Le premier ministre annonce que la France va « réexaminer tous les accords » avec l’Algérie, menaçant de les remettre en cause d’ici six semaines. Une stratégie du bras de fer que réclamait Bruno Retailleau, mais que redoutaient les diplomates. Emmanuel Macron, lui, est toujours mutique.

On savait François Bayrou passionné d’équitation ; on le découvre désormais amateur d’escalade (verbale). Le premier ministre a tenté, mercredi 26 février, d’élever le ton face à l’Algérie, accusée de « ne pas respecter » ses engagements internationaux et de placer la relation bilatérale dans une « situation inacceptable » et « qui ne peut plus perdurer »« Un peuple a le droit d’exiger que la loi soit respectée », a tonné le chef du gouvernement, au terme d’un comité interministériel de contrôle de l’immigration largement consacré aux relations franco-algériennes.

Prévue depuis trois semaines, la réactivation de cette instance créée en 2005 prenait une importance particulière à l’aune des tensions diplomatiques entre Paris et Alger. Celles-ci ont repris en intensité après l’attentat de Mulhouse (Haut-Rhin), le 22 février, la France accusant l’Algérie d’avoir refusé à quatorze reprises l’expulsion de l’individu interpellé, malgré l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) qu’elle avait délivrée.

Au sein de l’exécutif, la tenue d’une telle réunion devenait indispensable, alors que des divergences croissantes se faisaient entendre entre Bruno Retailleau, le ministre de l’intérieur, partisan de « sanctions » fermes à l’égard d’Alger, et Jean-Noël Barrot, en charge des affaires étrangères, qui poussait pour l’option diplomatique et pour une reprise à bas bruit des échanges avec l’Algérie.

C’est un troisième acteur qui a fini par faire pencher la balance et l’arbitrage du premier ministre : le lobbying sonore de la droite et de l’extrême droite en faveur d’un bras de fer et de mesures de rétorsion. Quelques heures avant la réunion à Matignon, les médias du groupe Bolloré (CNews, Europe 1 et Le Journal du dimanche) publiaient de façon simultanée les résultats d’un sondage qui, affirmaient-ils, montraient le soutien massif de l’opinion à l’idée d’une suspension totale des visas pour les ressortissant·es algérien·nes.

« La crise a pris des proportions inédites pour des raisons de politique intérieure, note Adlène Mohammedi, chercheur en géopolitique et enseignant à l’université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle, spécialiste des relations internationales dans le monde arabe. La classe politique française utilise des mots qu’on n’avait pas l’habitude d’entendre dans l’histoire récente des deux pays. C’est comme si on offrait les Algériens sur un plateau aux électeurs de droite et d’extrême droite. »

Les accords de 1968, dont la dénonciation est devenue un totem du bloc central et de l’extrême droite, ont sans surprise occupé une place prépondérante dans l’intervention de François Bayrou. Jugeant que l’Algérie ne les respectait plus, le chef du gouvernement a estimé que ces textes donnaient « des avantages considérables aux ressortissants algériens » – Alger considère à l’inverse, comme plusieurs sources diplomatiques françaises interrogées par Mediapart, que cet accord est une « coquille vide ».

Les mots forts… puis les actes ?

« Ce n’est plus le sujet, sinon le président aurait utilisé cet outil depuis longtemps », faisait valoir un proche d’Emmanuel Macron récemment. Pourtant partisan de la fermeté avec Alger, Gérald Darmanin, le garde des Sceaux, avait critiqué la focalisation sur l’accord de 1968, le 13 janvier sur LCI. « Il est devenu un peu obsolète, mais ça n’est pas le nœud principal du problème, c’est une guerre déjà passée », jugeait alors l’ancien ministre de l’intérieur.

Tiraillé entre les deux approches qui se sont fait jour autour de la table, le président du MoDem a décidé de trancher « pile au milieu », comme aurait dit sa marionnette des « Guignols de l’info » au début du siècle : la méthode forte… mais pas maintenant. En la matière, Bayrou a fait du Bayrou, décidant de lancer un « audit interministériel de la politique de délivrance des visas » et ouvrant un délai entre « un mois » et « six semaines » pour réexaminer les accords franco-algériens.

Au terme de ce délai, si la situation ne s’améliore pas, le gouvernement français considérera que « les termes consentis seront remis en cause et, au bout du chemin, ce sont les accords qui seront remis en cause ». Au-delà des modalités pratiques d’un tel réexamen, le premier ministre s’est voulu offensif dans les mots choisis à l’égard de l’Algérie, parlant à plusieurs reprises des « avantages préférentiels » sans « équivalent » dont disposeraient ses ressortissant·es, menaçant même de s’attaquer aux passeports diplomatiques.

Au sujet de Boualem Sansal, incarcéré en Algérie depuis la mi-novembre 2024, le chef du gouvernement est allé beaucoup plus loin que ce qu’avait exprimé jusque-là la diplomatie française. Dénonçant un manque de « respect » à l’égard de l’écrivain, François Bayrou a évoqué « les pressions » qu’il aurait subies « pour changer son avocat, pour des raisons qui tiennent à l’origine de cet avocat » – des accusations en antisémitisme démenties par le bâtonnier d’Alger, désormais reprises à leur compte par les autorités françaises.

Jean-Noël Barrot a aussi révélé mardi que des « mesures de restriction de circulation et d’accès au territoire national pour certains dignitaires algériens » avaient été prises, ajoutant mercredi qu’elles dataient d’« il y a quelques semaines », donc avant l’attentat. Elles concernent « quelques centaines de personnes », a précisé François Bayrou.

Ces mesures ont suscité la « surprise » et « l’étonnement » d’Alger. Dans un communiqué, le ministre algérien des affaires étrangères a affirmé qu’il n’a « aucunement été informé » de cette décision, estimant qu’elle « s’inscrit dans la longue liste des provocations, des intimidations et des menaces dirigées contre l’Algérie ».

Le silence de Macron

Au sein des cercles de pouvoir français, plusieurs de nos interlocuteurs s’inquiétaient déjà des conséquences qu’aurait un tel raidissement sur la coopération sécuritaire et économique entre les deux pays. La première est prisée par le ministère des armées, avec qui Alger continue d’échanger dans la lutte contre le terrorisme.

La précédente période de tensions entre les deux capitales avait déjà débouché, en 2021, sur une restriction drastique des visas pour tordre le bras à l’Algérie – et à ses voisins maghrébins – sur le terrain des réadmissions. En vain, le gouvernement renonçant finalement à sa mesure pour privilégier des négociations diplomatiques. « Gérald Darmanin avait aussi débuté son ministère en cherchant à nous forcer la main puis il est venu à Alger et, in fine, nous avons trouvé le bon modus operandi », commentait Abdelmadjid Tebboune, le président algérien, dans L’Opinion début février.

Dans cet entretien, le successeur d’Abdelaziz Bouteflika ouvrait la porte à une reprise des discussions avec l’ancienne puissance coloniale. « Nous sommes conciliants, nous allons doucement, nous sommes prêts à dialoguer mais le recours à la force est un non-sens absolu », prévenait-il. Avant d’exhorter Emmanuel Macron à s’impliquer lui-même dans la crise : « Je suis d’accord [sur le fait que les deux pays doivent se reparler rapidement – ndlr]. Encore faut-il que le président français, les intellectuels, les partisans de la relation puissent faire entendre leurs voix. »

À Paris aussi, des conseillers et des diplomates pressent le président de la République de mettre les mains dans le cambouis algérien pour dénouer la crise. Mais étonnamment, le principal intéressé brille par sa discrétion dans le dossier. Une inertie d’autant plus difficile à comprendre que le levier diplomatique est le dernier qui reste au chef de l’État. N’est-ce pas lui qui réaffirmait récemment, face à un Michel Barnier désireux de s’y immiscer, que les affaires étrangères relevaient de son « domaine réservé » ?

 « La politique intérieure française, ce n’est pas CNews ou un ministre qui doit la faire, lance le sénateur socialiste Rachid Temal, président du groupe d’amitié France-Algérie au Palais du Luxembourg. J’en appelle au président de la République pour qu’il fasse revenir tout le monde à la raison. Il doit prendre la parole, remettre la relation bilatérale dans le sillage des accords d’Alger. »

Après avoir laissé entendre que des décisions seraient prises au plus haut niveau fin janvier, l’Élysée ne dit plus rien. Accaparée par le dossier ukrainien, la cellule diplomatique du Palais vit aussi au rythme des péripéties internes et des départs. Après avoir claqué la porte, le sherpa présidentiel Emmanuel Bonne va finalement rester, contrairement à la conseillère chargée de la communication internationale, Anastasia Colosimo, qui devrait faire ses cartons dans les prochaines semaines.

Fidèle à sa méthode, largement éprouvée sur les sujets de politique intérieure, François Bayrou a tenté mercredi de gagner du temps tout en contentant l’air du temps réactionnaire. Il pourrait perdre sur les deux tableaux, décevant la droite et l’extrême droite en ne cédant pas aux revendications les plus belliqueuses de Bruno Retailleau et échouant à rétablir des relations diplomatiques normales entre la France et l’Algérie.

Source : Mediapart – 26/02/2025 https://www.mediapart.fr/journal/politique/260225/france-algerie-bayrou-brandit-la-menace-diplomatique