Algériennes surexposées, les visages oubliés de la guerre d’Algérie – Djamal Guettala
Vient de paraître, Algériennes surexposées, un ouvrage essentiel qui revisite une page méconnue de la guerre d’Algérie à travers les portraits saisissants de femmes algériennes photographiées clandestinement par le photographe français Marc Garanger.
Photographe antimilitariste, Marc Garanger (1935-2020) effectue son service militaire pendant la guerre d’Algérie. Affecté au 2e régiment d’infanterie, il est chargé par le commandant de réaliser des photos d’identité, contraignant les femmes à se dévoiler. Il a alors 25 ans.
Envoyé à Aïn Terzine et dans les villages de regroupement avoisinants, il réalise plus de 2000 portraits de femmes algériennes en dix jours.
Mais, au-delà du strict cadre des photos d’identité, Marc Garanger fait un choix radical : il réalise clandestinement de véritables portraits. Ces clichés révèlent un autre regard, plus humain, plus respectueux, capturant la fierté, la force et la souffrance des femmes dans un contexte d’humiliation coloniale.
À partir de ces photographies devenues célèbres et parce qu’elles « renferment les dominations coloniale, sociale, raciale, masculine et sexuelle », Zalia Sekaï propose un regard inédit sur les femmes et la guerre d’indépendance.
L’auteure dramatique mêle photographie, littérature et essai pour tenter de comprendre la guerre à travers ces images. Elle confie : « Pour tenter de capter le hors champ de ces femmes algériennes, l’invisible, j’ai longuement travaillé à partir de documents strictement historiques, puis il m’est apparu nécessaire de travailler sur des récits, journaux, autofictions et faire des recoupements, m’imprégner du vécu des auteurs, pour proposer une histoire informelle et personnelle de la guerre d’Algérie. »
Ainsi, Algériennes surexposées ne se contente pas de montrer des photographies. C’est une véritable immersion dans la mémoire coloniale, où s’entremêlent violence, domination, mais aussi résistance et dignité féminine. Ce livre donne voix à celles dont les regards, longtemps invisibilisés, interpellent encore aujourd’hui sur les mécanismes du pouvoir et les silences imposés.
Plus qu’un album photographique, cet ouvrage est une réflexion profonde sur la mémoire, la représentation et les traumatismes du passé colonial, et un hommage aux femmes algériennes, témoins d’une histoire complexe et douloureuse.
Safar est une bande dessinée qui revient sur sept siècles de voyages et de rencontres, de l’abbaye de Cluny à Budapest, de Bagdad à l’Andalousie, pour suivre les traces du Coran dans la culture européenne.
Safar Scénario de Maurizio Busca et John Tolan Documentation : Jan Loop, John Tolan, Mercedes Garcia-Arenal, Roberto Tottoli Dessins et couleurs : Ernesto Anderle Éditions Petit à petit, Rouen, 2025 – 128 pages
Vous l’ignoriez sans doute, mais l’entreprise d’infiltration des islamistes en Europe a commencé depuis des siècles, bien avant la naissance des Frères musulmans. Parmi les complices de ce projet de subversion, on trouve pêle-mêle Martin Luther et Bonaparte, Pierre le Vénérable et le Pape Léon X. Tous ont œuvré à introduire le Coran et ses enseignements pernicieux sur le Vieux Continent.
« Faire des Européens une oumma qui s’ignore »
Heureusement, du haut de sa science qui lui a valu la Légion d’honneur et portes ouvertes dans tous les médias de l’extrême droite, et bien au-delà, l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler sonne une nouvelle fois le tocsin et dénonce ce travail de sape. Se vantant d’avoir été la première personne auditionnée par la commission gouvernementale sur les Frères musulmans, elle excommunie un projet de recherche qui avait échappé au commun des mortels, « Le Coran européen ». Celui-ci serait « très intéressant pour les Frères musulmans » et viserait à une « islamisation de la connaissance, c’est-à-dire un savoir compatible avec la charia ». « Un tel projet pourrait servir un certain révisionnisme historique qui vise à faire des Européens une oumma (nation islamique) qui s’ignore1 ».
Quelle est donc cette entreprise subversive ? Un programme2 qui remonte à 2019 et qui s’achève cette année. Il est financé par le Conseil européen de la recherche (plus connu avec son acronyme anglais ERC) sur une base scientifique rigoureuse — seul un projet soumis sur dix est accepté. Ce programme mobilise une large équipe de chercheurs de différentes disciplines et s’attache à étudier la réception du Coran en Europe et ses traductions en latin, en italien, en néerlandais, etc. Ses responsables expliquent : « Nous étudierons comment le Coran est traduit dans des langues européennes, comment il circule dans les milieux intellectuels européens, et comment il est compris, commenté, utilisé et réinterprété par des intellectuels européens (chrétiens, juifs, déistes, athées, ou autres) ».
Mohammed serait « un clerc chrétien frustré de ne pas avoir été élu pape »
La charge de Bergeaud-Blackler serait risible si elle ne reflétait pas l’air du temps, comme en témoignent les attaques du président étatsunien Donald Trump contre les universités ; si elle ne contribuait pas à vicier tout débat scientifique3. La plupart des textes publiés dans le cadre du « Coran européen » sont sans doute inaccessibles au commun des mortels et sûrement à la coqueluche de l’extrême droite (et du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau), dont les connaissances dans le domaine médiéval ou des langues utilisées au Moyen Âge avoisinent le zéro. Le seul intérêt de cette polémique sera, il faut l’espérer, d’amener plus de lecteurs à prendre connaissance de ce récit graphique co-scénarisé par l’historien franco-américain John Tolan, une des déclinaisons grand public du projet « Le Coran européen »4 Intitulé Safar qui signifie « voyage » (un mot arabe pour titre, quelle horreur !), il nous invite à une longue balade à travers les siècles, du Moyen Âge à l’époque contemporaine, via l’abbaye de Cluny, la ville de Bâle ou le Vatican, avec une étape à Bagdad.
Point de départ, Pierre le Vénérable, élu abbé de Cluny en 1122, qui part en Espagne, encore sous domination musulmane, à la recherche de lettrés capables de traduire le Coran, mais aussi des textes qui relatent la vie de Mohammed ou qui éclairent le livre sacré des musulmans et permettraient de « connaître réellement la religion des sarrasins et de corriger l’ignorance de nos confrères, » précise-t-il. À l’époque, on croit encore que Mohammed serait « un clerc chrétien qui, frustré de ne pas avoir été élu pape, fonda sa propre doctrine ». Le projet de Pierre reste de convertir les musulmans, mais, avec les idées plutôt qu’avec les épées, un programme dont on comprend qu’il hérisse Bergeaud. D’autant qu’il n’exclut pas une volonté de comprendre et d’être au plus près des textes, en allant à la recherche de manuscrits disséminés à travers les continents — tâche ô combien difficile avant l’invention de l’imprimerie.
On rencontre durant cette exploration des personnages fascinants comme Jean de Ségovie, au milieu du XVe siècle, alors que les principautés musulmanes résistent pour quelques décennies à la Reconquista5, et qui va réaliser une édition trilingue du Coran en arabe, latin et castillan. Son entreprise témoigne « d’un besoin sincère de compréhension du texte coranique ». Ou encore Al-Hassan, dit Léon l’Africain, rendu célèbre en France par l’écrivain Amine Maalouf. Musulman de naissance, né à Grenade en 1486 avant la chute de la ville en 1492, réfugié à Fès, il sera capturé par un navire espagnol en 1518 et livré au Pape Léon X. Celui-ci le baptisa et en fit un conseiller pour la traduction de documents arabes.
« Le diable du Pape est plus grand que le diable du Turc »
On découvrira aussi pourquoi Luther imposa à la ville réformée de Bâle la traduction du Coran en allemand contre toutes les réticences. « Il n’y a pas de meilleur moyen d’affronter le Turc que d’exposer les mensonges et les fables de Mahomet. » Avant le préciser que « la vraie cause de l’invasion turque6, c’est la punition divine pour la corruption de l’Église romaine. Le diable du Pape est plus grand que le diable du Turc ». Autre utilisateur du Coran, le général Bonaparte qui durant sa campagne d’Égypte proclama : « Nous sommes de vrais musulmans, n’avons-nous pas détruit le Pape qui voulait leur faire la guerre ? »
Le livre s’achève au XIXe siècle, avec la surprenante figure du rabbin allemand Geiger et son ouvrage Quels sont les emprunts que Muhammad a fait au judaïsme ?. C’est un moment de bascule. On entre dans une nouvelle période où s’impose désormais la méthode scientifique de l’étude du Coran plutôt que la méthode polémique, dont on aurait pu espérer qu’elle avait été abandonnée dans les milieux scientifiques. Mais, à écouter Bergeaud et consorts, on mesure notre erreur.
Notes
« Coran européen : les dessous du projet financé par l’UE », entretien avec Le Figaro, 18 avril 2025.
Les coordonnateurs du programme sont Mercedes Garcia-Arenal (Conseil National de la Recherche Espagnole, Madrid), Jan Loop (université de Copenhague), John Tolan (université de Nantes) et Roberto Tottoli (université de Naples).
Pour défendre le projet de recherche de l’ERC face aux attaques de Florence Bergeaud-Blackler, John Tolan a rédigé une lettre ouverte au président du CNRS publié dans Le Club de Médiapart, « Défendons l’indépendance de la recherche contre l’extrême droite », 12 mai 2025.
Une autre est l’exposition « Le Coran, des histoires européennes » visible à la médiathèque Jacques Demy à Nantes, jusqu’au 30 août 2025.
La reconquête de l’Espagne par les rois catholiques s’acheva en 1492, avec la chute de Grenade.
C’est l’époque de l’expansion de l’empire Ottoman en Europe.
Les bonnes feuilles d’une histoire de l’indigénat depuis ses origines dans l’Algérie de la conquête jusqu’aux héritages les plus contemporains en Nouvelle-Calédonie.
Les éditions du CNRS rééditent en 2025 l’ouvrage consacré à l’histoire de l’indigénat en 2019 par Isabelle Merle et Adrian Muckle, avec un avant-propos et une postface évoquant les événements récents en Kanaky – Nouvelle Calédonie. Comme l’écrit l’éditeur, « ce livre offre, pour la première fois, une histoire du régime de l’indigénat sur la longue durée, depuis ses origines les plus lointaines dans l’Algérie de la conquête jusqu’aux héritages les plus contemporains en Nouvelle-Calédonie ». Nous publions ici son introduction.
Le régime de l’indigénat, connu aussi sous le nom de Code de l’indigénat ou réduit à la simple expression d’Indigénat est, parmi les dispositifs juridiques attachés à l’Empire colonial français, celui qui a probablement le plus fortement marqué la mémoire des colonisés. Aujourd’hui encore, on peut trouver, dans le discours de représentants de pays anciennement dominés par la France et aujourd’hui indépendants, l’évocation de l’Indigénat pour rappeler l’esprit et les pratiques d’une époque marquée par la violence, l’injustice, l’humiliation. C’est le cas du journal algérien El Moudjahid qui titrait le 5 juillet 2012 pour le cinquantenaire de la signature des Accords d’Evian : « La France coloniale : du Code noir au Code de l’indigénat ou l’humiliation de l’homme par l’homme[1]. »
Le message est frappant et joue sur les usages politiques du passé en renvoyant à la France l’image de son très long héritage de puissance colonisatrice, telle une piqûre de rappel dans le dialogue tendu avec l’ancienne métropole impériale. Le rappel est surtout historique, car l’Algérie, française à partir de 1830, a échappé à l’esclavage et le régime de l’indigénat qui y fut appliqué entre 1881 et 1944, semble aujourd’hui un lointain souvenir. En Algérie comme en France d’ailleurs, le rappel de ces « codes » participe d’un passé révolu à ranger avec les oripeaux du colonialisme, l’un et l’autre recouvrant des dispositifs dont on a largement oublié le contenu. Pourtant, leur évocation fait encore mouche en 2012 du point de vue de l’Algérie car il s’agit d’interpeller le passé colonial de la France et ses contradictions fondamentales : une nation démocratique qui dérogea avec persistance à ses principes, tout au long de son histoire, dés lors qu’il s’agissait de projets ou de territoires coloniaux.
En évoquant le code noir et le code de l’indigénat, le journaliste d’El Moudjahid rappelle les dispositifs juridiques d’exception mis en place pour discriminer, contrôler, réprimer et dominer les populations soumises et contredit ainsi le récit de fondation de la France, pays des droits de l’homme et du citoyen.
La mémoire de l’indigénat semble plus rarement mobilisée par les autorités politiques d’autres pays anciennement français en Afrique de l’Ouest, Madagascar ou encore au Viet Nam, Laos et Cambodge. L’indigénat est, en revanche, régulièrement évoqué et utilisé en tant que référence utile dans les débats contemporains, en Nouvelle-Calédonie où se joue, depuis 1988, un processus de décolonisation original dont l’aboutissement fut le récent référendum d’autodétermination qui s’est conduit, le 4 novembre 2018 et qui pourra se reproduire en 2020 et 2022[2].
En avril 2018, par exemple, dans la perspective de la venue du Président de la République, Emmanuel Macron, le Sénat Coutumier fustigeait l’absence de reconnaissance officielle de l’autorité coutumière et affirmait devant un journaliste que :
« Le modèle administratif privilégié ici [n’est autre qu’] « un copier-coller de l’Hexagone », où les communes, « positionnées à l’intérieur des districts », « agissent en parallèle », « sans aucune coordination » comme si « le régime de l’indigénat continuait à sévir »[3]
L ’allusion est obscure et nous nous contenterons de remarquer que le Sénat coutumier utilise l’argument pour pointer une organisation administrative contemporaine qui se contenterait, comme sous l’indigénat, de reproduire le modèle français. Nous verrons que le sujet est autrement plus complexe mais notons que, pour les Sénateurs coutumiers, l’indigénat évoque bien plus qu’un « code » désuet et renvoie à l’histoire de l’organisation administrative et coloniale du territoire.
Lorsqu’on interroge plus largement les Kanak nés avant ou pendant la Seconde guerre mondiale, les réponses ouvrent d’autres perspectives en rappelant, l’impôt de capitation, l’interdiction de circuler, les prestations, les réquisitions, le travail forcé mais restent au demeurant très stéréotypées, ancrées surtout dans la période des années 1930-1946. Le souvenir de ce qu’ils ont subi, cependant est encore très vif et signale le poids que représente ce régime dans la mémoire kanak[4].
Rappelons qu’actuellement, parmi les derniers confettis de l’empire que sont les territoires d’outre-mer français, la Nouvelle-Calédonie est le seul qui a connu l’indigénat. La Polynésie française, Wallis et Futuna, les Antilles française, la Réunion et la Guyane y ont échappé pour des raisons historiques. Et l’indigénat y a sévit longtemps puisqu’il a été imposé en 1887, 6 ans après son inauguration en Algérie et Cochinchine. Il a été supprimé, comme dans le reste de l’Empire (à l’exception de l’Algérie) en 1946 ; soixante années d’application dont le souvenir évoque en vrac des éléments disparates, sans lien évident les uns avec les autres. Ceci doit nous alerter sur le fait que, derrière le mot indigénat, se cache un objet d’étude complexe, protéiforme et difficile à saisir à la fois dans ses dimensions impériales et localisées.
Un chapitre classique du droit colonial
Jusqu’à la Seconde guerre mondiale, l’étude du régime de l’indigénat constituait un chapitre classique du droit colonial et fit l’objet de plusieurs thèses dans cette branche de la discipline juridique ; branche qui tomba en désuétude avec la décolonisation[5]. Le régime de l’indigénat perdit toute actualité alors que le contexte dans lequel il faisait sens jusqu’alors, se délitait, relégué, avec l’ensemble du droit colonial, dans les arcanes d’un passé impérial dont on ne voulait plus parler[6].On chercherait en vain, dans l’historiographie des années 1960-1980, une étude consacrée spécifiquement à ce dispositif, à l’exception de l’historien nigérien A.I Asiwaju[7]. Quelques spécialistes, anthropologues, politologues ou historiens, s’intéressent, encore en ces années-là, aux modalités pratiques de ce dispositif sur les terrains qu’ils étudient, observations qui restent localisées et partielles, tandis que les historiens de la France coloniale se contentent de le signaler parmi l’un des piliers essentiels de la politique indigène sans pourtant l’étudier pour lui-même et en tant que tel[8].
Le régime de l’indigénat réapparait comme objet d’étude légitime « en soi et pour soi » à la fin des années 1990 quand les études coloniales et post-coloniales prennent leur élan, aux Etats Unis, en Grande Bretagne puis en France. Plusieurs travaux lui sont consacrés adoptant essentiellement deux perspectives. La première s’inscrit dans un terrain colonial particulier pour en comprendre localement, la forme, la nature et les effets, au Dahomey[9], en Nouvelle-Calédonie[10], en Algérie[11] ou en Afrique noire[12]. La seconde entre dans le sujet par l’histoire de l’Etat, du droit et des institutions privilégiant alors une focale centrée sur la métropole, les débats parlementaires, les controverses juridiques et les aspects législatifs et réglementaires[13]. Le clivage est révélateur des difficultés que soulève l’étude d’un tel dispositif, comme le notait déjà en 2004, dans un article, Isabelle Merle, en soulignant l’importance d’articuler précisément principes et pratiques[14].
La genèse de l’indigénat est le fruit d’un processus complexe qui prend forme dans le contexte de la guerre coloniale que la France mène en Algérie entre 1830 et 1880. Plus exactement, il est l’un des instruments essentiels de ce qu’on appelle alors la pacification, doux euphémisme pour décrire le processus d’imposition d’un nouvel ordre public colonial derrière les lignes de combat dans les régions qui ont apporté leur reddition. Selon le juriste René Pommier en 1907, le régime de l’indigénat « n’est que le résidu des pouvoirs militaires dus aux nécessités de conquêtes »[15], dans une situation « qui n’est plus la guerre ouverte mais qui est loin de représenter la paix sociale »[16]. Un moyen de continuer la guerre par d’autres moyens pourrait-on dire en inversant la célèbre formule de Clausewitz[17]. Parmi les mesures préconisées : les pouvoirs spéciaux de haute police confiés aux gouverneurs — internement administratifs, séquestres de biens, amendes collectives — et les pouvoirs spéciaux confiés aux officiers ou administrateurs civils des affaires indigènes les autorisant à punir les seuls indigènes et ceux qui leurs sont assimilés pour réprimer des délits inconnus ou non prévus en France.
Au sens étroit du terme, le régime de l’indigénat est un régime juridique dérogatoire du droit commun dans le domaine du droit pénal dans la généalogie duquel on peut effectivement trouver le Code noir , l’un et l’autre incarnant la figure de l’exception juridique au sens où il s’agit « d’un ensemble de lois articulant une série de droits et de devoirs d’exception au concert général de la loi française ou, plus modestement, aux usages juridiquement retenus en métropole » selon la définition donnée par Louis Sala-Molins [18].
La complexité de la genèse de l’indigénat et plus encore les contradictions aigues que suscitent cette justice d’exception au regard des principes fondamentaux du droit français, en font un objet extrêmement intéressant à étudier en tant que révélateur des tensions liées à la fabrique conjointe d’une nation et d’un empire au xixe siècle.
Le paradoxe fondamental du colonialisme
Etudier l’indigénat, c’est travailler au plus près le paradoxe fondamental que soulève la politologue tunisienne, Hélé Béji : « Le colonialisme ne l’oublions pas a été l’œuvre de démocraties, de nations parlementaires. […] A mesure que les modernes forgeaient leurs droits politiques, ils nous les refusaient à nous, indigènes. » Et cette injustice qu’elle qualifie de métaphysique ouvre la voie à la violence, extrême ou régulière dont l’indigénat est l’un des instruments[19].
Béji fait ici implicitement le lien entre l’absence de droits politiques fondée sur l’exclusion de l’indigène de la citoyenneté — marque de fabrique caractéristique de la construction de la nationalité dans les colonies françaises qui distinguait les sujets et les citoyens — et l’imposition d’un régime répressif d’exception autorisant l’exercice d’une violence légale spécialement réservée aux indigènes. Nous verrons à quel point le statut pénal dérogatoire de l’indigénat est intimement lié à la construction du sujet indigène non citoyen, l’emboîtement de régimes spéciaux sur le plan pénal, civil et politique qualifiant finalement « la condition des indigènes en droit »[20]. Mais il faut signaler que ce différentiel dérogatoire au regard du droit commun crée tout au long de la période coloniale, débats, contestations et remises en cause qui révèlent toute la complexité de la construction de l’Etat en situation coloniale ; les colonies devant être comprises comme des zones « d’exceptionnalité » où sont mises à l’épreuve les principes fondamentaux de la nation[21].
L’objet « indigénat » interroge au premier chef la nation française et son histoire impériale. Mais il interroge aussi la situation coloniale au sens où l’entendait Georges Balandier en 1951 en tant qu’approche sociologique de sociétés composites créées ipso facto par le contact et la domination coloniale dans le contexte de terrains localisés et rigoureusement historicisés[22]. Car l’indigénat s’est déplacé et s’est mondialisé au fils du temps tout en se métamorphosant dans les lieux où il fut installé sous l’influence des logiques en jeu dans les contextes considérés. Le dispositif est connu par la loi votée le 28 juin 1881 pour l’Algérie limitée aux pouvoirs spéciaux des administrateurs des communes mixtes. Il est transféré et adapté en Cochinchine sous la forme d’un décret, promulgué un mois avant, le 25 mai 1881, qui opère, on le verra, une synthèse essentielle entre pouvoirs spéciaux dévolus aux gouverneurs et ceux dévolus aux agents subalternes. Une fois le régime de décret adopté, le dispositif peut voyager dans l’Empire colonial : il est appliqué en 1887 au Dahomey/Sénégal et en Nouvelle-Calédonie, en 1897 en l’Afrique occidentale française (AOF) et l’Afrique équatoriale française (AEF), au Tonkin, Annam, îles Sous-le-Vent en Polynésie, en 1898 au Cambodge. Il est adopté à Madagascar et aux Comores en 1901, à la Côte des Somalis en 1912 et enfin aux Togo et Cameroun en 1923 et 1924[23].
Dans chaque territoire, le cadre est posé : le gouverneur dispose de pouvoirs spéciaux l’autorisant à appliquer aux indigènes des peines qui entrent dans aucune catégorie légale en France (l’internement administratif, le séquestre et les amendes collectives), les administrateurs des affaires indigènes disposent de pouvoirs spéciaux les autorisant à sanctionner les manquements à la longue liste dite d’infractions spéciales dont se dote chaque colonie. Tandis que les gouverneurs agissent dans le registre de haute police, la liste d’infractions spéciales incarne une police de proximité dans les domaines les plus variés de la vie : habillements, signes ostensibles de respect aux autorités coloniales, obéissance aux ordres de réquisition ou d’obligation de travail, paiement de l’impôt, interdictions de circulation, respect des règles de prophylaxie, etc. Le régime de l’indigénat recouvre ainsi par les obligations et les interdictions qu’il impose, bien des aspects de l’ordre colonial, ce qui explique qu’en Nouvelle-Calédonie les souvenirs des « vieux » font le lien entre l’indigénat, le travail forcé, les impôts et les interdictions de mobilités. Ce qui explique aussi la difficulté de réduire l’analyse de ce régime à quelques principes fondamentaux sans étudier en détail ses modalités d’application et l’impact des règlements qu’il sous tend ou à l’inverse la complexité du contexte qui permet de comprendre l’élaboration de la liste des infractions, ses spécificités locales et ses évolutions. Celle-ci participe d’une microphysique du pouvoir et se métamorphose selon les contextes considérés. L’interdiction de la nudité sur les routes est inscrite dans la liste en Nouvelle-Calédonie quand elle n’aurait aucune pertinence en Algérie. Les réunions sans autorisation pour le pèlerinage sont condamnées en Algérie. L’omission à déclarer à la justice les cadavres découverts dans les fleuves devient une infraction en Cochinchine. Les listes fabriquées dans chaque colonie se distinguent les unes des autres par certains articles mais partagent fondamentalement les mêmes préoccupations : la défense de l’ordre public colonial qui exige le respect de l’autorité, l’obéissance aux ordres, l’obligation de travail, le paiement de l’impôt et le contrôle des circulations ; autant d’éléments qui structurent le nouvel ordre social dans lequel le régime de l’indigénat joue un rôle majeur.
Dans un article récent, Sylvie Thénault distingue trois acceptions de l’indigénat. La première, juridique, renvoie au dispositif que nous avons décrit précédemment et serait « la plus évidente » et la « plus commode » pour la recherche[24]. Les études qui s’y seraient consacrées se placeraient sur le point de vue des colonisateurs.
La seconde recouvre une « extension de la notion d’indigénat[25] » illustrée par les travaux entrepris dans les perspectives d’une historiographie de la punition et de la répression coloniale, en particulier ceux menés par Gregory Mann et par Taylor C. Sherman[26]. Fondés sur des enquêtes de terrain, ces travaux ne s’intéressent pas aux textes mais aux pratiques de l’indigénat rigoureusement situées historiquement et en contexte et révèlent la part d’arbitraire et d’illégal qui accompagnait l’exercice de la justice d’exception à l’encontre des indigènes. Les pouvoirs spéciaux confiés aux commandant de cercle en AOF ou aux administrateurs des affaires indigènes ailleurs servaient à couvrir toutes sortes de dérives jusqu’à contredire radicalement l’idée que l’empire colonial fut un « Empire du droit »[27]. Cette historiographie place sous le terme indigénat, les pratiques légales et illégales de répression qui tissent autour des indigènes les mailles d’un « réseau coercitif » pour reprendre la formule utilisée par Sherman. Elle adopterait le point de vue des colonisés.
La troisième acception de l’indigénat, enfin, élargit encore la perspective pour englober tout ce qui relève du statut indigène sur le plan pénal et civil. L’indigénat recouvrirait alors « dans un seul mouvement la totalité des dispositifs constitutifs du statut des sujets coloniaux[28] ».
Un régime juridique d’exception construit progressivement
Plutôt que d’opposer les textes et les pratiques et d’imputer à la notion d’indigénat un sens fabriqué a posteriori par le chercheur, nous préférons adopter une autre approche. L’exigence est de suivre, au plus près, la trame historique qui conduit progressivement à penser et organiser un régime juridique d’exception en Algérie, entre 1840 et 1881 en retraçant précisément les méandres des réflexions et débats, les interrogations, désaccords, avancées et reculs. Nous proposons ensuite d’emprunter ce que nous pourrions appeler les chemins de l’indigénat lorsque celui-ci est transféré en Cochinchine entre 1879 et 1881, écarté de Tahiti en 1880 lorsque l’île devient colonie, puis déployé, 6 ans plus tard, en Nouvelle-Calédonie et au Sénégal première étape d’une extension impériale qui ne cessera par la suite de s’élargir.
L’enjeu de cet ouvrage n’est pas de couvrir l’histoire de cette extension mais de resserrer peu à peu l’enquête.
Celle-ci s’ouvre, dans une première partie, sur l’étude des principes juridiques et leur genèse en Algérie et Cochinchine, pour amener ensuite le lecteur dans un voyage en Océanie où l’application du régime de l’indigénat a connu toutes sortes de variations en Polynésie française, aux Marquises et jusqu’en Nouvelle-Calédonie où il est pleinement et durablement installé à partir de 1887.
La deuxième partie de l’enquête rétrécit la focale sur le cas précis de la Nouvelle-Calédonie où le régime sera étudié sous toutes ses facettes en articulant précisément textes et pratiques. Ne seront jamais perdus de vue les débats juridiques, controverses ou tentatives de réformes menés au loin, en France ou dans les colonies dont les échos parviennent jusque dans les fonds de vallées calédoniennes où ils sont souvent détournés ou ignorés au prétexte de la spécificité du contexte local. L’analyse précise de ce contexte ainsi que des positions et actions des acteurs qui ordonnent, utilisent ou subissent le régime de l’indigénat, a pour but de révéler en finesse sa forme, sa nature, son fonctionnement, ses aléas, sa puissance et la limite de sa puissance sur un terrain singulier dont l’histoire est néanmoins emboitée dans les dynamiques plus larges d’une histoire impériale et métropolitaine. Autour de l’objet « indigénat » se pressent une multitude d’acteurs, ministres, inspecteurs des colonies, gouverneurs, chefs du service des affaires indigènes, gendarmes/syndic, colons, missionnaires, chefs kanak, sujets, et assimilés. L’enjeu n’est pas de distinguer le point de vue des colonisateurs ou des colonisés mais de comprendre le sens de la conversation, des interactions, des projets et des actes qui ont contribuer à la fabrique de l’indigénat en ce territoire précis pour le mettre en œuvre, l’accompagner, le défendre ou le dénoncer, s’y soumettre, le contourner ou lui résister.
La troisième partie de l’enquête, enfin, traitera de la période de l’entre-deux-guerres et des années de guerre et d’après-guerre au cours desquelles l’indigénat est discuté, contesté puis condamné. On verra ce qu’il en est en Nouvelle-Calédonie en analysant en pratique la sortie de l’indigénat, les résistances qu’elle suscite autant que les espoirs qu’elle soulève. Un épilogue conclusif ouvrira une réflexion sur les effets d’héritage et la mémoire vive d’un régime qui aujourd’hui encore constitue une référence inconsciente ou consciente mais toujours active.
Plusieurs raisons nous invitent à offrir en 2018 un ouvrage consacré à l’histoire du régime de l’indigénat en Nouvelle-Calédonie.
La première des raisons que nous pourrions invoquer tient à notre compétence et spécialité. Tous deux historiens, nous menons depuis plus de vingt ans des enquêtes sur l’histoire de la Nouvelle-Calédonie qui nous ont permis d’acquérir une grande familiarité avec le pays, ses habitants, son passé et ses archives. L’étude d’un régime répressif tel que l’indigénat, ses modalités d’application et ses effets est le fruit d’un long travail d’investigation dans un corpus documentaire parcellaire, éparpillé et souvent incomplet dont le regroupement et recoupement exigeaient une connaissance approfondie des fonds et du contexte[29]. Nous avons bien sûr bénéficié, de l’apport de recherches antérieures qui ont été menées sur le sujet sous un angle ou sous un autre[30]. Il convient cependant de constater qu’aucune n’a eu jusqu’ici l’ambition que soutient cet ouvrage, celle de couvrir l’histoire du régime de l’indigénat et de son application en Nouvelle-Calédonie sur la longue durée. L’indigénat occupe une place essentielle dans ce pays, tant sur le plan historique que dans les mémoires et les débats contemporains. Il convenait de combler cette lacune et d’offrir au lecteur un travail approfondi et rigoureux rendant justice à l’histoire, à ses acteurs et aux victimes.
La seconde raison est le caractère central qu’a pris dans ce pays, le régime de l’indigénat dans la définition du statut de l’indigène et dans l’organisation de sa vie sociale sous l’emprise coloniale. On peut faire ici l’hypothèse que l’indigénat n’a pas pesé de la même façon dans tous les territoires où il a été appliqué et qu’il a pesé particulièrement en Nouvelle-Calédonie en cherchant à organiser la société indigène et le quotidien des individus dans les registres les plus divers, politiques, économiques, sociaux ou culturels ainsi que sur le plan territorial et foncier[31].
Le décret d’application en 1887 ne se contente pas de légaliser les pouvoirs spéciaux dont sont dotés les gouverneurs et les syndics des affaires indigènes, comme c’est le cas en Cochinchine et au Sénégal. Il affirme une volonté de reformater l’espace et la société kanak par la délimitation de territoires dits de tribu — notion éminemment coloniale qui n’a pas d’existence sociologique dans le monde kanak ancien — qui seront nommés et à la tête desquels on désignera un « chef » — au sens colonial du terme — dont les attributions seront définies ultérieurement. La volonté d’imposer une nouvelle organisation territoriale ainsi que de nouvelles figures de pouvoir est constitutive du régime de l’indigénat en Nouvelle-Calédonie. Dix ans plus tard, le décret est prorogé et l’organisation administrative indigène précisée avec la création de districts et de grands chefs qui recouvriront des tribus et des petits chefs relégués sur des réserves indigènes, les sujets ne pourront sortir de leurs districts qu’avec l’autorisation du grand chef.
L’indigénat joue un rôle central en Nouvelle-Calédonie
Le régime de l’indigénat, en cela est au principe d’une organisation spatiale et sociale maintenue entre les deux guerres et après la seconde guerre mondiale et qui perdure encore aujourd’hui. Cette organisation spatiale et sociale, héritage essentiel de la période coloniale, qu’évoque le Sénat Coutumier encore en 2018, est un enjeu central depuis 1946 dans les débats portant sur le devenir de la société kanak en contexte post-colonial à l’intérieur du monde kanak mais aussi dans la société calédonienne en son ensemble.
Contrairement au cas d’autres territoires coloniaux, l’indigénat joue, en Nouvelle-Calédonie, un rôle central dans la définition juridique de l’indigène pendant toute la période coloniale comme si, il était seul à même de définir l’indigène en tant que sujet de droit. La première définition de ce qu’est un indigène en droit dans cette colonie est posée très tardivement en 1915, à l’intérieur même de l’arrêté qui renouvelle la liste des infractions spéciales à l’indigénat. L’intense travail juridique autour des statuts indigènes et de la codification des coutumes auquel on assiste à la fin du xixe siècle jusqu’à la Première Guerre Mondiale en Algérie, en Afrique française et en Indochine n’a pas eu lieu en Nouvelle-Calédonie malgré quelques tentatives en 1913 et dans les années 1920 vite abandonnées. Cette lacune du droit interpelle les juristes dans les années 1930 et provoque des effets paradoxaux. L’indigénat, seul cadre par lequel est défini l’indigène en Nouvelle-Calédonie, met en lumière les négligences du droit colonial de l’époque à l’encontre du sujet kanak, dont la prise en considération est si faible qu’on ne se soucie guère d’en faire un sujet de droit colonial à part entière (dans les normes de l’époque) en cherchant à donner du contenu à son statut personnel par exemple[32]. A l’extérieur des réserves, l’indigène est défini par l’indigénat, à l’intérieur, il devient un impensé juridique qui permet aux Kanak de trouver dans la réserve indigène un lieu de préservation de pratiques, de sociabilités et de coutumes à l’abri du regard européen et de l’imposition de normes juridiques exogènes.
Or la volonté de refondation d’un droit coutumier, y compris la reconnaissance des chefs, soutenue aujourd’hui par le Sénat Coutumier et un certains nombres de juristes métropolitains[33], est intimement lié à cet héritage et ne peut être compris et interprété sans une connaissance approfondie d’une histoire au croisement des univers sociaux et politiques kanak et du droit colonial français. Les « impensés juridiques » d’antan sont aujourd’hui des enjeux dont il faut rappeler précisément la genèse pour éclairer les débats contemporains.
Concernant les aspects strictement répressifs, on peut affirmer que le régime de l’indigénat en Nouvelle-Calédonie illustre parfaitement la notion de « réseau coercitif », pesant dans tous les domaines de la vie quotidienne des indigènes et assimilés. Ces derniers nous rappellent que le régime de l’indigénat n’a pas concerné les seuls Kanak mais aussi les travailleurs sous contrat, Océaniens ou Asiatiques, que l’on a fait venir pour travailler sur les propriétés et dans les mines dès les années 1860 et jusqu’entre les deux guerres. Dès 1887, la liste des infractions spéciales énonce qu’outre le respect des règles de soumission et de l’obéissance aux ordres, Kanak et assimilés ne pourront circuler librement et seront interdits dans les cabarets européens ou sur leurs propriétés et dans les centres de colonisation après 8h du soir. Ils devront s’habiller décemment (selon le point de vue européen), ne porter aucune arme traditionnelle ou pratiquer la sorcellerie. La liste ne cesse de s’allonger par la suite, augmentant d’autant les attributions des chefs chargés de contrôler leurs sujets et de répondre aux injonctions des autorités coloniales, dans les domaines aussi divers que le travail, l’impôt, l’habitat, la santé, les déplacements, d’accueil, les fêtes, l’utilisation des animaux, la consommation d’alcool, l’usage du feu, etc. On comprend alors pourquoi le gendarme/syndic en charge du bon fonctionnement du régime est devenu dans ce pays non seulement un interlocuteur privilégié des chefs mais surtout une figure essentielle du paysage colonial.
L’indigénat est l’arme de la coercition par excellence venant s’immiscer jusque dans l’intimité des corps. Il formate le quotidien de la société indigène, participe à la ségrégation des espaces territoriaux, cherche à contrôler les interrelations que ceux-ci peuvent avoir avec les autres communautés et en cela formate aussi l’ensemble de la société coloniale. Car, si l’indigénat a pesé sur ceux qui l’ont subis, il a aussi, à l’inverse, fortement conditionné les actions et comportements des Européens ou étrangers qui pouvaient en bénéficier activement ou passivement. En cela, la Nouvelle-Calédonie, colonie dite de peuplement, composée de colonisés et colons dont la démographie est quasi équilibrée dans les années 1950, illustre l’idée que soutenaient les intellectuels du temps tels qu’Albert Memmi, Jean-Paul Sartre ou encore Balandier : la situation coloniale fabrique l’indigène tout autant que le colon et oblige l’un comme l’autre à répondre aux jeux de miroir qu’elle impose[34].
La mémoire de l’indigénat symbolise les inégalités et injustices passées et interpellent l’ensemble des Calédoniens d’aujourd’hui, engagés sur le chemin d’une citoyenneté particulière et dans un projet, qui quelle que soit l’issue du référendum, affirmera la volonté d’un destin commun. Derrière ce mot « indigénat » ne se cache pas seulement la souffrance des victimes mais aussi la responsabilité de ceux, calédoniens ou métropolitains, qui l’appliquèrent et le défendirent pendant toute la première moitié du xxe siècle contre les velléités de réformes et contre ceux, qui dans le pays ou en France, voulaient soutenir d’autres valeurs que coloniales, nourries des principes de l’Etat de droit ou de l’humanisme. Il faut aujourd’hui se souvenir que le régime de l’indigénat qui a, par ailleurs connu de nombreuses critiques en son temps, n’a jamais été véritablement réformé en Nouvelle-Calédonie jusqu’en 1946, du fait essentiellement des résistances d’une partie des représentants du colonat. Et en 1947 encore, d’aucuns souhaitaient le rétablir pour revenir à ce qu’on pourrait appeler « la Nouvelle-Calédonie de Papa ». Mais celle-ci était en train de se déliter et de nouvelles perspectives de société s’ouvraient auxquelles une majorité a finalement adhérée portée par le slogan généreux d’un nouveau parti politique créé en 1953, l’Union calédonienne : « deux couleurs, un seul peuple ».
Le régime de l’indigénat est au cœur d’une histoire passée sur laquelle les descendants de colon ont, à l’évidence, aujourd’hui encore, du mal à revenir tandis qu’il sert d’argument repoussoir pour la communauté kanak. Pourtant on ne peut nier qu’il agit comme un référentiel actif, conscient ou inconscient, pour tous, dans les évocations parfois nostalgiques qu’on trouve ici ou là, d’un « ordre ancien », de la « Calédonie des Vieux ». Du côté kanak, on vante le souvenir de jeunes respectant leurs aînés, de chefs se faisant obéir de leurs sujets tandis que du côté européen, on imagine un territoire bien français où la délinquance n’existe pas, où le modèle métropolitain s’impose et avec lui l’implicite supériorité du mode de vie français et valeurs occidentales.
Nous voulions ouvrir cette boîte de Pandore pour contribuer à l’effort de connaissance et d’objectivation qui est au cœur du métier de l’historien. Nous voulions aussi rendre aux acteurs du passé, justice et responsabilité, pour que leurs descendants puissent soutenir leur histoire en conscience, sans peine, amertume ou culpabilité.
Tout au contraire, le travail que nous avons engagé espère nourrir les débats et aider à comprendre le passé pour mieux le dépasser.
Notes
[1] Cherfi A., « La France coloniale : du Code noir au Code de l’indigénat ou l’humiliation de l’homme par l’homme », El Moudjahid, 5 juillet 2012 http://www.elmoudjahid.com/fr/actualites/30046
[2] Conformément à l’accord de Nouméa signé le 5 mai 1998.
[3]Demain en Nouvelle-Calédonie, 19 avril 2018, http://www.dnc.nc/visite-presidentielle-le-senat-coutumier-veut-un-pardon-de-letat-et-la-reconnaissance-de-lautorite-des-chefferies/.
[4] On se reportera aux entretiens suivants : « Wakolo Pouyé : de l’enseignant à l’homme politique », Mwà Véé : revue culturelle kanak, no15, 1997, p. 23-27 ; « Avec Pierre Ataba : l’indigénat vu de Moindou », Mwà Véé : revue culturelle kanak, no15, 1997, p. 33-36 ; « Ambroise Wimbé : mes parents craignaient que l’histoire se répète… », Mwà Véé : revue culturelle kanak, no16, 1997, p. 16-22 ; « Entretien avec monseigneur Michel Kohu, de Nakéty (Canala) », Mwà Véé : revue culturelle kanak, no57, 2007, p. 16-20.
[5] Rinn L., Régime pénal de l’indigénat en Algérie. Les Commissions disciplinaires, Alger, A. Jourdan, 1885 ; Régime pénal de l’indigénat en Algérie. Le séquestre et la responsabilité collective, Alger, A. Jourdan, 1890 ; Carlotti A.L., De l’application faite en Cochinchine du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires : décrets sur l’indigénat, Paris, A. Chevalier-Marescq, 1903 ; Aumont-Thiéville J., Durégime de l’indigénat en Algérie, Thèse de doctorat, Paris, 1906 ; Pommier R., Le régime de l’indigénat en Indochine,Paris, Michallon, 1907 ; Ruyssen R., Le Code de l’indigénat en Algérie, Alger, Imprimerie Administrative Victor Heintz, 1908 ; Marneur F., L’indigénat en Algérie, Considérations sur le régime actuel, critique, projets de réformes, Paris, Recueil Sirey, 1914 ; Spas L., Etude sur l’organisation de Madagascar : justice indigène, indigénat, conseils d’arbitrage, Paris, M. Giard & É. Brière, 1912 ; Larcher E., Traité élémentaire de législation algérienne, 2 tomes, Paris, A. Rousseau, 1923 ; Dareste P., Traité de droit colonial, 2 tomes, Paris, 1931 ; Girault A., Principes de colonisation et de législation coloniale. Les colonies françaises avant et depuis 1815, notions historiques, administratives, juridiques, économiques et financières Paris, Sirey, 1843,[1ère éd.1894].
[6] Rivet D., « Le Fait colonial et nous. Histoire d’un éloignement », Vingtième Siècle, revue d’histoire, no33, 1992, p. 127.
[7]Asiwaju A.I., « Control through coercion: a study of the Indigenat Regime in French West African Administration, l887-l946 », Journal of the Historical Society of Nigeria, vol. 9, no1, 1978, p. 91-124.
[8] Ageron C.R., Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), t. 1, Paris, Bouchène, 2005 [1er éd. 1968] ; Suret-Canale J., Afrique Noire. L’ère coloniale, Paris, Éditions sociales, 1964 ; Guillaume P., Le Monde Colonial, XIXe-XXe siècle, Paris, Armand Colin, 1994 [1er éd. 1974] ; Collot C., Les institutions de l’Algérie durant la période coloniale (1830-1962), Paris, Éditions du CNRS, 1987 ; Fall B., Le travail forcé en Afrique Occidentale Française (1900-1945),Paris, Karthala, 1993 ; Bernault F. (dir.), Enfermement, Prison et Châtiments en Afrique. Du 19e siècle à nos jours, Paris, Karthala, 1999.
[9] Manière L., « Le code de l’indigénat en Afrique occidentale et son application : le cas du Dahomey (1887-1946) », Thèse de doctorat, Université Paris VII, 2007.
[10] Merle I., Expériences coloniales. La Nouvelle-Calédonie, 1853-1920,Paris, Belin, 1995 ; « Le régime de l’Indigénat et l’impôt de capitation en Nouvelle-Calédonie. De la force et du droit : la genèse d’une législation d’exception ou les principes fondateurs d’un Ordre colonial »,dans Saussol A. et Zitomersky J. (éd.), Colonies, Territoires, Sociétés. L’enjeu français, Harmattan, 1996, p. 223-241 ; « L’état français, le droit et la violence coloniale : le régime de l’indigénat en question » dans Chatriot A. et Gosewinkel D. (éd.), Les figures de l’État en Allemagne et en France, 1870-1945 ; Figurationen des Staates in Deutschland und Frankreich, 1870-1945,Oldenbourg, Wissenschaftsverlag, 2006, p. 97-116 ; « Du sujet à l’autochthone en passant par le citoyen. Les méandres, enjeux et ambiguïtés de la définition du statut des personnes en situation coloniale et postcoloniale. Pour exemple, la Nouvelle-Calédonie » dans Isabelle Merle et Else Faugère (ed.), La Nouvelle-Calédonie, vers un destin commun ? Paris, Editions Karthala, 2010, p. 19-37 ; Muckle A., « Troublesome chiefs and disorderly subjects: the indigénat and the internment of Kanak in New Caledonia (1887-1928) », French Colonial History, vol. 11, 2010, p. 131-160 ; « “Natives”, “immigrants” and “libérés” : the colonial regulation of mobility in New Caledonia », Law Text Culture, vol. 15, 2011, p. 135-161 ; « The Presumption of Indigeneity: Colonial administration, the “community of race” and the category of indigène in New Caledonia, 1887-1946 », Journal of Pacific History, vol. 47, no3, 2012, p. 309–328 ; «Putting Kanak to Work: Kanak and the colonial labor system in New Caledonia », Pacific Studies, vol. 38, no3, 2015, p. 345-372 ; Violences réelles et violences imaginées dans un contexte colonial : Nouvelle-Calédonie, 1917, Philippe Boisserand (trad.), Nouméa, Presses universitaires de la Nouvelle-Calédonie, 2018.
[11] Benhaddou-Bouzelat S., « Le code de l’indigénat. Entre lois et réalités », Mémoire de maitrise d’histoire sous la direction d’Omar Carlier, Université Paris I, 1999-2000 ; Guignard D., L’abus de pouvoir dans l’Algérie coloniale (1880-1914). Singularités et visibilités, Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest, 2010 ; Thénault S., Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence, Paris, Odile Jacob, 2012.
[12] Mann G., « What was the Indigénat ? The Empire of Law in French West Africa », Journal of African History, vol. 50, 2009, p. 331-53.
[13] Héricord-Gorre A., « Eléments pour une histoire de l’administration des colonisés de l’Empire français. Le ‘régime de l’indigénat’ et son fonctionnement depuis sa matrice algérienne (1881-c.1920) », Thèse de l’institut européen de Florence, 2008 ; Saada E., « « La question des métis » dans les colonies françaises : socio-histoire d’une catégorie juridique (Indochine française et autres territoires de l’Empire français, années 1890-années 1950) », Thèse de doctorat, EHESS, Paris, 2001 ; Le Cour Grandmaison O., De l’indigénat. Anatomie d’un monstre juridique. Le droit colonial en Algérie et dans l’Empire français, Paris, La Découverte, 2010.
[14] Merle I., « De la légalisation de la violence en contexte colonial. Le régime de l’indigénat en question », Politix, vol. 17, n°66, 2004, p. 137-162.
[15] Pommier, Le régime de l’indigénat en Indochine,p. 17. La formule serait d’Emile Larcher.
[16] Cité dans Saada E., « La question des métis », p. 359.
[18] Sala-Molins L., Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, Paris, Puf, 1987, p. 73.
[19] Béji H., Nous, décolonisés, Paris, Arléa, 2008, p. 23.
[20] Pour reprendre le titre du célèbre traité du juriste Henry Solus, Traité de la condition des indigènes en droit privé : colonies et pays de protectorat et pays sous mandat Sirey, Paris, 1927.
[21] On soulignera ici l’apport des recherches la question relative à la nature de l’Etat colonial, les modes de « gouvernementalité » et les articulations entre nation et empire. Voir à titre indicatif : Cooper F. et Stoler A. (dir.), Tensions of Empire, Colonial Cultures in a Bourgeois World, Berkeley, University of California Press, 1997 ; Scott D., « Colonial Governmentality », Social Text,43, 1995, p. 191-220 ; Mamdani M., Citizen and Subject, Contemporary Africa and the Legacy of the Late Colonialism, Princeton, Princeton University Press, 1996 ; Cohn B. et Dirks N., « Beyond the Fringe : The Nation State, Colonialism, and the Technologies of Power », Journal of Historical Sociology, vol., 1, no2, 1988, p. 224-229. Dans le domaine français, cf. : Saada E., Les enfants de la colonie. Les métis de l’Empire français. Entre sujétion et citoyenneté, Paris, La Découverte, 2007 ; Blévis L., « Sociologie d’un droit colonial : citoyenneté et nationalité en Algérie (1865-1947) : une exception républicaine ? », Thèse de doctorat, Aix-Marseille, 2004.
[22] Balandier G., « La situation coloniale. Approche théorique », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 11, 1951, p. 44-79, p. 76. Cf. Merle I., « « La situation coloniale » chez Georges Balandier. Relecture historienne », Monde(s),vol. 2, n°4, 2013, p. 211-232.
[23] Dareste P., Traité de droit colonial,t.2, p. 502-512.
[24] Thénault S., « L’indigénat dans l’Empire français : Algérie/Cochinchine, une double matrice », Monde(s), vol. 12, no2, 2017, p. 23.
[26] Mann G., « What was the Indigénat ? » ; Sherman T.C., « Tensions of Colonial Punishment : Perspectives on Recent Developments in the Study of Coercive Networks in Asia, Africa and the Carribean », History Compass, vol. 7, no3, 2009, p. 659-677.
[27] Notion développée par Saada dans « The Empire of Law: Dignity, Prestige, and Domination in the « Colonial Situation » », French Politics, Culture and Society, vol. 20, no2, 2002, p. 98-120.
[28] Thénault S., « L’indigénat dans l’Empire français », p. 25.
[29] Ceci est surtout le cas en Nouvelle-Calédonie où les archives du Service des affaires indigènes ont été disloquées ou perdues soit presque totalement (notamment pour la période avant 1930) ou en partie (pour la période après). Donc en matière de statistiques, par exemple, on ne dispose pas du même niveau de détail ou organisation dans les fonds que les chercheurs en AOF ou Algérie.
[30] Nous citons ici les travaux directement centrés sur l’histoire de l’indigénat en Nouvelle-Calédonie : Corre B., « Histoire du service des affaires indigènes de Nouvelle-Calédonie. Affaires indigènes, Indigénat et politiques indigènes de 1856 à 1954, assimilation ou ségrégation ? », Mémoire de DEA, Université française du Pacifique, 1997 ; Lambert J-M., La nouvelle politique indigène en Nouvelle-Calédonie. Le capitaine Meunier et ses gendarmes, 1918-1954,Paris, Harmattan, 1999 ; Kurtovitch I., La vie politique en Nouvelle-Calédonie : 1940-1953, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2000 ; « Sortir de l’indigénat : Cinquantième anniversaire du régime de l’indigénat en Nouvelle-Calédonie », Journal de la Société des Océanistes,n°105, 1997-2, p. 117-139. Voir aussi dans la revue culturelle kanak Mwà Véé : « Dossier : L’indigénat 1887-1946 », Mwà Véé,n°15, 1997, p. 6-36 ; « Dossier : Indigénat II » Mwà Véé, n°16, 1997, p. 16-22 ; Les Kanak à l’heure de la « nouvelle politique indigène », Mwà Véé, n°57, 2007.
[31] Notre recherche est complémentaire des travaux des recherches historiques portant sur les politiques indigènes et l’expérience des colonisés. Nous citerons ici : Saussol A., L’Héritage. Essai sur le problème foncier mélanésien en Nouvelle-Calédonie, Paris, Musée de l’Homme, 1979 ; Dauphine J., Les spoliations foncières en Nouvelle-Calédonie, 1853-1913, Paris, Harmattan, 1989 ; Bensa A. et Goromido A., Histoire d’une chefferie kanak (1740-1878). Le pays de Koohnê – 1 (Nouvelle-Calédonie), Paris, Karthala (avec la Province Nord de Nouvelle-Calédonie), 2005 ; Jaumouillie A.-L., « Entre « sagaïes » et médailles : Processus colonial de reconnaissance des chefs kanak en Nouvelle-Calédonie (1878-1946) », Thèse de doctorat, Université de la Rochelle, 2007 ; Naepels M., « Le devenir colonial d’une chefferie kanake (Houaïlou, Nouvelle-Calédonie) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 65e année, no4, 2010, p. 913-943; Salaün M., L’école indigène. Nouvelle-Calédonie. 1885-1945, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005 ; Trépied B., Une mairie dans la France coloniale. Koné, Nouvelle-Calédonie, Paris, Karthala, 2010; Shineberg D., The People Trade. Pacific Island Laborers and New Caledonia, 1865-1930, Honolulu, University of Hawai‘i Press, 1999 ; Adi C., Orang kontrak. Les engagés originaires de Java venus sous contrat en Nouvelle-Calédonie, 1896-1955,Koné, Editions de la Province Nord, 2014.
[32] Henry Solus doute en 1927 qu’on ait reconnu aux Kanak un statut personnel (la reconnaissance de leurs coutumes en matière de filiation, mariage, héritage et succession sur terres de réserve). « Nous ne connaissons point de textes qui l’ait formellement proclamé » affirme-t-il dans son Traité de la condition indigène en droit privé, Paris, Recueil Sirey 1927, p. 151. Son collègue Dareste déplore le caractère embryonnaire de ce statut en 1920. Dareste P., Recueil de législation, de doctrine et jurisprudence coloniales, t. XXIII, 1920, Jurisprudence coloniale, p. 96-97.
[33] Voir en particulier : Lafargue R. La coutume face à son destin. Réflexions sur la coutume judiciaire en Nouvelle-Calédonie et la résilience des ordres juridiques infra-étatiques, Paris, LGDJ, 2010. Cf. Demmer C. et Trépied B. (dir.), La coutume kanak dans l’Etat : perspectives coloniales et postcoloniales sur la Nouvelle-Calédonie, Paris, Harmattan, 2017.
[34] Memmi A., Portrait du colonisé, précédé de Portrait du colonisateur, Paris, Buchet/Chastel, 1957 ; Sartre J.-P., « Le colonialisme est un système », Situations, t. V : Colonialisme et Néo-Colonialisme, Paris, Gallimard, 1964 ; Balandier G., « La situation coloniale. Approche théorique ».
Source : Histoire coloniale et postcoloniale – Édition du 1er au 15 juin 2025
L’ouvrage de Hamza Esmili, érudit et percutant, offre une réponse rare et salutaire à la stigmatisation des musulmans en France. Face à l’actualité marquée par une offensive islamophobe du pouvoir contre le prétendu « entrisme » des Frères musulmans, sa réflexion est essentielle.
Hamza Esmili, La cité des musulmans. Une piété indésirable Éditions Amsterdam, 2025, 150 pages, 13 euros
Hamza Esmili, chercheur à l’Université libre de Bruxelles, s’intéresse dans ses travaux scientifiques au réinvestissement de la tradition islamique par les immigrés et leurs enfants en France. Dans La cité des musulmans publié ce printemps, il fait un léger pas de côté et se penche sur les formes de discriminations subies par les musulmans et sur la mise en place, à travers des politiques publiques et des discours, de l’islamophobie en France.
À travers une approche d’abord chronologique, l’auteur présente les mécanismes d’élaboration des discours discriminants à l’égard d’une pratique religieuse considérée comme indésirable. Il pointe notamment la convergence entre la stigmatisation des populations issues de l’immigration post-coloniale et un rapport défiant à la piété et à certaines formes de solidarité qui s’est structurée au fil de l’histoire.
En complément de textes parus depuis deux décennies, tels ceux fondateurs de Vincent Geisser (La Nouvelle islamophobie, La Découverte, 2003), Thomas Deltombe (L’Islam imaginaire, La Découverte, 2005) puis Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat (Islamophobie : Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », La Découverte, 2013), il met à jour la réflexion si malhonnêtement contestée dans l’espace médiatique et politique dominant. La séquence qui a suivi l’assassinat islamophobe d’Aboubakar Cissé dans une mosquée du Gard le 25 avril 2025 est la patente illustration de l’incapacité de bien des décideurs à intégrer la réalité concrète des violences et discriminations subies par celles et ceux qui sont liés à l’islam en France.
Hamza Esmili conceptualise ce qu’il désigne comme une « collision historique se figurant en problème musulman », soit entre « une invitation à la piété » portée par des musulmans d’une part, et d’autre part, « une société globale » française rétive à la perpétuation ou la réinvention de « liens de filiation » perçus comme communautaires. Le propos s’appuie sur une subtile réflexion philosophique et fait appel à la succession de débats, lois et décisions, jusqu’à celle récente sur le « séparatisme islamiste » en 2020-2021 qui sert à étendre toujours plus les pratiques d’exclusion. Nulle doute que les termes du débat lancé en mai 2025 avec la publication d’un rapport sur les Frères musulmans en France donnent du crédit à la thèse défendue par l’ouvrage.
Pile, je gagne, face tu perds
Les rengaines et obsessions du ministre Bruno Retailleau, de la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler ou du polémiste Éric Zemmour, leurs mensonges, excès et raccourcis, s’inscrivent dans une démarche qui s’est patiemment construite depuis les années 1980, et qui se reconfigure à chaque fois en mobilisant de nouveaux mots et concepts. À propos du « séparatisme » qui a un temps fait florès, l’auteur relève avec une grande justesse combien celui-ci construit une thèse qui confine au complotisme :
« La condition collective des immigrés et de leurs enfants en cité est constituée en sécession territoriale, tandis que le procès d’intégration sociale en leur sein est traduit en entrisme ».
Pile, je gagne, face tu perds !
La réflexion de l’ouvrage ne se limite pas uniquement aux modes de construction de cette singulière islamophobie française. Dans un second temps, Hamza Esmili s’intéresse en effet aux modalités par lesquelles, celles et ceux qui sont les cibles de ces discours, s’en démarquent, à travers une « réaffiliation religieuse » accomplie « solidairement », c’est-à-dire par les immigrés et leurs enfants eux-mêmes, au plus près de leur expérience. À travers le champ associatif ou les modalités locales de financement des mosquées se jouent des pratiques qui ne sont pas seulement réactives, mais plutôt le fruit d’une crise qui est collective, ancrée dans le contexte contemporain.
La prise en compte des apports de la sociologie des migrations et du champ des sciences sociales des religions, notamment pour réfléchir aux phénomènes de violence dite « djihadiste », se révèle ici tout particulièrement pertinente. La prose est certes parfois ardue, mais toujours incisive et efficace, faisant de La cité des musulmans une contribution indéniablement judicieuse.
Fruit d’années d’enquêtes minutieuses à travers le Nord-Constantinois, ce livre du journaliste Kamel Beniaiche est un apport important à l’histoire des massacres de mai-juin 1945 dans la région de Sétif. Il rend leur nom et leur histoire à nombre de victimes anonymes de ces meurtres de masse et publie des documents importants.
Sétif, la fosse commune. Massacres du 8 mai 1945, de Kamel Beniaiche, aux éditions du Croquant Commandes sur le site de l’éditeur à partir du 8 mai 2025
Préface de Gilles Manceron
(extraits)
[…] [Le] livre de Kamel Beniaiche, La fosse commune, […] rapporte l’ensemble des faits avec une grande rigueur. […] Sa qualité est de restituer précisément le déroulement de la répression barbare menée par l’armée française et les milices de civils européens dans les différentes localités de la région de Sétif, de relater les milliers de meurtres et de tortures inhumaines qu’elles ont commises contre des civils algériens. Mais il n’oublie pas, non plus, de mentionner les meurtres et les violences à l’encontre d’Européens. Ni de décrire les gestes d’humanité de certains pour protéger des algériens, comme celui de ce coiffeur juif de Sétif qui a empêché les soldats français de s’emparer d’un manifestant algérien blessé en le cachant dans sa boutique. Ou ceux de ce fermier européen, de ce brigadier de gendarmerie ou de ce directeur de la mine de Kef Semah qui ont protégé des ouvriers algériens menacés d’arrestation. Il parle aussi des manifestants algériens qui se sont opposés à des violences aveugles contre des civils européens, comme ceux qui ont protégé un cheminot retraité qu’on allait frapper, ont raccompagné jusque chez elle une vieille femme européenne apeurée, ou sont intervenus pour empêcher un jeune algérien excité d’agresser une jeune institutrice européenne et sa mère.
Ce livre est le fruit de plus de dix ans d’enquêtes patientes dans toute la région de Sétif. Né dans cette ville, l’auteur a d’abord été professeur dans l’enseignement secondaire avant de devenir en 1996 journaliste au bureau local du quotidien El Watan. Cela lui a permis de recueillir, au fil des années, sur les évènements de mai 1945, près d’une centaine de témoignages précis de survivants ou d’enfants de martyrs qui sont à la base de ce livre.
[…] Le mérite de ce livre, son apport important à l’histoire de cet épisode, est qu’il restitue l’identité de nombreuses victimes algériennes dont l’auteur a pu retrouver la trace. Des victimes qui, sur le moment, n’ont même pas été recensées par leur nom, puisque les indigènes, à l’époque, n’étaient reconnus ni dans leur citoyenneté ni même dans leur identité. Il fait œuvre de justice en les nommant et en restituant le martyre de ces êtres humains suppliciés et abattus qui n’ont, le plus souvent, même pas eu droit à une sépulture. Mais, dans sa quête scrupuleuse de vérité et animé par le souci de l’histoire, il n’oublie pas non plus de nommer aussi les victimes européennes et d’évoquer leur sort.
[…] La commémoration des 80 ans de l’« Autre 8 Mai 45 » ne peut se réduire à une dénonciation des crimes commis au nom de la France coloniale et à une demande aux autorités officielles françaises d’aujourd’hui de les reconnaître. Elles doit nous amener à réfléchir à plusieurs questions importantes. […] Les événements de mai-juin 1945 ont fait apparaître […] chez les indépendantistes un manque d’instances reconnues […] qui n’a cessé de faire l’objet de débats et d’affrontements.
[…] la République française qui se reconstituait au sortir de la Seconde guerre mondiale et étendait son pouvoir à l’Algérie est responsable de ce massacre, soit que certains de ses responsables nationaux ou locaux l’aient ordonné ou qu’ils l’aient laissé faire tout en en ayant connaissance.
[…] En rapport avec des interrogations sur la société française de 2025, commémorer l’« Autre 8 mai 1945 » implique aussi de restituer les débats que la société française de la fin de la Seconde guerre mondiale a connus entre partisans du rétablissement de son Empire et ceux de la reconnaissance de la légitimité des mouvements d’indépendance en son sein. Dans ce moment où un processus mondial d’émancipation des colonies avait commencé et où le principe du « droit des nations à disposer d’elles-mêmes » avait été posé notamment par la Conférence de San Francisco à l’origine de la création des Nations Unies, quelques personnalités au sein la France libre ou de la Résistance intérieure, certes très minoritaires, ont défendu la légitimité de l’engagement des colonisés en faveur de leur propre émancipation au même titre que l’avait été la cause de la défense de l’indépendance de la France envahie.
En 2025 où, poussée par différentes forces politiques, déferle de nouveau une vague d’opinions favorables à une réhabilitation du colonialisme, rappeler les positions prises par des personnalités qui estimaient que les colonisés avaient autant de droits que les Français à défendre leur patrie, comme la philosophe Simone Weil, l’homme de gauche André Philip, le gaulliste Jean Sainteny ou les Résistants proches du parti communiste Lucie et Raymond Aubrac, est essentiel pour que la France se réapproprie ses meilleures traditions et une vraie acception universaliste des droits de l’Homme, et parvienne enfin à « sortir du colonialisme ». […]
Sétif, la fosse commune, massacres du 8 Mai 1945
(extraits)
Le 8 mai 1945, la planète entière est en liesse. La joie du monde libre est indescriptible en raison de la capitulation de l’armée nazie. La fin d’un cauchemar qui a duré plus de cinq longues années se propage comme une traînée de poudre. En ce jour de libération, l’Algérie, qui a payé un lourd tribut lors des deux guerres mondiales avec 23 900 et 7 500 mobilisés morts pour la France, célèbre cependant un deuil. Portés par l’euphorie de la victoire, des milliers d’Algériens défilent à Sétif, réclamant à leur tour plus de droits et la reconnaissance de leur identité. Ils exigent l’égalité des droits, tout comme il y a eu égalité des devoirs pendant la guerre. Mais cette marche pacifique est réprimée dans le sang. Alors que le monde entier fête la victoire sur le totalitarisme, l’ordre colonial écrase ces revendications dans l’œuf. […]
L’apparition du drapeau algérien aux côtés de ceux des Alliés a mis le feu aux poudres. L’intervention de la police déclenche alors une émeute. En fuyant sous les tirs des policiers, des Algériens se retournent contre les Européens croisés en chemin. Le crépitement des armes précipite une rupture profonde entre les Algériens, appelés « indigènes, » et une partie des colons. Longtemps associé uniquement à Sétif, Guelma et Kherrata, ce drame a endeuillé tout le Nord-Constantinois et une grande partie du territoire, où chaque empan est chargé d’histoire. […]
Pendant des semaines, l’armée française et les colons, regroupés en milices, ont humilié et tué sans distinction d’âge ni de sexe dans plusieurs localités : Ain El Kebira, Beni Bezez, Serdj El-Ghoul, Aokas, Amoucha, Melbou, Beni Fouda, Tizi n’Bechar, Oued El Berd, Aïn Abassa, Bouhira, Maouane, El Kharba, El Eulma, Bordj Bou Arréridj, Beni Aziz, Boudriaa-Beni Yadjis, Ain Roua, El Ouricia, Ziama Mansouriah, Aïn Sebt, Bougaa, Aït Tizi, Bouandas et bien d’autres encore.La colère et la vindicte des populations indigènes, particulièrement dans les zones reculées de Sétif et de Guelma, ont fait 103 victimes européennes (70 à Sétif et 34 à Guelma, selon Annie Rey Goldzeiger). Cette révolte, qui emporta également de nombreux innocents, fut réprimée dans un bain de sang par une répression d’une ampleur inouïe, dépassant toutes les limites de l’entendement. Si le nombre de victimes européennes est précisément établi, le bilan des opérations de « rétablissement de l’ordre » – ayant mobilisé un véritable arsenal de guerre – reste encore méconnu et sujet à une polémique persistante. […]
Des actes barbares et des gestes d’humanité
Le devoir de vérité m’impose de mettre en lumière les gestes d’humanité qui ont émergé des deux communautés durant ces moments tragiques. Parmi eux, l’acte héroïque de Joseph, un coiffeur juif de Sétif, mérite d’être souligné : il a courageusement empêché des soldats français de s’emparer d’un manifestant algérien blessé qu’il avait recueilli dans sa boutique. Je ne peux pas non plus passer sous silence la position admirable d’un fermier européen d’Ouled Adouane (Aïn El-Kebira), ainsi que celle de M. Dillot, directeur de la mine de Kef Semah (Bougaa), lesquels ont protégé des paysans et des ouvriers indigènes menacés d’arrestation ou de liquidation extrajudiciaire. Il convient également de mettre en avant les réactions exemplaires de manifestants algériens, tels ceux qui ont protégé M. Roussin, un cheminot retraité sur le point d’être agressé, ou encore ceux qui ont raccompagné chez elle Mme Occipenti, née Marylise Morlot, une Européenne terrifiée par les violences environnantes. Enfin, je tiens à revenir en détail sur l’intervention courageuse d’Ahmed Mefoued, qui a sauvé d’une mort certaine la famille de Marie Simon Giovanni, une jeune institutrice européenne d’Amoucha. […]
Aujourd’hui, près de quatre-vingts ans après les violences inouïes de mai 1945, amnésie et le déni persistent du côté de la rive nord alors que des conseils municipaux de plusieurs villes françaises, des associations d’anciens appelés du contingent, des collectifs citoyens, des élus et des intellectuels se mobilisent pour rétablir la vérité. J’ai poursuivi mon enquête-cherchant à mettre en lumière l’imposture de la notion de « rétablissement de l’ordre public», devant dissuader les Algériens de revendiquer un minimum de dignité. […]
Le mystère qui entoure le pogrom perpétré à huis clos reste épais. À midi, les forces de l’ordre, par le fer et le feu, reprennent le contrôle de la situation et rétablissent l’ordre à Sétif. Aucune maison n’est incendiée, aucune porte n’est défoncée. Les renseignements généraux, à la fois juges et parties, font état de 21 morts et 35 blessés du côté européen, avec une liste nominative des victimes et des causes de leur décès. En revanche, les « manifestants », frappés par la répression, restent dans l’ombre, leur sort étant couvert par la censure. Une chape de plomb s’abat sur les indigènes blessés ou tués. […]
L’occultation délibérée du nombre de victimes indigènes, tombées ce jour-là ainsi que dans les jours et les semaines qui suivirent, est soigneusement entretenue, provoquant une polémique qui persiste jusqu’à nos jours. Cette controverse porte sur le bilan des victimes d’une répression féroce et disproportionnée. Le supplice des Algériens, dont le seul crime fut de scander des slogans de paix et de liberté, ne s’arrête pas là. […]
Le devoir de vérité m’oblige à évoquer le malheur qui a frappé plusieurs Européens de Sétif. L’assassinat du juge Vaillant et l’agression de Denier (secrétaire général de la section locale du parti communiste à Sétif), un contrôleur des PTT apprécié des autochtones, seront abordés, tout comme l’exécution de Pierre Péguin, directeur d’école, à qui un de ses anciens élèves a rendu hommage. Pour de nombreux témoins et acteurs, notamment Debbah Hebbache, un ancien scout, il est clair que la liquidation extrajudiciaire des frères Hebbache est liée à l’assassinat de Delucca et aux autres crimes commis par des paysans, juste après le début des troubles. […]
Consolidée par de nouveaux témoignages et des faits peu connus, cette seconde édition met en lumière plusieurs aspects de la tragédie, tels que la torture, les disparitions (notamment les corvées de bois ), le nombre d’orphelins, les bavures policières, les plaintes des familles souvent restées sans réponse, la répression administrative et judiciaire, les internements forcés, le nombre exact des disparus et autres victimes de la peine de mort, ainsi que l’ampleur des razzias, etc. Ces éléments m’ont poussé à approfondir mes investigations. De nouveaux documents inédits (ouvrages, rapports de la police, du gouvernement général en Algérie et une partie des archives militaires. […]
Documents
LES STATUTS DES AMIS DU MANIFESTE ET DE LA LIBERTE (AML)
Article 1er.
Il est créé en Algérie un groupement charge de faite connaitre et de défendre devant l’opinion publique algérienne et française le « Manifeste » du peuple algérien « du 10 février1943, et de réclamer la liberté de parole et d’expression pour tous les Algériens.
Ce groupement se dénomme les Amis du Manifeste et de la liberté.
Article 2.
Ce groupement combattra par la parole et par les écrits le concept colonial, les violences et les agressions des puissances impérialistes en Afrique et en Asie et l’emploie de la force contre les peuples faibles.
Son but est aussi de participer à la naissance d’un monde nouveau par le respect de la personne humaine partout dans l’univers,de faciliter et de hâter « l’avènement d’une humanité nouvelle où tous les peuples de toutes les races seront également libres et s’uniront fraternellement en un monde pacifié. (Congrès de la ligue des droits de l’homme, 1931).
Article 3.
En ce qui concerne l’Algérie, le groupement se donne pour mission immédiate la défense du « Manifeste » qui est l’expression d’une pensée libre et honnête ; la diffusion des idées nouvelles, la condamnation définitivedes contraintes du régime colonial, de son dogme racial et de son arbitraire.
Article 4.
Ses moyens d’action sont : secourir toutes les victimes des lois d’expression et de l’oppression coloniale ; saisir toute les occasions pour persuader, convaincre et créer un courant d’opinion en faveur du « Manifeste » ; rendre familière l’idée d’une nation algérienne et désirable,la constitution en Algérie d’une République autonome fédérer à une Républiquefrançaiserénovée, anticoloniale et anti-impérialiste.
Faire des causeries, des conférences dans tous les milieux et surtout les milieux français. Démasquer les agissements et les manœuvres des forces réactionnaires et des féodaux musulmans et français et de tous ceux qui ont un intérêt quelconque au maintien de l’ordre colonial. Bannir toutes les étiquettes que la colonisation nous a imposées au nom d’une politique de races, de castes et de privilèges (indigènes, sujets français, autochtones, conquis, administrés, français musulmans, etc…)
Faire la guerre aux privilègesdes classes dirigeantes. Prêcher l’égalité des hommes et le droit au bien-être et à la vie nationale du peuple algérien. Rappeler son passé de civilisation et sa contribution à la richesse de la pensée humaine.
Mettre en relief tous les sacrifices qu’il s’est imposé pour les libertés de la France, des peuples européens et pour la cause des démocraties.
Lutter par tous les moyens contre le complexe d’infériorité que la conquête militaire de 1830 a imposé aux Algériens et que l’administration coloniale et les régimes du « talon de fer» ont perpétué et aggravé.
Créer chez tous les habitants de l’Algérie, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans, la solidarité algérienne, le sentiment d’égalité et le « désir d’être ensemble », ce désir qui est, selon le mot de Renan, « l’élément constitutif de la nation ».
Article 5
Formation intérieure : Le groupement est dirigé par des comités locaux rattachés à des comités départementaux et à un comité central siégeant à Alger.
Sétif, le 14 mars 1944.
Ferhat Abbas.
L’ ORDONNANCE DU 7 MARS 1944 RELATIVE AU STATUT DES FRANÇAIS MUSULMANS D’ALGERIE
ART. 1 – Les français musulmans d’Algérie jouissent de tous leurs droits et sont soumis à tous les devoirs des français non musulmans.
ART. 2 – La loi s’applique indistinctement aux Français musulmans et aux Français non musulmans. Toutes dispositions d’exception applicables aux Français musulmans sont abrogées.
Toutefois restent soumis aux règles du droit musulman et des coutumes berbères en matière de statut personnel, les Français musulmans qui n’ont pas expressément déclaré leur volonté d’être placés sous l’empire intégral de la loi française. Les contestations en la même matière continuent à être soumises aux juridictions qui en connaissent actuellement.
Le régime immobilier reste fixé par les lois en vigueur.
ART. 3 – Sont déclarés citoyens français, à titre personnel, et inscrits sur les mêmes listes électorales que les citoyens non musulmans et participent aux mêmes scrutins, les Français musulmans de sexe masculin âgés de 21 ans et appartenant aux catégories ci-après :
— anciens officiers ;
— titulaires d’un des diplômes suivants : diplôme de l’enseignement supérieur, baccalauréat de l’enseignement secondaire, brevet supérieur, brevet élémentaire, brevet d’études primaires supérieures, diplôme de fin d’étude secondaires, diplôme des médersas, diplôme de sortie d’une grande école nationale ou d’une école nationale de l’enseignement professionnel industriel, agricole ou commercial, brevet de langue arabe ou berbère ;
— fonctionnaires ou agents de l’Etat, des départements, des communes, des services publics ou concédés, en activité ou en retraite titulaires d’un emploi permanent soumis à un texte règlementaire, dans des conditions qui seront fixées par décret ;
— membres actuels et anciens de Chambres de Commerce et d’Agriculture ;
— bachaghas, aghas, et caïds ayant exercé leurs fonctions pendant au moins trois ans et n’ayant pas fait postérieurement l’objet d’une mesure de révocation ;
— personnalité exerçant ou ayant exercé des mandats de délègue financier, conseiller municipal de commune de plein exercice, ou de président de djemaâ ;
— membre de l’ordre de la Libération ;
— compagnons de la médaille de la Résistance ;
— titulaire de la médaille du travail et membres actuels et anciens des conseils syndicaux, des syndicats ouvriers régulièrement constitués, après trois ans d’exercice de leurs fonctions ;
— conseillers prud’hommes actuels et anciens ;
— oukils judiciaires ;
— membres actuels et anciens des conseils d’administration des SIP artisanales et agricoles.
ART. 4 – Les autres français musulmans sont appelés à recevoir la citoyenneté française. L’Assemblée Nationale Constituante fixera les conditions et les modalités de cette accession.
Dès à présent, ceux d’entre eux qui sont âgés de plus de 21 ans et du sexe masculin reçoivent le bénéfice des dispositions du décret du 9 février 1919 et sont inscrits dans les collèges électoraux appelés à élire la représentation spéciale aux conseils municipaux conseils généraux et Délégations financières prévus par ledit décret.
Cette représentation sera pour les Conseils généraux et les délégations financière égales aux 2/5 de l’effectif total de ces assemblées.
Pour les conseils municipaux, elle sera également des 2/5 sauf dans le cas où le rapport entre la population française musulmane et la population totale de la commune n’atteindra point ce chiffre. Elle serait alors proportionnelle au chiffre de la population musulmane.
ART. 5 – Tous les français sont indistinctement éligibles aux assemblées algériennes, quel que soit le collège électoral auquel ils appartiennent.
ART. 6 – Est réservé le statut des populations de M’zab ainsi que des populations des territoires proprement sahariens.
ART. 7 – Les modalités d’application de la présente ordonnance seront fixées par décret.
ART. 8 – La présente ordonnance, qui sera publiée au Journal Officiel de la République française, et insérée au Journal Officiel de l’Algérie, sera exécutée comme loi.
Alger, le 7 Mars 1944.
La Une de France-soir du dimanche 13 – lundi 14 mai 1945
La Une de la Dépêche de Constantine du jeudi 10 mai 1945
Journal d’un groupe de FTP de août 1945 : « Oradour-sur-Glane en Algérie »
Algérie, une guerre sans gloire. Histoire d’une enquête(Le passager clandestin, 2025, 1re éd. 2005), réédition mise à jour et enrichie avec une préface inédite des historiens Malika Rahal et Fabrice Riceputi.
Présentation de l’éditeur
Juin 2000. Une ancienne militante pour l’indépendance de l’Algérie, Louisette Ighilahriz, confie à une journaliste du Monde, Florence Beaugé, les sévices qu’elle a subis à Alger en 1957. Elle met en cause deux des plus hauts responsables militaires français de l’époque, le général Massu et le général Bigeard, héros de la « bataille d’Alger ». Massu exprime des regrets. Bigeard nie en bloc. Un peu plus tard, un homme de l’ombre, le général Aussaresses, avoue sans détour à la journaliste tortures et exécutions sommaires. Il n’est plus question de « bavures », mais de la reconnaissance d’un système. C’est ensuite au tour de Jean-Marie Le Pen de voir son passé algérien le rattraper : une nuit d’horreur dans la Casbah, un poignard oublié…
Florence Beaugé donne la parole à ceux qui y étaient, Français et Algériens : cinq ans d’enquête, des témoignages bouleversants et des rebondissements inattendus. Mais ce livre est aussi un document exceptionnel sur le travail d’enquête au quotidien, les difficultés, les émotions, les hésitations d’une journaliste entraînée presque malgré elle dans une investigation difficile.
Vous apprendrez ainsi… comment a été financée la construction de l’actuel palais de l’Élysée en 1720 ; qu’une statue inaugurée en 2022 évoque les exactions commises aux Antilles en 1802 par l’armée de Bonaparte ; qu’un monument imposant glorifie un homme surnommé « général maziaka » (le Cruel) à Madagascar ; l’identité de l’homme qui a défendu le ciel de la capitale pendant la Première Guerre mondiale ; pourquoi a été construite la mosquée de Paris ; que la façade d’un édifice Art déco proche de la Madeleine figure les animaux de tout l’empire colonial français ; que Hô Chi Minh est venu trois fois ici avant une guerre tout à fait évitable ; que la guerre d’Algérie s’est aussi déroulée en partie à Paris…
Pascal Varejka, historien, et Marinette Delanné, photographe, rappellent ici que les traces de la période coloniale abondent à Paris : statues, noms de rues, plaques commémoratives, édifices.
Le livre-enquête truffé de révélations sur l’assassinat de Krim Belkacem, chef historique du FLN et signataire des accords d’Évian
20 octobre 1970, dans une chambre de l’Intercontinental de Francfort, Krim Belkacem est retrouvé mort, assassiné deux jours auparavant.
Homme politique algérien faisant partie des neuf membres historiques du Front de libération nationale (FLN) durant la guerre d’indépendance algérienne, il a signé, en tant que plus haut gradé des anciens maquisards, les accords d’Évian, et sera par la suite un fervent opposant à Boumédiène.
Pourquoi et comment Krim Belkacem s’est-il retrouvé dans cette chambre d’hôtel ? Comment, entre Alger, Paris, Rabat, Genève, Beyrouth et Francfort, s’est tramé son assassinat ? Quels en sont les commanditaires ?
Cinquante-quatre ans plus tard, sa mort est encore nimbée de mystères. Grâce à des documents exclusifs obtenus auprès des archives de la police et de la justice allemandes et auprès de la famille, Farid Alilat répond à ces questions au cœur d’une enquête brillamment menée, conduite en Allemagne, en France, en Suisse, au Liban et au Maroc.
Par sa connaissance approfondie de l’histoire et de la politique algériennes, le journaliste retrace dans ce récit qui se lit comme un roman haletant un des moments clés des relations entre l’Algérie et la France : que nous dit cet assassinat des relations entre les deux pays ?
Il revient pour ce faire sur la guerre d’Algérie, l’importance du rôle de De Gaulle dans le processus d’indépendance, la présence de Krim Belkacem en France, qui savait que sa tête était mise en prix, et sur l’intrication des différents réseaux, avec pour commanditaire Boumédiène.
Un crime d’État. Règlements de comptes au cœur du pouvoir algérien, de Farid Alilat, préface de Kamel Daoud, Plon, 272 p., 21 €, numérique 14 €
Précédentes publications de Farid Alilat, journaliste et écrivain, spécialiste de l’Algérie : Idir, un Kabyle du monde, éditions du Rocher ; Bouteflika, une histoire secrète, éditions du Rocher ; Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts, brûlot coécrit avec Shéharazade Hadid, sur la répression sanglante du printemps noir.
Lauréat du prix du Livre Inter en 2022 avec « Attaquer la terre et le soleil », l’écrivain Mathieu Belezi documente depuis des années la férocité de la colonisation en Algérie. Il constate à nouveau l’ignorance entêtée que notre pays entretient autour des massacres qui l’ont accompagnée.
Dans Attaquer la terre et le soleil (éd. Le Tripode, 2022), Mathieu Belezi raconte le quotidien infernal des tout premiers colons d’Algérie, arrivés miséreux des campagnes hexagonales pour un lopin de terre, malades de fièvre, protégés tant bien que mal des assauts des Algériens expropriés par une armée française qui commet massacre sur massacre.
Avant qu’il ne reçoive en 2022 le prix du Livre Inter pour ce récit, l’Algérie coloniale était depuis longtemps un de ses thèmes de prédilection, déplié depuis 2001 avec Les Vieux Fous,récit halluciné de la vie et de la chute d’Albert Vandel, « l’homme le plus riche d’Alger » en 1962, C’était notre terre (2008), ou encore Un faux pas dans la vie d’Emma Picard (2015) – des livres quasiment tous réédités en 2024 par les éditions Le Tripode sous les titres Moi, le glorieux, Le Temps des crocodiles et Emma Picard.
Pour l’émission « À l’air libre » du 6 mars sur les tensions entre la France et l’Algérie, Mathieu Belezi avait accepté un entretien lors duquel nous abordions l’ignorance et les résistances de la société française face aux crimes de la conquête algérienne, la question de la mémoire et son instrumentalisation par les politiques. Nous publions l’intégralité de cet entretien, réalisé le dimanche 2 mars.
Mediapart : Bruno Retailleau a alimenté ces derniers mois une surenchère verbale contre l’Algérie, Jean-Michel Aphatie a été vilipendé pour avoir rappelé les massacres de l’armée française au XIXe siècle, et l’extrême droite, indignée et offusquée, a parlé de la colonisation comme d’une« bénédiction ». Que vous a inspiré cet épisode, vous qui racontez ces réalités depuis deux décennies ?
Mathieu Belezi : Je ne suis pas étonné que nos dirigeants et les dirigeants de l’Algérie puissent s’invectiver et faire monter une espèce de dispute. Entre la France et l’Algérie, rien n’est réglé. Chaque Français, et je pense chaque Algérien, a au fond de lui cette mémoire qui est en train de moisir et qui ne sort pas. Ce contentieux, on n’en parle pas. À la place, on fait monter une espèce de tension, de ressentiment et de violence.
C’est comme si on revenait aux années 1960 : « L’Algérie, c’est la France. » Bruno Retailleau a-t-il lu l’histoire de la conquête de l’Algérie d’Alain Ruscio [La Première Guerre d’Algérie. Une histoire de conquête et de résistance, 1830-1852, éd. La Découverte, 2022 – ndlr] ou bien le livre de Pierre Darmon [Un siècle de passions algériennes. Une histoire de l’Algérie coloniale, 1830-1940, éd. Fayard, 2009 – ndlr] ? J’aimerais lui poser la question.
Que comprendrait-il s’il les lisait ?
Ce qui se cache derrière les images d’Épinal de la colonisation. Entre 1830 et 1870, il y a eu quarante ans de guerre inadmissible, terrible, raciste. Nous avons été des barbares. Pourquoi la France a-t-elle pu se comporter de la sorte ? Je repense très souvent à une déclaration d’Emmanuel Macron, qui a dit en 2022 : « Entre la France et l’Algérie, c’est une histoire d’amour qui a sa part de tragique. » Mais comment cela peut-il être une histoire d’amour ?
Tant que nous n’aurons pas fait ce travail d’« affronter l’entaille », comme dit l’historien Patrick Boucheron, on ne s’en sortira pas. Il ne s’agit pas de culpabiliser nos générations. Mais qu’on accepte de reconnaître ce qui s’est passé au XIXe siècle, et ce qui a perduré, comme l’a montré Pierre Bourdieu, qui parlait à la fin de la colonisation de la population algérienne des campagnes de sa misère effroyable, de la famine. Si on mettait tout ça sur la table, ça soulagerait beaucoup de Français et beaucoup d’Algériens.
Emmanuel Macron a fait un certain nombre de gestes mémoriels. Ils auraient dû être faits il y a dix ou vingt ans. La clé, ce serait de reconnaître la torture en Algérie.
La surenchère verbale du ministre, les réactions des éditorialistes et médias ou élus conservateurs et d’extrême droite ces dernières semaines nous montrent qu’il semble très facile de réactiver en France la rancœur, un antagonisme contre l’Algérie. Que cela nous dit-il de la France ?
Là encore, aucun étonnement. À sa sortie, le livre de Pierre Darmon qui disait la vérité historique n’a eu aucune presse. Et quand il est sorti en poche chez Perrin, en 2015, les 270 premières pages qui concernaient les toutes premières décennies de la colonisation entre 1830 et 1870 ont été censurées – j’appelle ça une censure. Il y a un réseau très puissant qui s’active à chaque fois très facilement. Moi aussi j’ai connu des censures. Mon roman Attaquer la terre et le soleil a eu du succès, mais je n’ai jamais été invité à la télévision pour en parler. En Belgique oui, mais pas en France. Le Théâtre de la Liberté à Toulon (Var) avait pris une option pour une adaptation sur scène de C’était notre terre, mais au bout d’un an ils ont dû renoncer.
Une comédienne a fait une adaptation d’Emma Picard et elle a du mal à la faire tourner dans des petites villes. À Rome, j’ai fait un jour une présentation d’un de mes romans qui ne parlait pas du tout de l’Algérie, et l’ambassadeur avait fait savoir que ce serait mieux que je ne parle pas de l’Algérie. C’était notre terre est à nouveau en train d’être adapté au théâtre, avec une création prévue pour l’an prochain en région parisienne, puis à Genève. Je suis curieux de voir quelle sera la réaction.
Le souvenir des enfumades de Bugeaud, massacres de tribus entières, a été rappelé par Jean-Michel Aphatie, qui les a comparées à autant d’« Oradour-sur-Glane ». Vos romans, qui par ailleurs ne cachent rien des immenses difficultés auxquelles ont été confrontés les colons venus dans le sillage de l’« armée d’Afrique », sont parsemés de ces massacres.
Dans un des romans, j’ai imaginé un épisode qui ressemble aux enfumades. Au fond, je ne comprends toujours pas. Comment on peut en arriver là ? Comment l’Europe qui au XIXe siècle, par d’autres aspects, était quand même une sorte de phare culturel du monde a pu faire ça ? Dans mes romans, je fais très attention à ne pas en rajouter dans la violence parce que ce n’est pas peine, il y en a assez dans la vérité historique dont je me suis inspiré.
Tous les Français devraient savoir ce qu’ont été les enfumades du Dhara. Tous les Français devraient lire les livres qui parlent de cette époque. Au moins pour essayer de comprendre cette colonisation furieuse qui concerne toute l’Europe. Parce que ce n’est pas seulement la France : c’est l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, la Belgique, comme le raconte David Van Reybrouck dans Congo. Une histoire.
Pour nous, Européens, c’est très important parce que nous pouvons très vite retourner dans la barbarie, et je suis bien placé pour en témoigner pour vivre en Italie, où beaucoup font comme si ce gouvernement d’extrême droite était un gouvernement comme les autres. On ne doit rien lâcher. Et on doit cesser de mettre l’histoire sous le tapis.
Quand vous avez commencé à écrire, était-ce pour combler ce manque de récits sur la colonisation ?
Pas vraiment. Le premier livre sur l’Algérie, C’était notre terre, c’était d’abord un travail littéraire sur la langue, sa musicalité. Je connaissais assez peu de choses sur l’Algérie coloniale, mais j’avais le sentiment que cette histoire, à cause de sa folie, pouvait bien convenir à mon travail d’écriture, au style que je voulais avoir, dans son baroquisme, sa démesure. J’ai cherché une manière de raconter les choses.
C’est vrai, je m’étais dit que la littérature française n’avait pas abordé la conquête algérienne. Cela m’étonnait. Je n’avais pas conscience que cela heurterait, que je me confronterais à une résistance qui ne dit pas son nom. En revanche, c’est cette résistance qui m’a donné envie de continuer. Même si ça a été une période difficile pour moi. Attaquer la terre et le soleil avait été refusé par cinq ou six grands éditeurs avant d’être publié par les éditions Le Tripode. J’en étais à me dire : voilà, à l’âge que j’ai, j’ai raté mon coup, je continuerai à écrire mais je ne publierai plus.
Le succès de vos livres montre aussi que beaucoup de gens sont avides de connaître cette histoire…
Dans les rencontres en librairie, il y a de vieux Algériens qui me remercient, des pieds-noirs avec qui je discute. Je me rappelle une présentation que j’avais faite pour C’était notre terre avec des libraires. Une dame d’une cinquantaine d’années était venue me voir à la fin : elle découvrait que l’armée française n’avait pas été accueillie à bras ouverts quand elle a débarqué en Algérie. Bref, on ne sait pas ! Et quand on découvre, c’est terrible. Raison de plus pour tout mettre sur la table. Même si, dans le contexte politique actuel, en effet, ce n’est pas gagné.
À l’automne 1934, un contremaître européen tue un saisonnier algérien dans une ferme coloniale de Basse Kabylie. Ce drame nous fait entrer dans une histoire rurale et sociale plus longue, celle d’une exploitation agricole et de ses occupants, entre l’insurrection algérienne de 1871 et la fin des années 1990.
L’enquête de Didier Guignard explore les multiples facettes et mutations de ce domaine, soumis aux aléas de la conjoncture économique et politique, aux relations changeantes entre donneurs d’ordres et exécutants, et qui, pourtant, dans la durée, déroule un même fil inattendu.
Car, en dépit d’une violence récurrente, des familles dépossédées par la colonisation maintiennent ici leur ancrage et se réapproprient ce morceau de plaine d’autres manières. Au gré des compétences et des alliances, hommes et femmes y consolident leur place de domestiques ou d’ouvriers, combinent leurs maigres salaires avec les fruits de quelques parcelles en bordure de domaine. Certains proposent même aux maîtres leurs services comme entrepreneurs agricoles ou marchands de récoltes. Seuls la nationalisation des fermes européennes après 1962 et le terrorisme islamiste de la « décennie noire » les obligeront à se retirer, au moins partiellement, des lieux qui leur sont chers.
Didier Guignard est chargé de recherche au CNRS, rattaché à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM) à Aix-en-Provence et HDR en histoire contemporaine.