Frantz Fanon aurait eu 100 ans. Né en Martinique en 1925, il fut psychiatre, militant, écrivain et penseur de la décolonisation. Engagé dans les Forces françaises libres en 1943, il se forme à la psychiatrie institutionnelle et à la lutte anticoloniale en Algérie.

Avec Amzat Boukari-Yabara, docteur du Centre d’études africaines de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), spécialiste du panafricanisme.

Auteur de plusieurs ouvrages, de Peau noire, masques blancs aux Damnés de la Terre, il n’a cessé d’analyser les mécanismes de la domination, en liant racisme, colonisation, santé mentale et aliénation économique. Dans un contexte où les études postcoloniales peinent encore à trouver leur place en France, que reste-t-il de la pensée fanonienne ?

Podcast (13mn) : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-question-du-jour/que-reste-t-il-de-frantz-fanon-6755824

Un combattant de la liberté

Frantz Fanon naît en 1925 à Fort-de-France, en Martinique, une société encore marquée par l’héritage de l’esclavage aboli moins d’un siècle plus tôt. Selon Amzat Boukari-Yabara, « Fanon va découvrir de manière brutale et radicale qu’il n’est pas tout à fait français de la même manière que ceux de l’Hexagone ». Ce choc identitaire s’ancre dans une société martiniquaise traversée par la domination raciale, sociale et économique. Son engagement dans les Forces françaises libres à 17 ans naît d’un idéal de liberté, mais se heurte vite à une profonde désillusion face au racisme des troupes françaises.

Décoloniser la psychiatrie

Formé à la psychothérapie institutionnelle avec François Tosquelles, Fanon développe à l’hôpital de Blida une approche inédite de la psychiatrie coloniale. « Il met en place un processus de libération des corps, de circulation, de socialisation par le sport, la culture, la religion », explique Boukari-Yabara. Ce travail clinique le convainc que « la colonisation est une violence totale qui déshumanise l’homme », tant le colonisé que le colon. De cette expérience naîtront ses deux œuvres majeures : Peau noire, masques blancs (1952), qui analyse l’intériorisation du racisme, et Les Damnés de la terre(1961), manifeste pour la libération des peuples.

Un engagement algérien

Ambassadeur du FLN au Ghana et intellectuel engagé jusqu’à sa mort, Fanon reste largement ignoré dans l’enseignement français. Pour Boukari-Yabara, « il a combattu la France dans le cadre de l’anticolonialisme », ce qui explique en partie son invisibilisation. Pourtant, Les Damnés de la terre, préfacé par Sartre, a irrigué les luttes de libération des années 60 à 80, du Black Power à l’apartheid sud-africain. Sa pensée, au croisement du politique, du psychiatrique et du philosophique, reste une boussole pour interroger les liens entre racisme, domination et émancipation.

Source : France Culture – La question du jour – 21/07/2025 https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-question-du-jour/que-reste-t-il-de-frantz-fanon-6755824