Tensions diplomatiques, surenchère verbale, déclarations enflammées… Depuis quelques mois, le feuilleton orageux entre Paris et Alger s’intensifie, atteignant un niveau de crispation inédit.
Mais au milieu du vacarme politique, quelques voix s’élèvent encore pour appeler à la raison. Parmi elles, l’historien Benjamin Stora, le diplomate Gérard Araud ou encore le député Éric Coquerel, qui plaident pour une sortie de crise.
Benjamin Stora ne cache pas son inquiétude. Il assure n’avoir « jamais connu de crise aussi grave entre les deux pays ». Benjamin Stora a appelé, mercredi 26 février sur Franceinfo, Emmanuel Macron à « parler et à trouver les mots justes » pour tenter de régler la crise entre Alger et Paris.
« Nous ne pouvons pas rester dans l’attentisme et le silence, dit-il. Il faut avancer, trouver les mots justes, puisqu’il va de l’avenir des deux générations de ces deux pays.»
Benjamin Stora a déploré « des prises de position politiques qui ont mis le feu aux poudres et qui sont venues percuter ce travail mémoriel, en particulier la question du Sahara occidental ».
Mais au-delà du clash diplomatique, cette escalade révèle aussi une crise politique de part et d’autre de la Méditerranée. À Paris, Emmanuel Macron, fragilisé par la dissolution de l’Assemblée nationale, s’est appuyé sur la droite et l’extrême droite, traditionnellement plus proches de Rabat et souvent hostiles à Alger. Les premières victimes de cette tempête diplomatique ? Les Franco-Algériens, selon Benjamin Stora. « Ils sont très inquiets, car beaucoup ont de la famille des deux côtés de la Méditerranée et ont le sentiment d’être pris en otage.»
Il apporte quelques mises au point au sujet de la libre circulation : « On parle beaucoup de l’accord de 1968, mais aujourd’hui, le véritable problème pour un Algérien, c’est d’obtenir un visa, pas cet accord. » Concernant cet accord de 1968, qui revient tel un leitmotiv depuis quelques mois en France, Benjamin Stora estime que le texte « était un accord de restriction ».
Et d’expliquer : « En 1962, dans les Accords d’Evian, il y avait cette libre circulation entre l’Algérie et la France. Du coup, on l’a restreint avec l’accord de 68 et on a donné une compensation aux travailleurs algériens avec le type de résidence, de logements, etc.». Benjamin Stora estime que le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche pourrait rebattre les cartes.
Un rapprochement stratégique entre Alger et Washington, notamment sur le plan militaire, permettrait à l’Algérie, selon ses mots, de rompre son isolement et désamorcer sa dépendance historique à la Russie.
Autre voix discordante : celle de Gérard Araud. L’ancien ambassadeur de France aux États-Unis met en garde contre une impasse diplomatique qui se profile dangereusement.
Compromis impossible
Sur le réseau social X, le diplomate sonne l’alerte : « Tôt ou tard, nous conclurons que la politique suivie vis-à-vis de l’Algérie nous mène dans une impasse. On fera appel aux diplomates pour réparer le gâchis. Un peu de réalisme, s’il vous plaît…»
Loin des postures belliqueuses, Araud rappelle que la diplomatie n’est pas un jeu de rapports de force criés sur tous les toits. « Un rapport de force, ça s’établit en silence. Rien de pire que la publicité qui nourrit la rhétorique de l’humiliation, rendant tout compromis impossible », dit-il dans un tacle direct aux fanfaronnades du ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau. « Qu’il se taise ! » s’indigne Araud. « Je sais qu’il satisfait ainsi une partie de son électorat, mais qu’il pense à l’intérêt national. Ce n’est pas ainsi qu’on fait de la politique étrangère.»
De Villepin, ancien ministre des Affaires étrangères, abonde : Retailleau commet un « malentendu », croyant pouvoir régler par la confrontation ce qui relève de la diplomatie. Une diplomatie qui, en temps normal, relève de l’Élysée et du Quai d’Orsay. Ségolène Royal, elle aussi, fustige Retailleau et sa « diplomatie parallèle » qui n’a pour effet que de crisper davantage les relations.
C’est aussi l’avis des députés de gauche, à l’instar d’Eric Coquerel, député insoumis et président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, qui n’a pas manqué, dans une interview télévisée, de décocher quelques flèches bien senties : « Ce que fait la France avec l’Algérie est une faute historique.»
Il estime que la diplomatie française a franchi la ligne rouge avec la reconnaissance par Paris de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. « La France ouvre des plaies et joue les néocoloniaux.
Pour l’Algérie, c’est une provocation inacceptable », assène-t-il. L’Insoumis ne mâche pas ses mots : « Retailleau ignore que la colonisation française de l’Algérie est finie. Les relations avec l’Algérie ne sont pas gérées par le ministre de l’Intérieur ».
Et de soupirer : « Que monsieur Retailleau se calme ! Il faut arrêter avec cette confrontation absurde, la France a plus besoin de l’Algérie que l’inverse, notamment pour le gaz.»
Le député LFI ne s’arrête pas là. Il voit dans la posture du ministre une obsession postcoloniale doublée d’un « fond raciste », et promet qu’en cas d’arrivée de son parti au pouvoir, « la première visite officielle se fera en Algérie, pour établir des relations d’égal à égal ». Manière de dire qu’il est grand temps d’en finir avec les relents de paternalisme.
« Ce n’est pas sain, ce n’est pas bon, et ce n’est pas comme ça que l’on règle les problèmes », conclut-il, balayant d’un revers de main le mélange des genres entre immigration, diplomatie et batailles idéologiques.
Source : El Watan – 01/03/2025 https://elwatan-dz.com/crise-entre-alger-et-paris-ceux-qui-refusent-lescalade