C’est l’homme politique qui fait le plus parler de lui ces derniers temps, ici et, surtout, là-bas. En France, Bruno Retailleau (64 ans), ministre français de l’Intérieur, est un accélérateur de l’extrême droite. Ici, c’est celui qui permet de ressouder les rangs.
Son objectif : occuper la scène médiatique le plus longtemps possible, bonifier son capital politique en vue de l’échéance de 2027. « Sur la sécurité et sur l’immigration, il parle comme l’extrême droite mais il a l’avantage d’être au pouvoir », écrivait Le Dauphiné Libéré en février dernier.
Le quotidien régional français rappelle que juste après sa nomination à la place Beauvau par Michel Barnier, Retailleau s’est fixé trois priorités avec un retentissant bégaiement : « La première rétablir l’ordre, la deuxième rétablir l’ordre, la troisième rétablir l’ordre.»
A l’origine de la plus grave crise politique entre l’Algérie et la France, depuis 1962, il est désormais sur le point de provoquer une rupture aux lourdes conséquences suite aux derniers développements observés au plan diplomatique.
Le Canard Enchaîné, avec son légendaire humour acide, lui a consacré en mars un petit encart : « Avec lui, les Obligations de quitter le territoire (OQTF) allaient pleuvoir, les expulsions pulser, l’extrême droite rager devant tant d’efficacité et Laurent Wauquiez (son concurrent à la présidence des Républicains) plier devant tant d’habileté.»
Le quotidien satirique, qui évoque l’Algérie dans son billet, paraphrase l’ancien président français pour cerner au mieux le personnage : « Comme disait Mitterrand à Balladur à propos de son ministre de la Défense Léotard, il est capable de déclencher une guerre sans qu’on s’aperçoive.» Avec, en plus, cette chute : « Retailleau était un peu sous-dimensionné pour lutter contre l’Algérie.»
Bruno Retailleau était, en fait, assez peu connu des Français avant de devenir ministre, note Le Dauphiné Libéré. Pour Le Monde, Retailleau occupe, depuis sa nomination, l’espace et les esprits. «Pas une journée sans un grand entretien, une annonce-choc et un propos clivant», souligne-t-il.
Lunettes cerclées, visage grave et allure fluette, l’élu de Vendée assène ici que « l’immigration n’est pas une chance » (sur LCI, le 29 septembre), là que « l’État de droit n’est pas intangible ni sacré » (au Journal du Dimanche du 29 septembre). Encore moins des Algériens à qui il voue une animosité maladive. Il a, d’ailleurs, un surnom qui lui colle fort : le ministre de la « Haine ». Ancien président de son département, la Vendée, puis de la région Pays de la Loire, il était, jusqu’à la fin de l’été 2024, le patron du puissant groupe des sénateurs Les Républicains (LR).
L’ancien proche de Philippe de Villiers avait un peu gagné en notoriété à l’occasion de l’élection pour la présidence du parti LR, où il a pourtant échoué face à Éric Ciotti en décembre 2022. En Macronie, la présence de Bruno Retailleau, symbole d’une droite catholique et traditionnelle et pas vraiment progressiste, inquiète, car elle fait dériver le bloc central sur sa droite.
« C’est le ministère de la parole. Il ne fait que perforer l’espace politique », griffe un député issu de l’aile gauche, note Le Dauphiné Libéré. Blast, média indépendant, apporte, lui, un éclairage assez intéressant sur la personne de Retailleau. Il définit son positionnement par rapport à l’extrême droite traditionnelle.
Les relations entre le Vendéen et les parlementaires d’extrême droite ont pris un tour nouveau, en comparaison avec Gérald Darmanin, son prédécesseur au ministère de l’Intérieur français, souligne Blast. « Nous avons remarqué une rupture d’attitude. Retailleau nous considère d’égal à égal.
Il a besoin de nous et reste attentif à nos requêtes », explique au média en ligne un député RN de la commission des lois qui préfère conserver l’anonymat. La même source révèle que Bruno Retailleau s’appuie sur un commando chevronné – tendance catholique traditionaliste – dont les membres sont habitués à travailler ensemble depuis plus de dix ans.
Pour comprendre l’origine de la relation particulière qu’entretient Retailleau avec les élus d’extrême droite, il faut remonter une décennie en arrière, à l’époque où il présidait le conseil régional des Pays de la Loire, entre 2016 et 2017, en plus de son mandat de sénateur.
Le Front national (actuellement RN) avait réussi à faire élire 13 conseillers régionaux, sur la liste emmenée par Pascal Gannat, ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen. « Je suis catholique, lui (Retailleau) aussi, et de ce fait nous faisions partie du même milieu conservateur local (…) Nous partagions une même admiration pour des économistes libéraux, comme Friedrich Hayek ou Frédéric Bastiat », dit Gannat.
« Retailleau n’agit pas seul »
A l’inverse de Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse qui entretiennent des rapports conflictuels avec les élus RN au sein de leur collectivité, Bruno Retailleau veillait à s’assurer d’une forme de respect mutuel. L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson, idéologue avant l’heure de l’union des droites, avait également l’oreille de Bruno Retailleau.
Celui-ci a, en sus, été toujours à l’aise dans le bain de la fachosphère. Il est proche de Bolloré, milliardaire breton, propriétaire de nombreux médias algérophobes en France. Ils s’étaient rencontrés lors d’un déjeuner fin 2020, selon une indiscrétion du Nouvel Obs.
La couverture médiatique du ministre de l’Intérieur dans les pages et sur les antennes du groupe est à l’image de son nouveau statut de coqueluche de la droite : il a fait la une du Journal du Dimanche (JDD) en décembre dernier, sous la forme d’un grand entretien avec trois anciens journalistes de l’hebdomadaire Valeurs actuelles.
L’AFP explique qu’Alger attribue l’entière responsabilité de la détérioration des relations, déjà tendues, entre l’Algérie et la France au ministre français de l’Intérieur. Le ministère des Affaires étrangères a fustigé, mardi, l’attitude « affligeante » du ministre, l’accusant de « barbouzeries à des fins purement personnelles ».
Depuis qu’il est ministre, Retailleau «a ciblé de façon très singulière l’Algérie», explique l’enseignant en géopolitique Adlene Mohammedi. L’ex-ministre et diplomate Abdelaziz Rahabi s’interroge sur X quant à la distinction faite par « une partie de (ses) compatriotes » entre Retailleau et Macron. Il ne croit pas « à une divergence de fond » entre les deux hommes, mais plutôt à une « distribution avisée des rôles, en mode good cop, bad cop ».
Le chercheur en relations internationales Abdellah Akir juge « difficile de dire que Retailleau agit seul, sans l’approbation du Président ». Que l’Algérie tienne à blâmer Retailleau est « un message au président français afin qu’il prenne la mesure qu’il jugera appropriée pour démanteler les mines posées par le ministre sur le chemin de l’apaisement », assure à l’inverse M. Akir.
Un « éloignement » définitif entre les deux pays n’est pas envisageable, pense Ismail Maarraf, professeur de sciences politiques à Alger. « Les intérêts stratégiques élevés entre les deux pays et la sensibilité des dossiers qui n’apparaissent pas en public font que l’on n’exclut pas un retour prochain des relations à la normale », selon l’expert.
Le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot a assuré hier que même si Paris a répliqué « avec fermeté » aux décisions algériennes, il faudra « à terme » reprendre le dialogue « dans l’intérêt des Français ». Le Quai d’Orsay sait sûrement de quoi il parle. Idem de la place Beauvau ?
Source : El Watan – 17/04/2025 https://elwatan-dz.com/hostilite-a-legard-des-algeriens-discorde-entre-alger-et-paris-rupture-retailleau-le-ministre-de-la-haine