Les mots qu’elles eurent un jour – Raphaël Pillosio (en salles en juin 2025)

Un beau film-enquête sur les paroles perdues de militantes algériennes en 1962 – Fabrice Riceputi

Fabrice Riceputi a vu Les mots qu’elles eurent un jour, film de Raphaël Pillosio sur les combats des femmes algériennes pour l’égalité. En salles en juin 2025.

Retrouver des décennies plus tard les paroles prononcées en 1962 – et irrémédiablement perdues depuis – par un groupe de combattantes algériennes du FLN. C’est la gageure qu’affronte le film-enquête de Raphaël Pillosio, Les mots qu’elles eurent un jour (84 mn, 2024). Un film pour l’histoire des combats des femmes algériennes pour l’égalité, en salles à partir du début juin 2025.

Au commencement du film est une archive filmique véritablement exceptionnelle, à laquelle l’historien ne peut être que très sensible. En1962, le militant « porteur de valise » français Yann Le Masson (1930-2012), membre du « réseau Jeanson », est appelé par la Fédération de France du FLN à accueillir et accompagner des détenues algériennes libérées de la prison de Rennes. Pour un debriefing, imagine-t-on, elles sont conduites à Paris, au siège de la Cimade, l’association qui vient en aide, alors comme aujourd’hui, aux étrangers détenus.

Yann Le Masson est aussi cinéaste. Ses films anticolonialistes J’ai huit ans et Sucre amer sortent cette année-là et seront interdits en France durant dix ans. Le lendemain de leur libération, il filme à la Cimade la vingtaine de militantes algériennes ainsi rassemblées, durant « toute une nuit ». Elles débattent, à sa demande, de leur expérience de la lutte comme femmes algériennes et de l’avenir des femmes dans l’Algérie indépendante. Dans l’équipe présente sur le tournage, se trouvent notamment Marceline Loridan-Ivens, survivante de la Shoah et réalisatrice, et Michèle Firk, critique de cinéma et militante anticolonialiste.

Le Masson capte alors un moment unique et magnifique. Les moudjahidate sont filmées au moment où, comme des dizaines de milliers d’Algériens et d’Algériennes qui sortent des camps et des prisons en Algérie et en France dans les mois qui suivent les Accords d’Evian (19 mars 1962) puis après l’Indépendance de l’Algérie (5 juillet 1962), elles sont libérées, après des années d’enfermement. Ces femmes le savent : elles ont tout simplement gagné leur longue guerre contre la France coloniale.

Elles sont à présent sous la protection et la surveillance de la Fédération de France, dont on voit deux membres, deux hommes, derrière elles, qui observent le tournage. La consigne leur sera donnée de se faire discrètes jusqu’à leur retour en Algérie, notamment par peur de violences de l’OAS à leur encontre.

A force de montrer et de remontrer ces images un demi-siècle plus tard à Alger, Raphaël Pillosio est parvenu à identifier notamment parmi elles Zohra Drif, Djamila Bouazza, Baya Hocine, Aïcha Achour dite Aouicha, Malika Zitouni, Zohr Zerari, Malika Korriche, Fatoma Ouzguène … Toutes sont des héroïnes bien connues en Algérie de la guerre de libération. Elles ont été poseuses de bombes, agents de liaison, collecteurs de fonds, de ces nombreuses militantes qui jouèrent un rôle essentiel dans la lutte pour l’indépendance, particulièrement en 1957 lors de la « bataille d’Alger ». Exhibées comme des monstres « terroristes » par la presse française lors de leur arrestation, toutes ont été torturées, certaines sans doute violées, lors de leurs « interrogatoires » par des militaires et policiers français. La justice militaire les a condamnées au cours de procès parfois très médiatisés à des peines allant de 5 années de prison à la perpétuité et, pour deux d’entre elles, à la peine de mort. Elles viennent donc de passer plusieurs années en prison, tandis qu’en Algérie la guerre faisait rage.

Et c’est un spectacle extrêmement émouvant de les voir réunies cette nuit-là devant la caméra de Le Masson. Elles sont très jeunes, dans leur vingtaine, élégantes, portant souvent des lunettes à verres fumés comme les stars de ces années-là, des bijoux, de jolies robes et chemisiers. Elles sont sereines et superbes. On les sent très proches les unes des autres. Elles sont souvent souriantes, parfois graves. Toutes apparaissent concentrées, certaines ne disent rien, mais plusieurs parlent au réalisateur où entre elles avec sérieux et animation.

Mais que disent-elles ? C’est là tout l’objet de l’enquête menée par Raphaël Pillosio, cinquante années plus tard, que raconte Les mots qu’elles eurent un jour. Car le film de Yann Le Masson, ayant « perdu » sa bande son, est désormais et pour toujours entièrement muet.

Yann Le Masson raconte qu’il a remis le film aux dirigeants de la Fédération de France et que celui-ci a alors « disparu ». Il émet l’hypothèse, sans être sûr, dit-il, de sa validité, qu’aux yeux des hommes du FLN les militantes algériennes allaient « trop loin » dans la revendication de l’égalité avec les hommes. Puis le film est miraculeusement réapparu au début des années 2000, lorsque « quelqu’un » a déposé la bobine sur la péniche où vivait Le Masson. Mais sans sa bande son. Leurs mots, leurs voix, leurs accents, leurs intonations sont irrémédiablement perdus.

Cette absence de son rend encore plus fascinantes les images en noir et blanc de 1962 qui scandent le film. Et particulièrement frustrantes. Raphaël Pillosio nous expose ses recherches obstinées – essais de lecture labiale, entretiens à Alger avec des témoins et protagonistes du film –  pour essayer aujourd’hui de savoir quels mots elles eurent alors sur l’avenir des femmes en Algérie. Les bribes difficilement reconstituées disent l’espoir de voir les droits de femmes reconnus dans l’Algérie nouvelle. Et, interrogées cinquante ans plus tard, plusieurs d’entre elles expriment une amère désillusion.

Souhaitons que ce film admirable soit largement diffusé.

Source :  Histoire coloniale et postcoloniale – Édition du 1er au 15 juin 2025 https://histoirecoloniale.net/un-beau-film-enquete-sur-les-paroles-perdues-de-militantes-algeriennes-en-1962/

Paris (et en visio) : « Le passé de la colonisation française de l’Algérie et la brouille diplomatique actuelle entre les deux pays » – 14/06/2025 – 15h-17h

En partenariat avec Orient XXI, histoirecoloniale.net organise une table ronde pour décrypter la crise actuelle entre la France et l’Algérie. Entrée libre.

Au Centre international de culture populaire (CICP), 21ter, rue Voltaire 75011 Paris,se tiendra le samedi 14 juin de 15h à 17h une table ronde ayant pour thème : « Le passé de la colonisation française de l’Algérie et la brouille diplomatique actuelle entre les deux pays ».

Ouverte au public, elle aura lieu à l’issue de l’Assemblée générale de l’Association Histoire coloniale et postcoloniale, de 14h et 15h, ouverte quant à elle seulement aux donateurs et aux adhérents de cette association, ainsi qu’à des invités (demandes d’adhésions possibles sur place ; rapport moral et rapport financier y seront adoptés).

Organisée en partenariat avec Orient XXI, la table ronde sera animée par Sarra Grira (rédactrice en chef d’Orient XXI) et réunira : Aïssa Kadri (sociologue), Nedjib Sidi Moussa (historien), Jean-Pierre Sereni (journaliste à Orient XXI), Mouloud Boumghar (juriste et universitaire) et Alain Ruscio (historien).

ldentifiant de connexion en visio pour la table ronde : https://us06web.zoom.us/j/87368505772?pwd=B4BMU81RlN0d11xUF4kbbbNmdj0zuk.1
Code secret: 317229

Source : Histoire coloniale et postcoloniale – Édition du 1er au 15 juin 2025

Paris : Festival « Décolonisons ! » – Du 10 au 20/06/2025

Nous voulons libérer le passé pour libérer l’avenir

Nous sommes au rendez-vous de ce que nous avions prévu il y a trois mois, nous accélérons le pas, avec cet Acte 1 pour le projet du Musée, qu’est le Festival « DÉCOLONISONS ! »

Annie Ernaux, Didier Daeninckx, Gérard Mordillat, Pierre Bergougnioux, de nombreux artistes, des collectifs d’artistes et des réalisateurs nous ont rejoint et le programme est à la hauteur : une cinquantaine d’intervenantes et intervenants, des films, des court-métrages, des documentaires, des points de situation sur différents quartiers, des lectures de textes et de poésies palestiniennes, des Antilles ou du Maghreb, de nombreux échanges thématiques où la parole sera libre.

Dorothy bar, 85 bis rue Ménilmontant 75020

CICP 21 rue Voltaire 75011 Paris

Volumes, 78 rue Compans 75019

Toul – Tous les 24 du mois contre la statue de Bigeard

Collectif Histoire et Mémoire dans le respect des droits humains

Le 24 Mai 2025 à partir de 18h30 devant la statue de Bigeard, square du Lt Génin à Toul : rassemblement pour la PAIX entre les peuples et contre la torture.

Ce rassemblement sera reconduit tous les 24 du mois devant la statue de Bigeard jusqu’au retrait.

Toul, capitale de la torture ? C’est toujours non !

  • Contre tout hommage à la torture, crime contre l’humanité.
  • Pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
  • Contre toutes les pratiques coloniales, matrices du racisme et du fascisme.
  • Pour la Paix et la Solidarité entre les Peuples.

Grenoble – Rencontre-débat : Les soldats du refus – 14/05/2025, 18h30

Retour de cette rencontre-débat

Des témoignages rares et forts

Les différentes interventions ont permis de montrer qu’il y avait eu une grande difficulté à entendre la parole de ceux qui ont refusé de faire la guerre au peuple algérien, dont beaucoup témoignaient des crimes commis par l’armée française (torture, destructions massives, exécutions extra-judiciaires « corvée de bois », …).

Marc Ollivier, Claude Verrel et Marcel Borg de l’ANPNPA

Michel Brocard

Amazighes : plongée au cœur d’une culture ancestrale au Mucem de Marseille – 30/04/2025 au 02/11/2025

Exposition Amazighes. Cycles, parures, motifs

Mucem, Marseille – 30 avril – 2 novembre 2025

Entrée libre le mercredi et dimanche après-midi

Imaginez un monde où chaque bijou, chaque motif, chaque geste porte un sens profond. Un monde où la beauté et la protection s’entrelacent, où les symboles racontent l’histoire d’un peuple qui traverse les âges. C’est cette immersion fascinante que propose l’exposition « Amazighes. Cycles, parures, motifs », au Mucem de Marseille, du 30 avril au 2 novembre 2025.

Une explosion de couleurs, de formes et de symboles — c’est ainsi que l’on pourrait résumer cette exposition unique en son genre. « Amazighes » n’est pas simplement une rétrospective ; c’est un voyage sensoriel et visuel au cœur de la culture amazighe, un peuple aux racines profondes, un peuple qui vit à travers ses symboles, ses objets, et surtout à travers ses gestes ancestraux.

L’exposition, fruit de la collaboration entre la Fondation Jardin Majorelle de Marrakech et le Mucem, présente près de 150 pièces exceptionnelles, allant des bijoux d’une beauté à couper le souffle aux céramiques délicates, en passant par des sculptures et des textiles aux motifs envoûtants. Ces objets, souvent porteurs de significations cachées, racontent l’histoire d’une identité forte, d’une culture qui, loin d’être figée, se nourrit et se réinvente au fil du temps.

Une fibule qui parle… et protège

Parmi les trésors exposés, une fibule Tabzimt, venue tout droit de la Grande Kabylie, attire immédiatement l’œil. D’un argent éclatant et décorée de corail, cette pièce unique, datant de la première moitié du XXe siècle, n’est pas seulement un bijou : elle incarne la protection, l’identité et le lien entre le passé et le présent. C’est là l’essence même de la culture amazighe : chaque objet n’est pas seulement décoratif, il est porteur de sens, un amulette spirituelle, une transmission de génération en génération.

« Chaque motif, chaque courbe, chaque matériau a une signification », explique Salima Naji, commissaire de l’exposition et anthropologue. « La parure, ici, n’est pas qu’une simple question d’esthétique. C’est un langage, un moyen de se protéger, de marquer son identité et de relier l’humain à l’univers. »

Le féminin sacré : un voyage au cœur de la culture amazighe

L’exposition se déploie autour d’une figure centrale : la femme amazighe, incarnation de la fertilité, de la sagesse et de la protection. Les gestes des femmes amazighes — vannerie, henné, tatouage, tissage — sont non seulement des savoir-faire ancestraux, mais aussi des rituels qui sculptent le temps et l’espace. À travers ces gestes, les femmes transmettent un savoir profond, presque magique, qui réunit l’art, la nature et la spiritualité.

Les hommes, quant à eux, sont les artisans des objets qui, bien que utilitaires, sont également chargés de symbolisme. L’orfèvrerie amazighe, avec ses lignes épurées et ses motifs sacrés, fait le lien entre le quotidien et le sacré.

Un succès retentissant

L’exposition a d’ores et déjà conquis le public marseillais. Dès son ouverture, la file d’attente pour accéder à ce voyage fascinant dans l’histoire amazighe a impressionné : un flot continu de visiteurs, impatients de découvrir ce que cache cette culture millénaire. Ce dimanche, le Mucem était noir de monde. Les visiteurs se pressaient pour observer de près les objets et œuvres, chacun voulant s’imprégner de la magie de ce monde ancestral.

Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de découvrir l’exposition, il est grand temps de le faire. L’occasion de s’immerger dans une culture riche, complexe et profondément humaine. Amazighes vous invite à une rencontre inédite avec un peuple, une culture et un patrimoine qui, loin de se perdre dans le temps, continue de vivre, de vibrer et de s’exprimer.

Djamal Guettala

Commissariat :

Salima Naji, architecte DPLG et docteure en anthropologie

Alexis Sornin, directeur des musées Yves Saint Laurent Marrakech et Pierre Bergé des arts berbères

D’après une idée originale de la Fondation Jardin Majorelle, en coproduction avec le Mucem

Image

Fibule Tabzimt, vers 1900-1950, Algérie, Grande Kabylie. Argent, corail.

Collection Mucem, Marseille. Don Jacqueline Terrer.

© Mucem / Marianne Kuhn

Source : Le Matin d’Algérie – 04/05/2025 https://lematindalgerie.com/amazighes-plongee-au-coeur-dune-culture-ancestrale-au-mucem-de-marseille/

Fanon – Jean-Claude Barny (sortie en salle le 02/04/2025)

Il y a des films qui tombent à pic. Fanon, de Jean-Claude Barny, qui sortira en salle le 2 avril, est de ceux-là.

Dès l’ouverture, un coup de feu claque, nous arrachant au confort de nos sièges pour nous jeter au cœur du fracas colonial. Nous sommes en pleine guerre d’Algérie. Puis ces mots de Fanon s’imposent à l’écran : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir. » Le ton est donné. 

Il fallait ce film pour rappeler que Fanon n’est pas qu’un nom sur une page d’universitaire, mais un corps, une voix, un combat. En France, il reste un grand absent. On cite son nom, mais qui sait encore ce qu’il a dit, écrit, défendu ? Barny retrace l’itinéraire de ce Martiniquais devenu l’une des figures de la lutte algérienne, psychiatre et penseur dont l’œuvre est un cri contre toutes les oppressions.

En ces temps où l’on suspend un journaliste pour avoir rappelé les crimes coloniaux, que des documentaires sur l’Algérie disparaissent des écrans, Fanon pose une question dérangeante: que faisons-nous de notre histoire coloniale ?

Car nous vivons à l’ère de la post-vérité, où les faits historiques deviennent secondaires face aux récits que l’on fabrique, aux émotions que l’on manipule, aux vérités que l’on adapte. Barny nous ramène à l’essentiel : l’histoire, les luttes, la réalité brute de la colonisation et de ses séquelles.

Peau Noire, Masques Blancs : une boussole universelle

Peau Noire, Masques Blancs n’est jamais loin, ce texte de jeunesse, cette thèse refusée, qui demeure une boussole pour quiconque cherche à comprendre la mécanique implacable de la colonisation. Barny le filme, littéralement. À travers la figure d’un Fanon médecin, psychiatre à Blida, où les murs de l’hôpital bruissent de la violence coloniale, où soigner signifie résister. Là, dans ce lieu censé réparer les âmes, Fanon comprend que la psychiatrie coloniale est aussi une arme pour maintenir l’oppression.

Mais Fanon est avant tout un film d’introspection. Un homme qui doute, qui pense, qui écrit. Aux côtés de Josie, son épouse, et d’Olivier, leur fils né à Alger, il s’ancre dans une vie familiale, loin du mythe figé.

Des images qui marquent

Barny parsème son film d’allégories qui interrogent. Ce crabe, sur lequel Fanon tire enfant, est-ce la maladie tapie en lui, ou le mal colonial qui gangrène les corps et les âmes ? Cette mangrove suspendue au mur d’Alger, miroir de ses racines martiniquaises ou dédale intérieur où se perdent ses patients ? Et cette mer face à lui au moment ultime, serait-elle l’exil, le passage du milieu, l’histoire des opprimés ? Jean-Claude Barny nous pousse à regarder au-delà des images.

Un film pour aujourd’hui, un film pour demain

En cette année du centenaire de Frantz Fanon, le film de Jean-Claude Barny ne se contente pas d’un hommage. Il ravive une pensée toujours brûlante, qui éclaire nos sociétés et leurs rapports aux dominations passées et présentes.

Barny filme un Fanon vivant et insoumis car l’histoire ne s’efface pas et une société ne se construit pas sur l’oubli. Ce film est un rappel : chaque génération doit affronter sa mission. Mais la nôtre en est-elle digne ?

Source : Médiapart/ Billet de blog Eléonore Bassop – 15/03/2025 https://blogs.mediapart.fr/eleonore-bassop/blog/150325/fanon-de-jean-claude-barny