur les quais d’Alger[1] : « Sur le débarcadère, des douaniers ouvraient les colis, et, à travers les ais des caisses entrebâillées, dans la paille à demi écartée, sous les toiles d’emballage, on distinguait des objets étranges, deux longues solives peintes en rouge, une échelle peinte en rouge, un panier peint en rouge, une lourde traverse peinte en rouge dans laquelle semblait emboîtée par un de ses côtés une lame épaisse et énorme de forme trian­gulaire : c’était la civilisation qui arrivait à Alger sous la forme d’une guillotine »[2]. Quatre mois plus tard, le 16 février 1843, le premier indigène en terre algérienne, Abd el Kader ben Dahman, avait la tête tranchée.

 Les territoires colonisés, avant la présence française, avaient le plus souvent des méthodes de répression et de mise à mort particulièrement violentes. Les documents dont on peut disposer sur ces pratiques, souvent  précédées de mille souffrances, ne laissent aucun doute à cet égard. Les Français, au nom d’une civilisation supérieure, introduisirent dans plusieurs de leurs colonies un moyen radical, considéré comme propre, plus humain, de mettre en application les sentences de mort : la guillotine, sinistrement surnommée la Veuve[3]La justice coloniale se montra particulièrement sévère. On guillotinait facilement sous les Tropiques, à une certaine époque, à l’ombre du drapeau français. Au fil des affaires, on trouve, à côté de motifs qui auraient également valu la peine capitale en métropole, des motifs assez ténus. En fait, l’usage de cet instrument avait une éminente fonction politique : inspirer la terreur aux populations indigènes afin de les contrôler, de les dissuader de toutes velléités de résistance.

Dans les vieilles colonies

 Après l’épisode spécifique de la Révolution, la Veuve fut réintroduite par le Second Empire dans les îles, au coup par coup. À La Réunion, dans l’entre-deux-guerres, c’étaient des condamnés de droit commun, souvent des cafres, qui officiaient. Une triste particularité de cette île fut la perpétuation des exécutions publiques. La dernière eut lieu le 10 avril 1940[4]. Quatre autres suivirent, dont la dernière, le 14 août 1954. En Martinique, entre 1851 et 1965, il y eut 8 exécutions, dont Landry-Lambert Gau, le 22 juin 1965, le dernier guillotiné des Antilles françaises. En Guadeloupe, entre 1875 et 1947, 4 exécutions capitales.  

 En Algérie

 Les condamnations à mort pouvaient être prononcées pour des motifs qui, en France, auraient valu tout au plus quelques années d’emprisonnement. Un an après la première exécution de février 1843, la presse relate la condamnation à mort d’un individu nommé Mohamed ben Saïd[5], coupable d’avoir « porté un coup de couteau » à un milicien (sans qu’il soit précisé si ce dernier avait été sérieusement blessé)[6].

 L’usage de la guillotine s’est ensuite imposé partout dans la colonie. Un recensement global[7] constate qu’il y eut, de cette première utilisation de la Veuve à la veille de la guerre d’Algérie, 361 exécutions capitales de musulmans – 209 de 1843 à 1918, 103 de 1919 à 1939, 49 de 1940 à 1954 – soit 3 par an, en moyenne (pour la même période : 21 Européens). Lors de la guerre d’indépendance, le chiffre global le plus souvent cité dépasse les 200 noms. C’est celui avancé par la meilleure spécialiste de la justice pendant cette guerre, Sylvie Thénault[8]. Plus tard, deux journalistes, François Malye et Philippe Oudart, et un historien, Benjamin Stora, obtinrent des dérogations pour consulter les dossiers de l’époque du Conseil supérieur de la Magistrature. Ils purent comptabiliser 222 exécutions capitales[9], dont une vingtaine en métropole. Durant la seule année 1957, celle de la « bataille d’Alger », 40 exécutions capitales de militants indépendantistes algériens condamnés après des procès expéditifs devant des tribunaux militaires eurent lieu à la prison Barberousse, avec l’aval du Garde des Sceaux François Mitterrand qui émettait un avis défavorable aux demandes de grâce.

Selon une comptabilité morbide, on peut donc avancer qu’il y eut, durant toute la période coloniale, en Algérie, 583 exécutions capitales recensées, soit plus de 4 par année.   

 En 1899, deux professeurs à l’École de Droit d’Alger[10] publient une étude dans laquelle ils déplorent la trop grande sévérité des tribunaux. Les 4 cours d’assises d’Algérie prononcent alors chaque année plus de peines capitales que les 89 cours de métropole : pour les années 1892 à 1894, par exemple, 109 en Algérie contre 93 en métropole… propension heureusement tempérée par les grâces présidentielles (31 guillotinés en Algérie pour les trois années, 35 en métropole)[11]. Il reste qu’une population musulmane d’Algérie de moins de 4 millions d’habitants eut presqu’autant de guillotinés qu’une métropole alors peuplée de plus de 38 millions d’habitants[12].

 Les exécutions étaient alors publiques, comme c’était partout l’usage. Mais, en métropole, les années passant, on tendit de plus en plus à la discrétion. En Algérie, c’était devenu un spectacle. En août 1904, le Journal des Débats, après une description au ton très détaché d’une triple exécution à Oran (les condamnés avaient assassiné une famille de colons), conclut son article par trois phrases sèches : « À 5 h. 11, le couperet tombe une première fois, une deuxième à 5 h. 12, une troisième à 5 h. 13. Les condamné ont marché résolument au supplice, regardant fixement le couperet. La foule applaudit après la troisième exécution » (3 août 1904). Cette dernière phrase évoque évidemment la population européenne. Mais les indigènes étaient également conviés. Rares étaient les articles de presse qui s’interrogeaient sur leurs réactions. La série continua, avec une seule modification, notable : l’interdiction des exécutions publiques (décret Daladier, 1939)

En Tunisie

 En Tunisie, pays de protectorat, l’usage était d’appliquer la façon tunisienne d’exécuter (la pendaison)  lorsqu’il s’agissait d’affaires entre indigènes, et la guillotine lorsque la victime était un Français[13]. Comme la présence d’un tel instrument en permanence n’était pas économiquement de justification, ce fut l’Algérie qui le prêta, au coup par coup. Le premier exemple retrouvé concerne trois indigènes coupables de l’assassinat d’un colporteur kabyle, sujet français, le 27 avril 1889[14], soit après seulement huit années de protectorat. La dernière concerna trois Tunisiens, le 28 avril 1954 à Sfax[15], deux ans avant l’indépendance.  

Au Maroc

Au Maroc, le processus des mises à mort par décapitation fut plus long à s’enclencher. Peut-être la gestion paternelle du pays par Lyautey explique-t-elle cette – bien relative – clémence. Le fait est qu’il n’y eut aucune importation de la Veuve durant son mandat. Le 16 avril 1928, donc trois années après le départ de Lyautey, le Sultan accepta finalement de signer un dahir autorisant l’usage de la guillotine dans son pays[16]. Le passage à l’acte ne tarda pas, d’autant que l’opinion européenne était chauffée par l’insurrection rifaine, alors toute proche. La première exécution eut lieu le 23 août 1928, la guillotine arrivant d’Algérie par la route. Comme toujours, l’exécution eut lieu en public, devant la porte de la prison centrale de Casablanca. La dernière exécution, toujours à Casablanca, eut lieu le 22 octobre 1947[17].

 En Indochine

La première description que nous avons trouvée de l’usage de la guillotine dans la colonie extrême-orientale concerne une exécution en Cochinchine (le sud du Viet Nam) : « Pour la première fois, la guillotine a fonctionné dans notre colonie. Un indigène qui avait assassiné une femme pour la voler a été guillotiné à Travinh » (Journal des Débats, 6 juin 1892). Le commentaire qui accompagne cette exécution est pour le moins étonnant. On y (re)trouve le mot « spectacle » « La rapidité foudroyante de la décapitation a rempli les Annamites d’étonnement bien plus que d’épouvante. Ils estiment en effet qu’il sera bien plus facile de mourir à l’avenir, et les futurs assassins ou pirates se sont montrés généralement satisfaits » (Le Temps, 4 juillet 1892).

Il y avait également des exécutions au pénitencier de Poulo Condor, de sinistre réputation.

À partir de 1930, la Veuve va être utilisée plus intensément encore avec, plus qu’ailleurs, une dimension politique. En février de cette année avait eu lieu une insurrection, à Yen Bay, à l’initiative du Parti nationaliste VNQDD (dit Guomindang vietnamien). Outre une répression immédiate – dont des bombardements aériens sur des villages suspects d’avoir hébergé les insurgés –, une justice implacable s’instaura : 39 condamnations à mort furent prononcées, 13 insurgés seront finalement exécutés.

 Ce qui n’empêcha nullement, bien au contraire, la fièvre de gagner d’autres parties de l’Indochine. Des révoltes paysannes, cette fois d’inspiration communiste, éclatèrent au centre Viêt Nam. La répression fit un nouveau bond. Pour les années 1930 à 1932, il est vrai paroxysme de la répression, 88 Annamites furent guillotinés[18]. Les militants du Parti communiste indochinois fournirent un lourd contingent de condamnés à mort. La répression atteignit un point culminant sous le régime de Vichy. Une nouvelle insurrection communiste éclata en Cochinchine en novembre 1940. L’amiral Decoux, haut commissaire, fut impitoyable, ignorant même les conseils de (relative) modération provenant de Vichy. Il y eut 144 exécutions capitales[19], sans que l’on sache exactement la part entre les fusillés et les décapités. 

Durant la guerre d’Indochine, il n’y eut pas, contrairement à ce qui se passa ensuite en Algérie, de décapitations, du moins officielles.

 Combien y eut-il, en tout, dans cette colonie, d’exécutions capitales par ce procédé ? En 1925, Roland Dorgelès, au détour d’une phrase, avance pour la seule Cochinchine un chiffre effrayant : « Trois cents têtes » (Sur la Route mandarine, 1925)[20]. Texte  écrit avant les révoltes de 1930, 1931 et 1940 citées supra. Dans l’incapacité de citer une estimation globale, on peut simplement affirmer que plusieurs centaines de colonisés d’Indochine eurent la tête tranchée.  

 Dans le Pacifique

 L’ histoire de la Kanaky est ponctuée de révoltes, dont la plus célèbre, car la plus globale, fut celle de 1878. Dix années plus tôt avait eu lieu un autre mouvement, plus local, mais qui a marqué la mémoire kanak[21]. En octobre 1867, des guerriers avaient attaqué une propriété européenne dans la région de Uvac, tuant 8 colons et 2 gendarmes. En mai 1868, le tribunal de Nouméa prononça 10 condamnations à mort[22]. La guillotine était alors arrivée sur l’île, suite au début de la déportation des bagnards. Neuf jours exactement après l’énoncé de la sentance, soit le 18 mai, les décapitations eurent lieu. Les tribus furent obligées d’y assister. Les dix rebelles sont entrés dans l’histoire, aujourd’hui encore honorés en Kanaky.

 Mais, dans la longue liste des guillotinés en Kanaky, on compte évidemment surtout des noms de bagnards[23]. Par contre, la consonance d’autres noms indique qu’il s’agit de révoltés kabyles de 1871 ou de leurs descendants : Mohamed ben Ali Srir, exécuté le 7 septembre 1899, et Miloud ben Djelloul, le 8 mars 1923, Joseph Abdelkader et Ali Boudellal, le 23 mai 1933[24].

 L’ instrument fut également utilisé aux Nouvelles-Hébrides (aujourd’hui Vanuatu). Le 28 juillet 1931, six coolies tonkinois, travailleurs déplacés, auteurs de meurtres (deux compatriotes et un chef de chantier français, Chevalier), furent guillotinés[25].

 À Tahiti, la Veuve fut utilisée contre un coolie chinois, Chim Soo Kung, un pauvre bougre pris dans une rixe sur une plantation en avril 1869. Un surveillant, également chinois, y fut tué. Le tribunal de Papeete prononça quatre condamnations à mort, dont une seule fut appliquée[26].

 L’ île, alors, n’avait pas de guillotine. Des artisans locaux en construisirent une, assez malhabilement, sans plans. La petite histoire dit qu’elle fut expérimentée sur des troncs de bananier, puis sur… des animaux (chiens, moutons et porcs)… Mais le sommet du sordide fut atteint le jour de l’exécution, évidemment publique, exécution faite sur le territoire de la plantation. D’abord, on se trompa de Chinois (ils se ressemblent tous…). Lorsque le « vrai coupable » fut substitué in extremis à l’autre, nouvelle scène, quasiment de Grand Guignol, la lame refusant de tomber. Le pauvre condamné dut assister durant trois quarts d’heure à la sinistre réparation (Journal des Débats, 9 septembre 1869)[27]. Cet épisode fut l’occasion pour Jack London – qui avait fait un court séjour à Papeete fin 1907- début 1908 – d’écrire l’année suivante une nouvelle[28] très dénonciatrice des pratiques policières et judiciaires dans les colonies françaises. Noter toutefois que, dans la nouvelle, London met de côté la substitution in extremis du vrai coupable au faux..

Un épilogue en forme de rictus

 La triste et terrible histoire de la peine de mort s’est achevée avec son abolition, en 1981. Pour la postérité, l’histoire de Christain Ranucci restera liée à ces derniers temps de la Veuve, notamment grâce au courageux livre de Gilles Perrault, Le pull-over rouge, tendant à prouver  qu’il s’est probablement agi d’une erreur judiciaire. Renucci fut exécuté le 28 juillet 1976.

 En fait, le dernier guillotiné de l’histoire, quatre ans avant l’abolition, fut un Tunisien, Hamida Djandoubi, coupable de meurtre après tortures sur sa maîtresse. Il fut exécuté aux Baumettes le 10 septembre 1977, donc 14 mois après Ranucci. Même si cela n’a rien à voir avec l’histoire coloniale, le fait que le ressortissant d’un pays anciennement colonisé ait clos cette page tragique (… et qu’il ait été totalement oublié, à l’inverse de Ranucci) apparaît comme une grimace de l’Histoire. 


NOTES

[1] On a l’impression, en le lisant, d’une chose vraiment vue. Or, Hugo n’y a pas assisté, n’ayant jamais foulé le sol de l’Algérie. Mais la date et le fait sont attestés. Voir Franck Laurent, Victor Hugo face à la conquête de l’Algérie, in Série Victor Hugo et l’Orient, Paris, Maisonneuve & Larose, 2001.

[2] Choses vues. Souvenirs, journaux, cahiers, Vol. I, 1830-1846, Paris, Gallimard, Coll. Folio.

[3] Nous n’évoquerons pas dans cette notice l’utilisation de la Veuve dans les bagnes situés aux colonies.

[4] Cyril Chatelain, « La prison Juliette Dodu à La Réunion : fermeture de la “honte de la République“ », Site Crimoncorpus, 28 juin 2012 ; http://criminocorpus.hypotheses.org/7333.

[5] Journal des Débats, 13 septembre 1844.

[6] Nous n’avons pas retrouvé trace de l’exécution de la sentance.

[7] Site guillotine.voila.net.

[8] Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, Paris, Ed. La Découverte, Coll. L’espace de l’Histoire, 2001.  

[9] François Malye & Benjamin Stora, François Mitterrand et la guerre d’Algérie, Paris, Éd. Calmann-Lévy, 2010.

[10] Émile Larcher & Jean Olier, Les institutions pénitentiaires de l’Algérie, Paris, Art. Rousseau, Éd. / Alger, Ad. Jourdan, Éd., 1899.

[11] Il arriva souvent que les cours d’Algérie condamnent les assassins – comme en métropole – mais aussi leurs complices. Les grâces présidentielles semblent s’être appliquées surtout à cette seconde catégorie de condamnés.

[12] Dans les frontières d’alors, donc hors Alsace et une partie de la Lorraine.

[13] « Les exécutions capitales », La Dépêche tunisienne, 17 juin 1896.

[14] Journal des Débats, 28 avril 1889.

[15] Site Internet guillotine.voila.net.

[16] Adnan Sebti, « Les Marocains et la guillotine », Zamane, le Maroc d’hier et d’aujourd’hui, Casablanca, n° 105, août-septembre 2019.

[17] Site Internet laveuveguillotine ; https://laveuveguillotine.pagesperso-orange.fr/PalmaresMaghreb.html

[18] La Dépêche d’Indochine, 2 février 1933, citée par Ngo Van, Au pays de la Cloche fêlée. Tribulations d’un Cochinchinois à l’époque coloniale, Montreuil, Éd. L’Insomniaque, 2000.

[19] Sébastien Verney, L’Indochine sous Vichy. Entre Révolution nationale, collaboration et identités nationales, 1940-1945, Paris, Riveneuve Éd., 2012.

[20] Paris, Albin Michel.

[21] Récit d’après Marjorie Bernard, « Un passé à démêler », Les Nouvelles Calédoniennes, Nouméa,19 mai 2012.

[22] Le Moniteur de Nouvelle-Calédonie, 17 mai, cité par La Presse, 21 octobre.

[23] Qui ne concernent qu’indirectement l’histoire coloniale.

[24] Les exécutions capitales en Nouvelle-Calédonie, Site Internet Guillotine-La Veuve.

[25] Dong Sy Hua, De la Mélanésie au Vietnam. Itinéraire d’un colonisé devenu francophile, Paris, L’Harmattan, Coll. Mémoires asiatiques, 1993.

[26] Anne-Christine Trémon, « Mémoire d’immigrés et malemort : controverses autour du passé coolie chez les Chinois de Tahiti », Les Cahiers de Framespa (France méridionale et Espagne), Université de Toulouse, n° 3, 2007.

[27] Qui cite lui-même deux périodiques, La Revue britannique et Le Réveil.

[28] « The Chinago », nouvelle écrite en 1909, in When God Laughs and Other Stories, New York, Macmillan Co., 1911 ; traduction française, « Le chinetoque », in Quand Dieu ricane, Paris, Phébus, 2005.

Source : Mediapart – Billet de blog – 09/10/2025 https://blogs.mediapart.fr/histoire-coloniale-et-postcoloniale/blog/091025/la-guillotine-arme-de-terreur-coloniale

Septembre 1960 : le Manifeste des 121 pour le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie

Le Manifeste des 121, titré « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », est signé par des intellectuels, universitaires et artistes et publié le 6 septembre 1960 dans le magazine Vérité-Liberté. Il suscite un énorme scandale. Alain Ruscio rappelle qu’il a « réveillé l’opinion publique française ». Catherine Brun éclaire la genèse et la postérité de ce manifeste. Enfin, le film de Mehdi Lallaoui interroge nombre de témoins de cet évènement majeur.


Guerre d’Algérie : comment le Manifeste des 121 a réveillé l’opinion publique française, par Alain Ruscio

Publié dans L’Humanité le 11 septembre 2025

Source

Début 1960, la guerre d’indépendance de l’Algérie entre dans sa septième année. « Événements », selon la terminologie officielle, montagne d’hypocrisie ? Tous les Français l’appellent par son nom, une guerre, et même une « sale guerre », comme celle d’Indochine, qui l’avait précédée.

La protestation, peu audible durant les premières années, enfle. Les désastres sont sans nom pour le peuple algérien. La torture, subie par des dizaines de milliers, connue de tous, est désormais le quotidien pour ce peuple. En France, pour les familles, c’est chaque jour un peu plus de deuils, de peurs. La politique gaulliste souffle le chaud et le froid : promesse d’autodétermination mais poursuite et même accentuation de l’effort militaire. Les oppositions (PCF, le tout jeune PSU, les intellectuels contestataires) ne trouvent pas de langage commun – et à vrai dire ne le cherchent guère. Un certain sentiment d’impuissance s’est emparé des milieux les plus investis dans la lutte anti-guerre. Début 1960, c’est de l’entourage de Dionys Mascolo, communiste en rupture de ban (exclu du PCF dès 1950), que part l’idée d’un soutien public de personnalités aux soldats refusant de porter les armes en Algérie. Le texte, intitulé dans un premier temps Adresse à l’opinion internationale, co-rédigé par Mascolo et le surréaliste Jean Schuster, est soumis à un premier groupe. C’est Maurice Blanchot qui lui donne son titre définitif, Manifeste pour le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie. En juillet, la première liste est prête. En septembre, le texte commence à circuler sous le manteau (la presse n’a pas le droit de le publier, la censure gaulliste sévit en ces temps-là). La première publication est faite par l’organe semi légal de la Centrale d’information et d’action sur le fascisme et la guerre d’Algérie, Vérités Pour, le 26 septembre 1960. Pour la postérité, il deviendra Manifeste des 121, tout simplement parce ce fut le chiffre des premiers signataires : « Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien. Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d’apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français. La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres ». L’avaient signé certains des intellectuels les plus engagés contre la guerre, Robert Barrat, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Pierre Boulez, André Breton, Édouard Glissant, Daniel Guérin, Jérôme Lindon, André Mandouze, Dionys Mascolo, François Maspero, Théodore Monod, Hélène Parmelin, Alain Resnais, Alfred Rosmer, Claude Roy, Nathalie Sarraute, Jean-Paul Sartre, Simone Signoret, Vercors, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, etc. 

La réponse fut vive. Les autorités déclenchèrent une vague de mises en examen. Beaucoup de signataires – en particulier parmi les artistes – furent frappés d’interdits professionnels. Parmi les signataires du Manifeste figurait le grand mathématicien Laurent Schwartz, intellectuel trotskiste en pointe dans la dénonciation de la guerreIl fut immédiatement suspendu de cours à l’École Polytechnique par le ministre des armées, Pierre Messmer. Schwartz répondit publiquement au ministre : « Si j’ai signé la déclaration des 121, c’est en partie pour avoir vu depuis plusieurs années la torture impunie et les tortionnaires récompensés. Mon élève Maurice Audin a été torturé et assassiné en juin 1957, et c’est vous, monsieur le ministre, qui avez signé la promotion du capitaine Charbonnier au grade d’officier de la Légion d’Honneur à titre exceptionnel et celle du commandant Faulques au grade de commandeur de la Légion d’Honneur. Venant d’un ministre qui a pris de telles responsabilités, les considérations sur l’honneur ne peuvent que me laisser froid. »

Quelle fut l’attitude du PCF, alors principale force de la gauche ? Ce parti se revendiquait du léninisme, partisan de la lutte de masse, méfiant par principe contre toute activité jugée alors individualiste. Durant la toute première période de la guerre, la condamnation de ce type d’initiatives avait été sans appel (on pense à la prise de distance avec les « porteurs de valises »). Face au Manifeste, pourtant, on observa une évolution. Après un silence, signe évident d’une gêne, L’Humanité publia le 3 octobre un article dont le titre était un programme : « Soutenir les condamnés, défendre les 121 », signé par un membre du Comité central, Jean-Pierre Vigier. Le soutien aux condamnés et aux 121 était exprimé de façon nette : « Nous, communistes, soutiendrons les condamnés et défendrons les 121, comme nous défendrons toujours et sans distinction à l’avenir, tous les partisans de la paix en Algérie ». Le Manifeste, pour Vigier, avait « le mérite de contribuer au réveil de l’opinion et d’élargir le débat sur la nature de la guerre d’Algérie et les moyens d’y mettre un terme. » Phrase qui constituait un pas en avant considérable, en ces temps de raideur idéologique. Mais… il y avait un mais. « L’insoumission n’a jamais été une position du mouvement ouvrier ». L’auteur ne masquait pas les appréhensions des communistes face à cette forme de résistance : « Les activités de certains accusés, les moyens préconisés par les 121 montrent que la poursuite d’une guerre atroce, injuste, inhumaine, conduit parfois les adversaires des ultras, à partir d’une impatience compréhensible, à des gestes de désespoir utilisés parfois par les ultras et le régime. » Tout était dit dans cette formule.

Avec le recul, le Manifeste des 121 apparaît comme un moment d’importance dans la dénonciation de la guerre. Un moment, mais non le moment. Il y en eut bien d’autres, du mouvement des rappelés en 1956 à l’interdiction du livre d’Henri Alleg en 1958. 


Lire aussi sur notre site

« Genèse et postérité du “Manifeste des 121” ». Le Manifeste des 121, un texte fondamental dont Catherine Brun éclaire la genèse

par Catherine Brun, publié par L’Esprit Créateur, Volume 54, Number 4, Winter 2014, p. 78-89, reproduit par notre site le 12 avril 2021 avec l’accord de son autrice.

Source

Notre site a consacré une page aux soixante ans du « Manifeste des 121 » en reproduisant son texte et les deux listes de ses signataires, ainsi qu’un documentaire par le réalisateur Mehdi Lallaoui. Nils Andersson, responsable à l’époque des éditons La Cité à Lausanne, a souligné : « Sur le “Manifeste des 121” (et le “manifeste des intellectuels” qui prétendait lui répondre), il y a un texte qui n’est pas assez connu, c’est celui de Catherine Brun, “Le Manifeste des 121, genèse et postérité”. Il apporte des éléments importants sur l’initiative et la rédaction de ce manifeste, cite les noms de personnes dont l’engagement est moins connu mais qui n’en fut pas moins important ».


Voir le film « Manifeste 121. Des intellectuels dans la guerre d’Algérie », par Mehdi Lallaoui

Source : Histoire coloniale et postcoloniale – Édition du 1er au 15 octobre 2025 https://histoirecoloniale.net/septembre-1960-le-manifeste-des-121-pour-le-droit-a-linsoumission-dans-la-guerre-dalgerie/

La guerre chimique française en Algérie – Christophe Lafaye

L’ historien fait la synthèse de ses recherches sur un crime de guerre français en Algérie longtemps occulté, dont certaines traces archivistiques restent interdites.

La France a mené durant presque toute la guerre en Algérie une véritable guerre chimique clandestine. C’est ce que révèlent et documentent les travaux de l’historien Christophe Lafaye, dont le grand public a pu prendre connaissance en 2025 dans le film documentaire Algérie sections armes spéciales de Claire Billet. Christophe Lafaye fait dans cet article une synthèse de ses recherches, en commençant par indiquer qu’elles sont partiellement « empêchées », certaines archives restant arbitrairement interdites de communication au Service Historique de la Défense (SHD).

Image extraite du documentaire « Algérie, sections armes spéciales » de Claire Billet et Christophe Lafaye.

La guerre chimique en Algérie (1954-1962) :

traces et stigmates du conflit

Par Christophe Lafaye.

Avec l’autorisation de l’auteur

Article d’abord paru le 24 septembre 2025 dans la revue Transversales

Cet article met en lumière l’usage des armes chimiques par l’armée française pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962), tout en s’interrogeant sur les stigmates et les conséquences de ces violences de guerre spécifiques sur les Hommes et l’environnement. La guerre chimique – conduite par la France en Algérie entre 1956 et 1962 – induit la création d’unités spéciales, un recrutement et la formation des militaires (appelés et engagés) pour l’emploi de ces armes spéciales. L’efficacité militaire commande une standardisation progressive des formes du combat, de l’usage des armes chimiques mais aussi une évolution des toxiques de guerre. Les stigmates sont importants. La guerre chimique « marque » les combattants dans le processus même de la survenue de la mise à mort de l’adversaire. Le « bourreau » peut lui-même devenir « victime », avec le risque de développer des pathologies qui le poursuivent bien après la fin de la guerre. Cette guerre chimique s’inscrit dans un espace donné (monde souterrain, caches etc.), qui matérialise et spatialise, grâce à la cartographie, l’intensité de cette guerre comme les risques d’atteintes environnementaux. Cette guerre se déroule, enfin, au milieu des populations qui deviennent des spectatrices et des victimes. Elles en portent la mémoire (massacre de Ghar Chettouh les 22 et 23 mars 1959 à Taxlent dans les Aurès). Des questions demeurent : combien de portés disparus algériens et français sont-ils encore enfouis dans le sol algérien à la suite de la guerre chimique ? Quelles sont les conséquences environnementales et sanitaires de cet épisode en France et en Algérie ? Comment tourner la page de ce conflit colonial sans évoquer les formes les plus paroxysmiques des violences de guerre ?

Introduction

Regarder la guerre en face peut être difficile, pour qui ne veut surtout pas la voir dans toute l’étendue de ses violences, de ses atrocités et de ses pratiques de cruauté.

« Nous préférons regarder la guerre de biais plutôt que de face, à tel point qu’avant de nous tromper sur la guerre, nous nous trompons sans doute sur notre propre société et sur nous-mêmes », rappelait l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau[1].

Les violences de guerre en Algérie (1954-1962) possèdent leur propre syntaxe, pouvant être vues comme un langage renvoyant vers les systèmes de représentation des acteurs sociaux qui menaient ce dernier grand conflit colonial de la France[2]. Certaines de ces violences ont été étudiées ou évoquées comme la torture[3], les exécutions sommaires, les « ratonnades »[4], les disparitions des corps, les punitions puis les massacres collectifs, l’usage du Napalm ou encore les déplacements et l’internement des civils[5]. À défaut d’avoir été jugées pénalement pour édifier les consciences, elles peinent encore à s’imposer au récit médiatique et politique sur la guerre d’Algérie. Comment a-t-il été possible, pendant tant d’années, d’ignorer la guerre chimique menée par la France tout particulièrement entre 1956 et 1962 ? Si l’usage du Napalm[6] est apparu dans les témoignages des appelés du contingent puis dans la recherche universitaire, l’utilisation des gaz toxiques demeure un angle mort de la recherche.

Une recherche empêchée ?

L’ historiographie de cette guerre est pourtant foisonnante. En 2018, on pouvait recenser 667 thèses et mémoires en langue française[7]. Dans cette somme de connaissances, on trouve peu de choses sur l’usage des armes chimiques par l’armée française. En 1999, la thèse de Frédéric Médard expose l’importance du Sahara comme lieu d’expérimentation, entre autres, pour les armes nucléaires, bactériologiques et chimiques[8]. En 2001, un ouvrage sur les aspects militaires de la guerre d’Algérie, consacrant une décennie d’ouverture des archives militaires[9], ne fait aucunement mention de la guerre chimique[10]. Il faut porter son regard du côté de l’Allemagne pour lire une thèse présentant la genèse de ces violences spécifiques[11], sous la plume de Fabian Klose, qui dispose d’une dérogation pour consulter les cartons d’archives du Service historique de la défense (SHD) à Vincennes[12]. Il met en évidence l’emploi des armes chimiques pour réduire les refuges souterrains de l’Armée de libération nationale (ALN) mais ne va pas plus loin dans l’étude de la guerre chimique. Cette thèse est soutenue avant la promulgation de la loi du 15 juillet 2008 relative aux archives. Beaucoup des documents cités sont maintenant interdits à la consultation de manière perpétuelle au titre de l’article L 213-2, II sur « les archives incommunicables »[13]. En France, une recherche doctorale intitulée « La guerre des grottes menée par l’armée française au cours des guerres non conventionnelles, de 1800 à 2011 » débute en novembre 2015. Elle est conduite par le commandant Romain Choron, officier de l’armée de Terre, à la demande de la hiérarchie. La rédaction de ce travail a été mise brutalement à l’arrêt le 13 novembre 2019, à la suite d’une perquisition de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour un soupçon de compromission du secret de la défense nationale. L’infraction supposée tient sur l’interprétation de l’impératif de déclassification des archives exploitées par le doctorant, même après l’expiration du délai de cinquante ans prévus par le code du patrimoine. Pourtant, la DGSI ne demande pas de mise en examen.

Cette saisie de documents et d’ordinateurs coïncide avec le début d’une longue séquence de fermeture des archives contemporaines du SHD, conséquence d’un conflit juridique autour de l’application de l’instruction générale interministérielle n° 1300 portant sur le secret défense et de sa supériorité supposée sur la loi du 15 juillet 2008 sur les archives. Toutes les archives portant une mention de classement après 1940 doivent être soumises à une procédure de déclassification à la pièce – si besoin en consultant le service émetteur – puis recevoir un nouveau tampon indiquant son achèvement. Les archives des armées se referment alors que les associations d’universitaires et d’archivistes se mobilisent[14]. Après une double saisine du conseil d’État pour annuler les dispositions de l’IGI n° 1300 du 30 novembre 2011, durcies de nouveau en 2020, les collectifs citoyens remportent une victoire éclatante le 16 juin 2021. Le rapporteur public, Alexandre Lallet, conclut à l’annulation de ces dispositions dans des termes extrêmement sévères. Il estime que la nécessité de cette déclassification a été « inventée pour les besoins de la cause » au moment même où s’ouvrent les archives de la guerre d’Algérie, et qu’elle avait « un arrière-goût désagréable de subterfuge »[15]. Il a également déploré le coût représenté par l’application de ces mesures de déclassification inutiles. L’adoption de la loi de prévention des actes terroristes le 30 juillet suivant permet de mettre en œuvre de nouveaux dispositifs de fermeture des archives des armées[16]. Au début de l’année 2023, Romain Choron boucle du mieux possible son doctorat. Le 7 février, le tribunal de Paris ordonne la restitution des scellés. Dix jours plus tard, une rencontre au siège de la DGSI se conclut par une absence manifeste de compromission du secret de la défense nationale. Le 19 avril, l’officier soutient sa thèse de doctorat au Centre National des Arts et Métiers (CNAM) à Paris[17]. Elle est placée sous embargo de communication dans les bibliothèques universitaires jusqu’au 19 avril 2028. Si le tribunal de Paris classe sans suite son affaire le 16 janvier 2024, sa carrière en pâtit. Pourtant, de nombreux éléments sur la guerre chimique étaient déjà accessibles en sources ouvertes.

Les traces de la guerre chimique 

Les récits publiés par certains anciens combattants font sortir cette histoire de l’ombre. Il y a d’abord l’ouvrage du général Georges Buis sobrement intitulé « la Grotte ». Publié en 1961, il lève le voile sur l’existence de ces combats[18]. En 1981, Saïd Ferdi décrit, dans son ouvrage autobiographique, l’enfumage et la mort de quatre-vingt-dix habitants d’un douar réfugiés dans un silo à grains. Cette action est menée par une équipe spécialisée équipée de bouteilles et de masques à gaz[19]. Seize ans après, le témoignage de Roger Clair, ancien appelé du 77e bataillon du génie (BG), nous éclaire sur la bataille dans les grottes et l’usage des gaz de combat[20]. Il est suivi peu de temps après par Yves le Gall écrivant sur le génie en Algérie et les sections spécialisées dans la réduction de grottes (1960-1962)[21]. En 2003, c’est au tour d’Armand Casanova, lui aussi appelé au 77e BG, de livrer sa version de cette histoire[22]. La même année, Georges Salins témoigne de la création et des premières opérations de la batterie armes spéciales (BAS) du 411e régiment d’artillerie antiaérienne (RAA) dans un ouvrage collectif dirigé par Claude Herbiet[23]. En 2010, un autre ouvrage collectif des anciens combattants de la section de grotte de la 75e compagnie de génie aéroporté (CGAP), détaille leurs opérations, les techniques, tactiques et procédures de combat[24]. En 2013, Jean Beyer publie à compte d’auteur le récit de son passage dans la section armes spéciales de la 52e compagnie de génie de zone (CGZ)[25]. En 2015, Jean Vidalenc retranscrit son expérience d’appelé de la section armes spéciales de la 71e CGZ[26]. En avril 2022, la documentariste Claire Billet reprend une partie de ces témoignages pour rédiger une enquête sur la « Guerre des Grottes » pour la Revue XXI[27]. Une grande majorité des anciens combattants de ces unités ont préféré taire leur histoire. En Algérie, les récits sur la guerre chimique, conservés dans les mémoires locales, ont du mal à trouver un écho en France.

Comment se fait-il que la recherche historique se soit si peu intéressée à ce sujet ? Les origines de cette cécité sont sans doute à trouver dans les conditions de dénonciation de la guerre coloniale. L’éditeur Nils Andersson se souvient :

« Il y avait des informations sur l’usage de moyens chimiques, notamment du napalm, toujours démenties, pour autant certaines. Mais, contrairement aux sources d’informations sur la répression s’appuyant sur des témoignages de victimes, des témoins des exactions, des avocats ou des fuites au niveau de l’administration, assurant la vérité des faits, s’agissant des actions militaires et des moyens utilisés par l’armée, les sources d’information étaient rares et difficiles à confirmer »[28]. Les débats politiques et sociétaux se concentrent sur la dénonciation de la torture, des exécutions sommaires, des viols et des disparitions orientant le regard des historiens des années mille neuf cents quatre-vingt-dix travaillant sur les violences coloniales. Pourtant, le secret autour de la guerre chimique n’était pas absolu pour qui souhaitait enquêter. Dès 1960, dans l’ouvrage LaPacification, nous pouvions lire : « Il existe dans la banlieue d’Alger une compagnie Z formée en majorité de sous-officiers appelés ou de carrière. Leur instruction sur l’utilisation des gaz est assurée à Bourges (école d’armes spéciales). D’abord répartis dans les corps de troupe, les éléments de la compagnie Z ont été regroupés à Alger à la fin de l’année 1956. Leur rôle : participer aux opérations au cours desquelles les hors la loi sont surpris dans les grottes. L’équipe des techniciens est envoyée avec des grenades à gaz et un matériel protecteur. Les grenades sont projetées par dizaine dans l’ouverture de la grotte. Après une attente plus ou moins longue, un suspect est envoyé à l’intérieur. Si l’on tire dessus, c’est que les hors la loi sont encore vivants. On jette de nouvelles grenades… L’attente peut être très longue suivant l’état et la profondeur de la grotte. Enfin, les hommes revêtus de leurs vêtements protecteurs iront “inventorier” l’intérieur. Officiellement, c’est-à-dire à l’usage des membres de la compagnie Z, on utilise des gaz lacrymogènes “renforcés”[29], autorisés par les conventions de Genève. Or, la composition chimique de ces gaz comme les brûlures relevées sur les victimes permettent d’affirmer qu’il ne s’agit pas de lacrymogène, mais d’aminodichloroarsines (gaz très lourds, brûlant les tissus intérieurs et extérieurs, théoriquement interdits entre belligérants) ». Cette affirmation ne fut jamais contredite par la France.

L’ existence d’autres unités dédiées à la guerre chimique transparait dans la littérature de dénonciation de la guerre mais aussi dans la propagande de l’armée française. Dans le livre Nuremberg pour l’Algérie !, nous pouvons lire la description d’une opération sous la plume du sergent Claude Capenol en 1960 :

« Il y a quatre jours les soldats du 2/43 nous ont amené un fell qu’ils avaient capturé en patrouille. Nous l’avons fait parler et il en est résulté qu’il nous a fourni l’endroit d’une cache d’Ain-Roua. Aussitôt opération et bouclage, c’est fini à midi. Bilan de l’opé : d’abord les militaires ont gazé la grotte qui fait 180 mètres de profondeur […]. Ils sont entrés dedans et ont sorti 12 fells dont 2 sous-chefs et 1 aspi (qui est mort suite aux gaz). Toutes les armes ont été récupérées […] »[30]. La confirmation de l’existence de ces unités est donnée par l’armée elle-même. Le journal Le Bled met à l’honneur, dans son édition du 23 février 1961, l’action des « hommes-grotte du génie » de la section armes spéciales de la 62e CGZ. La couverture présente deux soldats en combinaison butyl et masque à gaz, portant une lampe chacun et deux pistolets automatiques[31]. On peut lire :

« Aujourd’hui, une section « armes spéciales » […] se livre aux joies de la spéléologie. Lorsque des fellaghas ont cherché refuge à l’intérieur d’une grotte, il faut les en déloger et c’est à cette équipe spécialisée que l’on fait appel […]. Deux cents caches et grottes ont été visitées. Des documents et des armes furent récupérées à la suite de ces visites, et une véritable « carte d’identité » de chaque grotte est établie. Mais pour éviter qu’elles servent encore de refuges à des rebelles, elles sont souvent détruites, et un gaz, l’arsine, en rend l’air irrespirable. La section de grottes revêt un caractère opérationnel : à son bilan, quarante rebelles mis hors de combat »[32]. Ces documents soulèvent la question de la nature et de l’ampleur de la guerre chimique menée par la France en Algérie.

Une guerre chimique limitée ?

Entre 1956 et 1962, la France mène une guerre chimique en utilisant une partie de l’arsenal de l’état-major des armes spéciales (nucléaire, bactériologique, chimique). À la demande de l’état-major de la 10e Région Militaire (RM, Algérie), l’état-major du commandement des armes spéciales[33] (CAS) est invité à fournir une étude pour déterminer comment ces armes peuvent répondre à un certain nombre de problèmes tactiques rencontrés par l’armée française sur le terrain. La demande est transmise au général Charles Ailleret, chef du CAS, afin qu’il puisse fournir des solutions pour neutraliser, entre autres, les grottes et caches souterraines utilisées par les indépendantistes algériens. Une unité spécialisée est créée au 1er décembre 1956 : la BAS du 411e RAA[34]. Des engagés et des appelés du contingent de la 7e région militaire, après un passage à Bourges au 610e Groupe d’expérimentation et d’instruction des armes spéciales (GEIAS), gagnent l’Algérie pour mener cette guerre « spéciale ». Les attributions de cette unité sont de mener des expérimentations opérationnelles, de mettre en œuvre en opération les procédés testés et de procéder à l’instruction des autres unités pour généraliser l’emploi des armes spéciales. Entre 1956 et 1959, jusqu’à 119 unités sont créées partout en Algérie. Entre 1959 et 1962, après une rationalisation de l’organisation militaire sur le terrain, une vingtaine de sections poursuivent le combat et traitent de manière régulière les grottes avec des agents chimiques issus de la Première Guerre Mondiale pour empêcher leur réutilisation.

Une lettre retrouvée à Vincennes indique que le ministre des Armées, Maurice Bourgès-Maunoury, a voulu encadrer l’usage de ces armes chimiques : « Sur les propositions du Commandement des Armes Spéciales faites pour répondre à des demandes du Général commandant la 10e région militaire [le général Henri Lorillot], […], certains procédés chimiques pourront être employés au cours des opérations en Algérie ». Une arme chimique est une arme utilisant au moins un produit chimique toxique pour les êtres humains. Cette lettre autorise donc leur utilisation. « Ces procédés ne devront mettre en œuvre que des produits normalement utilisés dans les différents pays pour le maintien de l’ordre [souligné], c’est-à-dire limités à l’utilisation du bromacétate d’éthyle, de la chloracétophénone et de la diphénylaminochlorarsine ou de corps possédant des propriétés très voisines ». Le ministre conclut prudemment : « […] Ils ne devront être employés qu’à des concentrations telles qu’elles ne puissent entraîner aucune conséquence grave pour des individus soumis momentanément à leurs effets »[35]. Le général Lorillot accuse réception de cette lettre le 21 mai 1956 en recopiant mot pour mot son contenu de la décision ministérielle à destination des états-majors en Algérie, en y ajoutant cette précision : « Ces corps [chimiques] ne devraient être employés qu’à des doses qui ne soient pas susceptibles d’entraîner de conséquences physiologiques […], sauf si [les individus] s’obstinaient volontairement à y séjourner pendant de longs délais »[36]. Les essais en cours durant l’année 1956 ont sûrement dû déjà laisser transparaître la létalité des gaz.

Ces documents confirment les informations données par le colonel Olivier Lion :

« Les “sections de grottes” utilisèrent des projectiles chargés de lacrymogènes (grenade lacrymogène modèle 1951, chargée de 80 grammes de CN2D ou de CND – mélange de chloracétophénone et d’adamsite – ou de la grenade lacrymogène modèle 1959, chargée de 80 grammes de CND ou de CB – appellation française du CS –), pour neutraliser les occupants de refuges souterrains »[37]. Devant la faible persistance des agents chimiques lacrymogènes classiques pour empêcher la réutilisation des grottes, le gaz CN2D est élaboré pour combiner les effets de la chloracétophénone, de l’adamsite et du kieselguhr[38]. Son utilité opérationnelle est due à son extrême agressivité pour mettre hors de combat les individus à l’intérieur des cavités mais aussi à sa persistance. De multiples vecteurs de diffusion (grenades, chandelles – dispositif pyrotechnique permettant de libérer 5 kg de CN2D sous forme gazeuse –, roquettes, bombes, etc.) sont mis au point.

Les stigmates de la guerre chimique

Le gaz CN2D appartient à la famille des toxiques incapacitants. L’ajout d’arsines dans la composition du mélange lacrymogène permet au gaz de se déposer sur les parois de la grotte et de demeurer actif pendant une période théorique d’un à six mois. Selon les témoignages recueillis chez les anciens combattants français, l’usage des gaz devait permettre de faire des prisonniers pour obtenir du renseignement. En réalité et en fonction de la configuration de la grotte, le gaz pouvait être rapidement mortel. Arrivés à proximité des combattants, le même spectacle dantesque s’offrait ainsi aux yeux des militaires français :

« Les corps étaient boursoufflés, de la bave jaunâtre leur sortait de la bouche. Leurs corps présentaient une érection… Comme les pendus quoi… ils étaient asphyxiés. Nous ne remontions pas les corps. […] Nous fouillions les lieux puis nous faisions sauter l’entrée à l’explosif quand cela était possible », nous confiait Yves Cargnino, ancien combattant de la section de grottes de la 75e CGAP[39]. Le CN2D pouvait aussi provoquer des lésions graves chez ceux qui l’utilisaient. Yves Cargnino fut intoxiqué au moins deux fois en opérations entre 1959 et 1961. À son retour d’Algérie, il est confronté à une insuffisance pulmonaire qui s’aggrave avec le temps. En conclusion d’un procès ouvert en 2008 pour revoir sa pension d’invalidité, le délibéré du tribunal des pensions de Besançon, du 8 décembre 2016, affirme « que s’agissant de la nocivité des gaz utilisés, la littérature […] permet de confirmer que les gaz CND CN2D et CN DM sont létaux en milieu fermé […]. Que les soldats avaient pour mission ensuite de l’explosion des grenades incapacitantes de fouiller les galeries. La dispersion des gaz en milieu confiné est donc lente et les soldats ont nécessairement respiré ceux-ci lors de leur inspection »[40]. Cette jurisprudence permet aux anciens combattants français victimes des gaz de faire reconnaître leur préjudice.

En Algérie, il est encore difficile d’évaluer l’impact humain et environnemental de cette guerre chimique. Dans les Aurès, la mémoire de certaines opérations demeure. Le 22 et 23 mars 1959, le 7e Régiment de tirailleurs (RT) mène alors l’opération 209 dans la région de l’oued Tirchiouine. Le régiment revendique officiellement, dans son journal de marche[41], la destruction d’une Katiba (compagnie) de l’ALN de trente-deux soldats. L’armée française met en place un bouclage, une sorte de nasse pour empêcher les combattants algériens de s’enfuir. Les hommes et les enfants des villages alentours, pour échapper à l’arrestation et aux interrogatoires, s’enfuient vers la grotte de Ghar Chettouh, zone refuge pour les populations de l’oued Tirchiouine[42]. Ils pensent attendre la fin de l’opération avant de rentrer chez eux. Des combattants algériens sont présents. Cette grotte est un lieu de rencontres et de réunions politiques. Mohammed Labassi Ben Slimane, alors âgé de douze ans, se souvient :

« Le matin, un avion nous a survolé. Il a vu que nous rentrions dans la grotte. L’après-midi vers seize heures, un soldat français s’est présenté devant l’entrée pour regarder. Un Moudjahidin lui a tiré dessus et il l’a manqué. Le soldat s’est enfui »[43]. Le feu se déchaîne sur cette grotte suspectée dès lors d’être occupée par l’ALN. Devant l’inefficacité des armes classiques, le commandement français utilise le gaz toxique.

« Quand l’avion est parti, c’est là que l’émission de gaz a commencé », se rappelle Mohammed Labassi Ben Slimane. « Dès les premières grenades lancées, il y avait des gens qui toussaient, d’autres qui criaient, et d’autres qui pleuraient… Surtout les asthmatiques, ils sont morts sur place. Ils lançaient [des grenades], puis ils arrêtaient. Ils envoyaient quelqu’un pour nous dire de sortir : « Si vous sortez, vous serez sauvés, mais si vous restez vous mourrez et personne ne survivra ». Il y avait des personnes qui voulaient sortir, mais elles n’ont pas pu ».

Les grenades éclatent et libèrent du gaz, très probablement du CN2D :

« [Il y avait] comme du sable qui tombait sur nous… Les gens toussaient, criaient, pleuraient… On ne se comprenait plus, on ne s’entendait plus, on ne se voyait plus. Si quelqu’un s’effondrait, raide mort, sur les genoux d’une autre personne, celle-là ne pouvait pas se débarrasser du cadavre… Elle criait « lève-toi ! lève-toi ! », mais cette personne était morte ». À l’intérieur de la grotte, c’est l’enfer : « Mon oncle était asthmatique. Il criait et j’entendais mon père lui dire : « Récite la Chahada, Aïssa ! »[44]. J’ai su qu’il était mort quand je ne l’ai plus entendu crier ». Pour résister au gaz, les plus anciens disent aux jeunes d’uriner dans leur chèche et de l’enrouler autour de leur visage. Mohammed Labassi Ben Slimane finit par s’évanouir, mais ce conseil lui sauve la vie. « Lorsque je suis sorti, il faisait jour. Les soldats ont vu qu’il y avait du sang sur mon burnous. Je pense qu’il y avait une personne morte à mes côtés et le sang avait coulé de son nez ou de sa bouche. Ils m’ont conduit au village. […] Puis je suis rentré tout seul. Les gens ont couru vers moi… Ils m’ont posé des questions sur ce qui s’est passé. Je leur ai dit que je ne savais rien ». Cent-seize corps sont enterrés sommairement dans l’oued. L’armée française donne l’ordre de faire exploser la grotte. Exhumés après l’indépendance, leurs noms sont inscrits sur le monument qui surplombe l’oued Tirchiouine. La guerre chimique tue sans distinction, civils et combattants. Combien de cas similaires sont encore à découvrir ? C’est tout l’enjeu du développement à venir des enquêtes de terrain en Algérie. Le traité d’interdiction des armes chimiques du 13 janvier 1993 proscrit l’usage des agents antiémeute comme moyen de guerre. En France, les quatre lois d’amnisties (1964, 1966, 1968 et 1982) semblent empêcher toute poursuite contre les responsables de crimes de guerre. Les séquelles de ces combats demeurent et appellent à l’établissement de toute la vérité.

Quel bilan ?

La guerre chimique en Algérie s’inscrit dans la perpétuation de l’usage des armes chimiques par les grandes puissances occidentales en situation de police coloniale ou impériale dans la seconde partie du xxe siècle. Tirant partie des imprécisions du protocole de Genève du 17 juin 1925, la France utilise des agents chimiques pour en retirer des avantages tactiques, dont les conséquences sont lourdes pour les individus soumis à leurs effets et pour l’environnement. D’autres gaz furent-ils utilisés ? Certains témoignages et documents évoquent l’usage d’ypérite liquide. Mais toutes les archives ne sont encore pas accessibles[45]. Le total des opérations souterraines est aujourd’hui inconnu. On estime leur nombre entre 5 000 et 10 000 entre 1956 et 1962. Le bilan humain, le nombre précis de militaires français dédiés à ces opérations comme le nombre des disparus le sont tout autant. Un document du SHD laisse entrevoir, pour l’année 1961, 903 grottes « traitées » par les différentes unités spécialisées pour 317 algériens hors de combat (tués ou prisonniers)[46]. Les témoignages oraux et les archives personnelles collectées auprès des anciens combattants français suggèrent un volume très important d’opérations ainsi qu’un usage répandu de l’abandon du corps des Algériens au fond des cavités. Les grottes servant de lieux de détention pour les militaires français, des corps peuvent aussi s’y trouver. En Algérie, certains proches voudraient retrouver les dépouilles des anciens résistants, quand d’autres leur rendent hommage devant les entrées des grottes identifiées et parfois ouvertes sans précaution. Des anciens combattants et des civils vivent encore avec les séquelles de ces opérations. L’ouverture de toutes les archives est indispensable. Plus de soixante ans après les faits, il est plus que temps de regarder la guerre chimique en Algérie bien en face.

NOTES
[1] Stéphane Audoin-Rouzeau, Regarder la guerre, Introduction du sixième congrès de l’Association pour les études de la guerre et la stratégie (AEGES), Bordeaux, 23 juin 2023, 9 pages.
[2] Raphaëlle Branche, Papa qu’as-tu fait en Algérie ? Enquête sur un silence familial, Paris, La découverte, 2022.
[3] Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), Paris, Gallimard, 2001
[4] Sylvie Thénault, Les Ratonnades d’Alger, 1956 : Une histoire de racisme colonial, Paris, Seuil, 2022.
[5] Sylvie Thénault, Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale : Camps, internements, assignations à résidence, Paris, Odile Jacob, 2012.
[6] Bombe incendiaire à base d’essence gélifiée, elle entre dans la nomenclature des armes spéciales. Dans les archives militaires, le terme de « bidons spéciaux » est utilisé pour maquiller son usage.
[7] Données recueillie par l’auteur en juillet 2018 à partir de l’exploitation des données du site Internet thèses.fr.
[8] Frédéric Médard, La présence militaire française en Algérie : aspects techniques, logistiques et scientifiques entre archai͏̈sme et modernité 1953-1967, Université de Montpellier 3, thèse en histoire contemporaine sous la direction du professeur Jean-Charles Jauffret, soutenance en 1999, 2 vol., 1352 pages. Sa publication est amputée de la partie consacrée aux expérimentations dans le Sahara : Frédéric Médard, Technique et logistique en guerre d’Algérie. L’armée française et son soutien (1954-1962), Montauban, Editions Lavauzelle, 2002.
[9] Sylvie Thénault, « Travailler sur la guerre d’indépendance algérienne : bilan d’une expérience historienne », Afrique & histoire, 2004, n° 2, p. 193-2009.
[10] Maurice Vaïsse, Jean-Charles Jauffret [dir.], Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, Paris, Edition complexe, 2001.
[11] Sous la direction du Professeur Martin H. Geyer : Menschenrechte im Schatten kolonialer Gewalt. Die Dekolonisierungskriege in Kenia und Algerien 1945–1962. Elle est soutenue en 2007 à l’université de Munich.[12] Fabian Klose, Human Rights in the Shadow of Colonial Violence: The Wars of Independence in Kenya and Algeria, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2013.
[13] Ne peuvent être consultées les archives publiques dont la communication est susceptible d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirect, Gilles Manceron et Pierre Mansat, Les disparus de la guerre d’Algérie suivi de La bataille des archives (2018-2021), Paris, L’Harmattan, 2021
.[14] Catherine Teitgen-Colly, Gilles Manceron et Pierre Mansat, Les disparus de la guerre d’Algérie suivi de La bataille des archives (2018-2021), Paris, L’Harmattan, 2021.
[15] Arnaud Bélier, « Archives militaires : le Conseil d’État invite le gouvernement à revoir sa copie », Ouest France, mise en ligne le 18 juin 2021, consulté le 1er novembre 2024 [ href= »https://urlr.me/HkshT »].[16] Christophe Lafaye, « L’obstruction d’accès aux archives du Ministère des Armées. Les tabous du chimique et de la guerre d’Algérie », dans Renaud Meltz [dir.], Histoire des mensonges d’Etat sous la Ve République, Paris, Nouveau Monde Editions, 2023, p. 83-89.
[17] Romain Choron, Les combats souterrains de l’armée française dans les conflits non-conventionnels, l’exemple de la guerre des grottes en Algérie (1954-1962), Centre national des arts et métiers (CNAM), thèse en histoire contemporaine dirigée par Olivier Entraygues, soutenue à Paris le 19 avril 2023.
[18] Georges Buis, La grotte, Paris, édition du livre de poche, 1972 (reéd. 1961).
[19] Saïd Ferdi, Un enfant dans la guerre, Paris, Virgule, p. 131-132.
[20] Roger Clair, Commando spécial. Algérie 1959-1960, Paris, Pygmalion, 1997.[
21] Yves Le Gall, Le génie en Algérie et les sections spécialisées dans la réduction de grottes (1960-1962), Paris, France Europe, 2001.
[22] Armand Casanova, Ma guerre des grottes en Algérie vécue en tant que caporal-chef, Gap, publié à compte d’auteur, 2003.
[23] Georges Salin, « Les grottes, les gaz, le dégoût… », dans Claude Herbiet [sous dir.], Nous n’étions pas des guerriers : 50 témoignages d’anciens d’Afrique du Nord (1952-1962), Paris, Société des écrivains, p. 111-118
[24] Amicale des anciens du 17e Régiment du Génie Parachutiste (RGP), La 75e compagnie du génie Aéroporté. AFN 1956-1961, Montauban, publié à compte d’auteur, 2010.
[25] Jean Beyer, Commando « armes spéciales » – section de grottes – Algérie 1960-1961, publié à compte d’auteur, 2013, 135 pages.
[26] Jean Vidalenc, Les rats des Aurès. Les gars du génie dans la guerre d’Algérie, publié à compte d’auteur, 2015.
[27] Claire Billet, « Algérie, la guerre des grottes », Revue XXI, tome 58, avril 2022, p. 48-64.
[28] Entretien avec Nils Andersson du 13 décembre 2024.
[29] Hafid Keramane, La Pacification, Paris, Les Petits Matins, 2013 (réédition de 1960).
[30] Abdessamad Benabdallah, Mourad Oussedik, Jacques Vergès, Nuremberg pour l’Algérie !, Paris, Maspero, 1961, p. 14.
[31] Les photos de ce reportage sont conservées à l’ECPAD sous la cote BLED 61-59 (lien : href= »https://imagesdefense.gouv.fr/fr/film-cgz.html »).
[32] Pascal Jotreau, « Les hommes-grotte du génie », Le Bled, n° 135, jeudi 23 février 1961, p. 7.
[33] L’état-major des armes spéciales dépend en 1956 de l’état-major de l’armée de Terre. Les armes dites spéciales regroupent les armes nucléaires, biologiques, chimiques ainsi que les agents incendiaires dont le Napalm.
[34] Carton 7U1236, consulté au service historique de la défense le 21 décembre 2022.
[35] Décision n° 1152 DN/CAB/EMP du cabinet du ministre des Armées du 8 juin 1956, carton 15T582 du service historique de la défense (partiellement accessible suite à la décision de la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) de décembre 2021).
[36] Décision d’autorisation des armes chimiques en 10e région militaire du général Lorillot du 21 mai 1956, carton GGA 3R 347-348 des Archives nationale d’outre-mer (ANOM), consulté en juillet 2023.
[37] Olivier Lion, « Des armes maudites pour les sales guerres ? L’emploi des armes chimiques dans les conflits asymétriques », revue Stratégique, 2009/1, n° 93, p. 491-531.
[38] Cette terre siliceuse se vaporise en fines particules qui permettent de porter les molécules de gaz très profondément dans l’organisme via l’appareil respiratoire.[39] Entretien avec l’auteur du 31 mars 2017.
[40] Document remis à l’auteur le 31 mars 2017.
[41] Service historique de la défense (SHD), Journal de marche et opérations (JMO) du 7e Régiment de tirailleurs algériens (RTA), cote : 7U469, consulté à Vincennes en 2022.
[42] Actuelle commune de Taxlent.
[43] Témoignage de Mohammed Labassi Ben Slimane, collecté le 25 juillet 2024.
[44] Profession de foi de l’Islam.
[45] Christophe Lafaye, « Ce que les difficultés d’accès aux archives disent de notre démocratie », The Conversation, 24 juillet 2025, https://theconversation.com/guerre-dalgerie-ce-que-les-difficultes-dacces-aux-archives-disent-de-notre-democratie-261053
[46] « Bilan des sections de grottes en Algérie en 1961 », rapport transmis au général Charles Ailleret, carton 1H3195, consulté le 19 avril 2022 au service historique de la défense à Vincennes.

Source : Histoire coloniale et postcoloniale – Edition du 1er au 15 octobre 20256 https://histoirecoloniale.net/la-guerre-chimique-francaise-en-algerie-par-christophe-lafaye/

Anniversaire de la création du GPRA le 19 septembre 1958 – Omar Benderra

Contribution pour le cinquantième anniversaire de la création du GPRA – Omar Benderra, Algeria-Watch, 18 septembre 2008
https://algeria-watch.org/?p=65168

Le 19 septembre 1958, en pleine guerre de libération nationale, le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) a été proclamé au Caire par le Front de libération nationale (FLN). Pour marquer cette date importante, Algeria-Watch poste un texte de Omar Benderra, toujours d’une grande actualité.



Cinquante ans après sa création le 19 septembre 1958, l’actualité du Gouvernement provisoire de la République algérienne demeure dans le temps politique suspendu de la nation. Le GPRA reste pour de nombreux Algériens le seul gouvernement indiscutablement légitime qu’ait connu l’Algérie moderne. Le coup de force de 1962 contre l’expression gouvernementale de la révolution intenté par ceux-là mêmes qui devaient en assurer la protection marque encore douloureusement la réalité du pays. Le premier putsch mis en œuvre par ceux à qui le peuple et la révolution avaient confiés leurs armes fonde le régime qui entraîne l’Algérie dans une dérive sans issue. De fait, le système politique autoritaire de nature militaro-policière mis en place sous la menace des baïonnettes a perduré d’abord par la répression des libertés et en reprenant à son compte une histoire tronquée de la résistance du peuple algérien, ensuite, en particulier depuis juin 1991, par la brutalité nue et la force pure.

De crise en crise, du carnage des innocents au plus fort de la guerre contre les civils à la période présente de fausse opulence, de gabegie et de terrorisme « résiduel », la situation générale s’aggrave dangereusement et menace très gravement l’intégrité du pays et la souveraineté nationale. Le blocage politique voulu par ceux qui dirigent effectivement l’Algérie et l’annihilation de toutes les forces politiques susceptibles d’encadrer et de canaliser les revendications populaires met en jeu l’avenir national.

La gestion de la société par la violence et la guerre psychologique, en entretenant des divisions factices et en nourrissant les fausses contradictions en vue d’émietter et de fragmenter les luttes sociales et politiques, a abouti aujourd’hui à la quasi-disparition de toute forme d’organisation autonome, comme elle a débouché sur le délitement de l’État et la disparition de toute régulation sociale.

Tous en conviennent : nulle force organisée n’émerge publiquement pour se dresser contre la violence généralisée et radicalement destructrice que tout un chacun voit monter. Il ne s’agit pas d’élaborer des scenarii pour une catastrophe annoncée mais bien de tenter de la circonscrire à défaut de l’éviter.

Les objectifs premiers de l’appel du premier novembre 1954 ne sont toujours pas traduits dans la réalité. L’Appel du 1er novembre, qui demeure jusqu’à nouvel ordre constitutionnel, issu de la volonté de la volonté du peuple, l’unique texte incontestable sur laquelle est fondée la République algérienne, stipule en effet que le but de l’indépendance nationale est :
« 1) La restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques.
2) Le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions. »
À l’évidence, le pays, ayant recouvré son indépendance formelle, n’a pas encore assuré la mise en œuvre du contenu primordial de l’indépendance nationale tel qu’énoncé en Novembre 1954.
L’abandon des principes de l’Appel de Novembre 1954 par une organisation sans visage nullement embarrassée par un sens minimal de l’intérêt général a entraîné le pays dans la descente aux enfers de la déshérence et du désespoir.

Dans le système actuel il n’est d’avenir pour la jeunesse algérienne que dans la fuite suicidaire vers un étranger hostile, dans la subversion ou dans les marges de la délinquance et de la criminalité. Les conditions sociales, entre précarité et dénuement, de la vaste majorité du peuple algérien sont absolument inacceptables, particulièrement au regard du potentiel du pays, de son histoire, et de l’objet permanent de ses luttes.

La misère de millions d’Algériens est d’autant plus choquante qu’une minorité de privilégiés et de parvenus exhibent sans vergogne une richesse née des prébendes et des passe-droits. L’affairisme de bas étage et l’argent sale triomphent dans l’impudence et l’arrogance. Le bilan de la gouvernance est sans appel : cinquante ans après la création du GPRA, les libertés sont toujours piétinées, l’expression bâillonnée, l’action politique interdite, et seules les apparences de l’arbitraire ont changé.

Face à la corruption, à l’incurie et à l’incompétence érigées en mode d’exercice du pouvoir, il ne reste plus pour les citoyens niés dans leurs droits et empêchés de s’organiser, que le recours désespéré à l’émeute et au saccage. Le phénomène émeutier est ainsi entré dans le quotidien d’un pays en état de non-gouvernance.

La violence étatique qui tient lieu d’autorité réelle, dissimulée derrière le paravent d’institutions vidées de leur sens, est repliée sur elle-même, réfractaire à tout changement, et s’éloigne chaque jour davantage de la société. D’émeutes spontanées en révoltes localisées, l’Algérie semble se préparer à une rupture brutale et généralisée de l’ordre social actuel.

Une pareille éventualité ne relève pas de la pure prospective mais découle de l’analyse dépassionnée et de l’observation froide de la réalité. Si elle venait à survenir, une telle rupture pourrait bien emporter non seulement le régime, mais bien le pays tout entier dans une tourmente à l’issue totalement incertaine et aux implications imprévisibles.

L’ implosion du système de pouvoir et l’absence de tout encadrement alternatif des populations risque, comme dans d’autres pays, de l’Afghanistan à la Somalie en passant par l’Irak, de libérer des forces centrifuges et des fanatismes nourris et encouragés depuis de nombreuses années par les appareils d’intoxication du régime.

Dans une telle hypothèse et compte tenu de sa position géostratégique et du rôle de fournisseur énergétique du pays, rien n’interdit d’envisager que des interventions étrangères directes puissent avoir lieu sous des formes et des prétextes les plus divers. À ce stade, la seule défense effective contre de telles dérives réside bien dans la maturité politique de l’immense majorité du peuple. Il ne s’agit point d’alarmisme mais d’une analyse hélas commune et exprimée par de nombreux citoyens et citoyennes sincères et lucides. Il appartient donc à tous les militants de la cause nationale, au-delà de leurs divergences, de parvenir à dépasser le diagnostic et de s’organiser de toutes les façons possibles pour faire face à un danger réel susceptible de survenir sans préavis.

Dans un paysage politique dévasté, il n’y a pas d’homme providentiel, ni de leader charismatique ni d’idéologie unique et encore moins d’appareil politique exclusif en mesure d’encadrer les révoltes qui viennent. Les hommes politiques nouveaux, dans leur diversité, apparaîtront et les organisations s’imposeront, dans leur pluralité, au fil des circonstances.

Entre-temps, il incombe à tous de résister au sentiment d’impuissance et à la fatalité de l’échec dont veulent nous accabler ceux, qui au nom d’une lecture insuffisante de l’Histoire, voudraient faire accroire que le peuple n’aurait que ce qu’il mérite et qu’il y aurait un atavisme de la soumission et de la résignation propre aux Algériens. C’est bien mal connaître le passé d’un peuple qui, malgré les phases d’écrasement violent, a toujours su trouver en lui-même les ressources et les capacités de résistance à l’oppression.

La vigilance est plus que jamais nécessaire dans la perspective, hélas trop prévisible, d’événements graves et dangereux. Il ne s’agit nullement de la défense d’une ligne politique ou de la promotion de trajectoires individuelles. Au contraire, ce qui est en cause est l’objectif commun de tous les citoyens, le ciment de la volonté de vivre ensemble en droite ligne de l’Appel du 1er Novembre 1954.

L’unité nationale, le retour au droit et le rejet définitif de la violence en tant que moyen d’administration du pays constituent le socle institutionnel des libertés démocratiques. Comme le proclamait le GPRA dans sa déclaration inaugurale, le peuple algérien est un peuple pacifique. Mais qui ne s’est jamais résigné à l’injustice, l’Histoire en témoigne.

La seule possibilité qu’offrent les conditions actuelles est celle de l’organisation de tous sous toutes les formes démocratiques et non-violentes susceptibles d’être mises en œuvre. C’est par l’analyse sereine et l’organisation que pourra être refermée, avec le moins de dommages possibles, l’absurde parenthèse ouverte au cours de l’été 1962 par des aventuriers sans scrupule et avides de pouvoir.

Il sera temps alors d’achever enfin la mission du GPRA, de créer les conditions d’une consultation libre et démocratique du peuple pour définir les institutions de l’indépendance réelle.

Source : Algeria Watch – 19/09/2025 https://www.algeria-watch.info/contribution-pour-le-cinquantieme-anniversaire-de-la-creation-du-gpra/

Mohamed V et la guerre d’indépendance algérienne

Bonnes feuilles du livre de l’historien Benjamin Badier relatives au soutien du roi du Maroc à la lutte pour l’indépendance algérienne à partir de 1956.

Benjamin Badier publie en août 2025 Mohammed V, dernier sultan et premier roi du Maroc (Perrin), un livre tiré de sa thèse de doctorat soutenue en 2023. Au contraire de nombreuses hagiographies du « père de la nation » marocaine, père de Hassan II et grand-père de Mohamed VI, ce livre d’un historien restitue la complexité du parcours de ce sultan placé sur le trône par la France coloniale en 1927, déposé et exilé par elle en 1953, mais qui devint un acteur majeur de l’indépendance du Maroc puis un monarque autoritaire. Nous en publions ici les bonnes feuilles relatives aux rapports du roi d’un Maroc devenu indépendant en 1956 avec la guerre d’indépendance algérienne qui fait rage à ses frontières depuis novembre 1954. L’auteur y revient sur le soutien du pouvoir marocain à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, alors que les nationalistes marocains, algériens et tunisiens rêvaient d’une « unité du Maghreb arabe », mais il met aussi en lumière ses « ambiguïtés ».

La guerre d’Algérie vue du Palais marocain : entre retenue et soutien

Extrait de Mohamed V, dernier sultan et premier roi du Maroc (pp. 347-353)

Dès 1956, le Maroc s’engage en faveur de l’indépendance de l’Algérie[3]. Alors que les deux pays sont entrés en conflit dès 1963 et que leurs relations sont toujours houleuses soixante ans plus tard, il est bienvenu de rappeler que le Maroc a apporté son soutien à la cause algérienne avant 1962 et ouvert son territoire au FLN et à l’ALN. Ce soutien n’était cependant pas sans ambiguïtés.

La guerre a débuté alors que Mohammed V était en exil, mais la décolonisation des deux pays frontaliers est liée. L’insurrection du 20 août 1955 dans le Nord‐Constantinois en est une bonne illustration, puisque la date a été choisie en soutien au monarque exilé, alors que d’importantes mobilisations ont également lieu au Maroc. Le roi commence à s’intéresser à l’Algérie à l’été 1956, une fois les premières urgences de l’indépendance traitées, au moment où, après le Congrès de la Soummam (également un 20 août), le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) se met en place[4]. Jusqu’à la fin de son règne, la position du roi sur l’Algérie repose sur trois constantes : le désir d’une résolution pacifique, la réalisation des aspirations algériennes et le respect des intérêts de la France et des Français[5].

L’ engagement du sultan prend la forme d’une offre de service destinée à la France, formulée avec la Tunisie. Leurs bonnes intentions volent en éclats en octobre 1956, lorsque les autorités françaises choisissent de détourner l’avion des nationalistes algériens. La crise diplomatique qui s’ensuit accroît la détermination marocaine à s’engager en faveur de l’Algérie. Cependant, que l’indépendance de ce pays puisse advenir par la force ne peut séduire Mohammed V, car il craint l’instauration d’une république algérienne animée par un esprit révolutionnaire et socialiste. Une méfiance envers le FLN est de mise, du fait de la présence d’insurgés algériens sur le sol marocain, mais aussi de points de désaccord sur la question des futures frontières. Mais le monarque doit aussi tenir compte de l’opinion publique, favorable au FLN, tout comme les partis nationalistes.

Les cinq chefs du FLN avec le prince héritier Hassan devant l’avion marocain qui va être détourné par la France le 22 octobre 1956

Après la contre‐offensive française de 1956 et la mise en place des premiers barrages frontaliers, l’essentiel de l’ALN doit s’installer hors d’Algérie[6]. La wilaya numéro V prend ses quartiers dans les environs d’Oujda, où une communauté algérienne est présente de longue date. Il faut y ajouter les dizaines de milliers de réfugiés liés au conflit et plusieurs milliers de combattants. Le FLN est aussi implanté dans la plupart des grandes villes du pays. Des camps de formation ont été installés près de Nador, Khemisset, Larache et Tétouan[7]. Dans l’Est, les bases opérationnelles sont installées à Oujda, Boubeker, Berguent, Tendrara, Bou Arfa et Figuig, le long de la zone frontalière où des incidents entre l’ALM et l’ALN surviennent[8]. Le FLN est donc bien implanté dans les zones peu contrôlées par le pouvoir central marocain. Les deux principales figures algériennes au Maroc sont alors Abdelhafid Boussouf (1926‐1980), membre du Comité de coordination et d’exécution (CCE) à la tête d’un système de renseignements contrôlant les Algériens exilés au Maroc[9], et son second Houari Boumediene (1932‐1978), le futur président algérien, qui dirige les opérations militaires.

Les autorités marocaines préfèrent fermer les yeux sur cette présence algérienne, notamment pour éviter d’être tenues pour responsables par les Français. Elles tolèrent les livraisons d’armes au FLN, dont les cargaisons, très souvent en provenance d’Égypte, sont débarquées sur la côte nord, puis acheminées vers l’Algérie. De même pour la propagande algérienne qui circule dans le pays sans trop de contraintes. En revanche, les services secrets français n’ont jamais repéré d’aide financière directe du gouvernement marocain à la rébellion. Le soutien reste donc relatif.

Une première inflexion sur la question algérienne se fait sentir à l’été 1957. Dans un discours devant les ambassadeurs marocains, Mohammed V prononce pour la première fois le mot « indépendance » au sujet de l’Algérie[10]. Le 21 novembre suivant, au moment de la tenue de l’Assemblée générale de l’Onu, Maroc et Tunisie proposent à la France une nouvelle mission d’arbitrage[11], rejetée depuis la tribune de l’Onu par le ministre français Pineau. Face à ce nouveau refus, le Maroc accentue son soutien au FLN, alimenté par les agissements français durant la guerre. Après le bombardement de Sakiet Sidi Youssef en février 1958, la Tunisie cherche et obtient le soutien marocain[12]. Le roi assure au président Bourguiba que la « question algérienne » est l’une de ses priorités. Elle contraint les deux pays à se tourner vers l’idée d’un front maghrébin uni avec le FLN. Mais Mohammed V souhaite rester dans une posture de conciliation, tout en se prononçant pour l’indépendance :

Nous désirons une solution rapide, pacifique et politique du problème algérien pour ne pas être condamné bientôt au choix dramatique entre les impératifs de la fraternité et les obligations de l’amitié […]. Nous ne pourrions maintenir plus longtemps Notre réserve actuelle si le problème algérien ne reçoit pas une solution qui donne satisfaction aux aspirations nationales du peuple algérien et lui reconnaisse sa liberté et sa souveraineté […][13].

L’ unité maghrébine est l’objet de la grande conférence qui se déroule du 27 au 30 avril 1958 à Tanger[14]. Elle ne réunit pas les États, mais les partis nationalistes, l’Istiqlal, le Néo‐Destour et le FLN. Le roi du Maroc, alors absorbé par la crise politique en cours dans le pays (chute du gouvernement Bekkai), ne joue aucun rôle dans la conférence, mais elle a son aval. Face à la menace que représente la France pour la souveraineté des États nord‐africains, la conférence propose « l’unité maghrébine ». Les difficultés des trois pays, la guerre d’Algérie, la présence militaire postcoloniale ou encore les revendications territoriales sont considérées comme un tout. Les résolutions réclament la reconnaissance immédiate de l’indépendance de l’Algérie et la mise en place d’un fédéralisme maghrébin. Ce pan‐maghrébisme s’inscrit dans le souvenir de l’Étoile nord‐africaine de l’entre‐deux‐guerres ou du Comité de libération du Maghreb arabe formé au Caire en 1948 derrière Abdelkrim et recréé par Nasser en 1954. Il s’inspire aussi de la République arabe unie (RAU) créée derrière Nasser en février 1958, incluant l’Égypte et la Syrie et avec laquelle il s’agit de rivaliser au sein du monde arabe.

Mais le projet a tout d’une chimère, car les trois partis nationalistes et les gouvernements ont peu intérêt à mettre en forme ce projet[15]. Au Maroc, le roi‐commandeur des croyants conçoit mal une alliance fédérale avec la république bourguibienne. Le retour au pouvoir de De Gaulle en France en mai 1958 change aussi la donne, car Maroc et Tunisie préfèrent attendre ses décisions sur l’Algérie. La conférence suivante, qui se tient à Tunis du 17 au 20 juin et qui réunit cette fois les gouvernements (mais toujours pas le roi), constitue selon G. Meynier un « coup d’épée dans l’eau[16] ». Après 1958, il n’y a plus de grande rencontre tripartite et les rapports deviennent plus fuyants.

Une autre preuve de l’engagement retenu du Maroc et de son roi est apportée en septembre 1958, lorsque le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) est fondé. L’une de ses priorités est d’être reconnu par les deux pays voisins[17]. Le président du Conseil Balafrej prend alors contact avec l’ambassadeur de France au Maroc pour s’excuser par avance : son pays est contraint de reconnaître le gouvernement algérien, parce qu’un choix contraire ne serait pas compris dans le monde arabe, parce que la sécurité du pays pourrait être compromise en raison des dizaines de milliers d’Algériens qui y vivent et parce que l’opinion publique marocaine y est très favorable[18]. Mohammed V fait aussi tout pour atténuer la portée de cette reconnaissance. Il refuse qu’un représentant officiel du GPRA s’installe à Rabat – alors que la ville a un temps été envisagée comme capitale du gouvernement exilé – et s’arrange pour que le Maroc ne soit pas le premier pays à le reconnaître. La France est sensible à ces précautions.

Mohammed V recevant au Palais royal de Rabat des ministres du Gouvernement Provisoire de la République d’Algérie (GPRA) le 28/09/1959 (Photo @afpphoto)

Dans les mois qui suivent, les contacts se multiplient cependant entre le Palais et le GPRA. Mohammed V reçoit ses représentants à Rabat, notamment les ministres Abdelhafid Boussouf et Abdelhamid Mehri et son président Ferhat Abbas, accueilli comme un chef d’État en novembre 1958, novembre 1959 et mai 1960. Mais les audiences qu’il accorde sont courtes et peu engageantes, voire tendues. Le GPRA a conscience de la gêne du Palais et souligne dans un rapport d’octobre 1958 l’écart entre les paroles et les actes[19]. Le Palais et l’Istiqlal, après sa scission en 1959, craignent une possible collusion entre le FLN et les éléments républicains au Maroc, notamment l’UNFP. Après 1958, le militantisme algérien est plus qu’avant encadré sur le sol marocain[20]. Les armes continuent de transiter par le nord, mais le Palais intervient pour interrompre les trafics dès qu’ils sont révélés par la presse française.

Depuis que les FAR ont remplacé l’ALM dans le Tafilalt ou l’Oriental et que l’armée française s’est repliée, les incidents frontaliers mettent l’armée marocaine aux prises avec l’armée française en Algérie autant qu’avec les nationalistes algériens. Le nombre croissant de combattants algériens sur le territoire marocain (peut‐être cinq mille fin 1960) fait craindre au gouvernement marocain une contagion de la guerre d’Algérie dans la province d’Oujda[21]. Aussi, toute initiative en faveur d’une résolution pacifique du conflit a‐t‐elle la faveur du Palais. Le roi se rallie à la politique d’autodétermination annoncée par de Gaulle à partir de septembre 1959, dont le principe a également été accepté par le GPRA.

Mohammed V, Gamal Abdel Nasser, Ferhat Abbas, lors de la réunion du Groupe de Casablanca en 1961

Mais la position du Maroc se durcit en 1960. C’est le reflet d’un tournant politique général après la mise en place d’un gouvernement présidé par le roi (mai 1960), mais aussi d’un rapprochement avec les pays socialistes et d’un engagement plus explicite en faveur de la décolonisation, en particulier en Afrique. Le 31 mai 1960, un protocole d’accord est signé entre le gouvernement marocain et le GPRA, qui régularise la présence du FLN au Maroc[22]. À l’automne 1960, Mohammed V milite pour que la question algérienne soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations unies[23]. Dans un contexte de fortes tensions avec la France, le soutien à l’Algérie apparaît aussi comme un moyen de faire pression sur l’ancienne puissance coloniale sur le dossier mauritanien. Le 1er novembre 1960, pour le sixième anniversaire du déclenchement de la guerre d’indépendance, une journée de solidarité avec l’Algérie est organisée et largement suivie au Maroc. La veille au soir, le roi prononce à la radio un discours enflammé contre le colonialisme et les menées néocoloniales :

Le jour de l’Algérie est notre jour, sa cause est notre cause. […] La libération de l’Algérie est une question de vie ou de mort pour nous ; elle nous importe au plus haut point, car elle est la plus sûre garantie de l’indépendance de notre pays, de l’unité du Maghreb arabe et de la liberté de tout le continent africain[24].

L’ actualité sanglante en Algérie lui donne l’occasion d’exprimer de nouveau son soutien en décembre 1960, à la suite de la répression des manifestations en Algérie[25]. Mohammed V n’a jamais été aussi engagé derrière la cause algérienne que dans les toutes dernières semaines de son règne, mais il meurt avant l’indépendance du pays.


[3] M. Essemlali, « Le Maroc entre la France et l’Algérie (1956‐1962) », Relations internationales, vol. 146, n° 2, 2011, p. 77‐93 ; C. Rogerro, L’Algérie au Maghreb. La guerre de libération et l’unité régionale, s. l., Mimésis, 2014.1

[4] S. Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienneop. cit., p. 87.

[5] « Discours prononcé par Sa Majesté lors de son entrée officielle à Oujda », 25 septembre 1956, dans Mohammed V, Le Maroc à l’heure de l’indépendanceop. cit., p. 131 ; Direction générale des Affaires marocaines et tunisiennes, « Mohammed V et le problème algérien », 25 juillet 1959, CADLC, 24QO‐944.

[6] G. Meynier, Histoire intérieure du FLN, 1954-1962, Paris, Fayard, 2002, p. 556 ; C.‐R. Ageron, « Un versant de la guerre d’Algérie : la bataille des frontières (1956‐1962) », dans Genèse de l’Algérie algérienne, Saint‐Denis, Éditions Bouchène, 2005, vol. 2, p. 641‐654 ; S. Arezki, De l’ALN à l’ALP. La construction de l’armée algérienne (1954-1991), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2022, p. 134.

[7] « Le camp de Khemisset », février 1959, CADLC, 24QO‐943 ; « Organisation et action du FLN au Maroc », avril 1958, CADLC, 24QO‐ 942.

[8] État‐major général de la Défense nationale, « L’aide du Maroc à la rébellion algérienne », 26 mai 1959, CADLC, 24QO‐943.

[9] G. Meynier, Histoire intérieure du FLNop. cit., p. 339.

[10] « Communiqués publiés à la suite de la Conférence des ambassa‐ deurs », 20 juillet 1957, CADLC, 24QO‐942.

[11] Communiqué commun publié à la suite de l’entrevue S. M. Mohammed V – S. E. Habib Bourguiba, 21 novembre 1957, CADLC, 24QO‐1107.

[12] Lettre de Bourguiba à Mohammed V, 15 février 1958, et réponse, 18 février 1958, DAR, A21‐027.

[13] Direction générale des Affaires marocaines et tunisiennes, « Mohammed V et le problème algérien », 25 juillet 1959, CADLC, 24QO‐944.

[14] M. Connelly, L’Arme secrète du FLNop. cit., p. 299 ; C. Rogerro, L’Algérie au Maghrebop. cit., p. 70.

[15] La Documentation marocaine, « Maghreb arabe uni. Conférence de Tanger, 27‐30 avril 1958 », DAR, A21‐027.

[16] G. Meynier, Histoire intérieure du FLNop. cit., p. 567.

[17] Lettre de F. Abbas, président du GPRA au roi du Maroc, depuis Le Caire, 19 septembre 1958, DAR, A21‐028.

[18] Télégramme de Parodi, au MAE français, 18 septembre 1958, CADLC, 24QO‐942.

[19] Document n° 93, 1er octobre 1958, M. Harbi, Les Archives de la Révolution algérienne, Paris, Jeune Afrique, 1981, p. 429‐445.

[20] « Note sur l’attitude du Maroc à l’égard du FLN », 23 juin 1959, CADLC, 24QO‐943.

[21] Télégramme de Seydoux au MAE français, 6 décembre 1960, CADLC, 24QO‐945.

[22] Document n° 96, 30‐31 mai 1960, M. Harbi, Les Archives…op. cit., p. 458‐461 ; C. Rogerro, L’Algérie au Maghrebop. cit., p. 135.

[23] Lettre publique de Mohammed V à son fils Hassan, 19 septembre 1960, dans Mohammed V, Le Maroc et l’Afriqueop. cit., p. 13.

[24] Mohammed V, Inbi‘âth umma, t. 5 : 1959-1960op. cit., p. 226.

[25] Mohammed V, Inbi‘âth umma, t. 6 : 1960-1961op. cit., p. 33.

Source : Histoire coloniale et postcoloniale – Édition du 15 septembre au 1er octobre 2025 https://histoirecoloniale.net/mohamed-v-et-la-guerre-dindependance-algerienne-par-benjamin-badier/

Algérie. Accident de la route, cahots politiques – Jean-Pierre Serini

Quand un dramatique accident de minibus à Alger sert de révélateur à une crise sociale mais aussi politique

    Vue d'une ville côtière avec des bâtiments, port et nuages. Ambiance calme et urbaine.
    Alger, avril 2014. Un minibus circule sur la route.Cercamon / Fl

    Vendredi 15 août. La semaine est finie, le week-end a commencé. Peu avant 18 heures, un minibus, de marque japonaise Isuzu, qui dessert deux quartiers d’Alger, Mohammadia et La Glacière, dévie brusquement de sa route. Il fracasse la rambarde du grand pont qui enjambe l’oued El-Harrach. Le véhicule plonge directement dans ses eaux fétides. La foule se presse rapidement sur les berges. Les plus courageux, pour secourir les naufragés. La majorité, pour suivre les efforts de la Protection civile qui débarque avec vingt-cinq ambulances, seize plongeurs harnachés et les équipages de quatre bateaux pneumatiques. Un seul responsable est présent, le chef d’état-major, le général Saïd Chengriha.

    Les « bus de la mort »

    Fait inhabituel, la télévision privée filme et diffuse en direct les images de la catastrophe à des millions de téléspectateurs. Le retour de bâton ne se fait pas attendre. Quatre chaînes sont sanctionnées — El Bilad TV, El Wataniya TV, El Hayat TV et Echourouk TV, 48 heures de suspension de diffusion — pour avoir émis des « images sensibles sans filtre ». En clair : sans exercer la censure habituelle et « oublier » les manifestants qui dénoncent les « bus de la mort » ou la vétusté du matériel de transport. Quelques heures plus tard, le bilan officiel tombe : 18 morts et 24 blessés.

    Le 19 août, le procureur de la République, Rostom Mansouri, révèle les résultats glaçants du contrôle technique automobile : le minibus était surchargé, le chauffeur, occasionnel, n’était pas assuré et le véhicule était frappé d’une interdiction de circuler par la Direction des transports de la wilaya d’Alger. Raison principale du drame « Le blocage du système de direction à cause d’une panne au niveau de la rotule de direction, ce qui a paralysé le bus. » Le propriétaire, le chauffeur, le receveur et le contrôleur technique, qui a fermé les yeux sur l’état critique du véhicule, sont poursuivis pour « homicide involontaire, blessures involontaires et exposition de la vie d’autrui au danger ». Ils sont placés sous mandat de dépôt après leur audition par un juge d’instruction.

    Le 25 août, le ministre des transports, Saïd Sayoud — un proche du président Abdelmadjid Tebboune qui a fait sa carrière —, précise que « 84 000 bus âgés de plus de 30 ans » devront être remplacés « dans les prochains mois ». Il met également en cause les conducteurs de cars qui « ne respectent pas la limitation de vitesse ». Un deuil national de 24 heures est décrété. Les drapeaux sur les bâtiments publics sont mis en berne. Maigre consolation, chaque famille de victime reçoit l’équivalent de 300 euros.

    Le président a disparu

    Dans la foulée, une rumeur envahit bientôt Alger. Où est passé le président Tebboune ? Depuis début août, il n’a pas été vu en public. Les bruits les plus fous circulent. On le dit à l’étranger, malade, indisponible, viré. L’inquiétude gagne les milieux officiels. L’accident ravive en effet le mécontentement des Algériens. Les réseaux sociaux se déchaînent, les vidéos se multiplient et dénoncent la vétusté du parc de bus, la mauvaise conduite des chauffeurs et le manque d’empressement des autorités vis-à-vis des familles de victimes d’accidents de la route. Et si le Hirak, reprenait ? Ce mouvement populaire, qui a vu manifester pacifiquement des centaines de milliers d’Algériens de février 2019 à mars 2020, avait obtenu la démission du président de la République d’alors, Abdelaziz Bouteflika. Chaque jour, le tollé monte et le malaise grandit.

    Onze jours après l’accident, le président Tebboune réagit. Mardi 26 août, une spectaculaire réunion se tient en sa présence, et en celle de son alter ego en kaki, le général Saïd Chengriha. Présence plus étonnante, d’autres militaires sont là en force pour traiter de la responsabilité des… auto-écoles, ou des conséquences de l’état des chaussées. Deux décisions majeures sont prises : l’achat de pneumatiques, et surtout de 10 000 bus pour remplacer ceux en service. Mais le hic est que les seuls fournisseurs possibles sont des constructeurs étrangers. Or les importations de bus sont interdites depuis janvier 2019. Celles de pneumatiques sont découragées pour soutenir la production nationale.

    Les problèmes ne sont pas que techniques. Le torchon brûle à la tête de l’État entre civils et militaires. Pendant une bonne semaine, le président Tebboune a refusé de se séparer de son premier ministre, Nadir Larbaoui, son ancien directeur de cabinet qu’il a nommé en 2023. On reproche à ce dernier, à mi-voix, son absence à la grande messe du 26 août due à une visite privée à New York. Finalement, Tebboune s’exécute. Il débarque Larbaoui le 28 août. Mais, au passage, signe de sa mauvaise humeur, il nomme un intérimaire à la tête du gouvernement — ce que ne prévoit pas la Constitution — et confie le poste au ministre de l’industrie, Sifi Ghrieb, à l’expérience politique fort brève puisqu’il est ministre depuis seulement novembre 2024… Tôt ou tard, Tebboune devra confirmer sa nomination.

    Importations interdites

    Avec les multiples pénuries de pièces détachées — aux côtés de celles de bananes ou de lait UHT —, les déplacements quotidiens sont une galère pour les habitants des grandes villes, dont la métropole algéroise qui compte entre 3 et 4 millions de résidents. La géographie n’aide pas : la ville est un amphithéâtre où une grande masse de la population vit sur les hauteurs. Ils n’ont pas d’autre solution, en dehors des privilégiés propriétaires d’automobiles, que les minibus.

    Le transport en commun terrestre a été privatisé en 1987 puis ouvert dix ans plus tard aux bénéficiaires de l’aide aux chômeurs qui ont pu, avec leur pécule, acheter un minibus. Quatre-vingts pour cent des véhicules sont fabriqués en Asie, comme le véhicule accidenté le 15 août. Quatre-vingts pour cent des transporteurs sont propriétaires d’un seul bus. Les prix des billets fixés par le gouvernement sont trop bas pour acheter plusieurs véhicules, qu’il est de toute façon interdit d’importer. Alors le chauffeur raccourcit les trajets pour éviter les embouteillages, oublie des arrêts pour gagner du temps, prend des risques avec la sécurité des voyageurs qu’on entasse au-delà du raisonnable. Le minibus accidenté avait deux fois plus de passagers qu’autorisés. Si tout se passe comme annoncé le 26 août, à peine 10 % des bus trentenaires seront remplacés dans quelques mois. Quatre-vingt-dix pour cent continueront à rouler comme avant…

    Source : Orient XXI – 11/09/2025 https://orientxxi.info/magazine/algerie-accident-de-la-route-cahots-politiques,8485

    Harga : l’Algérie tarit la route italienne, mais la jeunesse prend le large vers l’Espagne

    Par la Rédaction

    Les relations algéro-italiennes connaissent une phase ascendante, portées par une coopération énergétique stratégique et une coordination sécuritaire qui, selon des médias algériens, a permis de « tarir » presque totalement les flux de migrants irréguliers en direction de la péninsule italienne.

    L ’ambassadeur d’Algérie en Italie, Mohamed Khalifi, a affirmé récemment que les départs depuis les côtes algériennes vers l’Italie sont aujourd’hui « proches de zéro », fruit d’un partenariat bilatéral étroit et de mesures strictes de surveillance des frontières.

    Ce discours, qui reflète indéniablement le succès d’une coopération ciblée entre Alger et Rome, soulève toutefois une interrogation majeure : pourquoi, dans le même temps, les départs vers l’Espagne connaissent-ils une recrudescence spectaculaire ?

    La côte ouest, nouveau théâtre des traversées

    Alors que l’axe Est–Méditerranée semble verrouillé par la coopération sécuritaire algéro-italienne, c’est sur la façade ouest, face à l’Espagne, que s’exprime désormais la pression migratoire. Depuis le début de l’été, des centaines de jeunes Algériens ont pris la mer à bord d’embarcations de fortune, défiant les risques et les dispositifs de contrôle.

    Mercredi dernier, huit adolescents ont même réussi à voler une embarcation à La Pérouse (Tamentefoust), avant de rejoindre les côtes espagnoles. Dans les 48 heures qui ont suivi, un autre groupe de mineurs a également pris la mer dans des conditions similaires. Ces traversées spectaculaires, qui alimentent un flot continu d’arrivées sur les plages d’Almería ou de Murcie, illustrent la vigueur persistante du phénomène de la harga en dépit des politiques répressives.

    Source : Le Matin d’Algérie – 09/09/2025 https://lematindalgerie.com/harga-lalgerie-tarit-la-route-italienne-mais-la-jeunesse-prend-le-large-vers-lespagne/

    Pétition : Lettre ouverte aux Présidents de la République française et algérienne

    Pour signer la pétition : https://www.change.org/p/lettre-ouverte-au-pr%C3%A9sident-emmanuel-macron-et-au-pr%C3%A9sident-abdelmadjid-tebboune?utm_medium=custom_url&utm_source=share_petition&recruited_by_id=b60e6660-aacf-11e9-ac0d-6b8e0d6d1965

    Monsieur Emmanuel Macron, Président de la République française
    Monsieur Abdelmadjid Tebboune, Président de la République algérienne démocratique et populaire

    Nous vous écrivons aujourd’hui, en tant qu’Algériens, Français, Franco-Algériens et amis des deux rives, avec inquiétude et gravité, mais aussi portés par un espoir sincère.
    Gravité, car les relations entre nos deux pays traversent une nouvelle phase de tensions, d’incompréhensions et de crispations.
    Espoir, car nous restons convaincus qu’une approche politique courageuse et une volonté partagée peuvent ouvrir la voie à une réconciliation durable.

    Ce qui relie nos deux pays s’inscrit dans l’Histoire et ses blessures. Cette mémoire commune ne peut être ni effacée, ni détournée, ni instrumentalisée à des fins de division. Les séquelles de la colonisation, de la guerre, de l’exil et des discriminations demeurent vives des deux côtés de la Méditerranée. Pourtant, elles ne doivent pas entraver la construction d’un avenir apaisé, fondé sur le respect mutuel et l’intérêt commun.

    Algériens, Français et toutes celles et ceux concernés par ces liens historiques et humains portent une double mémoire, une double appartenance et une double espérance. Ils aspirent à vivre en paix sans être stigmatisés, caricaturés ou transformés en boucs émissaires ; être reconnus dans leur dignité ; ne plus être pris en otage dans des tensions politiques dont ils ne sont ni les auteurs ni les responsables, mais au contraire contribuer pleinement à la société française et à la société algérienne, au développement des deux pays, à consolider les nombreux liens entre-deux, sans devoir choisir un camp ni justifier leur loyauté.

    Dans ce contexte, Messieurs les Présidents, votre responsabilité est grande. Vous avez le pouvoir et le devoir d’ouvrir une voie de sortie de crise : rétablir un dialogue franc, traiter avec courage et honnêteté les questions mémorielles, renforcer les échanges humains, culturels et économiques entre nos deux pays, surtout placer les jeunes au centre des préoccupations et protéger les populations prises dans cet entre-deux sans voie de sortie : souvent blessées, mais toujours dignes.

    L’ avenir des relations entre la France et l’Algérie ne peut se réduire à des calculs électoraux ou à des postures diplomatiques éphémères. Il concerne des millions de vies, engage les générations à venir et façonne l’image de nos nations à l’échelle mondiale.

    Le silence des peuples n’est pas indifférence : il exprime un profond malaise et une inquiétude face à l’escalade des tensions entre l’Algérie et la France. Chacun espère un retour rapide à l’apaisement, à une relation fondée sur la confiance, la dignité et la solidarité.

    C’est, animés de cette espérance que nous vous adressons cette lettre, tout en espérant que soit retrouvé l’esprit qui a animé les hommes d’État qui ont su trouver les solutions idoines au sortir d’une guerre atroce.

    Nous vous prions de bien vouloir agréer, Messieurs les Présidents, l’expression de notre haute considération.

    Premiers signataires :
    Lyazid BENHAMI, Président du Groupe de Réflexion sur l’Algérie (GRAL)
    Aissa KADRI, Professeur des universités, Ancien directeur de l’Institut Maghreb Europe Paris VIII
    Nils ANDERSSON, Président de l’Association Contre la Colonisation Aujourd’hui (ACCA), Ancien éditeur
    Ahmed MAHIOU, Agrégé des facultés de droit, Ancien doyen de la Faculté de droit d’Alger, Ancien directeur de l’IREMAM (Aix-en-Provence)
    Stanislas HUTIN, Membre de l’Association la 4ACG (Anciens appelés en Algérie contre la guerre et leurs amis)
    André GAZUT, Réalisateur
    Jean-Louis LEVET, Haut responsable à la coopération technologique et industrielle franco-algérienne (2013–2019), Délégué général de l’Association France Algérie (janvier 2021–février 2025)
    Michel BERTHELEMY, Membre de l’Association la 4ACG
    Jacques PRADEL, Président de l’Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et leurs Ami.e.s (ANPNPA)
    Louisa FERHAT, Présidente de l’Association Femmes Berbères Européennes
    Abderrahmane MEBTOUL, Professeur des universités, expert international – Industrie & Énergie –
    Farid YAKER, Président du Forum France-Algérie
    Allain LOPEZ, Secrétaire de l’ANPNPA Midi Pyrénées
    Nadir MAROUF, Anthropologue du droit, Professeur Émérite des Universités (UPJV – Amiens)
    Alain RUSCIO, Historien
    Gilles MANCERON, Historien
    Catherine BRUN, Professeure Université Sorbonne Nouvelle (Paris)
    Viviane CANDAS, Cinéaste
    Christophe LAFAYE, Docteur en histoire contemporaine ; Université d’Aix Marseille, Chercheur-associé à l’université de Bourgogne Europe
    Alice CHERKI, Psychiatre, psychanalyste
    Todd SHEPARD, Professeur – Johns Hopkins Université – Baltimore USA
    Hocine ZEGHBIB, Juriste, Maître de conférences honoraire, Université de Montpellier, ancien directeur du Master européen « Migrations Inter Méditerranéennes »
    Emmanuel ALCARAZ, Docteur en histoire – Mesopolhis-Science-Po Aix
    Hanafi Si LARBI, Universitaire
    Henri POUILLOT, Militant anticolonialiste et antiraciste (ANPNPA)
    Fatiha RAHMOUNI, Avocate
    Kader A. ABDERRAHIM, Maître de conférences – Sciences Po Paris & Chercheur en sciences politiques
    Pierre PRADEL, Membre de l’Association des Pieds Noirs Progressistes et leurs Ami.e.s (ANPNPA)
    Madjid SI HOCINE, Chef de service hospitalier
    Fayçal ZEGGAT, Opérateur économique – Agroalimentaire – Algérie
    Myassa MESSAOUDI, Universitaire et Écrivaine Franco-Algérienne
    Guy JOURDAIN, Ancien Officier de Marine & Membre du corps du Contrôle Général des Armées
    Bernard POINTECOUTEAU, Membre de la 4ACG
    Pierre MOREAU, Membre de la 4ACG
    Mustapha BOUTADJINE, Artiste-plasticien – Paris
    Tarek L. RADJEF, Ingénieur à la retraite
    Patrick RADJEF, Retraité
    Abdelhalim ZEGGAT, Avocat – Alger
    Henni Mahammedi BOUZINA, Membre de l’Association Nationale des Pieds Noirs progressistes et leurs Ami.e.s (ANPNPA)
    Nabéla AÏSSAOUI, Directrice juridique
    Nassim MAHDI, Médecin cardiologue
    Boukhari Nacer-Eddine dit N.E. TATEM, Journaliste
    Omar HAMOURIT, Historien
    Ouarda MERROUCHE, Économiste
    Omar Adel BELARBI, Directeur de projets – Groupe immobilier – France, Conseiller de quartier Paris 15
    Hocine ADMEZIEM, Cadre & Entrepreneur – France
    Ahmed GHOUATI, Consultant en Éducation et Formation
    Betitra AMOUR, Cadre secteur bancaire – France
    Brahim OUMANSOUR, Géopolitologue
    Rahim REZIGAT, Association de Promotion des Cultures et du Voyage
    Fernand PONCET, Ancien appelé en Algérie
    Karim HOUFAID, Réalisateur & Expert en coopération internationale – France
    Mohamed KHANDRICHE, Sociologue et militant associatif dans les deux pays
    Tewfik ALLAL, Correcteur, militant associatif
    Yohan LAFFORT, Réalisateur
    Michel LACROZE, Membre de l’Association la 4ACG (Anciens appelés en Algérie contre la guerre et leurs amis)

    L’étrange rappel à l’ordre estival d’Emmanuel Macron à François Bayrou sur l’Algérie – Renaud Dély

    Le président a écrit une lettre à son Premier ministre, lui demandant plus de fermeté vis-à-vis de l’Algérie. Une lettre révélée par la presse.

    Emmanuel Macron se livre à une bien étrange manœuvre vis-à-vis de son Premier ministre. Étrange en raison du moment choisi, au beau milieu de la torpeur estivale, alors que lui-même se trouve dans la résidence d’été des présidents, qu’une partie de l’équipe gouvernementale est en vacances et qu’une autre est mobilisée sur le front de l’incendie de l’Aude. Mais surtout étrange par la méthode : une lettre que le président de la République adresse à son Premier ministre, lettre qu’il estime nécessaire de rendre publique, alors qu’il aurait pu, comme il le fait souvent, exprimer sa position sous les ors du palais de l’Élysée, lors du Conseil des ministres.

    Y aurait-il dans la démarche présidentielle un brin de manipulation, voire une volonté d’humiliation ? Ce qui est sûr, c’est qu’en exigeant plus de fermeté vis-à-vis d’Alger, Emmanuel Macron va précisément dans le sens de ce que demandait le gouvernement. Il n’avait donc nul besoin de le lui rappeler et encore moins de le faire sur la place publique.

    Que dit cet épisode algérien des relations entre Emmanuel Macron et son Premier ministre ? Qu’elles sont complexes, et vraisemblablement de plus en plus. Et cela ne date pas d’hier. Avant de rallier Emmanuel Macron en 2017, François Bayrou, le démocrate-chrétien dénonçait en lui le libéral, « le candidat des forces de l’argent ». Et depuis qu’il est à Matignon, le maire de Pau n’a de cesse de rappeler sa liberté tandis que le chef de l’État le recadre de son côté sans ménagement, en exigeant qu’il tienne ses troupes, et qu’en particulier, il empêche Bruno Retailleau de prendre la lumière.

    Bayrou poussé vers la sortie ?

    Emmanuel Macron serait-il tenté de pousser son Premier ministre vers la sortie ? Ce n’est pas la plus probable des hypothèses mais c’en est. En général, sous la Ve République, le président est « protégé » par son Premier ministre qui lui sert de « fusible ». Dans le cas du couple Macron-Bayrou, c’est différent : le Premier ministre est très impopulaire certes, mais c’est un Premier ministre « Teflon » : toutes les crises glissent sur lui.

    De là à penser que le président aurait intérêt à se séparer de lui avant même d’être censuré parce qu’il l’entraînerait dans son impopularité, il n’y a qu’un pas. Mais sans aller jusque-là, avec cette lettre, c’est un Emmanuel Macron affaibli qui fait d’une pierre deux coups : en demandant d’agir à François Bayrou, il remet à sa place Bruno Retailleau dont l’ambition présidentielle s’affirme chaque jour un peu plus, et il rappelle que jusqu’en 2027, le seul maître de la politique étrangère de la France, c’est lui.

    Source : France Info – 07/08/2025 https://www.radiofrance.fr/franceinfo/podcasts/l-edito-politique/edito-l-etrange-rappel-a-l-ordre-estival-d-emmanuel-macron-a-francois-bayrou-sur-l-algerie-4738988