La permanence d’un racisme anti-algérien en France (et par porosité, anti-maghrébin) sous couvert d’islamophobie, son expression débridée dans les médias et le débat public, les violences de toute nature qui en découlent, puisent leur origine dans la question coloniale. Celle-ci, à défaut d’avoir été traitée politiquement depuis la fin de la guerre d’indépendance algérienne et déconstruite, ne cesse d’irriguer un imaginaire racial inégalitaire directement issu du régime répressif de l’indigénat. Nous entendons ici « indigénat » au sens large, c’est-à-dire englobant l’ensemble des pratiques appliquées aux sujets coloniaux.
À ce jour, le legs de cette privation de droits institutionnalisée se décline sous forme de discriminations dans tous les aspects de la vie quotidienne (éducation, emploi, logement, santé, religion, sécurité des biens et des personnes …). Il est étayé par de multiples offensives médiatiques, et dernièrement par un rapport, diffusé par le ministère de l’Intérieur, intitulé « Frères musulmans et islamisme politique en France » (02/05/2025)[1], par un sondage Ifop, dont les commanditaires sont liés aux Émirats arabes unis, « État des lieux du rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans de France » (18/11/2025)[2], par un rapport de la droite sénatoriale consacré à la lutte contre « l’entrisme islamiste » (24/11/2025)[3].
La question est éminemment politique. L’ algérophobie s’inscrit dans le prolongement de schémas coloniaux hérités de la Troisième République, fondés sur la théorie d’une hiérarchie des civilisations (cf. Jules Ferry, 28 juillet 1885), remise au goût du jour en 2012 par Claude Guéant alors ministre de l’Intérieur[4]. Elle est donc le produit de structures de pouvoir élaborées par l’État.
Elle s’exprime par une perpétuation du refus de l’égalité des droits, une ethnicisation des questions sociales, une criminalisation de l’immigré ou issu de l’immigration, ancien colonisé ou descendant de colonisés, ennemi d’hier et d’aujourd’hui, accusé d’abord de « séparatisme » et ensuite d’« entrisme », cible essentialisée qui serait en voie « d’islamiser la France », dans un renversement du rapport colonisateur/colonisé.
Ainsi la fabrique de cette continuité historique vise à légitimer le combat de l’extrême droite, et de ses relais au plus haut sommet de l’État, contre l’immigration, notamment algérienne (et de façon extensive, maghrébine), dite « musulmane », et soupçonnée d’islamisme.
Ce racisme systémique, structuré par le colonial passé sous silence, constitue l’un des carburants les plus puissants de la fascisation en cours de la société française.
Catherine Sicart, co-présidente de l’ANPNPA
[1] https://anpnpa.fr/freres-musulmans-decryptage-dun-rapport-qui-se-degonfle-lucie-delaporte-et-marie-turcan/
[2] https://anpnpa.fr/sondage-ifop-sur-les-musulmans-qui-parle-derriere-les-chiffres-hania-chalal/
[3] https://anpnpa.fr/rapport-senatorial-contre-lentrisme-islamiste-en-france-la-grande-mosquee-de-paris-denonce-une-stigmatisation-institutionnelle-mf-gaidi/
[4] « Toutes les civilisations ne se valent pas », déclaration faite à l’Assemblée nationale, dans le cadre d’un colloque organisé par le syndicat étudiant UNI, lié à la droite radicale (04/02/2012).

