Le journaliste français a été condamné à sept ans de prison par la cour d’appel de Tizi Ouzou, en Algérie. Le jugement est contraire aux principes fondamentaux qui, à travers le monde, consacrent le droit de savoir.

La liberté d’informer est un principe fondamental attaché aux droits humains. Pas seulement en France, partout dans le monde. La mission des journalistes est d’être au service du droit de savoir et de la liberté de dire, dans le souci de la vérité des faits, le respect des sources et du contradictoire.

Le droit de chacun·e à avoir accès aux informations et aux idées est rappelé dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits humains de l’Organisation des Nations unies (ONU). En adhérant, dès son indépendance en 1962 à cette instance supranationale, l’Algérie a de facto souscrit à cette résolution de 1948.

Mercredi 3 décembre, dans la foulée de l’audience en appel, la cour de justice de Tizi Ouzou, en Algérie, a condamné le journaliste français Christophe Gleizes, âgé de 36 ans, à sept ans de prison. Notre confrère, collaborateur de So foot et Society, avait été arrêté le 28 mai 2024 et placé sous contrôle judiciaire notamment pour « être entré dans le pays avec un visa touristique » et pour « apologie du terrorisme ».

À la barre, il a exhorté les juges à la « clémence », reconnaissant avoir fait « beaucoup d’erreurs journalistiques malgré [ses] bonnes intentions », selon un journaliste de l’AFP présent à l’audience. Christophe Gleizes a ainsi admis qu’il aurait dû demander un visa de journaliste et non de touriste avant de partir en reportage.

Cela n’a pas empêché le parquet de réclamer un alourdissement à dix ans de sa première condamnation. « L’accusé n’est pas venu en Algérie pour accomplir un travail journalistique mais [pour commettre] un acte hostile », a estimé son représentant. Le tribunal lui a d’ailleurs demandé s’il savait que le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) avait été classé en mai 2021 comme terroriste par les autorités algériennes quand il avait rencontré son président Ferhat Mehenni, à Paris, en octobre de la même année.

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Manifestation pour la libération de Christophe Gleizes à Avignon, le 16 juillet 2025. © Photomontage Mediapart avec l’AFP

Quelle que soit la réponse – en l’occurrence Christophe Gleizes a affirmé qu’il n’était pas au courant –, il est nécessaire de rappeler que les journalistes ne doivent être identifiés ni aux personnes qu’ils mettent potentiellement en cause, ni aux témoins, ni même à leurs sources. Ils ne sont les défenseurs ni des uns ni des autres. Ils sont une autre voix, celle des citoyens et des citoyennes qui veulent savoir. Ils produisent des faits d’intérêt général, une fois que ceux-ci sont recoupés, vérifiés et documentés.

Interviewer, enquêter et informer, ce n’est pas un délit. « Le journalisme consiste à recueillir des informations, y compris auprès de personnes ou d’organisations controversées, indiquent les nombreuses organisations de médias français qui demandent la libération du journaliste. Qualifier cette démarche d’“apologie du terrorisme” revient à nier la nature même du métier et à menacer la liberté d’informer, garantie par les conventions internationales. Un reporter qui interroge un responsable sportif n’est pas complice de ses positions : il fait son travail. »

L’intérêt général

À l’issue du jugement, Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières (RSF), a fait part de sa stupéfaction : « RSF condamne avec la plus grande fermeté la décision aberrante de la cour d’appel de Tizi Ouzou, qui choisit de maintenir en prison un journaliste n’ayant fait que son travail. » « Nous devons expliquer aux magistrats d’appel qu’un journaliste ne fait pas de politique »« n’est pas un idéologue »« pas un activiste », affirmait l’avocat du journaliste, Emmanuel Daoud, avant l’audience.

Ce dernier a tenté, à raison, d’éviter d’imbriquer le destin de son client dans le tumulte des relations franco-algériennes, après la grâce et la libération par Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal le 12 novembre. Il a ainsi récusé l’expression d’« otage », en précisant que Christophe Gleizes avait pu recevoir des visites et avoir accès à son dossier pénal et à ses avocats.

Il n’en reste pas moins qu’en actant l’enfermement d’un journaliste – quelle que soit sa nationalité : cela vaut tout autant pour les journalistes algérien·nes injustement emprisonné·es –, le tribunal bafoue le droit des citoyennes et des citoyens – quelle que soit, à elles et eux aussi, leur nationalité – à disposer d’informations leur permettant de se positionner en toute autonomie et en toute liberté.

Ratifiée à Tunis en 2019, la charte mondiale d’éthique des journalistes, qui reprend les principes de la charte de Munich de 1971, ne dit pas autre chose : « La responsabilité du/de la journaliste vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité, notamment à l’égard de ses employeurs et des pouvoirs publics. »

Seul compte l’intérêt général des lecteurs et des lectrices, par-delà les frontières. Christophe Gleizes doit être libéré. Selon la procédure judiciaire algérienne, il ne reste qu’une issue, celle de la grâce que pourrait accorder le président algérien Abdelmadjid Tebboune (celle-ci ne pourrait intervenir qu’après la condamnation définitive du reporter, qui peut encore se pourvoir en cassation).

Cela suppose qu’aux côtés des professionnel·les de l’information, les citoyens et citoyennes se mobilisent pour le respect de leur droit : celui d’être informé·e, directement par celles et ceux qui témoignent et enquêtent.

Source : Mediapart – 04/12/2025 https://www.mediapart.fr/journal/international/041225/christophe-gleizes-la-place-d-un-journaliste-n-est-jamais-en-prison