
Inspiré de faits réels, le premier long-métrage de Chakib Taleb-Bendiab s’attaque à deux tabous majeurs en Algérie – les enlèvements d’enfants et la pédophilie – à travers un polar tendu, où la ville d’Alger devient un personnage à part entière.
Avec Alger, en salles le 8 octobre, Chakib Taleb-Bendiab signe bien plus qu’un premier long-métrage : il assène un uppercut cinématographique. Inspiré de faits réels, ce polar sombre prend racine dans un drame hélas familier à la capitale : l’enlèvement d’une petite fille, qui fait resurgir tension et suspicion dans les rues d’Alger. Seuls deux personnages – Dounia, brillante psychiatre (Meriem Medjkane), et Sami, inspecteur obstiné (Nabil Asli) – peuvent déterrer les démons du passé et mettre au jour ce que beaucoup préfèrent taire.
La mécanique du genre est connue, mais ici elle s’ancre dans une autre matière : celle des trottoirs fissurés de Bab El Oued, des commissariats épuisés par la routine et des souvenirs brûlants de la décennie noire (1992-2002), cette guerre civile qui fit entre 100 000 et 200 000 victimes.
Le réalisateur et son équipe ont d’ailleurs travaillé au plus près du réel. À une avant-première parisienne où nous étions présents, Nabil Asli raconte avoir construit son rôle avec une véritable brigade des mineurs, en immersion auprès de policiers, en observant interrogatoires et enquêtes de terrain. Ce souci de justesse se ressent à l’écran : son inspecteur, têtu et imparfait, échappe aux clichés de flics stéréotypés. Face à lui, Meriem Medjkane, magnétique et insaisissable, incarne une psychiatre libre et dérangeante, miroir des contradictions d’un pays.
Le film n’évite pas toujours les raccourcis, mais il va à l’essentiel : la vérité. Pas de cartes postales, pas de clichés touristiques. Alger est filmée comme on ausculte un corps malade, avec ses plaies béantes, sa brutalité, mais aussi sa beauté rugueuse. La ville devient un personnage à part entière, respirant la peur, l’urgence, les tensions sociales.
Le budget ? Minuscule. Le pari ? Immense. Mais relevé haut la main. Photographie soignée, bande sonore tendue comme une corde, et surtout une sincérité sans faille. Car derrière le polar, c’est une autre enquête qui se joue : comment un peuple se reconstruit après ses traumatismes, comment il affronte ses ombres, comment il avance malgré tout.
Certains crieront à l’occidentalisation, au « thriller à la française » ou au « polar à l’américaine ». Erreur. Alger n’imite personne : il prend les codes du genre pour mieux les retourner, les enracinant dans une langue, un accent, une société. C’est un film algérien, fait par des Algériens, pour des Algériens. Et c’est précisément pour ça qu’il touche à l’universel.
Fiche du film
Durée : 1h33 | Thriller
De : Chakib Taleb-Bendiab
Scénario : Chakib Taleb-Bendiab
Avec : Meriem Medjkane, Nabil Asli, Hichem Mesbah
Titre original : 196 mètres
Source : Le Courrier de l’Atlas – 03/10/2025 https://www.lecourrierdelatlas.com/cinema-alger-un-thriller-ancre-dans-les-realites-algeriennes/