Introduction au débat d’orientation

« L’ état des relations franco-algériennes »

Toulon, le 11 octobre 2025

Relations en crise ouverte depuis un an.
Pour bien saisir la portée de cette crise, il convient de rappeler le caractère exceptionnel du
lien franco-algérien, conséquence de presque deux siècles de cohabitation (deux siècles dans
cinq ans).

De cette histoire, résulte la construction d’un pont humain entre les deux pays (environ 10%
de la population française a un lien direct avec l’Algérie), et une culture partagée (du couscous
à la littérature, en passant par le cinéma, et les arts en général). Bref, les deux sociétés sont complétement imbriquées.

Cette corrélation à forte charge émotionnelle est frappé d’intranquillité permanente.
Mais elle n’a jamais été aussi radicalement menacée qu’en ce moment.

La reconnaissance par Macron de la marocanité du Sahara occidental n’est que le déclencheur.
La crise est latente depuis 2021 en plusieurs points de tension : question de la mobilité des
Algériens (réduction drastique des visas de 50% en 2021) ; propos de Macron, en octobre
2021, sur « la rente mémorielle », et sa mise en doute de l’existence d’une nation algérienne
avant la colonisation ; accueil par la France, en octobre 2023, de l’opposante algérienne, Amira
Bouraoui, ce qui lui a permis d’échapper à une extradition de Tunis (où elle s’était réfugiée) vers
Alger.

Par la suite, la crise a été amplifiée par une série d’événements: citons, entre autres,
l’arrestation de Boualem Sansal (novembre 2024), celle des influenceurs TikTok de nationalité
algérienne appelant à des actes de violence en France contre des opposants algériens (janvier
2025) ; les OQTF que l’Algérie refuse de recevoir, comme le font d’ailleurs les autres pays du
Maghreb et subsahariens ; la visite de Rachida Dati, au Sahara occidental (février 2025), suivie
par celle de Gérard Larcher ; l’expulsion de diplomates ; la question toujours en suspens du
traitement par la France des déchets radioactifs dans le Sahara et de l’indemnisation des
victimes … (non exhaustif).

Quelle sont les fondements de cette crise ? Quelles en sont les spécificités ? Et quelles sont les
perspectives ? Pour répondre à ces questions, il nous faudra évoquer d’abord, la dimension historique qui l’éclaire ; ensuite, les facteurs contemporains qui la cimentent. En effet, cette crise intervient sur fond d’enjeux mémoriels, doublés d’une instrumentalisation à des fins de politique intérieure aussi bien en France qu’en Algérie.

Dimension historique
La cicatrice coloniale
En Algérie, le passé colonial est omniprésent. Le régime est adossé au récit de la guerre de libération érigé en mythe fondateur. En revanche, la France s’est construite sur l’effacement de ce passé. Une amnésie collective a été fabriquée. Or la réflexion sur ce passé est essentielle à l’analyse de notre société qui a été façonnée par cette histoire.

Qu’en est-il de la politique mémorielle engagée par Emmanuel Macron?
Des avancées ont été faites. Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de l’État français
dans l’assassinat de militants pro-indépendance : l’avocat Ali Boumendjel, Maurice Audin,
Larbi Ben M’hidi. Il a rendu un hommage inédit aux victimes de Charonne. Il a également
qualifié de « crimes impardonnables pour la République » la violente répression du 17 octobre
1961, mais en l’attribuant à la seule responsabilité du préfet Maurice Papon, ce qui est
largement incomplet. De même, en matière d’insuffisance, le colonial n’est jamais évoqué.
Emmanuel Macron ne parle jamais du colonial.

Cette neutralisation du colonial crée de la confusion là où il faudrait faire œuvre de pédagogie.
Le clientélisme électoral a joué un rôle déterminant en matière de régression sur le sujet.
En 2017, le candidat Macron qualifiait la colonisation de « crime contre l’humanité ».
En 2021, devenu président, il se demandait « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant
la colonisation française? Ça, c’est la question
». À force de donner des gages à l’extrême droite, Emmanuel Macron a fini par en diffuser, et en légitimer, la parole. Et son projet de politique mémorielle a viré à l’impasse.

Facteurs contemporains
Instrumentalisation des relations entre les deux pays à des fins de politique intérieure.

Chaque État puise dans le nationalisme pour consolider son pouvoir.
En France, parallèlement à la montée en puissance de l’extrême droite, le passé colonial ravive
des débats internes sur l’insécurité et l’immigration (sujets toujours évoqués conjointement).
En Algérie, ce passé est mis en avant pour renforcer l’unité nationale et la légitimité du
gouvernement.

On assiste à une forme d’effacement des frontières entre la politique intérieure et la politique
extérieure dans les relations entre Alger et Paris.

Quelles perspectives ?
Deux scénarios possibles : celui de l’apaisement, ou celui de la poursuite de l’escalade.
Jusqu’où ? Jusqu’à la rupture ?

La situation actuelle suscite de fortes inquiétudes parmi nous, et parmi les franco-algériens
qui sont désignés pour cibles. Valeurs actuelles (numéro du 26 mars 2025) qualifie de
« menace intérieure, la présence d’Algériens sur le territoire français susceptibles d’être
mobilisés par Alger
».

Une résolution à court terme de la crise paraît peu probable.
Quelle orientation adoptera le nouveau gouvernement à l’issue de l’élection de 2027 ?
Nous n’en savons rien, mais la causticité des discours actuels donne un aperçu de ce que serait
la configuration des relations franco-algériennes en cas d’accession au pouvoir de l’extrême
droite en 2027 (et par « extrême droite », nous ne faisons pas référence uniquement au FN/RN).
En fin de compte, le seul résultat effectif de cette offensive anti-algérienne est l’instauration
d’un climat empoisonné en France qui affecte les millions de Français en lien avec l’Algérie.
Seule la dimension humaine est en mesure de garantir la pérennité des relations entre les deux
pays. Et nous avons, en la matière, en tant qu’association, un rôle à jouer.