Avec le groupe de parlementaires NFP, nous souhaitons que la commémoration de ces massacres soit inscrite dans le protocole des cérémonies officielles de célébration de la victoire du 8 mai 1945 contre le nazisme. Nous voulons l’ouverture totale des archives, la création d’un lieu de mémoire national permettant d’honorer les victimes de ces crimes d’État et la création d’un musée national de l’histoire du colonialisme. Danielle Simonnet, députée du groupe écologiste et social.

Au printemps 2015, M’hamed Kaki, président de l’association « Les Oranges » et Olivier le Cour Grandmaison, politologue, me sollicitent pour me demander de relayer leur combat au sein du conseil de Paris : la reconnaissance des crimes d’État de l’autre 8 mai 45. Alors que le peuple Français fêtait l’armistice, la paix retrouvée et la victoire sur le nazisme, ce même 8 mai 1945, commençaient en Algérie, à Sétif, Guelma et Kherrata, des répressions sanglantes de manifestations nationalistes, indépendantistes et anti-colonialistes. En avril 2015, mon vœu demandant la reconnaissance de ces crimes d’Etat a été adopté à l’unanimité.

Dix ans plus tard, et 80 ans après ces massacres, l’État français ne les a toujours pas reconnus. Dorénavant députée, cette fois-ci c’est moi qui ait pris l’initiative de recontacter M’hamed Kaki et Olivier le Cour Grandmaison. J’ai constitué un groupe de travail entre député.es du Nouveau Front Populaire, avec notamment Sabrina Sebahi du groupe écologiste et social, Elsa Faucillon du groupe communiste et Fatiha Keloua-Hachi du groupe socialiste. Au travers d’auditions d’historiens, des descendants des victimes, d’un colloque à l’Assemblée Nationale, d’un déplacement programmé en Algérie aux commémorations du 8 mai, nous entendons interpeller le Président Emmanuel Macron et le gouvernement, et forcer le Parlement à légiférer pour que ces crimes d’État soient enfin reconnus.

Ce travail mémoriel est d’autant plus important que ces faits restent ignorés du plus grand nombre. En 2015, c’est M’hamed Kaki et Olivier Le Cour Grandmaison qui m’enseignent ces tragiques évènements de 1945. Je participais déjà depuis plusieurs années aux mobilisations pour la reconnaissance des massacres du 17 octobre 61 et ceux de Charonne du 8 février 1962. C’est d’ailleurs plus dans le cadre de mes engagements politiques que je me suis formée à ces sujets. Est-ce qu’on ne me les avait pas enseignés dans ma scolarité ou bien est-ce mes engagements qui m’ont permis d’en prendre pleinement conscience ? Le fait est que depuis 2015, hors réseaux militants, aujourd’hui encore, je croise peu de personnes qui ont eu connaissance de ces crimes coloniaux.

Alors que j’écris cette note, les réseaux sociaux et médias s’enflamment contre les propos de l’éditorialiste Jean Michel Apathie sur RTL qui a déclaré mardi 25 février “Nous avons fait des centaines d’Oradour-sur-glane en Algérie”. Voilà le journaliste harcelé par l’extrême-droite mais aussi par la droite, suspendu de RTL 1 semaine et l’Arcom est même saisie ! Pour l’historien de référence sur l’Algérie, Benjamin Stora, «Jean-Michel Aphatie a levé le voile sur une vérité historique méconnue du grand public ». Selon lui « La suspension de Jean-Michel Aphatie est une nouvelle tentative de restreindre le champ de la critique historiographique ». 

Il est nécessaire de rappeler que la responsabilité des autorités françaises dans la déportation des juifs pendant la seconde guerre mondiale n’a commencé à être reconnue qu’en 1992, avec la première présence d’un président, François Mitterrand, à la commémoration de la rafle du Vel d’hiv. Une journée nationale sera instaurée l’année d’après, et Jacques Chirac reconnaîtra officiellement cette responsabilité au travers de son discours de juillet 1995, ouvrant la porte au devoir de mémoire. Le Parlement quant à lui ne se prononcera que 5 ans plus tard, dans la loi du 10 juillet 2000, pour reconnaître cette responsabilité au travers de l’instauration d’une « Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux « Justes » de France ». Il aura fallu 50 ans avant que la culpabilité de la France ne soit officiellement reconnue.

Combien de temps faudra-t-il attendre pour que les crimes coloniaux commis par l’État français le soient ? Ils restent toujours un sujet tabou. Pire, ils sont l’objet d’un déni politique. En 2015, le FN menait une bataille culturelle réactionnaire, en nostalgie de l’Algérie française et des criminels de l’OAS, en débaptisant comme à Béziers la « rue du 19 mars 1962 », date du cessez-le-feu de la guerre d’Algérie. Dix ans plus tard, la bataille idéologique semble avoir tant régressé. En 2022, le doyen RN à l’assemblée nationale s’est cru autorisé, dans son discours inaugural, à évoquer sa nostalgie de l’Algérie française, et que ce n’était pas à lui de juger si l’OAS avait commis des crimes. La banalisation de la parole raciste est étroitement liée à ce refus de condamner les crimes coloniaux. Il est d’autant plus important de les faire connaître et d’assumer enfin politiquement de les caractériser comme crimes d’État. 

Il faut rappeler les faits. Dans la rue principale de Sétif en Algérie, de nombreux Algériens s’étaient rassemblés pacifiquement pour fêter l’armistice mais aussi exiger la libération du dirigeant nationaliste du Parti du peuple algérien (PPA) Messali Hadj, et défendre « l’Algérie libre », pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et pour l’indépendance. Un jeune scout, Bouzid Saâl, arbore alors le drapeau du PPA, futur drapeau algérien, interdit par les autorités coloniales. Après avoir refusé de baisser le drapeau, il sera assassiné par la police française en marge de la manifestation. L’information se diffuse alors rapidement dans la région de Sétif et donne lieu à de violentes émeutes qui feront 102 victimes issues de la population dite « européenne ». Pendant plusieurs semaines, l’armée française comme à Sétif et des milices coloniales comme à Guelma, composées de civils d’origine européenne et couverts et même soutenues par le sous-préfet, ont fait régner la terreur au nom du rétablissement de l’ordre colonial et pour défendre l’Algérie française. Si le nombre des victimes algériennes est difficile à établir et encore sujet à débat, le gouvernement algérien avance le nombre de 45 000 morts, et la très grande majorité des historiens français attestent d’un bilan de dizaines de milliers de victimes arrêtées, torturées et exécutées dans une terrible répression qui dura jusqu’à fin juin. A Guelma, la “chasse aux musulmans”, organisée par les milices, a conduit à nombre d’exécutions dont les corps ont été brûlés dans des fours à la chaux.

Après la publication du rapport de l’historien Benjamin Stora de janvier 2021, le président Emmanuel Macron s’était engagé à soutenir des initiatives mémorielles communes entre la France et l’Algérie. La France a ainsi soutenu la création d’une commission mixte d’historiens français et algériens proposée par le gouvernement algérien. Cette commission a pu se réunir cinq fois et portait le projet de publier une chronologie de tous les massacres. Mais dans les faits, le travail mémoriel n’a quasi pas commencé du point de vue de l’État français et tout s’est arrêté. Avec la question du Sahara occidental, des accords migratoires, avec l’affaire des influenceurs algériens et de l’arrestation de Boualem Sansal, on assiste à une escalade des tensions sans précédent. Ceux qui étaient si silencieux lorsque tant d’Algériens engagés dans le Hirak subissaient la répression du pouvoir, sont prêts à remettre en cause tous les accords et coopérations liant la France et l’Algérie ! L’aile la plus réactionnaire de l’entourage de Macron est bien décidée à tendre au maximum. Cette escalade semble bien plus attisée par un agenda électoral dicté par l’extrême droite que visant à servir les intérêts de la France. Il ne s’agit pas de nier la place et l’instrumentalisation de la question mémorielle dans le récit national du pouvoir algérien. Mais s’y refuser au nom du rejet d’une « repentance » ne sert qu’à décrédibiliser celles et ceux qui veulent reconnaître les faits et la responsabilité de la République. 

Le travail mémoriel ne doit pas s’arrêter. Cette page de l’histoire est à la fois française et algérienne.  La reconnaître contribuerait à consolider la fraternité entre le peuple Algérien et le peuple Français, et entre français. Nous sommes toutes et tous d’histoires mêlées, de la grande Histoire à nos histoires familiales, et sociales en sens large. Les blessures sont toujours profondes. Le témoignage lors de notre colloque à l’assemblée de la famille Abda illustre la douleur partagée par tant de descendants des victimes des crimes coloniaux. Le silence du présent ajoutant tant d’humiliation à l’indignité et l’injustice des exécutions du passé. Le racisme et les discriminations ont été, et sont, la matrice du colonialisme et de son rapport de domination. Personne ne peut ignorer qu’aujourd’hui encore, les héritiers des migrations liées aux anciennes colonies sont les premières victimes du racisme et des discriminations.  Reconnaître ce massacre commis par l’État français permettra à tous nos concitoyens, notamment ceux issus de l’immigration algérienne, de se construire toujours plus fraternellement dans l’avenir commun de la communauté légale républicaine, où toutes les mémoires doivent être respectées. La bataille antiraciste doit se nourrir du devoir mémoriel. Nous devons regarder notre passé en face pour construire un futur commun !

Source : Mediapart – Billet de blog – 25/04/2025 https://blogs.mediapart.fr/pour-la-reconnaissance-des-massacres-du-8-mai-45-en-algerie/blog/250425/regarder-le-passe-en-face-pour-construire-un-avenir