Le Coran a été lu, traduit et débattu en Europe dès le Moyen Âge. Le projet « European Qur’an » (EuQu) explore cette histoire méconnue, en retraçant comment le texte sacré a circulé et influencé la pensée européenne entre 1150 et 1850. Ce travail scientifique est devenu le symbole d’un malaise : celui d’une extrême droite vent debout contre tout ce qui touche à l’islam.

Financée par le Conseil européen de la recherche et l’Union européenne à hauteur de 9,8 millions d’euros, cette initiative scientifique réunit depuis 2019 et jusqu’en 2026 une quarantaine de chercheurs répartis entre les universités de Nantes, Amsterdam, Naples et Copenhague.

Issus de plusieurs disciplines, ils mènent une enquête inédite sur la façon dont le Coran a nourri la culture, la pensée et les imaginaires européens entre 1150 et 1850.

Comme tant d’autres projets académiques, EuQu aurait pu rester confidentiel, mais sa thématique, l’islam, lui a valu au printemps 2025 de se retrouver au cœur d’une campagne de dénigrement orchestrée par l’extrême droite française.

Tout commence par un article paru le 13 avril dans le Journal du Dimanche, qui accuse ce travail d’être un outil de « soft power islamique ».

Rapidement, plusieurs figures, dont des personnalités politiques, s’emparent de l’affaire pour dénoncer un financement européen qui, selon eux, servirait les intérêts des Frères musulmans.

Ces détracteurs ignorent l’essence même du programme, qui ne relève en rien d’un prosélytisme déguisé. Il s’agit de montrer comment le Coran a circulé parmi les intellectuels du continent.

Victor Hugo ou Goethe, notamment, se sont inspirés de certaines sourates, comme le montrent les travaux d’Emmanuelle Stefanidis, postdoctorante à l’Université de Nantes, qui s’est penchée sur le mouvement romantique.

« Le poème de Victor Hugo intitulé Verset du Koran est une réécriture de la sourate al-Zalzala, publié dans le deuxième tome de La Légende des siècles en 1877 », explique-t-elle. « On retrouve également dans « La Légende des siècles » d’autres textes inspirés de l’islam, comme « L’An Neuf de l’Hégire » ou des références explicites à « Iblis », terme coranique ».

Au-delà de la recherche académique, EuQU vise également à mettre en avant une histoire commune et à la transmettre au grand public.

Des expositions sont prévues à Nantes, Vienne, Tunis et Grenade ainsi que des publications, dont une bande dessinée intitulée Safar.

L’ambition n’est autre que de déconstruire les clichés d’un islam extérieur, voire ennemi, et restituer un passé commun, fait d’échanges et d’influences croisées.

Mais une telle approche ulcère les tenants d’une Europe fondée sur des racines exclusivement judéo-chrétiennes. Une vision que l’historienne Sophie Bessis qualifie de mythe. Dans son essai La civilisation judéo-chrétienne – Anatomie d’une imposture, elle soutient que cette expression, popularisée après 1945, a surtout servi à exclure l’islam du récit historique européen.

Pour John Tolan, historien médiéviste et codirecteur du « Coran européen », si l’extrême droite a ce projet en ligne de mire, c’est parce qu’il contredit sa « vision suprémaciste blanche de l’histoire ».

Source : Le Courrier de l’Atlas – 18/06/2025 https://www.lecourrierdelatlas.com/le-coran-europeen-ou-la-recherche-prise-pour-cible/

En complément : https://www.lecourrierdelatlas.com/john-tolan-il-devient-de-plus-en-plus-difficile-de-travailler-sur-lislam-sans-attirer-les-foudres-de-lextreme-droite/